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Un cursus ordinaire

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Aux abords de Montpellier, le centre de rééducation et d'insertion professionnelle CRIP 34 abrite un institut de formation aux soins infirmiers réservé aux travailleurs handicapés. Avec des promotions de taille réduite, un taux d'encadrement élevé et un suivi personnalisé, l'initiative permet, chaque année, à 17 stagiaires de sortir diplômés et d'être embauchés.

« Tu te souviens qu'il faut toujours le faire avec des compresses, n'est-ce pas ? », interroge l'infirmière qui supervise Cécile Bigou sur son terrain de stage, dans la clinique du Mas-de-Rochet, en banlieue de Montpellier. La jeune femme, 37 ans, élève de l'Institut de formation en soins infirmiers (IFSI) de Castelnau-le-Lez (Hérault), s'active au chevet d'un vieux monsieur très affaibli, et tente de démêler les tubulures des perfusions qu'elle vient de changer. « J'ai toujours eu envie de devenir infirmière, confie-t-elle plus tard. Mais, après le bac, je n'ai pas eu le courage d'entamer ces études. Je suis finalement devenue éducatrice en collège, puis, après un congé longue maladie de quatre ans, je ne pouvais plus travailler dans ce milieu. Quand l'AFPA m'a suggéré cette formation, j'ai saisi l'occasion. »

L'IFSI de Castelnau-le-Lez est unique en son genre. Fondé en 1974 au sein du centre de rééducation et d'insertion professionnelle (CRIP) que gère l'Union pour la gestion des établissements de caisses d'assurance maladie (Ugecam) Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, il est réservé aux travailleurs handicapés. Et nul ne peut y entrer sans ce statut délivré par les commissions départementales de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH), ni sans une notification orientant précisément vers l'une des formations proposées par l'institut : soins infirmiers ou classe préparatoire à la sélection d'entrée, qui totalisent 71 places. Bien sûr, un certificat doit attester que le handicap est compatible avec l'exercice du métier d'infirmier, une contre-indication définitive aux vaccinations, un handicap locomoteur lourd ou sensoriel non appareillé, une affection psychopathologique ou l'épilepsie étant inconciliables avec cette profession.

Etonnamment, pour une tâche où la manipulation des patients est fréquente, de nombreux stagiaires présentent des problèmes de dos. Patrice Thuaud, directeur du pôle santé du CRIP et ancien cadre infirmier, qui a autrefois travaillé sur les lombalgies dans la profession, n'en est pas étonné. « En général, ce n'est pas un problème, pour de multiples raisons : d'abord, parce que les personnes qui ont eu un accident ou une maladie professionnelle apprennent à modifier leur posture et leurs gestes pour ne plus souffrir. Aussi, parce que, pour certains, leurs pathologies ne favorisent pas la posture assise, qui est peu fréquente chez les infirmiers. » Et enfin parce que l'origine de problèmes de dos n'est pas toujours somatique. « Et dans ces conditions interviennent la reconnaissance et la satisfaction au travail, qui sont des éléments porteurs très forts », conclut le responsable. A l'image de Véronique Gagliardi, diplômée en 2007, et qui travaille depuis aux urgences du centre hospitalier universitaire de Montpellier. Déclarée inapte en 2001 de son métier de chauffeur routier, elle a pu intégrer l'IFSI à la rentrée 2004. « Une première fois, l'orientation vers l'IFSI m'a été refusée par la Cotorep, se rappelle-t-elle. Mais à l'époque j'ai fait appel de cette décision, en argumentant qu'il existait des postes d'infirmières physiquement moins éprouvants que d'autres, dans les collèges et lycées, par exemple, ou en milieu pénitentiaire. Même si, dès le départ, les urgences étaient mon objectif, parce qu'on y allie l'accueil et la technique ! »

Au centre, un logement possible

Autre différence avec les élèves infirmiers valides : la moyenne d'âge à l'entrée de l'IFSI de Castelnau-le-Lez se situe autour de 34 ans, contre une vingtaine d'années dans les instituts ordinaires. « Nos stagiaires ont actuellement de 19 à 53 ans », précise Jacques Lalanne, formateur. En outre, ils se répartissent à parts égales entre les deux sexes, alors que les femmes sont généralement surreprésentées dans la profession. « Cela tient probablement au fait que l'on trouve généralement plus d'hommes que de femmes dans les circuits de la reconversion professionnelle », précise Patrice Thuaud.

Hormis la typologie des étudiants, le cursus y est en tout point comparable aux IFSI ordinaires : programme, concours d'entrée et diplôme d'Etat à la clé. « J'avais passé également le concours de l'institut de ma région, précise Cécile Bigou, originaire de Mourgues, dans le Lot. Mais je n'avais pas les moyens d'assumer trois années de formation. » Car les stagiaires du CRIP bénéficient d'une rémunération liée à leur activité professionnelle antérieure, versée par l'Agence de services et de paiements (l'ASP, qui a repris les missions de l'ex-Cnasea). Mieux encore, comme les élèves sont originaires de toute la France (seuls 10 % viennent de la région Languedoc-Roussillon), le centre met à leur disposition des studios sur le site même du CRIP, attribués sous condition de ressources. « Pour moi qui vient du Val-de-Marne et qui touche l'équivalent d'un RMI, explique Elsa Kponton, 34 ans, en classe préparatoire, la rémunération et le logement, cela me libère d'un stress. Sans cela, je n'aurais pas pu travailler sereinement. » Auparavant femme de chambre mais désormais handicapée par une hernie discale, cette jeune mère a confié son enfant de 4 ans à la garde de sa grand-mère, le temps d'effectuer son année préparatoire aux épreuves de sélection à l'entrée en IFSI. D'autres élèves ont préféré s'installer avec leur famille dans un logement indépendant. Comme Sélim Otmani, venu de la région lyonnaise avec son épouse. Ambulancier de profession, un accident de la route lui a laissé une épaule fragile, incompatible avec le transport des patients.

Retrouver la confiance en soi

Installé dans des locaux récents tout de verre, de bois et de béton, l'institut dispose de 20 places dans sa classe préparatoire. Là, il s'agit de remettre à niveau les connaissances et les aptitudes à la réflexion. « Le niveau est très hétérogène à l'entrée, observe Jacques Lalanne, l'un des deux enseignants de préparatoire, qui possède une formation de professeur de lettres. Certains ne maîtrisent pas l'addition quand ils arrivent, d'autres sont quasiment prêts à passer le concours en matière de connaissances et de savoir-faire... » Les élèves y sont admis sur simple recommandation de leur maison départementale des personnes handicapées. « Parfois leur orientation est un peu un pari, estime Jacques Lalanne. C'est difficile pour les commissions des MDPH de savoir vraiment ce que cela peut donner. » Cette année, l'établissement accueille notamment une jeune femme traumatisée crânienne, dont l'équipe est en train de tester les compétences. « Mais en général nous ne connaissons pas le handicap de la personne, précise l'enseignant. Une fois par mois, nous avons des réunions pluridisciplinaires avec le médecin et l'assistante sociale du CRIP. Eventuellement, si des difficultés d'apprentissage doivent être reliées au dossier médical ou à la situation sociale du stagiaire, on pourra l'évaluer à ce moment-là. »

Beaucoup de stagiaires ont d'ailleurs besoin de cette année préparatoire comme d'un sas de réassurance : « J'avais besoin d'être cadrée, poussée, explique Aïcha Akachar, 37 ans, aujourd'hui en troisième année de formation infirmière. Je ne serais pas entrée à l'IFSI sans la préparation. Malgré un niveau bac et une année de psychologie, je manque de confiance en moi depuis toujours. Et puis cela faisait quinze ans que je travaillais. Les maths, le français, c'était loin. » Sans compter les années que certains ont pu passer en arrêt maladie, convalescence, rééducation, etc. « Nous avons donc développé tout un travail sur la connaissance et l'estime de soi », explique la formatrice Stéphany Cayssiols. Elle montre un portfolio qu'elle a constitué et qui est remis à chaque élève à l'entrée du cycle préparatoire. Il s'agit d'un document personnel - émaillé de citations et de définitions - que chaque stagiaire remplit au fil de la formation. Il peut y aborder ses qualités et défauts, ou la représentation de son propre handicap, mais aussi réaliser des bilans réguliers quant à sa place dans le groupe, à ses préoccupations, à ses interrogations, et engager une réflexion sur les notions de bonheur, de lâcher-prise, de résilience. A la différence des préparations ordinaires au métier d'infirmier, souvent fondées sur un bachotage très scolaire, celle du CRIP consacre également de nombreuses heures à la réflexion sur le projet professionnel, en rendez-vous individuels. « C'est important, car ce point est abordé lors de l'entretien qui finalise le concours d'entrée », précise Stéphany Cayssiols.

De très rares abandons

Une jeune femme entre dans le bureau des formateurs pour demander des précisions sur un exercice de logique qu'elle cherche à terminer. La porte du local est toujours ouverte, au rez-de-chaussée, tout près des salles où étudient les stagiaires, en cet après-midi consacré au travail personnel. L'élocution de la jeune femme trahit la surdité, qui pourrait représenter un obstacle à l'entrée en formation d'infirmière. « Mais cette année de mise à niveau l'aidera peut-être à cheminer vers la nécessité d'être appareillée pour pratiquer la profession », suggère Stéphany Cayssiols.

Rares, néanmoins, sont les stagiaires qui abandonnent en cours de route, quelles que soient leurs difficultés. Et l'IFSI n'a pas non plus compétence pour interrompre le cycle de formation. « Seule la MDPH pourrait décider d'y mettre un terme, précise Stéphany Cayssiols. Mais elle ne le fait pas. Après tout, il est difficile de savoir si, à l'instant du concours, le stagiaire ne va pas parvenir à mobiliser des ressources surprenantes. » En outre, même ceux qui échoueront aux épreuves de sélection n'auront pas tout perdu : le programme comprend du français, des mathématiques, de la chimie, de la biologie, de l'anglais, une initiation à la culture sanitaire et sociale, un travail sur la méthodologie, ainsi que l'acquisition de compétences d'analyse, de synthèse et de mémorisation. « Il y a toujours une évolution pour chacun, même sans réussite au concours à la clé. Les acquis pourront toujours être mobilisés pour une autre formation. »

A l'issue des neuf mois de préparation, 80 % des élèves trouveront une place, parmi les 51 ouvertes à l'IFSI de Castelnau-le-Lez ou, dans l'Ain, à celui de Hauteville-Lompnes (cinq places y sont réservées à des travailleurs handicapés). Le groupe à l'entrée est, là encore, assez hétérogène, en fonction du niveau scolaire de chacun. « Cela dépend de la durée des études secondaires accomplies, précise Françoise Cascarino, formatrice infirmière à l'IFSI. Certains ont arrêté en sixième ou en cinquième. » Tous n'ont pas le bac. Quelques-uns ont passé un diplôme d'accès aux études universitaires (DAEU). D'autres, encore, ont obtenu une validation des acquis de l'expérience. « Mais après les dix premières semaines, en général, les disparités sont rattrapées, poursuit la formatrice. Et les stagiaires s'entraident beaucoup. »

C'est alors un parcours de trois années qui débute, rythmé par une quinzaine de stages et quelque deux mille cinq cents heures de formation théorique. « Il n'y a aucun aménagement particulier lié au handicap, insiste Patrice Thuaud. Les types de stages sont les mêmes que pour les autres IFSI. » Les équipes qui accueillent les élèves de Castelnau ne sont pas informées des pathologies des stagiaires. « Bien sûr, quand nous recherchons des terrains, il nous faut toujours expliquer que nos étudiants suivent le même programme, préparent le même diplôme d'Etat, et que leur statut de travailleur handicapé n'influence pas leur capacité de travail », détaille Patrice Thuaud. Mais les représentations négatives du handicap ont la vie dure, et l'hôpital n'échappe pas à la règle. Heureusement, une fois la convention passée entre le CRIP et l'établissement de santé, « cela ne fait aucune différence », assure Annie Monnier, cadre infirmière à la clinique du Mas-du-Rochet. D'autant que rares sont les interruptions liées à une évolution de la pathologie. L'an dernier, seule une stagiaire a dû renoncer pour ce motif à poursuivre le cursus.

La spécificité de l'IFSI tient plutôt à son taux d'encadrement, plus élevé qu'en milieu ordinaire. Trois enseignants ont chacun à leur charge une année de formation. Au CRIP, en dehors des intervenants extérieurs, on compte 1 formateur pour 15 stagiaires, alors que dans les autres IFSI, c'est plutôt 1 pour 20. Ce qui favorise un suivi individualisé des élèves et une grande présence sur les terrains de stage auprès des futurs infirmiers. L'autre avantage de la petite taille des promotions est qu'il n'y a pas de cours en amphithéâtre. « Si on ne comprend pas, le formateur va facilement venir nous réexpliquer, ou alors on peut aller le voir après le cours, précise Ingrid Guillon, ancienne ambulancière et stagiaire en deuxième année. On n'est pas un numéro fondu dans la masse. »

La juste distance avec le handicap

Ce matin-là, c'est Patrice Thuaud qui ouvre la journée, avec deux heures consacrées au secret professionnel. Dans la salle de cours des « première année », un squelette humoristiquement chapeauté, des panneaux anatomiques placardés aux murs et des posters conçus par les stagiaires : les invariants de la toilette, les représentations de la profession infirmière, la roue du bien-être chez les personnes âgées... « Les méthodes réflexives prennent une part importante dans la formation infirmière », explique Françoise Cascarino. Les 17 étudiants, installés derrière des tables assemblées en U, suggèrent différentes définitions et dimensions du secret, puis la discussion s'anime autour de la problématique du secret médical. Plusieurs stagiaires sont indignés par l'impossibilité de révéler la pathologie d'un malade à son conjoint, même lorsque celle-ci est contagieuse ou transmissible. « Mais est-ce qu'on ne peut même pas faire des allusions, utiliser des codes ? » interroge l'un. Des condisciples se chargent eux-mêmes de lui expliquer que ce n'est légalement pas possible. « En pédagogie, nous travaillons aussi beaucoup sur les représentations du handicap et la gestion des émotions, pour qu'ils trouvent la juste distance », note Patrice Thuaud. A la différence d'un IFSI ordinaire, les stagiaires de Castelnau ont en effet tous vécu la maladie ou l'hospitalisation. « Parfois, cela rejaillit pendant un cours, poursuit le responsable. Nous le voyons facilement, du fait de nos petites promotions. »

Une autre particularité du CRIP est la présence d'un service médical et social. « Le médecin nous est utile car nous sommes nombreux à venir de loin, précise Cécile Bigou. Difficile, quand on a besoin de consulter son médecin traitant pour renouveler une ordonnance, prescrire une prise de sang ou autre. Il peut alors s'en charger. » En cas de besoin, un kinésithérapeute est également disponible. Quant à l'assistante sociale, elle avoue rencontrer rarement les élèves infirmiers. « Ils nous sollicitent pour obtenir des permissions d'absence lorsqu'ils ont un problème administratif à régler ou des obligations familiales à assumer », note Viviane Elgoyhen, responsable du service social et insertion. Des difficultés financières peuvent également amener les stagiaires à frapper à la porte du service. « Nous pouvons alors voir si une avance sur salaire peut leur être accordée en attendant le premier paiement, ou éventuellement travailler sur un dossier de surendettement », poursuit la travailleuse sociale. De même, un psychologue est disponible, hors des locaux de l'IFSI, pour l'ensemble des stagiaires du CRIP (ils sont 280, toutes formations confondues).

A l'issue de la formation, le pôle santé s'enorgueillit d'un taux d'employabilité record de 100 %. D'ailleurs, le service insertion du CRIP ne rencontre que très peu les stagiaires infirmiers. « J'interviens deux demi-journées sur l'ensemble des trois années afin de travailler avec eux sur la rédaction du CV et des lettres de motivation, mais ils n'ont généralement pas besoin de mon aide pour se placer », se félicite Nathalie Terrisse, conseillère en insertion professionnelle pour l'ensemble des formations. Une facilité guère étonnante, dans un secteur hospitalier sans cesse à la recherche de nouveaux professionnels. Comparé aux taux des autres formations proposées par le CRIP, de niveau IV, V ou VI et qui plafonnent entre 48 % et 67 % d'élèves en emploi six mois après leur sortie, c'est un beau succès. Aussi le pôle santé réfléchit-il à la possibilité de développer d'autres formations dans le domaine sanitaire et social. « Nous allons déposer des demandes de financement pour des cursus d'aide-soignant, d'auxiliaire médico-psychologique, d'assistant de soins en gérontologie et d'auxiliaire de vie sociale, résume Patrice Thuaud. Dans le contexte démographique actuel, ce sont des secteurs qui embauchent. Et cela offrira d'autres débouchés aux élèves de l'année préparatoire. » La place pour accueillir ces formations de courte durée est d'ores et déjà prévue dans un bâtiment attenant en construction.

Notes

(1) CRIP 34 : 435, chemin du Mas-de-Rochet - CS 10010 - 34173 Castelnau-le-Lez cedex - Tél : 04 67 33 18 00 - contact@crip-34.fr.

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