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Observer la pauvreté, pour quoi faire ?

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Mieux cerner les caractéristiques de la pauvreté et de l'exclusion afin d'éclairer l'action, telle est la vocation de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale créé en juin 1999. Mais, si la connaissance est nécessaire pour que le débat public ne se réduise pas à des affrontements idéologiques, elle n'est pas suffisante pour orienter la décision politique.

«Pauvres, rassurez-vous : on vous observe » : c'est avec ironie qu'il y a dix ans certains membres de la communauté scientifique ont accueilli la mise en place de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) (1). « Cette interpellation n'était pas illégitime », reconnaît Jacques Freyssinet, économiste qui a fait partie de l'observatoire dès sa création et pendant sept ans (2). On pouvait redouter que le nouvel organisme n'ait qu'une fonction de description des phénomènes et pas d'analyse des mécanismes générateurs de la pauvreté et de l'exclusion.

Cette crainte s'est révélée infondée car, d'emblée et sans discontinuer, il s'est attaché à décrypter les liens qu'entretient la pauvreté avec les processus économiques. Des travaux importants sont ainsi menés en permanence sur les relations entre la conjoncture et les transformations de la pauvreté et de l'exclusion, notamment, sur les rapports entre la pauvreté et l'emploi. Ces derniers sont loin d'être évidents, précise Jacques Freyssinet, parce que la pauvreté est appréhendée au niveau du ménage, alors que la position sur le marché du travail est individuelle - d'où la confusion fréquente entre les notions de « travailleurs pauvres » et de « bas salaires » alors qu'il n'existe qu'un faible recouvrement entre ces deux catégories (3). « Dans l'espèce de procès initial qui pouvait nous être fait, se souvient Jacques Freyssinet, il y avait aussi cette thèse selon laquelle centrer l'attention sur la pauvreté et l'exclusion est une façon de focaliser sur le bas de la distribution des revenus et, donc, de jeter l'ombre sur le reste du panorama. » C'est pourquoi, « dès le début, nous avons fait un effort pour lier l'approche de la pauvreté et de l'exclusion et celle des inégalités ». Ainsi, l'un des 11 indicateurs de suivi utilisés pour rendre compte des caractéristiques de la pauvreté est le ratio interdéciles des revenus, qui est un indicateur d'inégalités (4).

Compter pour contrôler ?

Espace de rencontre entre des scientifiques - universitaires, chercheurs et représentants des grands organismes statistiques d'Etat - et des « personnalités qualifiées », essentiellement issues d'associations de solidarité, l'ONPES s'est affirmé, au fil des années, comme un lieu où mettre la pauvreté en débat. Et manifester - avec plus ou moins d'éclat (5) - une vigilance aux différentes façons d'aborder cette problématique. Ainsi, récemment, l'observatoire a fait connaître son désaccord avec le gouvernement sur le choix d'un indicateur de pauvreté ancrée dans le temps comme étalon d'évaluation des politiques publiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion (voir encadré, page 29). Mais cela ne signifie pas pour autant que l'observatoire ait un quelconque impact sur la définition et l'infléchissement de l'action publique.

La création du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) en 1988, puis celle de l'ONPES dix ans plus tard, témoignaient d'une croyance dans une certaine rationalité de l'action, analyse Bernard Seillier, président du CNLE, qui a été rapporteur au Sénat de la loi de 1998 relative à la lutte contre les exclusions. « Nous voulions amener les acteurs politiques à considérer que la pauvreté est un problème fondamental, que la société ne peut pas tolérer une masse de pauvres et de gens exclus. » Mais, alors que la pauvreté s'est révélée être une maladie iatrogène du système qui, comme telle, ne peut pas se résorber automatiquement avec la croissance économique, la pensée politique n'a toujours pas intégré cette donnée, souligne l'ancien sénateur. Il n'est que de voir, à cet égard, le manque d'assiduité des parlementaires aux séances du CNLE : pour eux, ce n'est pas là que se joue l'essentiel. Autant dire que « nous avons échoué », commente Bernard Seillier.

Etudier les phénomènes de pauvreté serait-il vain ? Un regard rétrospectif sur le rôle qu'a pu avoir ce type de connaissances dans le passé se révèle riche d'enseignements. Au XIXe siècle, l'examen de la pauvreté s'est organisé selon deux orientations, développe Jacques Freyssinet. L'une, incarnée par Engels ou Jack London, visait à dénoncer le système et à provoquer une prise de conscience de l'opinion publique. Dans l'autre, « l'analyse de la pauvreté reflétait le professionnalisme des gens qui s'occupaient d'aide sociale avec, à l'arrière-plan, une volonté assez nette de contrôle social et, le cas échéant, une mobilisation pour la répression ». Il s'agissait de distinguer les catégories de pauvres à partir de critères simples. D'abord, différencier les inaptes au travail qui ont droit à l'aide et les aptes qui, eux, doivent être mis au travail. Puis discerner, parmi ces derniers, ceux qui manifestent une réelle volonté de travailler et les paresseux à réprimer. Le vocabulaire a pu changer, mais le risque existe toujours de voir les savoirs sur la pauvreté ainsi utilisés. D'autant que, note Jacques Freyssinet, « lorsque le système économique est en difficulté, il a besoin de produire une idéologie de responsabilisation individuelle des victimes ».

De ce point de vue, on pourrait parler plutôt de régression que de progrès. Le fait, par exemple, que les titulaires de l'ancienne allocation de parent isolé (API) relèvent maintenant du revenu de solidarité active (RSA) revient à leur demander le même effort qu'aux bénéficiaires de cette prestation. « Comme si ces femmes étaient juste des chômeuses paresseuses et non pas des mères seules avec des enfants en bas âge, qui ne peuvent peut-être pas rentrer tout de suite sur le marché du travail », s'insurge Brigitte Charbonneau, maire adjointe de Villejuif (Val-de-Marne), chargée du développement économique et de l'emploi. « Avec le RMI, on était sur le droit des personnes à bénéficier de la solidarité collective, alors que le RSA constitue un processus d'assistance avec contrepartie », renchérit Jacqueline Saint-Yves, vice-présidente du Conseil économique, social et environnemental de Basse-Normandie. « Peut-on encore, aujourd'hui, aider des personnes sans penser que ces dernières sont des «bonnes à rien» parce qu'elles sont assistées ? », s'interroge Bruno Grouès, conseiller spécial auprès du directeur général de l'Uniopss, animateur du collectif Alerte (6). A droite comme à gauche, un courant politique extrêmement puissant tend à assimiler l'assistance à l'assistanat, dénonce-t-il. L'expression « insertion sociale » est elle aussi quasiment à l'index. « Tout est fait pour développer l'insertion professionnelle, l'incitation à l'accès ou au retour à l'emploi, comme si les politiques avaient définitivement considéré que le «i» de RMI avait été un échec, ou, en tout cas, qu'il fallait abandonner cette dimension de l'insertion sociale », précise Bruno Grouès. Bien sûr, « l'emploi, la formation, constituent la voie royale, mais nous, associations qui nous occupons tous les jours des personnes les plus en difficulté, celles qui sont trop «abîmées» pour l'insertion professionnelle, nous avons l'impression qu'elles sont oubliées ».

On assiste aussi à un retour de bâton en matière d'accès aux droits sociaux, une forme d'inversion de la charge de la preuve : c'est désormais au bénéficiaire de dire à quel titre il est assuré, témoigne Olivier Quérouil, conseiller technique sécurité sociale au fonds CMU. Et, comme les droits à la couverture maladie universelle ont été limités à un an - alors qu'à travers la loi de 1999 portant création de la CMU, le maintien de droits était de quatre ans -, il faut refaire la preuve chaque année que l'on peut prétendre à cette affiliation. Cette logique du soupçon n'est pas sans effets sur la manière dont sont gérés les services : « c'est l'ensemble des personnels qui deviennent plus rétifs à l'accueil des personnes concernées », observe Olivier Quérouil. On constate que, « mécaniquement, en étant de plus en plus respectueuses des procédures et des textes, nos politiques publiques mettent des marches de plus en plus hautes, des marches trop hautes pour un certain nombre de nos concitoyens », estime Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République. Ainsi, il explique que, sur les milliers de dossiers qui lui parviennent chaque année (65 000 en 2008), plus de la moitié sont des demandes d'information. « Le faible ignore ses droits », fait-il observer.

Un urgent besoin de pédagogie

A l'instar de l'information, la pédagogie est aussi une nécessité pour agir contre l'exclusion, tant les représentations de la pauvreté - celles du monde politique, comme de l'opinion - pèsent sur les politiques qui peuvent être menées, affirme MarieThérèse Join-Lambert, inspectrice générale honoraire des affaires sociales. Il faut un effort constant pour expliciter des notions souvent difficiles à appréhender et tordre le cou à de vieilles croyances. Mais cet effort, « l'ONPES n'a pas su, n'a pas eu les moyens de le faire », regrette Marie-Thérèse Join-Lambert, qui a été la première présidente de ce cénacle dont les forces vives sont effectivement des plus réduites : l'observatoire n'a que deux équivalents temps plein pour tout personnel permanent.

Les grandes données statistiques ne posent pas de problèmes d'appropriation aux décideurs, mais « on a beaucoup plus de mal à faire comprendre l'hétérogénéité », affirme Mireille Elbaum. Il est notamment très difficile de rendre accessibles les notions de « processus » et de « flux », précise l'ancienne directrice de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) - qui est le siège de l'ONPES. « Pour les politiques, on sort ou non les personnes de la pauvreté, elles retournent ou non à l'emploi, la photographie est faite. » Ce qui amène à concevoir des « mesures d'intéressement et des mesures d'incitation à l'emploi éminemment statiques, alors qu'on sait qu'il y a souvent des fluctuations très importantes dans les parcours ».

Si le langage des scientifiques n'est pas celui des politiques, on aurait pu attendre d'une instance comme l'observatoire qu'elle joue vis-à-vis d'eux un rôle de « passeur ». Mais, composé de trop nombreux chercheurs, il n'est pas à même de remplir ce rôle de médiateur, déclare Nicole Maestracci, magistrate, présidente de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) (7). Les différences de calendrier entre chercheurs et décideurs constituent un autre obstacle majeur à leur communication. « Avec les délais des producteurs d'informations chiffrées, comment mesurer aujourd'hui l'impact de la crise économique et sociale ? », interroge Olivier Brès, président du collectif Alerte. Comme le temps de la recherche n'est pas celui de l'action, « les politiques vont extrapoler et décider à partir de données fausses », note Nicole Maestracci. Elle pointe aussi un déficit de connaissances sur certains sujets - par exemple le devenir des jeunes sortis du système scolaire : ces manques ont beau être soulignés par maints travaux, il n'y est jamais remédié, « car l'Etat marche avec des semelles de plomb ». En outre, loin de faire le jeu de la transparence, les pouvoirs publics ont tendance à considérer les données sociales comme des informations relevant quasiment du « secret défense », ironise Nicole Maestracci. A maints égards, c'est donc l'aveuglement. Bien sûr, l'ONPES a le mérite d'exister - « mais avec des moyens ridiculement faibles et pas de légitimité interministérielle ». Finalement, demande la magistrate, « à quoi sert l'observation sociale ? Pourquoi, pour qui, développe-t-on ces connaissances ? » Les réponses ne sont pas claires. S'agit-il de guider l'action publique ? Il n'est pas sûr que les décideurs se saisissent des clés fournies. Le but est-il d'éclairer l'opinion et de construire des consensus autour des politiques sociales ? « Ça, on ne sait pas le faire, assure Nicole Maestracci, il n'y a qu'à voir le nombre de mesures prises à bas bruit ». En fait, « on ne sait pas exactement ce qu'on fait, pourquoi on le fait et ce qu'on en attend ».

Des questions plus politiques que techniques

Ce qui est sûr, en revanche, c'est que les questions statistiques ne sont pas des questions techniques, mais politiques, affirme Marco Mira d'Ercole, économiste à la direction des statistiques de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). A cet égard, certains s'interrogent d'ailleurs sur l'avenir du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC) ou de la Mission d'information sur la pauvreté et l'exclusion sociale (MIPES) en Ile-de-France, ainsi que sur le budget qui sera alloué à quelques grandes enquêtes de l'INSEE, comme celle sur les sans-domicile qui est prévue pour 2012.

Comme l'a souligné la commission Stiglitz sur la mesure de la performance économique et du progrès social, « ce que l'on mesure a de l'incidence sur ce que l'on fait », explique Marco Mira d'Ercole. Autrement et plus brutalement dit : ce qui n'est pas compté ne compte pas. Ainsi, l'enfant pauvre n'est pas un sujet d'observation de la pauvreté en France, s'insurge Michel Dollé. Et le rapporteur général du CERC de souligner qu'il y a bien une politique familiale, un Haut Commissariat à la jeunesse, une défenseure des enfants - qui ne fêtera peut-être pas son dixième anniversaire -, mais pas de politique de l'enfance. Or, pour lutter contre la pauvreté des enfants et ses conséquences dommageables sur leur développement, le champ des recherches est différent de celui relatif à la pauvreté des adultes, affirme Michel Dollé (8). Au fond, « que voulons-nous observer et changer ? », s'interroge Olivier Brès. Telle est bien la question, un enjeu de société.

DANS L'OPINION, UN TAUX RECORD DE PESSIMISME ET PEU DE COMPASSION

Les Français sont aujourd'hui majoritaires à penser qu'ils sont sur le point de connaître la pauvreté : 53 % en sont convaincus, alors qu'ils étaient « seulement » 45 % dans ce cas en 2007. Tel est l'un des principaux enseignements d'un sondage IPSOS réalisé pour le Secours populaire en août 2009 (9).

Cette hausse de huit points en deux ans traduit plus les effets anxiogènes de la crise que l'extension du chômage et de la précarité. En effet, la proportion de personnes qui dit avoir déjà réellement connu une situation de pauvreté - plus importante chez les femmes (32 %) que chez les hommes (27 %) - est, quant à elle, restée à son niveau de 2007, soit 30 %. La contagion du sentiment de vulnérabilité s'est répandue dans l'ensemble de la population et, notamment, dans les milieux les mieux nantis. Ainsi, l'inquiétude des cadres et professions intermédiaires a gagné neuf points en deux ans, contre six chez les employés et ouvriers ; elle a progressé de 11 points dans les ménages qui disposent de plus de 2 000 € par mois, contre cinq chez ceux dont le revenu mensuel net est inférieur à 2 000 € .

Précisément, en deçà de quel niveau de revenu une personne seule peut-elle être considérée comme pauvre ? En dessous de 1 026 € nets par mois, répondent, en moyenne, les Français. Ils situent ainsi le seuil de pauvreté plus près du Smic mensuel net (1 050,63 € au 1er juillet 2009) que du seuil de pauvreté monétaire relative (908 € en 2007).

L'enquête que le Credoc a réalisée début 2009 pour la caisse nationale des allocations familiales corrobore celle du Secours populaire (10) : plus de la moitié de la population (51 %) croit à une détérioration prochaine de ses conditions de vie personnelle. « C'est la première fois depuis 1979 qu'on observe un tel niveau de pessimisme », note Patricia Croutte, auteure de cette étude. Cela expliquant certainement en grande partie cela : la peur du chômage est quasiment dans toutes les têtes. 85 % des Français pensent que le nombre de chômeurs peut encore augmenter - contre 47 % début 2008, soit une hausse de 38 points en 12 mois.

Ce désarroi contribue à changer les représentations sur les effets déresponsabilisants attribués au RMI/RSA. A cet égard, l'année 2009 montre une bascule de l'opinion : en 2008, il y avait quasiment autant de personnes à porter un avis négatif (48 %) que positif (49 %) sur le RMI ; cette année, une majorité de Français (54 %) voient le bon côté d'un dispositif permettant à ses bénéficiaires de se remettre en selle, alors que 44 % d'entre eux dénoncent l'impact désincitatif de cette prestation. La crainte des méfaits de la crise conduit aussi les enquêtés à pointer, de manière plus marquée que les années précédentes, l'insuffisance de l'action des pouvoirs publics en direction des plus démunis : 68 % le déplorent, ce qui représente une hausse de cinq points au cours des 12 derniers mois.

Pourtant, contrairement à ce que ces résultats pourraient laisser penser, le RMI et les allocations chômage sont les deux aides que l'opinion place en queue de ses voeux d'augmentation. Dans les deux cas, 7 % seulement des Français y sont favorables, alors que 33 % se prononcent pour une revalorisation des retraites et 17 % pour une hausse des prestations familiales. Plus étonnant encore : RMI et chômage sont, avec les scores records de 22 % et 17 % des citations, les deux prestations que les Français souhaitent prioritairement voir diminuer.

LES INDICATEURS : DES CHOIX POLITIQUES

Phénomène multidimensionnel, la pauvreté ne peut pas être appréhendée d'une seule manière. C'est pourquoi il existe une floraison d'indicateurs pour tenter d'en cerner différentes facettes. Ces derniers sont « pleins d'arbitraire », car mesurer la pauvreté repose sur des décisions de nature politique, souligne Daniel Verger, responsable de l'unité des méthodes statistiques à l'INSEE.

Ainsi, la dimension monétaire de la pauvreté est calculée à partir d'un seuil de revenus dont la fixation fait débat. Aux Etats-Unis, comme dans d'autres pays anglo-saxons ou bien d'Europe de l'Est, la frontière de la pauvreté passe à travers l'évaluation d'un panier de biens fondamentaux aux prix les plus bas du marché : les ménages pauvres sont ceux qui n'ont pas les moyens d'accéder à ce niveau minimal de consommation. Cette conception de la pauvreté monétaire est dite « absolue », car le seuil en deçà duquel on est jugé pauvre se trouve déterminé sans référence à la situation générale de la population. La France ainsi que les autres pays de l'Union européenne ont préféré une approche « relative » de la pauvreté monétaire : la pauvreté est appréciée par rapport à la médiane de la distribution des niveaux de vie - c'est-à-dire celle qui partage les ménages en deux parties égales, la moitié d'entre eux disposant d'un niveau de vie supérieur à la médiane, l'autre moitié d'un niveau de vie inférieur. Les personnes ou les familles considérées comme pauvres sont celles dont le revenu est inférieur à un certain pourcentage de ce niveau de vie médian, seuil qui est aujourd'hui fixé à 60 % en France, comme dans le reste de l'Union.

L'appréhension de la dimension monétaire de la pauvreté s'est récemment enrichie, dans l'Hexagone, d'un nouvel indicateur, qui a été choisi par le gouvernement pour suivre l'efficacité de son action en matière de lutte contre la pauvreté. Il s'agit de l'indicateur de pauvreté monétaire « ancrée dans le temps », qui est critiqué par l'ONPES et les associations de solidarité (11). Pour mesurer l'évolution de la pauvreté monétaire avec un seuil ancré dans le temps, le principe est de retenir une année n, en début de mandat : cette année-là, on calcule la proportion de personnes dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté « habituel » (à 60 % du revenu médian). Puis, les années suivantes, le taux de pauvreté ancrée dans le temps correspondra à la proportion de personnes qui, en euros constants revalorisés de l'inflation, se retrouvent sous le seuil de pauvreté qui était celui de l'année n. « Cette méthode permet de mesurer l'amélioration «absolue» des revenus des personnes pauvres entre deux années considérées, indépendamment de l'évolution de la répartition des revenus », note l'ONPES (12). « Arnaque absolue » ou juste « relative » ? Des experts en débattent savamment (13). Toujours est-il qu'en reposant sur une valeur fixe (en dehors de la correction de l'inflation), le taux de pauvreté ancrée dans le temps diminue mécaniquement d'une année sur l'autre sous l'effet de la croissance économique (14).

L'analyse de la pauvreté en conditions de vie complète l'approche monétaire en se concentrant sur les difficultés matérielles d'existence des ménages. 27 éléments de contrainte ou de privation sont pris comme référence : par exemple, avoir été en découvert bancaire au cours des 12 derniers mois, être soumis à des remboursements d'emprunt élevés par rapport à ses revenus, ne pas pouvoir financer une semaine de vacances, être dans l'impossibilité d'acheter de la viande, de se payer des vêtements neufs, ne pas disposer d'eau chaude courante, de système de chauffage (15). C'est l'accumulation des privations, et non un seul manque pris isolément, qui est considéré comme significatif de la pauvreté en conditions de vie. Comme le choix du seuil de pauvreté monétaire, celui de la pauvreté en conditions de vie est, lui aussi, conventionnel : un ménage est dit pauvre en conditions de vie quand il est au minimum confronté à huit difficultés.

Recoupant, sous certains aspects, la pauvreté en conditions de vie, l'approche dite « subjective » de la pauvreté repose sur un ensemble de questions dont certaines - comme « vous arrive-t-il de payer en retard votre loyer ? vos factures de gaz, d'électricité, etc. » - objectivent les difficultés des ménages à boucler leurs fins de mois, cependant que d'autres visent à cerner la façon dont les intéressés perçoivent leur situation (« votre revenu mensuel vous oblige-t-il à vivre difficilement ou très difficilement ? », « est-il inférieur au minimum nécessaire à votre ménage pour joindre les deux bouts ? », par exemple).

Faiblesse des ressources monétaires, mauvaises conditions de vie et difficultés à équilibrer son budget : ces trois formes de pauvreté ne se recouvrent que très partiellement. Seuls 3 % des ménages les cumulent.

Notes

(1) Créé par la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, l'ONPES a été mis en place en juin 1999.

(2) Lors d'une journée d'étude organisée par l'ONPES le 23 octobre dernier à Paris - ONPES : 14, avenue Duquesne - 75350 Paris 07 SP - Tél. 01 40 56 82 29 - drees-onpes@sante.gouv.fr.

(3) Ainsi, la majorité des travailleurs pauvres - c'est-à-dire des actifs qui appartiennent à un ménage dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté - sont des hommes, alors que la plupart des titulaires de bas salaires sont des femmes - Voir ASH n° 2368 du 16-07-04, p. 29.

(4) Les déciles d'une distribution permettent de calculer des rapports interdéciles, c'est-à-dire les écarts entre les différents niveaux de cette distribution, par exemple entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres. C'est une mesure relative des inégalités : quand les revenus du haut et du bas de la distribution progressent au même rythme, le rapport entre ces deux déciles ne varie pas. Mais, évidemment, le gain en valeur absolue est beaucoup plus important pour les hauts revenus - Voir Déchiffrer la société française par Louis Maurin - Ed. La Découverte, 2009.

(5) En 2006, le rapport de l'ONPES qui pointait l'aggravation de la pauvreté avait été « discrètement remis » au gouvernement - Voir ASH n° 2445 du 3-03-06, p.19.

(6) Lieu de réflexion et d'échanges interassociatifs sur la pauvreté et l'exclusion, le collectif Alerte regroupe 38 associations et fédérations nationales.

(7) Les sociologues Yves Lochard et Maud Simonet-Cusset analysent le poids respectif des différentes parties prenantes de l'ONPES dans « La parabole de l'Observatoire ou les limites à l'institutionnalisation d'un «partenariat cognitif» avec les associations » - Politix 2005/2 - De Boeck éditeur.

(8) En 2004, le CERC a réalisé un rapport sur la pauvreté des enfants - Voir ASH n° 2347 du 20-02-04, p. 31.

(9) Sondage auprès d'un échantillon national de 1 009 personnes représentatif de la population française âgée de 15 ans et plus.

(10) « Prestations sociales, prestations familiales et aides aux familles : état de l'opinion début 2009 » - Credoc - Collection des Rapports n° 258, septembre 2009.

(11) Voir ASH n° 2578 du 24-10-08, p. 43 et n° 2629 du 23-10-09, p. 24.

(12) Voir le rapport 2007-2008 - Disponible sur www.onpes.gouv.fr.

(13) Ces avis ont respectivement été exprimés par Jean Gadrey, professeur émérite d'économie à l'université Lille-I, et Julien Damon, professeur associé à Sciences Po, spécialiste des politiques sociales, sur le blog de Jean Gadrey : http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2009/10/20/la-pauvrete-en-heritage/.

(14) Ainsi, d'après les derniers chiffres disponibles, le taux de pauvreté monétaire ancrée dans le temps, calculé selon un seuil initial établi à 876 par mois en 2006, a baissé de 5 % entre 2006 et 2007 (12,5 % en 2007 contre 13,1 % en 2006) ; dans la même période, le taux de pauvreté monétaire relative - calculé chaque année avec un seuil fixé à 60 % du revenu médian -, a augmenté de 2 % (13,4 % en 2007 contre 13,1 % en 2006). Voir ASH n° 2628 du 16-10-09, p. 5. L'objectif du gouvernement est de diminuer d'un tiers en cinq ans le taux de pauvreté monétaire ancrée dans le temps. Voir ASH n° 2578 du 24-10-08, p. 11.

(15) Voir Les revenus et le patrimoine des ménages - 2009 - Coll. INSEE Références.

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