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La décentralisation et les externalisations à l'origine d'une perte de compétences dans les services sociaux de l'Etat, pointe la Cour des comptes

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Entre 1980 et 2008, les effectifs de l'Etat ont augmenté de 14 % (1). Même si cette progression « semble modérée » comparée à celle qu'ont connue les collectivités locales (+ 71 %) et les établissements de la fonction publique hospitalière (+ 54 %), elle n'en est pas moins révélatrice de l'« incapacité [de l'Etat] à tirer partie des réformes de l'action publique qu'il a décidées », juge la Cour des comptes dans un rapport rendu public le 16 décembre (2). Durant cette période, trois évolutions majeures ayant affecté les compétences de l'Etat - la déconcentration, mais surtout la décentralisation et le recours accru à des opérateurs extérieurs à l'administration - auraient dû en effet lui permettre d'adapter non seulement le niveau mais aussi les caractéristiques de ses effectifs à l'évolution de ses missions, estiment les magistrats de la rue Cambon. Ce qui n'a pas été le cas, notamment dans le secteur social.

La décentralisation, « une perte durable de savoir-faire » pour l'Etat

Certes, relève la cour, la « décentralisation massive » opérée dans les ministères sociaux au début des années 1980 a entraîné « de très importants transferts de personnels », mais cela s'est fait au détriment du maintien des compétences nécessaires à l'exercice des missions de l'Etat. Ainsi, lors de la première vague de décentralisation, la partition des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) entre l'Etat et les départements a permis de ramener les effectifs des services déconcentrés de 70 000 à 16 200 en 1983, et ultérieurement à moins de 12 000. « Quatre agents sur cinq ont rejoint les départements dans un délai extrêmement court, conduisant à modifier en profondeur la structure des effectifs, expliquent les magistrats. Par exemple, poursuivent-ils, la plupart des personnels techniques de catégorie B, et notamment des travailleurs sociaux [...], ont quitté les services de l'Etat, induisant une perte de spécialisation préjudiciable à l'exercice des missions conservées », missions qui relevaient davantage de travaux de conception, de programmation, de tarification, de régulation et d'évaluation. En conséquence, « les services de l'Etat, outre une perte durable de savoir-faire, se sont trouvés dans l'incapacité de s'acquitter efficacement des attributions qu'ils conservaient dans ce secteur ».

Lors de la seconde vague de décentralisation - qui a concerné la gestion du revenu minimum d'insertion, l'apprentissage et la formation professionnelle, le handicap et la dépendance -, le nombre des transferts de personnels des ministères sociaux est en revanche « resté très limité », contrairement à ce qui s'est passé dans les autres ministères où les agents concernés ont majoritairement opté pour une intégration dans la fonction publique territoriale (FPT). La Cour des comptes explique ce phénomène principalement par le fait que les modalités du droit d'option offert aux personnels sociaux pour intégrer la FPT « varient selon les départements, avec lesquels ont été signées des conventions en lieu et place d'un accord-cadre qui aurait fixé des règles communes ».

Les externalisations, « un affaiblissement qualitatif » de l'Etat

Le recours fréquent, dans le secteur social, à des opérateurs extérieurs à l'administration (agences, autorités administratives indépendantes, fonds dotés de la personnalité morale, observatoires...) a aussi eu « un effet marqué sur les effectifs » ministériels, selon la cour. Les agents de ces opérateurs « finissent par représenter [...] une part essentielle des moyens humains mobilisés pour conduire les politiques publiques ». Mais « ces transferts contribuent aussi à réduire, voire à masquer, la croissance affichée des effectifs de l'Etat ». A titre d'exemple, les opérateurs du service public de l'emploi ont connu une croissance ininterrompue du fait de l'augmentation des effectifs de l'Agence nationale pour l'emploi et du développement des nouveaux organismes, comme les missions locales et les maisons de l'emploi. « Il en résulte, explique la juridiction financière, qu'une administration de 10 500 équivalents temps plein, et qui représentait moins de 0,5 % des emplois de l'ensemble des ministères, était le centre d'un réseau de 70 000 personnes environ, dont elle peinait à assurer la maîtrise stratégique, juridique et financière. »

Surtout, critique la cour, le renforcement des compétences et, partant, des effectifs des opérateurs entraîne « un affaiblissement qualitatif des services de l'Etat et de la gestion de ses effectifs ». « Lorsque la constitution des équipes des nouveaux opérateurs se fait au moyen soit de mises à disposition de personnels, soit d'une intégration - assortie ou non d'un droit d'option - dans les effectifs propres de la nouvelle structure, l'expérience montre qu'il en résulte une forte déperdition, les agents les plus qualifiés ou les plus motivés s'étant aussi avérés les plus mobiles et les plus intéressés par une affectation hors des services administratifs traditionnels. » Une perte de compétences qui a en outre un coût dans la mesure où « les niveaux de rémunérations semblent nettement supérieurs » chez les opérateurs extérieurs.

Des « obstacles persistants » à l'adaptation des effectifs

Selon la Cour des comptes, « les difficultés rencontrées par l'Etat pour tirer les conséquences en termes d'effectifs des transformations apportées au paysage administratif depuis le début des années 1980 ont plusieurs origines, qui persistent aujourd'hui ». Dans le domaine social, les magistrats dénoncent notamment l'imprécision des textes répartissant les compétences entre l'Etat, les collectivités territoriales et les opérateurs, qui ne permet « d'identifier clairement ni les véritables centres de décision ni l'articulation des responsabilités qui résultent des nouvelles compétences ou des nouvelles structures après les transferts effectués ». Autre phénomène pointé du doigt : le mécanisme du droit d'option qui « a eu pour effet, dans l'attente des dernières décisions sur la situation personnelle des agents, de figer les organigrammes, en dépit de l'évolution des missions et des enjeux, et de peser significativement sur la gestion des ressources humaines ».

Notes

(1) Ils se sont ainsi renforcés de près de 400 000 agents entre 1980 et 2006 et n'ont baissé que sur les deux dernières années de la période étudiée par la Cour des comptes.

(2) Rapport public thématique - Les effectifs de l'Etat 1980-2008 - Un état des lieux - Disponible sur www.ccomptes.fr.

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