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Droits sociaux des étrangers : une bataille à mener

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Les grands principes de conventions internationales que la France a pourtant ratifiées sont régulièrement bafoués dans le domaine de l'accès aux droits sociaux des étrangers. Muriel Bombardi, assistante sociale dans une collectivité territoriale de Seine-Saint-Denis, témoigne, en se fondant sur l'action qu'elle mène en tant que militante du Réseau éducation sans frontières (RESF), que le combat contre ces discriminations est possible, et peut être victorieux.

«Ce matin, j'ai rendez-vous avec Fatoumata, qui a laissé un message et son numéro de portable sur le blog de RESF Montreuil en expliquant qu'elle ne bénéficiait pas des prestations familiales pour deux de ses enfants. Elle me raconte en quelques mots son arrivée en France pour rejoindre son mari il y a huit ans, sa régularisation survenue en 2006 et la naissance de deux enfants. Puis le couple prend la décision de faire venir les deux aînés restés au pays, hors regroupement familial parce qu'il ne remplit pas les conditions de revenus exigées par cette procédure.

J'explique à Fatoumata que tout enfant étranger d'un parent en situation régulière, quelle que soit sa situation au regard des règles du regroupement familial, doit bénéficier des prestations familiales, conformément à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par l'article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l'enfant et aux exigences du principe de non-discrimination selon l'origine nationale dans la jouissance des droits familiaux, garanti par l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme (1). Toutefois, la loi n'ayant toujours pas été modifiée, elle va être obligée d'aller au tribunal des affaires de la sécurité sociale (TASS).

Je lui précise les différentes étapes de la procédure contentieuse, qui devrait durer entre six et dix mois, et la rassure : c'est simple, gratuit et elle aura à coup sûr gain de cause. Puis je fais un rapide calcul : avec la prise en compte de ses quatre enfants, la famille va bénéficier d'un supplément d'environ 640 € mensuels (allocations familiales pour quatre, complément familial, revalorisation de l'aide au logement) et d'un rappel sur deux ans, soit 15 360 € , sans compter les allocations de rentrée scolaire. Seul le mari de Fatoumata travaille, dans le bâtiment, pour un salaire net d'environ 900 € , autant dire que cela va améliorer son quotidien. Mais au-delà de sa situation personnelle, je lui dis que grâce à son recours et à tous ceux déposés par d'autres, on finira par obtenir un changement de la loi qui bénéficiera à des milliers de familles. Une fois le recours rédigé, je lui propose de la recontacter dans deux mois pour la suite de la procédure, en lui précisant toutefois qu'elle peut me rappeler d'ici là, si elle a des questions ou qu'elle reçoit un courrier de la CAF.

Avant qu'elle ne parte, j'observe sur son visage la même surprise que celle aperçue sur celui de Simone, Amel et tant d'autres, à qui on a toujours dit qu'elles n'avaient pas droit aux prestations familiales. La plupart du temps, ces familles ont tenté d'obtenir leurs prestations en envoyant une lettre simple ou en se déplaçant au guichet de la CAF, essuyant un refus oral, qui ne laisse pas de trace et ne leur permet pas de faire appel. Certaines ont bien obtenu une décision écrite de refus qu'elles n'ont pas contestée, pensant qu'elles n'avaient effectivement pas de droits. D'autres ont reçu un courrier les informant qu'elles devaient préalablement déposer une demande d'admission exceptionnelle au séjour à la préfecture, pourtant inutile et bien souvent refusée.

Une alliée : la HALDE

Amel, quant à elle, a mis quelques semaines à me contacter, pas très sûre de savoir dans quoi elle s'embarquait. A l'époque, elle vivait du RMI (revenu minimum d'insertion) pour couple avec majoration pour un enfant alors qu'elle en a trois, ses deux aînés ayant rejoint la France hors regroupement familial. Nous avons fait les recours nécessaires pour les prestations familiales et parallèlement, nous avons écrit au conseil général pour demander la majoration RMI pour ses deux enfants. Aidées par un membre du groupe de travail juridique sur la protection sociale des étrangers et précaires (2), nous avons utilisé une délibération de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) relative au RSA (revenu de solidarité active), qui considère que le stage préalable de cinq ans exigé des étrangers non communautaires est constitutif d'une discrimination fondée sur la nationalité, comme la condition d'être arrivés sur le territoire français par le biais du regroupement familial pour les enfants (3).

Amel a non seulement obtenu les prestations familiales mais également la majoration RMI pour ses deux aînés et la HALDE, qu'elle avait saisie, a rendu une délibération qui pourra servir à d'autres (4), et notamment à Fatoumata qui devrait pouvoir prétendre au RSA mais qui devra se battre, une fois de plus, pour que ses enfants soient pris en compte et parce qu'elle-même n'a pas encore cinq ans de résidence régulière...

Au-delà d'un plus grand confort financier qui profite aux familles, l'ouverture de ce droit conditionne d'autres droits comme celui de l'accès au logement. En effet, les commissions d'attribution pour une HLM pourraient rejeter des dossiers dans lesquels l'ensemble des droits n'est pas ouvert, avec comme conséquence la sous-évaluation de l'aide au logement et un taux d'effort par conséquent plus important pour le ménage.

Hypocrisie

Souvent, je pense à ces deux autres femmes qui ont abandonné la procédure, n'étant sans doute pas convaincues de leurs droits ou craignant d'aller au tribunal, et j'ai la «haine», comme on dit chez moi, de toute cette hypocrisie : le gouvernement refuse de modifier le code de la sécurité sociale que les CAF se contentent de citer en référence lors des audiences au TASS. Ce dernier condamne très rarement les caisses, qui connaissent pourtant parfaitement la jurisprudence mais qui résistent abusivement aux droits de ces familles étrangères. Or, si la responsabilité des CAF était régulièrement engagée, elles accorderaient peut-être systématiquement les prestations, et participeraient ainsi à un changement plus rapide de la loi, qui tarde malgré une jurisprudence abondante depuis 2003 et les multiples délibérations de la HALDE (5). En attendant, des milliers de familles étrangères vivent sans prestations familiales ni RSA, et même si certaines, bien informées, obtiennent enfin gain de cause, elles ont souvent perdu des années de droits, dont la rétroactivité ne peut excéder deux ans.

Je songe également à ce fameux contrat d'accueil et d'intégration qui vise à instaurer entre la France et les personnes désireuses de s'y installer durablement «une relation de confiance et d'obligation réciproque» et qui impose, entre autres, une formation civique portant sur les institutions françaises et les «valeurs de la République». Mais quelles sont les valeurs d'une République qui stigmatise les étrangers, leur refuse l'égalité de traitement en violant délibérément des traités internationaux, crée une Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité dont les délibérations n'entraînent pas systématiquement une suppression du contenu xénophobe des lois ?

Dans un contexte de casse de nos acquis sociaux et d'un durcissement des lois sur l'immigration, ces victoires encouragent à mener d'autres batailles. Les travailleurs sociaux en général et les assistants sociaux en particulier, dont l'une des missions principales est l'accès aux droits, doivent s'en saisir et aider les personnes à faire valoir leurs droits. »

Contact : muriel.bombardi@neuf.fr

Notes

(1) Un kit réalisé par AIDES sur le droit aux prestations familiales, avec la procédure à suivre et les modèles de recours peut être téléchargé sur le site : www.educationsansfrontieres.org/article13568.html. Le GISTI a par ailleurs publié une seconde édition de la brochure : Les enfants entrés hors regroupement familial ont droit aux prestations familiales - Disponible sur www.gisti.org, rubrique « Publications », puis « Notes pratiques ».

(2) Créé fin 2007 à l'initiative de membres militants ou salariés d'organisations associatives et syndicales, engagés dans la défense des droits sociaux des étrangers et précaires ou s'y intéressant, ce groupe vise à mutualiser et développer une expertise dans le champ du droit de la protection sociale des étrangers et précaires - Contact : egalite-des-droits-sociaux-pour-les-etrangers-et-precaires@googlegroups.com.

(3) Voir ASH n° 2579 du 31-10-08, p. 7 - NDLR : La HALDE ne peut qu'exprimer des recommandations auprès des pouvoirs publics, qui sont libres de leur donner suite ou non.

(4) www.halde.fr/Deliberation-relative-au-refus-de,12932.html.

(5) Voir ASH n° 2575 du 3-10-08, p. 22.

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