«Depuis plus de 50 ans, les politiques du logement et de l'hébergement social incombent à l'Etat. Au cours de ce demi-siècle, la puissance publique a multiplié les déclarations de bonnes intentions, qui ont rarement été suivies des effets attendus. Par voie de conséquence, les problèmes d'accès au logement et d'hébergement sont restés entiers, en particulier dans la région parisienne.
Dernier acte de cette agitation quasi permanente, le chantier de refondation du dispositif d'accueil, d'hébergement et d'insertion (AHI). Courant septembre, le secrétaire d'Etat chargé du logement et de l'urbanisme a lancé la démarche dans la plus grande précipitation. Après une brève consultation des associations partenaires, 20 propositions d'amélioration ont été présentées lors du conseil des ministres du 10 novembre dernier (1).
Toutes ces belles promesses deviendront-elles réalité et surtout auront-elles une quelconque efficacité ? N'en déplaise aux promoteurs du chantier, je me permets d'en douter très fortement. «Chat échaudé craint l'eau froide», dit-on. Les pouvoirs publics nous ont déjà fait le coup du grand remaniement quantitatif et qualitatif. Rappelez-vous : en mars 2005 les services de l'Etat publiaient le fameux référentiel des prestations d'accueil, d'hébergement et d'insertion, qui avait été élaboré en concertation avec les partenaires du dispositif (2). Aux ordres, les fonctionnaires des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) se sont empressés de convoquer les opérateurs locaux afin de leur présenter le bel ouvrage. Une quasi-révolution copernicienne. Enfin, le dispositif prenait un peu de sens, enfin une exigence de qualité et d'adaptation aux besoins était retenue par les auteurs de l'opus.
Un seul petit problème subsistait. La réalisation des objectifs annoncés nécessitait un effort financier important qui n'était pas prévu au programme des financements. Cet obstacle avait été pointé en premier lieu par les agents de l'Etat qui, après avoir effectué la présentation du référentiel à l'aide d'un beau Powerpoint, confiaient à qui voulait les entendre la dimension irréaliste des perspectives retenues. Très rapidement, le référentiel a disparu de la circulation et trois mois après sa publication, il servait tout juste à caler les armoires dans les bureaux de l'administration. Depuis, ce document a été totalement négligé. Il est aujourd'hui oublié. Plus de quatre ans après, nous sommes encore très loin des objectifs qualitatifs et quantitatifs annoncés. Au mieux, 10 % des annonces présentées ont été réalisées.
D'autres mésaventures du même genre pourraient être citées, en particulier le fameux «PARSA» («plan d'action renforcé en faveur des sans-abri») élaboré début 2007 en réponse à l'action menée au canal Saint-Martin par «Les enfants de Don Quichotte» (3). L'expérience appelle donc à la plus grande méfiance : par quel miracle les promesses qui n'ont pas été tenues par les gouvernements qui se sont succédé depuis 2005 le seraient-elles par l'équipe gouvernementale aux affaires en 2009 ? L'effet d'annonce est d'autant plus à redouter avec le projet de conférence européenne de consensus sur le sans-abrisme prévue à la fin de l'année 2010.
Quand bien même le chantier arriverait à son terme, l'efficacité réelle des mesures prévues mérite d'être examinée. De toute évidence, la puissance publique sous-estime l'ampleur de la catastrophe sociale actuelle. Dans certaines régions, la précarité s'aggrave de manière préoccupante. L'exemple de la situation en Seine-Saint-Denis est éclairant. La crise accroît de manière notable l'insécurité sociale. Le nombre de chômeurs et de bénéficiaires de minima sociaux va augmentant. L'offre de logements à loyer modéré est largement insuffisante, y compris pour les bénéficiaires d'une décision favorable de la commission de médiation. Faute de pouvoir survivre, une partie grandissante de la population sollicite les services sociaux et notamment le dispositif d'accueil, d'hébergement et d'insertion. Déjà sous-dimensionné avant les premiers effets du marasme social, le pauvre «machin» croule sous la demande accrue des derniers mois. Le 115 est en permanence saturé. Les équipes de maraude ne couvrent pas tout le territoire et n'ont pas les moyens d'établir une relation d'aide avec les plus marginalisés. Les accueils de jour sont débordés. Pleinement occupées, les places d'hébergement de toutes les catégories existantes sont largement insuffisantes. Le recours à l'hébergement dans les hôtels sordides se développe. Les demandes de logement des ménages hébergés ou logés temporairement n'aboutissent pas. Les durées de séjour augmentent. Fait plus récent, les bidonvilles réapparaissent. Selon une estimation récente de la DDASS, environ 50 bidonvilles abriteraient plus de 3 100 personnes vivant dans des conditions de totale insalubrité et insécurité. Nous n'avions pas connu un tel phénomène depuis les années 60. Dans ce contexte d'accroissement notoire des besoins, la réorganisation du dispositif AHI prévu par les architectes du projet de refondation n'aura qu'un impact très limité.
Le traitement de la situation nécessite la mobilisation d'autres moyens. Et bien sûr, en la matière rien n'est prévu. En attendant un retour hypothétique de l'emploi, les chômeurs et les bénéficiaires de minima sociaux devront se satisfaire de leurs pauvres allocations pour survivre. Les demandeurs de logement n'ont plus qu'à prendre leur mal en patience et attendre une éventuelle proposition de logement social qui pourrait leur être adressée, au mieux, dans les dix années à venir. Qu'adviendra-t-il de ceux qui survivent à la rue ou dans les bidonvilles ? Ils continueront à être expulsés de leurs précaires installations pour s'installer un peu plus loin.
Dans ce département, il faudra beaucoup plus que le chantier de refondation lancé par le secrétariat d'Etat pour connaître des jours meilleurs. Les personnes en difficulté ont, avant tout, besoin d'un emploi pérenne correctement rémunéré ou, à défaut, d'un revenu de remplacement suffisant, et d'un logement à loyer modéré, éventuellement associé à un accompagnement social adapté. Et c'est une politique ambitieuse de plein emploi et de construction de logements réellement sociaux qu'il nous faut prévoir au moins à l'échelon régional pour sortir par le haut du chaos ambiant. Ainsi, les personnes les plus autonomes pourraient plus aisément accéder à des conditions de vie satisfaisantes et l'action sociale retrouverait sa vocation première consistant à soutenir de manière appropriée ceux qui, momentanément ou durablement, ont besoin d'une aide plus particulière. Un retour au bon sens en quelque sorte.
On peut donc légitimement douter de l'effectivité réelle de cette refonte. En revanche, une réforme semble bien plus certaine : le changement du mode de tarification. Il devient très clair en effet que le chantier de refondation est le cheval de Troie d'une transformation notable en matière de gestion financière. Durant le dernier trimestre de l'année 2009, l'intention longtemps velléitaire d'en finir avec le principe de la dotation globale de fonctionnement (DGF) s'est transformée en volonté beaucoup plus affirmée. Lors des réunions de travail organisées par le secrétariat d'Etat, le projet de réforme de la tarification a été confirmé et, selon le calendrier retenu, il pourrait entrer en vigueur dès l'exercice 2011. Un problème technique reste cependant à régler. En effet, la mise en place de cette modalité de financement requiert au préalable l'établissement d'une nomenclature des différentes prestations servies ainsi que le tarif applicable à chacune d'elles. Deux initiatives récentes devraient permettre de combler le retard. Courant octobre, une première enquête afférente aux coûts des prestations fournies par les structures du dispositif AHI a été diligentée par l'administration centrale. Par ailleurs, le programme présenté en conseil des ministres prévoit en particulier l'élaboration à court terme d'un référentiel prestations/coûts.
Exit donc l'obsolète DGF au profit de la T2A, supposée performante. Cette dernière, déjà mise en oeuvre dans le champ sanitaire, a révélé ses funestes performances. Ce mode de tarification a provoqué des fermetures de services et d'établissements, un accroissement de la concurrence, des difficultés de gestion, ainsi qu'une dégradation de la qualité de la prise en charge. Pour peu qu'elle soit appliquée à l'action sociale, elle produira des dommages similaires. Il en résulterait non pas une amélioration du service rendu mais bel et bien une dégradation significative de celui-ci qui, in fine, sera supportée par les usagers déjà fragilisés. »
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