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« Délit de solidarité » : une circulaire clarifie les conditions d'application de l'immunité accordée pour une « aide humanitaire »

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Lorsqu'il avait reçu une vingtaine d'associations d'aide aux étrangers pour discuter du « délit de solidarité », le 17 juillet dernier, le ministre de l'Immigration avait proposé notamment de modifier légèrement une disposition du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) afin, en particulier, de mieux protéger les travailleurs sociaux appelés à apporter une aide humanitaire aux clandestins (1). En attendant cette modification législative et pour « rassurer » les associations, Eric Besson a rendu publique et diffusé le 23 novembre auprès des préfets une circulaire du ministère de la Justice, dans laquelle Michèle Alliot-Marie précise aux parquets le cadre juridique applicable en matière d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers en France. La garde des Sceaux clarifie en particulier les conditions d'application de l'immunité prévue par le Ceseda au bénéfice des personnes physiques et morales oeuvrant dans un contexte humanitaire auprès des clandestins.

La notion de danger entendue au sens large

Source de préoccupation principale pour les associations : les articles L. 622-1 et L. 622-4 3° du Ceseda. Le premier dispose que « toute personne qui aura par aide directe ou indirecte facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger en France sera punie d'un emprisonnement de 5 ans et d'une amende de 30 000 € ». Le second pose une immunité, applicable notamment à « toute personne physique ou morale, lorsque l'acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l'intégrité physique de l'étranger, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s'il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte ». Les associations se sont émues de la mise en oeuvre du délit d'aide aux clandestins à l'encontre de certains de leurs membres, salariés ou bénévoles. Elles se sont inquiétées également de la lecture trop restrictive qui serait faite par les pouvoirs publics de l'immunité prévue par la loi.

Dans sa circulaire adressée aux parquets, la ministre de la Justice rappelle en premier lieu la nécessité de caractériser l'élément moral de l'infraction d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d'un étranger en France. A cet égard, précise-t-elle, « le seul but lucratif ou intéressé peut être un critère de poursuites mais son absence ne saurait, par principe, exclure des poursuites, le législateur ayant clairement fait le choix de ne pas faire figurer ce critère dans la loi ».

S'agissant de l'immunité, Michèle Alliot-Marie indique que les notions de « danger actuel ou imminent » et de « sauvegarde de la vie ou de l'intégrité physique de l'intéressé » doivent s'interpréter largement sans se limiter au seul péril immédiat stricto sensu encouru par l'étranger. En outre, elles doivent permettre de tenir compte également des « situations de fragilité particulières voire de détresse dans lesquelles se retrouvent très fréquemment » les clandestins. Les parquets sont ainsi appelés à prendre en considération ces éléments d'appréciation afin de ne pas engager de poursuites pénales du chef d'aide au séjour irrégulier à l'encontre de membres des associations qui fournissent des prestations telles que des repas, un hébergement - « en particulier lorsqu'il s'agit d'un hébergement d'urgence » - ou encore un secours médical, lorsque l'acte visé n'a d'autre objectif que d'assurer les conditions de vie dignes et décentes à l'étranger en situation irrégulière.

La garde des Sceaux leur demande également - « dans le respect de l'opportunité des poursuites » - de prendre en compte l'action permanente des associations qui travaillent auprès des étrangers et qui leur fournissent un certain type de prestations telles que des repas, un hébergement ou même des conseils juridiques. Plus généralement, l'immunité prévue par la loi « devra être considérée comme acquise lorsque l'acte visé n'a d'autre objectif que d'assurer des conditions de vie dignes et décentes » au clandestin. En revanche, prévient la ministre, « lorsque des personnes physiques, membres d'association, commettent, parfois sous couvert de l'activité associative, des faits qui ne peuvent entrer dans le champ d'action humanitaire, tels que remettre sciemment à des majeurs des cartes d'hébergement attestant de leur minorité ou remettre des faux documents par exemple, des poursuites pénales sont justifiées et devront être engagées ».

Contrôles d'identité et interpellations

Michèle Alliot-Marie demande encore aux parquets de rester « sensibilisés » à cette problématique humanitaire dans le cadre des directives qu'ils sont amenés à donner aux services enquêteurs ou des réquisitions qu'ils sont amenés à prendre concernant les interpellations et contrôles d'identité d'étrangers en situation irrégulière.

Tout en estimant que la circulaire du 21 février 2006 - qui passe en revue les possibilités d'interpellation des clandestins sur la voie publique, au guichet d'une préfecture, au domicile ou encore dans un centre d'hébergement (2) - « conserve sa pertinence », la garde des Sceaux attire ainsi en premier lieu l'attention des parquets sur « la nécessité d'éviter d'entraver les actions humanitaires ». Et donc sur « le caractère inopportun » de procéder à des contrôles d'identité ou à des interpellations dans les lieux d'intervention des associations humanitaires ou à proximité de ceux-ci au seul motif du séjour irrégulier de l'étranger ou de l'aide au séjour irrégulier des membres associatifs ou bénévoles. « Cette prescription vaut également pour la voie publique sur laquelle est proposé ce type de prestations », précise encore la ministre.

Elle ajoute que l'existence d'une immunité accordée aux actions associatives à visée humanitaire ne saurait pour autant conduire à une protection absolue des lieux où elles exercent leur mission. « Il reste primordial de conserver une liberté d'investigations totale en tous lieux lorsqu'elles s'avèrent nécessaires et indispensables à une enquête visant par exemple des passeurs », indique la garde des Sceaux. Simplement, les parquets sont en tout état de cause invités à envisager les interventions dans ces lieux « avec prudence » et « discernement ».

Enfin, Michèle Alliot-Marie juge aussi souhaitable que les parquets puissent exposer, à la faveur de rencontres avec les responsables des associations travaillant dans leur ressort, la politique pénale en matière d'immigration irrégulière mais aussi les limites légales de l'intervention humanitaire.

A noter : lors de la présentation de cette circulaire devant la presse, Eric Besson a redit qu'il proposerait « très rapidement » une amélioration de la rédaction de l'article L. 622-4 3° du Ceseda afin que la lettre de cette disposition soit « parfaitement conforme à l'esprit dans lequel elle est actuellement appliquée ». Elle visera à « faire référence, pour justifier l'immunité humanitaire, non plus seulement à la sauvegarde de la vie ou de l'intégrité physique de l'étranger - ce qui pourrait laisser entendre que l'aide se limite à une intervention médicale - mais plus simplement et plus largement à la sauvegarde de la personne de l'étranger ». Dans un avis sur le sujet adopté à l'unanimité le 19 novembre, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme plaidait, quant à elle, pour une inversion, dans la loi, de la logique du dispositif pour faire de l'immunité le principe et de l'infraction l'exception (3).

[Circulaire du ministère de la Justice du 20 novembre 2009 et circulaire NOR IMIK0900091C du 23 novembre 2009, disponibles sur www.immigration.gouv.fr]
Notes

(1) Voir ASH n° 2620 du 21-08-09, p. 23.

(2) Voir ASH n° 2445 du 3-03-06, p. 22 et 59.

(3) Avis disponible sur www.cncdh.fr.

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