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La Belgique, eldorado ambigu

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Pour de plus en plus de familles, la Belgique apparaît comme la solution face aux carences de la prise en charge du handicap lourd en France. Une autre culture de l'accompagnement s'y est développée, et les listes d'attente y sont presque inconnues. Pour autant, le système n'est pas sans taches. La logique qui pousse les professionnels belges à répondre aux demandes des Français comporte aussi des menaces.

Combien de personnes handicapées françaises sont-elles accueillies en Belgique ? Nul ne le sait avec exactitude. « Aucun organisme, aucun service de l'Etat, ne possède de statistiques cohérentes, fiables et exhaustives », notait l'inspection générale de l'action sociale (IGAS) dans un rapport de 2005 (1). Le chiffre avancé est d'environ 3 500 personnes, adultes ou enfants, placées dans des établissements situés pour la plupart en Wallonie, la partie francophone de la Belgique. Mais il convient d'y rajouter 1 500 enfants officiellement scolarisés dans les différents niveaux de l'enseignement spécial belge. Plus un nombre difficilement déterminable d'enfants ou d'adolescents handicapés, placés en internat ou semi-externat dans une école spécialisée wallonne ou bruxelloise sans faire l'objet d'une prise en charge de l'assurance maladie ou des conseils généraux, donc absents des statistiques françaises. En tout, 6 500 personnes, tous âges et tous handicaps confondus, estime Cécile Gallez, députée (UMP) du Nord, auteure d'un rapport en novembre 2008 sur l'hébergement des personnes âgées et handicapées en Belgique (2).

En progression de 2 à 4 % par an, selon la députée du Nord, de 4 à 10 % par an, selon l'IGAS, ce phénomène fonctionne comme un rappel lancinant des carences des dispositifs français. Le manque de places compte bien sûr pour beaucoup. Rien que dans la région Nord-Pas-de-Calais, on dénombrait en 2005 environ 1 600 adultes et 1 700 enfants en attente d'orientation, et 4 500 adultes en attente de place dans une structure du travail protégé. En moyenne, les enquêtes estiment entre trois et six ans le délai d'attente pour un adulte lourdement handicapé.

Pour autant, la faiblesse des équipements français n'explique pas à elle seule l'attraction exercée par la Belgique. Car, à la différence des personnes âgées, l'expatriation des personnes handicapées ne s'effectue pas seulement à partir des régions frontalières, « certaines proviennent de départements éloignés et même des DOM-TOM », souligne Cécile Gallez. Des dizaines de départements recensent ainsi un noyau incompressible de leurs ressortissants accueillis en Belgique, cela en dépit des difficultés, des coûts engendrés, et des solutions de proximité qui ont pu leur être proposées. Dans le Val-de-Marne, département plutôt nanti de la région parisienne, « la situation existe depuis 30 ans », reconnaît Christian Fournier, vice-président du conseil général chargé du handicap, qui dénombre 92 adultes valdemarnais, dont une bonne part d'autistes, accueillis dans 19 établissements belges (3). « Quand j'ai pris mes fonctions en 1988, on trouvait essentiellement des foyers d'hébergement dans le département. Pour beaucoup de parents, les solutions étaient alors en province ou en Belgique, cette dernière représentant la proximité par rapport à des places situées dans le centre ou le sud de la France », explique-t-il. La palette d'établissements s'est depuis diversifiée, et le nombre de places a augmenté. Mais l'engouement pour la Belgique n'a pas faibli. « Vue d'ici, l'offre de services belge apparaît plus souple, les listes d'attente moins longues, le personnel plus disponible, commente Christian Fournier. Ce qui frappe surtout, ce sont les progrès réalisés par nos ressortissants, qui évoluent bien plus vite que dans nos maisons d'accueil spécialisées. »

Le cas de l'autisme illustre parfaitement les raisons qui conduisent des familles à traverser la France pour trouver un établissement répondant à leurs attentes. « Dans certaines institutions belges, nous avons effectivement constaté que l'ouverture aux parents et à la fratrie est une pierre angulaire de leur travail », observe Cécile Gallez. Le cheminement commun qui peut alors se mettre en place est, de plus, servi par « une très grande souplesse qui permet en période de crise d'accueillir le jeune davantage en internat, et, à l'inverse, de soutenir un retour dans la famille quand cela va mieux ».

Dur constat. Pour les observateurs, l'avance prise par la Belgique en matière de handicap apparaît en effet considérable. S'il a fallu attendre 2005 pour que la loi française pose les bases d'une meilleure intégration des personnes handicapées dans la société, dans la communauté francophone belge (Wallonie et Province de Luxembourg), c'est dès 1995, soit dix ans plus tôt, qu'un décret-cadre pris par le gouvernement wallon est venu énoncer l'ensemble des grandes orientations et des moyens à mettre en oeuvre « pour permettre aux personnes handicapées d'atteindre un degré d'autonomie, d'épanouissement et de participation sociale plus élevé » (4). De façon très pragmatique, l'application de cette politique est confiée à un organisme public, l'Agence wallonne pour l'intégration des personnes handicapées (AWIPH), chargée à la fois de la planification, du financement et du suivi des dispositifs. Omniprésente, elle intervient dans tous les domaines de la politique du handicap, depuis l'ouverture des droits d'une personne jusqu'à l'organisation d'actions d'information développant la prise de conscience de la collectivité sur le handicap. C'est également l'AWIPH qui se charge de l'agrément, du contrôle, et du subventionnement des établissements et des services.

Cette centralisation des pouvoirs explique que la volonté du législateur soit appliquée à la lettre, relève Simon Baude, directeur du service d'inspection et d'audit à l'AWIPH (5). « Ainsi, parmi les éléments de qualité recherchés au sein d'un établissement, une grande importance sera accordée au respect des attentes de la personne, qui est une des principales orientations de la loi. Cela passe pour nous par une approche méthodologique du dossier individuel. Nous insistons beaucoup sur le travail de recueil et d'analyse des besoins des usagers, ainsi que sur la recherche d'une implication de la famille. » De même, le cap de l'inclusion sociale fixé par le décret de 1995 se traduit par une vigilance accordée à la mise en place d'activités professionnelles, culturelles et sportives à destination des personnes handicapées. « Un des éléments déterminant dans l'appréciation portée sur l'accompagnement pratiqué dans une institution sera son orientation vers l'extérieur, et la possibilité qui sera donnée au résident de sortir le plus souvent possible », illustre Simon Baude.

Une logique communautaire

Un autre reflet de la volonté politique belge est la façon dont l'agence wallonne contribue à orienter l'infrastructure de prise en charge des personnes handicapées. « Notre stratégie consiste à privilégier les groupes de vie de 10 à 12 personnes handicapées et d'y rattacher à chaque fois un noyau de personnels, le plus durable possible, afin de rentrer dans une logique communautaire », explique Jean Riguelle, directeur expert de l'AWIPH. L'agence encourage ainsi la dissémination de petites unités à caractère familial, en tournant le dos aux villages de personnes handicapées, qui ont pu se développer en Belgique dans les années 90. Très volontaristes, ses aides au financement sont attribuées selon un système de cotation des projets établi en fonction des objectifs de la loi. « Par exemple, plus l'importance accordée aux perspectives d'intégration des résidents sera grande, plus l'engagement de l'agence sera conséquent. L'accessibilité de la structure aux familles est également prise en compte. Ainsi, une structure en milieu urbain sera mieux cotée qu'une autre isolée en pleine campagne », précise Jean Riguelle.

Dans les établissements, les effets de ce regard se traduisent par un primat du pédagogique sur le médical. « Même dans les institutions les plus médicalisées, personne ne voudra être appelé «hôpital» ou «foyer médicalisé» », assure Jacques Servais, directeur de l'Institut médico-social de Ciney, une institution située près de la frontière ardennaise. Accueillant 357 personnes handicapées mentales de 3 à 65 ans (dont une cinquantaine de Français), réparties dans 31 maisonnées d'une douzaine de résidents chacune, l'Institut de Ciney fait partie de ces établissements wallons impossibles à dupliquer en France.

Au coeur du dispositif : l'extrême polyvalence des professionnels. « L'accompagnement de type familial qui est pratiqué dans chacune des unités est rendu possible par l'adaptabilité du rôle de l'éducateur en Belgique. Celui-ci accompagne la personne tout au long de sa journée, soit depuis le lever et l'aide à sa toilette, jusqu'à la mise en place des activités de loisir, d'utilité sociale et de sport. L'éducateur peut aussi avoir une activité d'aide-soignant, grâce à des compétences pour des soins très précis acquises au fur et à mesure en formation permanente, ce qui assure un contact d'une grande qualité », explique le directeur.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En 2002, on dénombrait uniquement 17 emplois à temps plein de médecins sur les 7 000 ETP (soit 10 000 salariés) dans l'ensemble des établissements et services de Wallonie. Environ 80 % des personnels étaient constitués d'éducateurs. « Au point que, jusque dans des domaines aussi sensibles que les soins palliatifs, la tendance des établissements belges sera de former leur personnel en interne plutôt que d'avoir recours à des services spécialisés », témoigne Jacques Servais.

A cela s'ajoute une autre tendance, abondamment commentée par les milieux du handicap français, au regroupement des résidents d'une institution par niveau d'autonomie plutôt que par type de pathologie. « Ce qui va objectiver l'admission d'une personne dans un établissement, c'est son adéquation avec le projet institutionnel et non la nature de son handicap. Une personne mal-voyante peut ainsi se retrouver dans un service entourée de handicapés physiques pourvu qu'ils aient un niveau d'autonomie et des attentes comparables. De la même manière, il n'existe pas en Belgique d'encadrement type pour un autiste : c'est le comportement de cette personne qui déterminera son encadrement et le lieu de sa prise en charge », explique Benoît Duplat, administrateur délégué du Carrosse, qui accueille 250 déficients mentaux, moyens ou lourds, presque à 100 % d'origine française.

Exemple parfait de cette philosophie, cette structure répartit ses résidents au sein d'une constellation de huit établissements aux caractéristiques très différentes. « Ces unités familiales d'une quarantaine de personnes chacune correspondent à la nomenclature française des foyers occupationnels, foyers d'accueil médicalisés et maisons d'accueil spécialisées. Mais chacune d'entre elles est définie selon le niveau d'autonomie des résidents, son projet pédagogique spécifique, et son environnement. De ce fait, il est possible d'offrir à une personne handicapée le milieu de vie qui lui est le plus approprié, ou encore de la réorienter en fonction de son évolution », indique Benoît Duplat.

Pour cela, une évaluation annuelle des capacités et des insuffisances de la personne permet de mesurer ses besoins d'accompagnement et de déterminer la structure qui lui conviendra le mieux (6). C'est également à partir de cette évaluation qu'un éducateur référent va élaborer un projet individualisé. « Chacun est le référent de deux ou trois personnes handicapées qu'il accompagne tout au long de l'année. Ainsi, si une même personne peut voir deux ou trois éducateurs dans la journée, c'est l'éducateur référent qui collecte l'information auprès de ses collègues et de l'équipe infirmière et qui reste le pivot de la mise en place du projet individualisé », explique Thierry Bordignon, directeur psychopédagogique du Carrosse.

Au final, la structure s'appuie sur une équipe de 14 éducateurs dans chacune de ses unités, capable de moduler son encadrement éducatif tout au long de la journée en fonction des besoins réels de la personne.

Un monde parfait ? Pas exactement. Car, en dépit de ses qualités, l'univers du handicap belge brille également par son opacité. Au conseil général de Moselle, département frontalier, on relève la difficulté de clarifier les relations avec les institutions situées à quelques kilomètres en territoire wallon. « Avant de contractualiser avec des établissements belges, nous vérifions qu'ils sont bien agréés par l'AWIPH, ce qui est loin d'être le cas pour tous. Nous sommes aussi surpris que certaines institutions n'accueillent que des Français ou que d'autres aient une attitude de démarchage auprès des établissements psychiatriques de la région pour récupérer quelques résidents. Tout cela nous rend très vigilants », atteste Claude Royer, chef de la division des prestations sociales du conseil général de Moselle.

La raison de cette ambiguïté tient à la part de libéralisme du secteur médico-social belge. En effet, en marge des établissements autorisés et contrôlés par l'AWIPH, qui peuvent accueillir quelques Français en plus de leur capacité autorisée, se sont développées de nombreuses structures placées sous le seul régime de l'autorisation de prise en charge (APC). Véritable levier d'ajustement du système belge, l'APC permet à des institutions, voire à des services ouverts au sein d'établissements agréés, de se créer en quelques mois pour répondre à des besoins non solvabilisés par l'AWIPH. On estime que 80 % des Français placés en Belgique sont en réalité accueillis dans ce type de structures, qui ne répondent qu'à des normes de fonctionnement minimales et ne font l'objet que de simples contrôles techniques (hygiène, sécurité).

Le rapport Gallez avait dénoncé les effets pervers de ce système, en particulier à travers un phénomène de « dérive de l'offre des places à destination des Français » apparu au cours de l'année 2008. Des services belges, calqués sur la nomenclature française des maisons d'accueil spécialisées (MAS), conseillaient aux familles de personnes handicapées déjà orientées dans des foyers médicalisés du Nord-Pas-de-Calais de demander une réorientation en MAS à la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées de leur département. Munies de cette autorisation, les familles se retournaient ensuite vers la caisse régionale d'assurance maladie en vue d'obtenir le financement du placement. Sauf que, souligne le rapport, les personnes handicapées ainsi placées échappaient ensuite à tout suivi « puisque le contrôle des MAS relève de la direction des affaires sanitaires et sociales du département d'implantation et que ces établissements n'ont pas de reconnaissance officielle en Belgique ».

Une solution naturelle

Le pragmatisme belge irait-il parfois jusqu'à l'opportunisme ? Du point de vue des professionnels, l'explication est assez différente. Membre de la Fédération belge des institutions et services spécialisés de l'aide aux adultes et aux jeunes (Fissaaj), Jacques Servais constate que les directions se sentent quant à elles prises dans une logique qui les pousse à répondre à la demande des familles françaises, quand ce n'est pas à l'anticiper. « Cela tient au type de financement des établissements, explique-t-il. Nous sommes en effet financés en fonction du nombre de journées et de la typologie de la personne. Mais cette enveloppe ne couvre que les dépenses et ne permet pas de développer des projets. » Conséquence : l'accueil de résidents français représente un moyen d'élargir la marge de manoeuvre de l'institution et de développer des services qui pourront éventuellement profiter à quelques Belges handicapés. Les effets des évolutions successives de la réglementation de la prise en charge du handicap contribuent également à alimenter ce processus. « Par exemple, dans une de nos unités de vie, 12 autistes français sont venus remplacer 12 autistes belges. Pourquoi ? Simplement parce que l'accompagnement de l'autisme en Belgique s'effectue dans des services généralistes du handicap mental (7), et que notre institution cessait d'être subventionnée pour un accompagnement spécifique. » La solution de s'ouvrir à des ressortissants français s'impose alors comme une solution naturelle pour maintenir les compétences professionnelles déjà acquises, et cela d'autant plus facilement que la pression des familles françaises est forte. Autre exemple : lorsque le gouvernement wallon a mis fin à l'accueil des « jeunes caractériels » dans des institutions de plus de 60 lits, s'est posé pour nombre d'établissements le problème des places qui se libéraient tout à coup. Là encore, pour conserver l'outil, la question de l'accueil des jeunes Français a resurgi. « Le paradoxe, commente Jacques Servais, c'est que, vu de la France, ce système va être perçu comme souple et adaptatif. »

Du côté des autorités wallonnes, on note que, loin de s'enrayer, l'engrenage qui conduit des Français handicapés à solliciter un placement en Belgique semble au contraire tourner à plein régime, avec une demande qui ne diminue pas et un alourdissement des handicaps présentés, indiquant que des familles ont épuisé toutes les solutions en France. « Il ne faut pas se cacher que nous tirons bénéfice de cette situation en termes de création d'emplois. Maintenant, tout cela pose des questions. 3 500 personnes sont accueillies dans nos établissements aujourd'hui. Mais si on laisse faire les choses, dans dix ans elles seront 7 000, et dans 15 ans de 10 000 à 12 000. Il faut vraiment remettre de l'ordre ! », presse le représentant de l'AWIPH, Jean Riguelle. A la suite du rapport Gallez, un projet d'accord-cadre franco-belge avait été lancé pour favoriser les échanges de données entre les deux pays et coordonner les contrôles des institutions accueillants des Français. Pour l'heure, les groupes de travail bilatéraux qui s'étaient constitués attendent d'être relancés par la secrétaire d'Etat française chargée de la famille et de la solidarité, Nadine Morano, indique-t-on à l'AWIPH sans plus de commentaires. Une illustration de l'attentisme des pouvoirs publics français, dénoncé par toutes les commissions d'enquête qui se sont succédé depuisdix ans ? En tous cas, pour Cécile Gallez, « le manque de coopération franco-belge aux plus hauts niveaux est, jusqu'à présent, à imputer aux autorités françaises qui n'ont pas répondu à la demande, pourtant insistante, du gouvernement wallon ». Et la députée du Nord d'enfoncer le clou : « Cette offre belge ne saurait dispenser l'Etat français de pouvoir accueillir sur son territoire ceux qui partent en Belgique par défaut. »

ÉTABLISSEMENTS NON AGRÉÉS : SOUPLESSE ET FAILLE DU SYSTÈME BELGE

La prolifération en Wallonie des institutions placées sous le seul régime de l'autorisation de prise en charge (APC) inquiète les autorités politiques des deux côtés de la frontière. Alors qu'on repérait une quarantaine d'institutions dans ce cas en 2005, trois ans plus tard, en 2008, leur nombre s'élevait à 130. Une progression fulgurante due pour l'essentiel aux carences des dispositifs français de prise en charge des handicaps lourds, comme l'autisme ou les « doubles diagnostics » associant handicap mental et troubles sévères du comportement. Le rapport de Cécile Gallez, députée (UMP) du Nord, sur L'hébergement des personnes âgées et des personnes handicapées en Belgique éclaire par exemple le système de vases communiquants entre les personnes handicapées maintenues dans les établissements psychiatriques français et la création de services en Belgique. Selon la rapporteure, environ 30 % de la population hospitalisée en psychiatrie serait en fait constitués de personnes en manque d'autonomie pour lesquelles aucune solution n'existe faute de places dans des structures médico-sociales. « Ces personnes perdent les potentialités d'adaptation sociale et d'autonomie qu'elles avaient pu acquérir [...]. Cela est particulièrement vrai pour les autistes qui représentent une proportion importante de cette population », dénonce Cécile Gallez, en qualifiant de « scandale » cette situation. Le recours à la Belgique est alors d'autant plus pertinent pour une famille qu'au manque de places s'ajoute une donnée financière et humaine. Le coût moyen d'une structure médico-sociale en Wallonie est en effet de l'ordre de 150 € par jour, contre 370 € avec un ratio de personnel deux à trois fois inférieur dans un hôpital psychiatrique français. Au point que la députée du Nord préfère appeler au réalisme les quelques départements favorables à une politique de limitation des placements en Belgique. « Le retard est tel et les budgets à trouver tellement considérables qu'actuellement cette attitude reviendrait à «sacrifier» ces citoyens handicapés au lieu de leur trouver une réponse adaptée à leurs besoins. »

La coopération transfrontalière pour clarifier la situation créée par ces établissements se heurte pour l'instant à un vide administratif et juridique. Côté belge, le gouvernement wallon ne peut s'opposer à l'implantation d'un nouvel établissement s'il répond aux critères d'hygiène et de sécurité, même si la zone est déjà largement équipée. A titre d'exemple, la commune de Peruwelz, dans le Hainault, compte 12 % de Français handicapés sur les 17 000 habitants de sa circonscription. Conséquence : le champ d'intervention de l'agence wallonne pour l'intégration des personnes handicapées (AWIPH) se limitant aux établissements qu'elle agrée, un nombre grandissant d'institutions ne font l'objet d'aucun contrôle. Dans ce contexte, seuls 20 % des Français placés en Belgique bénéficient aujourd'hui d'un suivi des autorités wallonnes.

Côté français, les financeurs des placements - assurance maladie et départements - font face aux limites de leur compétence territoriale. Ainsi, lorsque la prise en charge d'une personne est assurée par l'assurance maladie, la caisse régionale d'assurance maladie Nord-Picardie, qui a reçu mandat d'effectuer les contrôles des établissements pour adultes tous les trois ans, n'a aucun moyen d'intervention puisque ses visites ne concernent elles aussi que les établissement conventionnés par l'AWIPH. Et lorsque la prise en charge est effectuée par le département, « certains établissements sont soumis à des contrôles directs par les conseils généraux, d'autres non, pour des raisons d'éloignement géographique du département ou le plus souvent par manque de moyens financiers », dénonce Cécile Gallez.

Un début de solution vient d'être trouvé avec la signature, en mai 2009, d'un arrêté du gouvernement wallon venant renforcer les obligations des établissement sous régime de l'APC (8). Preuve du vide qui existait, la nouvelle réglementation leur impose la mise en place, avant le 30 juin 2010, d'un projet pédagogique et la tenue d'un dossier médico-psycho-pédagogique. Elle fixe également leurs obligations administratives et comptables, notamment en les obligeant à se conformer à un quota de places, impose des niveaux de qualification du personnel et relève le niveau minimal d'encadrement, qui passe de 0,25 ETP à 0,6 ETP par personne handicapée. Sur ces nouvelles bases, les départements pourront passer une convention avec l'AWIPH qui, agissant comme mandataire, pourra étendre son champ d'inspection. Pour autant, cet arrêté ne peut suffire à lui seul à assurer la transparence de l'accompagnement des Français placés dans ces institutions. La mise en oeuvre de contrôles nécessite la création en amont « de mécanismes d'information et de concertation sur les placements réalisés par les départements, ainsi que sur les enveloppes financières octroyées aux établissements », estime Cécile Gallez en se fondant sur l'expérience du seul département français (les Ardennes) à avoir passé une convention avec l'AWIPH. Alors que le projet d'accord franco-belge sur les échanges de données entre les deux pays est actuellement au point mort, une solution serait que la France propose que « ces contrôles s'effectuent en partenariat francobelge, en mettant à la disposition de l'AWIPH une ressource humaine pour effectuer au nom des départements un contrôle des établissements belges », cela « sur la base d'un cahier des charges strict » établi par les départements eux-mêmes ou un département référent. La balle est une fois de plus dans le camp français.

Notes

(1) Les placements à l'étranger des personnes handicapées françaises - Voir ASH n° 2464 du 14-07-06, p. 7.

(2) L'hébergement des personnes âgées et handicapées en Belgique - Voir ASH n° 2597 du 20-02-09, p. 7.

(3) Lors des XXIes journées techniques de l'Andass, organisées les 16, 17 et 18 septembre 2009, à Nancy

(4) Décret du 6 avril 1995 relatif à l'intégration des personnes handicapées. Applicable sur le territoire de la communauté française (région wallonne et région de Bruxelles).

(5) Aux IIes ateliers de la solidarité, organisés par le Réseau IDEAL, les 19 et 20 octobre 2009, à Lyon - www.ateliers-solidarité.com.

(6) Cette évaluation est réalisée sur la base de l'échelle belge de comportements adaptatifs (EBCA), mise au point par les universités de Mons et de Québec. Celle-ci est composée de 324 items aboutissant à définir avec exactitude le profil d'une personne dans des domaines comme la socialisation, la communication, l'autonomie, l'habileté au travail ou aux tâches domestiques, etc.

(7) Dans ces services, les enfants ou adultes autistes sont généralement classés dans la catégorie la plus haute de handicap, et leur accompagnement est financé en conséquence par l'AWIPH.

(8) « Arrêté du gouvernement wallon relatif à l'autorisation de prise en charge des personnes handicapées par des personnes physiques ou morales qui ne sont pas reconnues pour exercer cette activité par une autorité publique » du 14 mai 2009 (publié au Moniteur Belge le 13 juillet 2009).

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