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DEES : le mémoire professionnel instrumentalisé ?

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Le spectre du formatage plane sur les mémoires professionnels produits dans le cadre du diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé réformé, s'alarment Abdelhak Qribi, Dominique Top et Olivier Filhol, formateurs en Aquitaine. Au-delà de cet exercice, le risque que s'impose une « vision fonctionnaliste ou technicienne » au détriment du développement de la « conscience clinique » des étudiants menace l'ensemble de la formation.

«La réforme du diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé (DEES) (1) a suscité des critiques et des interrogations de différents ordres. Les plus fondamentales, à nos yeux, concernent la place de la clinique et la manière dont elle sera ou non préservée, vitalisée en dépit et au-delà des découpages en domaines de compétences, de formation et de certification. Les grilles de lecture des référentiels seront en ce sens déterminantes. Des débats doivent porter sur cette question de fond. Quelle interprétation des textes officiels faire valoir ? Quelle traduction pédagogique leur donner ? En fonction de quelles valeurs, de quelle conception du métier d'éduquer et de quelles idées en matière d'éducation et de soins ? Les identités des écoles se déclineront à partir de leur positionnement et des réponses concrètes qu'elles apporteront à de telles questions.

Un exercice important en matière de formation retient plus particulièrement l'attention, celui du mémoire professionnel. D'un certain point de vue, il aura valeur de test et témoignera significativement de l'orientation éventuellement dominante dans la formation comme dans la certification.

La réforme étant récente, nous ne disposons pas encore de jurisprudence ou de pratiques stabilisées en la matière. Cependant, une tendance semble se dessiner, qui, de notre point de vue, est loin d'être la plus pertinente et n'est conforme ni à l'esprit de la formation ni au sens de l'engagement professionnel. Elle se cristallise dans une proposition d'une fiche d'aide à la notation du mémoire émanant d'un IRTS dans la perspective d'une harmonisation des jurys d'examen. Cette fiche est articulée étroitement aux compétences recherchées telles qu'elles se déclinent dans les textes officiels, à savoir le diagnostic éducatif, la mise en oeuvre du projet d'action et son évaluation. Les productions de mémoires vont, dans ce contexte, se structurer autour des trois notions évoquées. En effet, les écoles se montrent soucieuses d'une certaine conformité par rapport aux textes et les élèves sont légitimement attachés à la réussite de leur examen. Dans une telle optique, les mémoires risquent une instrumentalisation des plus regrettables. Nous voyons déjà des plans de mémoires en trois parties, chacune répondant à une compétence. Le formatage est bel et bien en oeuvre. Si l'on suit un tel chemin, l'investissement des stagiaires sur le terrain se trouvera fortement orienté et conditionné par cette préoccupation de conception, de réalisation et d'évaluation d'une action éducative. Le stage lui-même risque d'être instrumentalisé - et peut-être les bénéficiaires aussi si l'on n'y prend pas garde ! Cela est d'autant plus dommageable que le stage inaugure la découverte du métier et initie le stagiaire à ses exigences intellectuelles, éthiques et pratiques. Les répercussions sur le futur professionnel ne sont pas négligeables.

Une lecture ouverte du référentiel

Nous défendons une seconde option fondée sur une lecture ouverte du référentiel et des compétences. Nous l'énonçons en sept points ou sept arguments.

1] Si la notion de projet apparaît effectivement comme une donnée essentielle dans la formation comme dans le mémoire, elle ne peut épuiser toute la richesse de la formation ni couvrir tous les objets des mémoires. Ces deniers ne peuvent et ne doivent pas se laisser enfermer dans une problématique de projet et de sa méthodologie. Le matériel le plus important dans le travail éducatif, ainsi que dans la formation, demeure la clinique au sens large du mot. Il inclut l'observation de l'infiniment petit, de l'ordinaire, de l'apparemment banal, et la construction de la relation humaine sur des bases qui ne s'inscrivent pas forcément dans la logique d'un projet pensé à l'avance et obéissant à une rationalité. Il y a une part d'ombre, faite d'inconscient, de transfert, de rêves et de cauchemars, part inhérente aux relations humaines et qui intervient dans la structuration des relations d'aide, d'éducation et de soins. Ce n'est pas sa négation qui est source d'objectivité et d'efficacité mais son intégration dans les analyses et sa prise en compte dans l'accompagnement.

2] Sur un autre plan, l'approfondissement d'«une problématique éducative synthétisant [des] éléments de connaissance théorique et les acquis issus de [la] pratique professionnelle», objet du mémoire selon les mots du texte officiel, peut prendre appui sur un projet ou sur une pluralité de projets individuels et/ou collectifs. Ils peuvent émaner de plusieurs expériences de stages et être reliés par une problématique commune ou une interrogation centrale. Cette problématique pourrait se construire aussi à partir d'une série d'observations cliniques s'insérant dans une thématique commune concernant «l'autorité», »la monstruosité» »l'impuissance en éducation»... Mais là non plus le mémoire ne se réduit pas forcément à une action éducative superbement pensée et intelligemment menée et évaluée.

3] Certes, la dimension de l'implication du candidat est fondamentale. Mais celle-ci ne se donne pas à voir à partir uniquement d'une action éducative. Elle se donne à lire également dans la qualité de sa présence auprès des usagers et dans celle des relations établies.

4] La question du pourquoi et du sens ne doit pas être éludée au profit du comment et de la méthodologie. Le «faire» et l'action ne doivent pas l'emporter sur la réflexion. Le souci de la problématisation de ce qui est entrepris, le questionnement, le doute sont des outils irremplaçables contre la fascination de la transparence et de la facilité.

5] La théorisation ou la problématisation ne couvre pas uniquement le temps du diagnostic éducatif et l'analyse des besoins. Elle devrait traverser le corps entier du mémoire depuis l'observation initiale de base jusqu'à la conclusion, en passant par l'analyse des données et la réflexion sur les dynamiques objectives et subjectives de l'accompagnement.

6] Si le mémoire relève effectivement du domaine de formation (DF) 2 (le projet éducatif spécialisé), son caractère devra demeurer à nos yeux fondamentalement transversal ou inter-DF. Une telle observation ne correspond pas à un attachement aveugle à une pratique révolue mais elle est plus en phase avec la réalité de l'action éducative et celle de l'accompagnement, qui sont intrinsèquement pluridimensionnelles. Il faut continuer à maintenir une unité de pensée. Un thème comme celui de la prévention de la maltraitance ne mobilise-t-il pas des compétences témoignant de capacités à observer, analyser et établir un diagnostic socio-éducatif (DF 1), en même temps qu'il fait appel à des aspects juridiques incontournables (DF 4), qu'il exige une communication écrite et orale appropriée (DF 3) ainsi que des méthodologies d'action éducative adéquates (DF 2) ?

7] L'ouverture disciplinaire en matière théorique restera la règle. Selon les thèmes abordés, les angles d'attaques choisis, l'auteur privilégie une discipline ou un éclairage théorique qui lui est propre. Il le déploie et l'assume. Il est sa grille de lecture, et sa source de questionnements. Le débat pourrait porter sur les risques de l'enfermement dans des cadres trop étroits en matière d'intelligibilité des réalités abordées. Car, on le sait, si pour les sciences, il n'y a de construction que disciplinaire, «l'action elle, et l'action éducative en particulier, est par essence interdisciplinaire... ou plus exactement, elle échappe à l'épistémologie disciplinaire» (2).

Tels sont quelques enjeux qui, à vrai dire, ne concernent pas uniquement le mémoire professionnel de l'éducateur spécialisé, mais touchent à l'ensemble de la formation. L'introduction des référentiels pose de sérieux problèmes épistémologiques. Le caractère arbitraire des découpages par domaines est un défi pour l'intelligence pédagogique. L'application stricte et acritique des items participe de fait d'une vision fonctionnaliste ou technicienne de l'éducation et de la formation. Un effort d'interprétation des textes s'impose. L'exigence d'une problématisation permanente des compétences et des savoirs nous paraît fondamentale. Plus que jamais, il faut ouvrir tous les espaces possibles pour le développement d'une conscience clinique chez les personnes en formation. Le pragmatisme positiviste n'a pas pour objet uniquement la structuration des organisations ; les logiques opératoires peuvent conduire à la liquidation du sens et du sujet. Ce qui est en jeu, ce n'est pas une simple option intellectuelle, c'est aussi un choix éthique et politique. »

Contact : qribi.abdelhak@wanadoo.fr ou olivier.filhol@wanadoo.fr

Notes

(1) Voir ASH n° 2555 du 25-04-08, p. 21.

(2) Philippe Meirieu, « Praxis pédagogique et pensée de la pédagogie », in Revue française de pédagogie n° 120 - Juillet-août-septembre 1997.

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