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Réforme de la PJJ : « le déficit d'explication doit impérativement être comblé »

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Marc Brzegowy est, depuis septembre 2008, directeur de projet auprès du directeur de la protection judiciaire de la jeunesse, chargé des questions d'organisation territoriale et du suivi du projet stratégique national de la PJJ (1). Pour lui, le malaise actuel des personnels de cette institution est lié à une double erreur de la part de la DPJJ, qui a minimisé l'ampleur du changement et communiqué de façon unilatérale et descendante sur son projet. Il explique ici comment la direction entend désormais apaiser ce « climat anxiogène ».

«Héritière de l'Education surveillée créée pour mettre en oeuvre l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, la protection judiciaire de la jeunesse est régulièrement critiquée sur son efficacité, notamment à l'occasion des campagnes d'opinion concernant la sécurité ou la violence des jeunes. Particulièrement interrogée depuis une dizaine d'années quant à ses méthodes, son organisation et son administration, elle a engagé des réformes structurées dans un premier «projet stratégique national» (PSN) 2004-2007, et aborde la période actuelle, qui voit se cumuler la révision générale des politiques publiques, la réforme de l'Etat, celle de la carte judiciaire et la refonte de l'ordonnance de 1945, avec un second PSN 2008-2011.

Un an après la finalisation du projet, les professionnels sont inquiets, les cadres déboussolés, les partenaires et interlocuteurs défiants. Je fais l'hypothèse d'une double erreur d'appréciation. Celle qui a consisté à minimiser l'ampleur du changement en le réduisant à une simple évolution imposée par des événements extérieurs, et à ce titre à nier la menace ressentie sur l'identité même de l'institution. Et celle d'installer un manque de communication sur le sujet : le changement est décidé et il s'agit de le transmettre dans une logique linéaire.

Le changement n'aboutira pourtant qu'en mixant fabrique de sens et chaîne d'appropriation.

Le premier PSN a été élaboré dans une période où l'évolution du regard porté sur la jeunesse en difficulté a fait peser sur la PJJ une attente particulièrement forte et une exigence de résultats rapides sur tous les plans. De grandes institutions extérieures ont posé sur elle un jugement critique. Un rapport d'enquête sénatorial sur la délinquance des mineurs soulignait en juin 2002 «les difficultés d'une petite administration à mener les multiples tâches qui lui sont assignées et les pesanteurs d'une gestion terriblement bureaucratique» (2). Puis un rapport de la Cour des comptes en juillet 2003, après avoir relevé nombre de faiblesses, d'incohérences, d'insuffisances et d'anomalies, observait que «tant le cadre juridique que l'environnement administratif dans lequel s'insère la PJJ donnent l'impression que celle-ci et plus globalement la justice des mineurs sont largement abandonnées à elles-mêmes» (3).

Des programmes nouveaux et lourds ont été mis à la charge de la direction, les moyens et les méthodes ont dû émerger en même temps que le travail s'accomplissait. Au-delà de l'objectif de qualité qui dut présider à l'ensemble des tâches au quotidien, la PJJ fit porter l'essentiel des axes de travail de son projet 2004-2007 sur la modernisation de sa gestion et la professionnalisation de son administration.

Le second PSN, élaboré pour la période 2008-2011, se concentre sur les missions de l'institution et l'adaptation des méthodes éducatives aux évolutions du cadre normatif et du public pris en charge. Il répond aux observations formulées à l'égard de la justice des mineurs : moderniser l'organisation et les méthodes de travail pour être plus lisible, plus rapide, de meilleure qualité et plus proche des besoins des mineurs pris en charge et des attentes des citoyens. Il coïncide avec le mouvement engagé de révision générale des politiques publiques, qui voit l'intervention de l'Etat se concentrer sur ses missions prioritaires, pour des raisons tant économiques que d'efficacité.

Une institution bouleversée

La démarche projet étant engagée depuis quatre ans, ce second PSN n'a pas été accompagné d'une communication particulière, et la notion de changement n'a pas été mise en avant, alors même que l'institution est bouleversée dans son organisation territoriale, ses modes de gestion, et son orientation.

Tout s'est alors passé comme si la direction pensait que les professionnels allaient naturellement s'adapter à des transformations évidentes, pensées pour renforcer l'institution alors qu'elles sont en train de l'affaiblir en provoquant ressentiment, démotivation et confusion, au moment où elle a besoin de la créativité et de l'engagement de chacun.

Aux origines de l'Education surveillée, on trouve le mythe fondateur si bien exprimé dans l'exposé des motifs de l'ordonnance de 1945 : «la France n'est pas assez riche d'enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains.» Le choix de société ainsi affirmé proclame le droit à l'éducation pour les jeunes déviants, l'institution créée pour mettre en oeuvre ce projet se sépare de la tutelle de l'administration pénitentiaire, et la réforme statutaire engagée dès les premières années prétend recruter des hommes et des femmes d'élite, mieux reconnus que les instituteurs de l'époque. Le statut de 1956 des éducateurs de l'Education surveillée installe un corps qui aboutit au grade de directeur hors classe. Il ne sera modifié qu'en 1992, en même temps que l'institution change de nom, avec la séparation du corps des éducateurs de celui des directeurs, qui s'ouvre alors au recrutement externe et à une formation initiale. 80 % des directeurs territoriaux en place aujourd'hui sont issus du corps des éducateurs, présenté pendant des décennies comme légitime et suffisant à lui seul à garantir l'orientation éducative de l'institution.

Placée à la croisée de l'autorité judiciaire et de l'autorité administrative, la PJJ a toujours laissé une large place aux initiatives locales des éducateurs. Il lui en est resté une culture de «l'automissionnement», comme le souligne la Cour des comptes, fondée sur une revendication de l'autonomie de l'acte éducatif, une tradition de l'expérimentation à la base et une crainte de voir la profession instrumentalisée au service de politiques répressives.

Même chez les éducateurs recrutés plus récemment sur la base d'un niveau universitaire plus élevé, la conception du métier est peu théorisée. Elle semble s'appuyer davantage sur des valeurs morales que sur des références aux sciences humaines, et nous pouvons être frappés par la persistance, dans le discours des éducateurs, de références aux valeurs humanistes fondatrices de la profession : altruisme, engagement personnel, intérêt pour les relations humaines, en particulier avec les jeunes (4).

Impossible de ne pas reconnaître dans cette esquisse l'«organisation militante» (5) décrite par François Rousseau, qui fonctionne selon le triptyque suivant : «un mythe auquel des tribus qui se reconnaissent par la pratique de gestes rituels donnent du sens». Le mythe est le domaine du projet, de l'intention poursuivie, la tribu celui des hommes et des femmes impliqués dans ce projet, et les rites forment les activités pratiquées régulièrement et qui permettent de se reconnaître.

Il y a risque de crise dès que l'on observe des désajustements entre ces trois pôles. Or la période du premier PSN a été marquée par une forte progression du système de gestion et d'administration de la PJJ, dans un contexte où la nécessité de rendre compte de l'activité à des tiers de plus en plus nombreux et exigeants a produit des outils de gestion qui tendent à mettre en évidence uniquement les aspects observables de l'organisation mais pas de rendre compte de ses orientations et finalités : les travaux de Michel Berry (6) sur les instruments de gestion montrent qu'ils ont une fâcheuse tendance à borner l'horizon décisionnel au sein de l'organisation en l'enfermant dans un cadre restreint par quelques principes, critères et indicateurs.

Des outils nouveaux... sans mode d'emploi

Nous sommes passés d'un système, artisanal et peu formel, où les décisions étaient prises sur le lieu de l'action, à un espace institutionnel où les situations de gestion et de l'activité sont devenues distinctes, avec la sphère des décisions stratégiques et celle de production des activités ; la modernisation a trop dissocié la machinerie concrète (le contrôle de gestion, les tableaux de bord, les systèmes d'information) du travail sur le sens (sommes-nous utiles ? pour qui ?). Les outils ont été promus sans expliciter à quoi ils allaient servir, ils se sont succédé à une cadence accélérée, sans que les personnels puissent se les approprier, et leur prévalence laisse croire que l'on ne s'intéresse pas aux relations humaines, aux modes de commandement et d'expression de la responsabilité et de la liberté de chacun.

Dès lors, le changement en cours renvoie à la recherche du sens, les efforts habituels de conduite de changement dans le secteur public ne suffisent pas. L'enjeu consiste à redécouvrir au coeur des services développés par la PJJ leur finalité, celle qui se rapporte au projet sociétal de l'institution, pour réaffirmer sa primauté : après intégration de la logique gestionnaire, il convient de rechercher une nouvelle combinaison pour rassembler les agents autour du dessein et enrayer le mécanisme de dislocation du projet initial.

Au regard de l'histoire de la PJJ, et de son identification à une organisation militante, la priorité doit être de clarifier le sens de l'action et les valeurs qui la sous-tendent.

Le risque existe de résumer la réforme de l'organisation territoriale à un enjeu organisationnel, susceptible de prendre le pas sur la mission éducative, le déficit d'explication doit impérativement être comblé, sous peine de caricaturer une réforme qui comporte de réelles opportunités pour la PJJ.

Les conditions dans lesquelles le projet a été diffusé et mis en oeuvre alimentent un climat anxiogène au sein de la PJJ mais aussi des inquiétudes ou des réactions de la part des principaux partenaires : c'est ainsi que beaucoup d'interlocuteurs ont regretté de n'avoir eu connaissance des réformes que par le biais d'une interview du directeur de la PJJ dans un hebdomadaire spécialisé (7), paru avant même le séminaire national des directeurs territoriaux réuni pour finaliser le PSN.

Un an après, l'information sur le sens, les délais, l'ampleur et les conditions de cette réforme demeure assez largement perçue comme insuffisante, alors même que sa mise en oeuvre apparaît comme rapide. Le sentiment d'une réforme «à marche forcée« et descendante domine.

La première année suivant la validation du second PSN, on peut dire que la communication sur le changement a consisté à exprimer une rationalité dont la volonté s'est diffusée de manière unilatérale et descendante, dans un discours de «conviction dogmatique«, justifié par des contraintes extérieures contre lesquelles la PJJ ne pouvait rien.

Priorité au dialogue

Il a fallu que s'expriment un certain nombre de résistances et de difficultés, et pour la première fois aux plus hauts degrés de la chaîne hiérarchique, pour qu'émerge une approche dialogique, supposant que tous les acteurs contribuent à la co-construction de l'organisation : la direction fixe des objectifs et délègue aux parties concernées la construction des représentations de l'organisation devenue ainsi apprenante. Le dialogue permet le partage afin de cerner les problèmes, la confrontation pour en assurer une compréhension mutuelle et enfin, l'invention d'une solution nouvelle au problème identifié. Le changement n'est plus alors considéré comme planifié mais au contraire comme émergent.

Dans cette approche, il ne s'agit plus de communiquer le changement, mais de communiquer pour changer car, de même que le changement ne se décrète pas, il ne s'explique pas, ne s'argumente pas : le grand ennemi du changement est le rapport de forces.

L'approche communicationnelle permet de concevoir le processus de changement organisationnel sous la forme d'une «chaîne d'appropriation» (8) parcourant l'espace et le temps, dont les maillons sont constitués par une succession d'appropriations et d'actions.

Ce concept met en scène un individu à la fois acteur, agissant rationnellement au sein d'un système contraignant, et sujet, capable d'émotions et libre de ses décisions indépendamment de contraintes structurelles identifiables. Seul l'enchaînement des débats, des appropriations et des résistances fait évoluer la manière dont le projet est mis en oeuvre, tout en le transformant lui-même en ajustant les objectifs, les moyens à investir, ou les manières de faire.

C'est le mouvement qui a été engagé au plus haut niveau des instances de direction de la PJJ, qu'il convient de poursuivre tout au long de la chaîne hiérarchique si l'on veut que l'appropriation du projet atteigne l'acteur principal de la mise en oeuvre de la mission : l'éducateur. »

Contact : marc.brzegowy@justice.gouv.fr

Notes

(1) Marc Brzegowy a fait toute sa carrière à la protection judiciaire de la jeunesse, où il a occupé successivement, entre autres, les fonctions d'éducateur, de directeur de structures, de directeur départemental et de directeur régional.

(2) « Délinquance des mineurs. La République en quête de respect » - Les rapports du Sénat n° 340/2001-2002 - Voir ASH n° 2270 du 5-07-02, p. 5.

(3) La protection judiciaire de la jeunesse. Rapport au président de la République - Voir ASH n° 2319 du 11-07-03, p. 5.

(4) Véronique Freund, Le métier d'éducateur de la PJJ - Ed. La Découverte, 2004.

(5) François Rousseau, Gérer et militer - Thèse de doctorat de l'Ecole polytechnique en économie et sciences sociales, septembre 2004

(6) Michel Berry, Une technologie invisible ? L'impact des instruments de gestion sur l'évolution des systèmes humains - Centre de recherche en gestion, Paris, 1983.

(7) Dans les ASH n° 2548 du 7-03-08, p. 41.

(8) Mickaël Gléonnec, Communication et changement organisationnel : le concept de chaîne d'appropriation - Conférence internationale en sciences de l'information et de la communication, juin 2003.

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