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« LA PLACE D'EXCEPTION DES DIRECTEURS RESTE LÉGITIME »

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Plusieurs directeurs des établissements d'une association de la région parisienne ont écrit, dans un récent ouvrage collectif (1), à propos de leur fonction. Leurs paroles singulières évoquent leurs difficultés à occuper cette « place » à une époque où l'autorité est contestée et où les intérêts individuels priment sur l'intérêt collectif (2). Rencontre avec Jean-Pierre Lebrun, psychanalyste et coordonnateur de la démarche.

Cet ouvrage offre un regard de l'intérieur sur la fonction de direction. Comment est-il né ?

Il y a plus de six ans, j'ai été sollicité par le directeur général de l'AVVEJ (Association vers la vie pour l'éducation des jeunes) pour engager un travail de supervision avec la quinzaine de directeurs d'établissements de cette association. On s'est réuni pendant cinq ans à raison d'une fois par mois. Afin de laisser une trace, j'ai proposé aux participants de coucher sur la page blanche tel ou tel point précis qu'il leur importait de dire et de transmettre. C'est avec étonnement et satisfaction que j'ai vu que la majorité avait accepté de s'engager dans cet acte d'écriture, dont on sait pourtant qu'il n'est pas la tasse de thé du directeur d'une institution sociale et médico-sociale. Simplement parce qu'il a autre chose à faire ! Happé par la multiplicité des tâches, il n'arrive généralement pas à dégager du temps pour se consacrer à ce moment de confrontation au vide que suppose le travail d'écriture. C'est pourquoi ce livre témoigne de quelque chose d'essentiel. Les directeurs ont pu extraire du magma du quotidien un bout du réel et le monter en épingle : ils abordent la perte de la dimension clinique de leur fonction, l'éducation devenue simple acte technique, la crise de légitimité de l'autorité, les difficultés de diriger au féminin... Ils ont donc, par ce détour de l'écrit, soutenu la tâche qu'ils se doivent d'accomplir, à savoir se désengluer du chaos du collectif pour orienter l'ensemble du travail institutionnel.

Bon nombre de directeurs parlent de « la place d'exception » difficile à soutenir...

C'est un terme que nous avons souvent utilisé au cours de la supervision. Il ne s'agit pas de dire que le directeur occuperait cette place « d'exception » au nom d'un quelconque caractère exceptionnel, mais qu'il est logiquement à une place différente des autres. Or, alors que cette place allait auparavant spontanément de soi, ce n'est plus le cas. La société pyramidale a cédé la place à une organisation en réseau. Et dans cette évolution, les directeurs sont plus que les autres laissés à l'abandon. En effet, ils continuent de devoir occuper une telle place, mais plutôt que d'être soutenus, ils sont d'abord soupçonnés. Leur autorité y est suspectée de favoriser l'abus de pouvoir, voire l'autoritarisme ou la tyrannie. Leur parole est parfois systématiquement contestée par les équipes ! Le directeur se voit implicitement - voire explicitement - opposer une conception selon laquelle sa tâche n'est que de coordonner celle des intervenants, sans qu'on lui reconnaisse encore une quelconque autorité. Or, sans une légitimité symbolique pour diriger, il va se retrouver contraint de la rechercher auprès de ceux qu'il dirige, avec alors tous les risques de s'enfermer dans une relation duelle !

Comment les directeurs peuvent-ils s'en sortir ?

L'erreur serait de penser que le directeur retrouvera une légitimité par le surcroît de contrôle que proposent les méthodes de management issues de l'entreprise. Pour qu'il puisse orienter l'ensemble du travail institutionnel et permettre la rencontre avec l'autre, il faut qu'il retrouve la légitimité d'occuper cette place différente, ce qui n'implique pas d'emblée un abus d'autorité - bien que cela reste toujours possible. Tout simplement parce que, quelle que soit l'idéologie ambiante, cette place reste irréductible. Elle atteste de ce que nous devons à notre faculté humaine de parole. C'est elle qui permet, même dans une société qui mise sur l'autonomie des individus, de continuer à faire prévaloir le collectif, et donc le projet institutionnel. Prétendre pouvoir s'en débarrasser ne peut mener qu'à l'impasse.

Notes

(1) Y a-t-il un directeur dans l'institution ? - Presses de l'EHESP - 21 .

(2) « Diriger c'est possible ! », devait affirmer la Fnades (Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services sanitaires sociaux et médico-sociaux sans but lucratif), les 3 et 4 décembre, lors de son forum à Paris.

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