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Apprentis du réel

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A Savigny-le-Temple, en Seine-et-Marne, un appartement pédagogique accueille une formation d'assistant de vie aux familles dispensée par l'AFPA. Un cadre réaliste visant à familiariser les stagiaires, salariés d'associations intermédiaires ou en reconversion, avec l'intervention au domicile des usagers.

Les dix stagiaires sont installés dans la salle de formation, entre un sapin de Noël clignotant et un schéma des os du dos, dessiné à la main sur un paper board. « Hier, on a vu comment aménager le domicile de la personne âgée pour éviter les chutes, annonce Corinne Joubert, la formatrice. De quoi vous souvenez-vous ? » Les réponses fusent, sans hésitation : fixer les tapis au sol, prévoir des tapis antidérapants dans la salle de bains et les toilettes, se méfier des chaussons inadaptés et des barres de seuil mal vissées... « Avant toute chose, si la personne est assise et veut se lever, il faut débarrasser tout ce qui peut la gêner, et notamment ce qui se trouve par terre, rappelle la formatrice. Il faudra y penser le jour de l'examen, parce qu'il y a souvent des pièges. » L'échéance paraît encore lointaine aux dix stagiaires - neuf femmes et un homme. Leur formation d'assistant de vie aux familles (ADVF), mise en route en octobre 2009, doit s'étaler jusqu'en mai prochain. La formation des trois stagiaires en reconversion professionnelle, indemnisés par Pôle emploi, dure 840 heures. Pour les sept salariés d'associations intermédiaires, elle ne dure que 343 heures ; ils alternent chaque semaine trois jours de cours payés par leur employeur et deux jours de mission auprès de particuliers. « On fera beaucoup d'exercices pratiques », indique Corinne Joubert, qui a dû bâtir à leur intention un programme écourté. Titulaire d'une maîtrise de gestion et management des entreprises du secteur sanitaire, elle connaît bien le milieu des services à la personne, après avoir dirigé plusieurs maisons de retraite et créé un centre de formation pour l'Union nationale de l'aide, des soins et des services au domicile (UNA), dont le réseau compte 1 200 structures. « Je passerai un peu plus vite sur les tâches ménagères, qu'ils sont censés déjà connaître, et j'insisterai plus sur les régimes alimentaires ou l'hygiène corporelle », précise-t-elle. Toutefois, l'objectif est le même pour tous : décrocher les trois certificats de compétence professionnelle (CCP) sur l'assistance aux tâches de la vie quotidienne, sur la garde des enfants et des bébés et sur l'assistance dans les tâches domestiques, qui constituent le titre d'assistant de vie aux familles.

Pour suivre cette formation dispensée par l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), les stagiaires ont dû passer des tests de mathématiques, de français et de logique ainsi qu'un entretien avec un psychologue du service d'orientation professionnelle de l'AFPA(1). Avec seulement dix places pour une quarantaine de candidats, la réussite à ces épreuves constitue une première victoire pour des stagiaires souvent peu qualifiés. « Nos intervenants sont plutôt des femmes, entre 25 et 45 ans, avec des niveaux de formation dépassant rarement le niveau V », commente Marie Bonnehorgne, attachée de direction de Travail entraide, dont cinq intervenants suivent la formation. Cette association intermédiaire nourrit une ambition simple, à l'instar des deux autres structures d'insertion par l'activité économique partenaires du dispositif, Partage 77 et Initiatives 77 : « La qualification, en l'occurrence l'obtention d'un titre professionnel de niveau V reconnu par l'Etat, doit permettre à ces personnes, aujourd'hui bénéficiaires de minima sociaux ou au chômage, de quitter les associations intermédiaires et de rentrer très vite dans l'emploi », résume Marie Bonnehorgne.

Une perspective raisonnable, d'après les études menées par la Maison de l'emploi et de la formation (MDEF) de Sénart : « Avec les communes de la MDEF de Melun-Val de Seine, notre territoire représente une population de 213 000 habitants, souligne Nathalie Borel, responsable du service emploi et insertion professionnelle. Parmi eux, des personnes âgées pour lesquelles les structures existantes répondent déjà assez bien, mais aussi beaucoup de jeunes ménages actifs avec des besoins de garde d'enfant. » Pour structurer le secteur des services à la personne, la MDEF de Sénart a commandité une étude, réalisée entre novembre 2008 et mars 2009 (voir encadré page 39). Associées aux comités de pilotage, une vingtaine de structures - des centre communaux d'action sociale aux entreprises, en passant par les associations ou les porteurs de projets - ont exprimé une même difficulté : recruter des personnels qualifiés, dans un secteur en pleine professionnalisation. « Les stagiaires qui effectuent déjà des missions de ménage chez des particuliers se présentent comme femmes de ménage, remarque Corinne Joubert. Désormais, ils seront des professionnels de l'aide à domicile, avec des gestes techniques, des notions de psychologie et de sécurité. »

Des débouchés attractifs

Les stagiaires le reconnaissent volontiers, la plupart ont été attirés par les débouchés. Coiffeuse pendant six ans, titulaire du brevet de maîtrise coiffeur (niveau III), puis vendeuse pendant treize ans, Chrystelle Camard, 37 ans, est en pleine reconversion : « On entend beaucoup parler des services à la personne, on voit des publicités, et ma soeur est aide médico-psychologique, raconte-t-elle. J'ai déjà effectué un stage avec une ADVF, c'était vraiment dur. Il fallait s'occuper de personnes démentes, ou malades d'Alzheimer... Je me souviens surtout d'un monsieur qui ne pouvait pas parler, dont les membres étaient très raides et qu'il fallait déplier pour la toilette. J'avais peur de lui faire mal ! Je préférerais travailler auprès d'enfants. » Pour certains, la formation d'assistant de vie n'est qu'une première étape. « J'ai un BEP comptabilité-secrétariat, mais cela ne m'a jamais plu, et j'enchaîne les petits contrats, les ménages, les remplacements, intervient Karine Slimani, 24 ans. Aujourd'hui, par exemple, en plus de la formation, je n'ai que trois heures de ménage par semaine. Avec le titre, je pense que je trouverai plus de missions. Mais mon but, c'est d'entrer dans une école d'auxiliaires de puériculture. Comme je n'ai qu'un diplôme de niveau V, il me faut de l'expérience dans le domaine de la petite enfance. » Jacques Mendome, lui, rêve d'un contrat de professionnalisation comme aide médico-psychologique. A 29 ans, cet ancien ouvrier d'une usine de transformation de caoutchouc a suivi un stage en maison de retraite sur les conseils de son référent Pôle emploi : « Après mon licenciement en avril 2009, j'ai voulu me tourner vers plus de contact humain, avec des débouchés, retrace-t-il. Le stage m'a confirmé que je me plaisais dans le secteur sanitaire et social. J'ai réussi les sélections pour les deux cursus d'aide médico-psychologique et d'auxiliaire de vie sociale d'une école de l'Essonne, mais je n'ai pas trouvé d'employeur. Comme ADVF, j'aimerais travailler en maison de retraite ou en institution, et pouvoir évoluer à partir de là, jusqu'à devenir infirmier, pourquoi pas ! »

Dans un environnement reconstitué

Pour plus de réalisme et des mises en situation plus efficaces, la formation d'ADVF se déroule dans un appartement pédagogique inauguré en octobre 2008, à Savigny-le-Temple (Seine-et-Marne). L'opération est entièrement financée par l'Agefos PME, organisme paritaire collecteur agréé pour les petites et moyennes entreprises. Mis à disposition par l'Office public d'habitat du département dans un petit ensemble du centre-ville, l'appartement offre aux stagiaires un environnement reconstitué jusque dans les détails. A l'étage, dans la chambre équipée d'un lit médicalisé et d'un lève-malade, des photos de famille et un collier reposent sur la table de nuit. Dans la chambre d'enfant, des petits livres ont été déposés sur la commode, et un pot périmé de pâte chocolatée à tartiner permet d'accroître le réalisme de la simulation lors du cours sur le change des bébés. Une chaise percée jouxte la salle de bains et, au rez-de-chaussée, le petit frigo de la cuisine est rempli de provisions. Aujourd'hui, les stagiaires ont organisé un repas de Noël. A la pause déjeuner, après une matinée de révision sur les accidents domestiques, Mariama Ahmada, une des stagiaires, sort un fait-tout pour cuire du riz. Une occasion supplémentaire de mettre en pratique les connaissances.

Appuyée contre la porte, Corinne Joubert devient madame Dupont, une vieille dame exigeante. « Vous allez me faire quoi, à manger ? », s'enquiert-elle. « Du riz avec une sauce à base de boeuf, répond Mariama Ahmada en essuyant des couverts. Vous me direz si vous voulez mettre du sel ? Par contre, je ne sais pas comment fonctionne votre cuisinière. Pourriez-vous me montrer ? » Dans la matinée, la formatrice a bien insisté sur la nécessité d'associer les personnes aux tâches quotidiennes. « Votre rôle, c'est de faire avec, pas à la place de, a-t-elle rappelé. Si vous préparez une soupe, proposez à la personne de s'installer avec vous. Même si l'arthrose l'empêche de faire plus qu'éplucher une patate, au moins elle se sent utile. Vous devez favoriser son autonomie. » Et respecter ses rythmes et habitudes - un réflexe qui vaut aussi bien pour le pliage du linge que pour le ménage ou la cuisine. Une découverte pour Karine Slimani : « Au début, je n'osais pas déranger les gens, demander sans arrêt où se trouvaient les produits ou l'aspirateur. Je cherchais dans les placards et, souvent, ça ne plaisait pas trop. » A l'approche de Noël, madame Dupont se sent un peu seule. Elle craint que sa famille ne lui rende pas visite. « Si vous voulez, je pourrais passer vous voir avec mes enfants pendant les vacances, propose Mariama Ahmada, ça vous ferait un peu de compagnie. »

Abandonnant le personnage, Corinne Joubert appelle le groupe à la prudence : « Vous pouvez faire ce genre de choses, mais veillez bien à garder la bonne distance. C'est difficile de ne pas s'attacher, mais vous êtes des professionnels. Ne donnez pas votre numéro de téléphone personnel, ne vous laissez pas envahir. Et vous êtes soumis au secret professionnel. Ne répondez pas aux questions sur les autres bénéficiaires, ni aux commérages sur les collègues. » A l'étage, tandis que le riz mijote, c'est au tour de Sylvie Roth, stagiaire en reconversion, de se glisser dans la robe de chambre bariolée de madame Dupont. En tenue d'ADVF, blouse blanche et chaussures plates, Anastasie Nimy Kisima est chargée de refaire le lit médicalisé. Appuyant sur la commande, elle le place un peu trop bas pour sa taille, puis se penche pour tirer les draps. « La posture... », soufflent les collègues, qui l'observent du couloir. Aussitôt, Anastasie Nimy Kisima se redresse et remonte le lit. « Le métier d'ADVF est très fatigant physiquement, explique la formatrice. Je leur ai donc appris une posture qui évite de forcer sur son dos : jambes fléchies, le bassin en avant et les lombaires bloquées. Pour l'instant, ça les amuse, parce que ça n'est pas très élégant, mais elles en verront vite l'utilité. »

Deux stages complémentaires

Si réaliste soit-il, l'appartement ne suffit pas pour appréhender la réalité du travail. Entre les modules sur la couture, le sommeil des enfants ou les démarches administratives, le cursus prévoit deux stages. Le premier, d'une durée de six jours, doit se dérouler en crèche ou auprès d'une assistante maternelle. Le second amènera les stagiaires à côtoyer durant neuf jours un ADVF chargé d'assister des personnes dans leur quotidien. « Le plus souvent, les stages ont lieu en institution, remarque Nathalie Borel. C'est une expérience très riche, les stagiaires apprennent beaucoup sur le cadre, la manipulation... Mais une fois en emploi ils seront plus vraisemblablement au domicile. Nous aimerions que les structures qui interviennent chez les particuliers accueillent plus de stagiaires. »

Malheureusement, Chrystelle Camard l'a constaté, les ADVF en poste ont peu de temps pour s'occuper d'un stagiaire. « Ma tutrice était attentive mais, dans une journée, elle ne cessait de courir, se souvient-elle. Certains jours, nous n'avions même pas le temps de manger. Dans la matinée, elle préparait le petit déjeuner d'une dame hémiplégique, puis effectuait des tâches ménagères chez un monsieur âgé, et faisait ensuite les courses et le ménage chez un couple qui ne sortait plus beaucoup. L'après-midi, elle accompagnait en sortie une dame avec un retard mental, puis elle partait faire du ménage chez une femme dépressive. Entre 8 heures et 19 heures, elle n'arrêtait pas une seconde ! » Une confrontation à la réalité indispensable : rythmes de travail, relations avec les autres intervenants (infirmières, aides-soignantes, auxiliaires de vie sociale, etc.), caractères difficiles, démence, alcoolisme... « C'est en exerçant le métier que l'on comprend à quel point il est délicat de concilier les souhaits de la personne, les exigences des familles et les impératifs du professionnel », résume Corinne Joubert. Et que l'on prend toute la dimension d'une intervention au domicile : si la plupart des stagiaires, souvent mères, estiment savoir s'occuper d'enfants, il leur faudra s'adapter aux règles fixées par les parents, aux rites et aux choix éducatifs de chaque famille.

En multipliant les mises en situation, les stagiaires se préparent aussi pour l'examen final. D'une durée totale de deux heures, celui-ci comprend un cas pratique sur les tâches domestiques et la vie quotidienne, ainsi que des exercices liés à la petite enfance. Pour la première épreuve, une comédienne interprète le rôle d'un bénéficiaire dont le cas est résumé sur une petite fiche. Le candidat dispose de dix minutes pour s'imprégner du nom, de la pathologie et de la situation, puis intervient comme il le ferait dans un contexte de travail. L'exercice est suivi d'un entretien avec le jury, à chaud, sur la prestation. Pour les enfants, le candidat doit réaliser des tâches simples - stériliser un biberon, changer un poupon... - et répondre à des questions. Sur les stagiaires de la promotion 2008, deux seulement n'ont pas obtenu leur titre. Les autres travaillent aujourd'hui en maison de retraite ou effectuent des missions au domicile des usagers. Une a signé un contrat de professionnalisation comme aide médico-psychologique. Mais peu ont décroché des CDI. « Je reconnais qu'au début les ADVF trouveront surtout des temps partiels, ou enchaîneront des CDD, admet Corinne Joubert. Mais le titre donne un plus non négligeable, il est reconnu, et même sans voiture, même si on a des enfants, si on le veut, on peut trouver un emploi. »

PERSPECTIVE
Un plan d'action pour les services à la personne

A partir d'une enquête menée par un cabinet spécialisé dans le domaine des services à la personne, la Maison de l'emploi et de la formation (MDEF) de Sénart a défini un plan d'action en vue de structurer ce secteur d'activité sur son territoire. Prochaine étape : lancer une étude de marché, conjointement avec la MDEF de Melun-Val de Seine et la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP). « Nous allons interroger un panel d'habitants, pour savoir quelle partie de leur budget ils pourraient consacrer à quel service », résume Nathalie Borel, de la MDEF de Sénart. Dans les cartons également, un projet de portail Internet destiné aux clients potentiels des services à la personne, avec l'objectif d'une visibilité accrue, les différents prestataires ayant manifesté le souhait de travailler en réseau. « Il pourrait s'agir d'une première étape, la suivante étant de favoriser les échanges entre structures, pour permettre par exemple à des salariés de trouver des compléments d'emploi chez un autre employeur », poursuit Nathalie Borel. Cet outil de lutte contre la précarité viendrait s'ajouter aux efforts de professionnalisation et de valorisation des métiers. Car l'appartement pédagogique ne sert pas uniquement à la formation d'ADVF. Il est aussi utilisé comme plateau technique pour valider le projet professionnel de personnes éloignées de l'emploi, ou comme site de validation des acquis de l'expérience. En parallèle, l'agence Pôle emploi de Melun (Seine-et-Marne) développe des méthodes de recrutement par simulation pour les métiers de ce secteur. « Les services à la personne, c'est large. Cela va de l'aide-soignante au jardinier, conclut Nathalie Borel. Nous devons donc nous outiller pour répondre aux différents besoins. »

Notes

(1) AFPA de Champs-sur-Marne : 67/69, avenue du Général-de-Gaulle - 77420 Champs-sur-Marne - Tél. 08 25 111 111.

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