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Six départements dénoncent un Etat « hors la loi »

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Alors que six conseils généraux franciliens de gauche ont, à l'occasion du 20e anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant, dénoncé le « désengagement » de l'Etat dans la prise en charge des jeunes, le Premier ministre vient de confirmer que le gouvernement ne créerait pas le fonds de financement de la protection de l'enfance.

Une réforme de la protection de l'enfance non financée, la volonté de supprimer l'institution du défenseur des enfants... Le 20e anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant, le 20 novembre, est célébré dans un contexte de controverses. A l'occasion de cette date symbolique, six conseils généraux franciliens de l'opposition (Essonne, Paris, Val-de-Marne, Val-d'Oise, Seine-et-Marne et Seine-Saint-Denis) ont dénoncé, le 16 novembre, « le désengagement de l'Etat dans la prise en charge des jeunes et de leurs familles » ainsi que les orientations des politiques en direction de la jeunesse.

Asphyxie financière

Les départements « sont pris dans un véritable étau, a alerté Claire-Lise Campion, sénatrice (PS) et vice-présidente du conseil général de l'Essonne chargée de l'enfance et de la famille. D'un côté, ils sont reconnus chefs de file de la protection de l'enfance par la réforme du 5 mars 2007, de l'autre, des projets concourent à leur suppression et les asphyxient financièrement. » L'absence du fonds de financement de la protection de l'enfance, qui devait être doté de 150 millions d'euros (par des crédits relevant de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale) sur trois ans, est un motif majeur de leur ras-le-bol. « L'Etat se met hors la loi », s'impatiente Claire-Lise Campion, qui évalue à plus de trois millions d'euros sur trois ans les charges non compensées dans son département. Interrogée en juin dernier par la sénatrice sur la non-parution du décret prévu par la loi, Nadine Morano, secrétaire d'Etat chargée de la famille et de la solidarité, avait donné une première réponse défavorable. Dans un courrier du 7 octobre, le Premier ministre répond à son tour très clairement par la négative à la sollicitation de l'Assemblée des départements de France (ADF). « Il est important de rappeler que la création de ce fonds ne correspondait pas à une obligation juridique de compenser aux départements les dépenses engagées au titre de la loi », justifie François Fillon. « Le double financement prévu est complexe et dérogatoire, puisque le champ de l'aide sociale à l'enfance est étranger à celui de la sécurité sociale et relève d'une compétence départementale », explique-t-il. « Plutôt que de doter un fonds dont le niveau d'abondement année par année serait une source de querelle entre Etat, sécurité sociale et collectivités locales, il est apparu prioritaire que l'Etat intervienne sur d'autres volets des politiques sociales départementales, comme le financement des maisons départementales des personnes handicapées » (voir ce numéro, page 23). L'ADF a, à la suite de cette réponse de l'exécutif, révisé la nature du recours qu'elle avait décidé de former en octobre dernier (1). Au lieu du « référé injonction » annoncé, c'est un recours « pour excès de pouvoir contre la décision explicite de rejet du Premier ministre, assorti d'une injonction de prendre le décret instituant le fonds avec demande d'astreinte d'un euro par jour de retard », qu'elle a déposé le 21 octobre. Plusieurs conseils généraux, dont la Seine-Saint-Denis et la Saône-et-Loire, avaient pour leur part déjà formé un recours devant le Conseil d'Etat pour obtenir la création du fonds.

L'afflux des mineurs étrangers isolés dans certains départements, comme la Seine-Saint-Denis et Paris (2), constitue un autre point de crispation. « Nous sommes dans une situation où on ne peut pas toujours assurer l'opérationnalité des services car ils sont sous tension », décrit Myriam El Khomri, adjointe au maire de Paris chargée de la protection de l'enfance et de la prévention spécialisée. « Entre 2007 et 2008, le nombre de mineurs isolés arrivés sur le territoire de Paris a augmenté de 60 %. Ces jeunes représentent 18 % des enfants et des jeunes pris en charge par l'aide sociale à l'enfance [ASE], pour un coût de 35 millions d'euros. » Mais la question n'est pas seulement financière. Pour l'heure, explique-t-elle, chaque département « prend en charge comme il le peut les mineurs étrangers isolés, sans avoir de compétence pour enquêter dans les pays d'origine, sans pouvoir envisager une régularisation à la majorité ». Les six départements mobilisés, qui, ensemble, prennent en charge 1 512 mineurs étrangers isolés, demandent à l'Etat de « jouer son rôle en matière de cohésion sociale » en prenant en charge l'accueil en urgence et l'évaluation de ces jeunes. Les conseils généraux continueraient quant à eux d'assumer la responsabilité de leur prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance. Selon Eric Besson, ministre de l'Immigration, qui a présenté le 18 novembre les premières mesures issues du rapport du groupe de travail sur les mineurs étrangers isolés (3), l'articulation des responsabilités entre l'Etat et les collectivités locales ainsi que le pilotage global du dispositif font partie des propositions qui « pourraient être mises en oeuvre à la suite d'études complémentaires et d'arbitrages interministériels ».

Les départements s'inquiètent en outre des « transferts de charges qui ne disent pas leur nom ». La loi du 25 mars dernier de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion rend ainsi obligatoire pour les conseils généraux l'accueil des femmes enceintes et des mères isolées en difficulté avec enfants de moins de 3 ans. Si les départements exerçaient déjà cette compétence alors que l'hébergement relève de l'Etat, « la prise en charge était auparavant concertée et ils ne prenaient en charge que les situations les plus difficiles », pointe Danièle Querci, chargée de la petite enfance et de l'aide sociale à l'enfance au conseil général de Seine-et-Marne. Le recentrage de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sur les mesures judiciaires pénales a également pour conséquence de reporter sur les départements des prises en charge jusqu'ici financées par la PJJ en matière civile. « Les juges pour enfants ont résisté dans un premier temps, indique Viviane Gris, vice-présidente du Val-d'Oise chargée des affaires sociales. Dans mon département, le coût du retrait de la PJJ est estimé à 1,5 million d'euros de dépenses supplémentaires chaque année. »

Le « renforcement de la répression à l'encontre des mineurs auteurs de violences dans le cadre de la réforme de l'ordonnance de 1945 » est également critiqué, ainsi que la confusion entre les dispositifs de protection de l'enfance et de prévention de la délinquance, notamment dans le nouveau plan annoncé par François Fillon le 2 octobre (4), qui prévoit la coordination des dispositifs d'aide à la parentalité sous l'égide du préfet. Globalement, le manque de cohérence d'ensemble est pointé du doigt : « L'Etat se désengage de la dynamique territoriale engagée en direction des jeunes et, suite aux propositions de la «commission Hirsch», lance des expérimentations ponctuelles dont on ne sait pas si le financement sera pérennisé », illustre Michèle Créoff, directrice de l'enfance au conseil général de Val-de-Marne.

Notes

(1) Voir ASH n° 2627 du 9-10-09, p. 26.

(2) Votre notre reportage dans ce numéro, p. 34.

(3) Nous détaillerons ces mesures dans notre prochain numéro.

(4) Voir ASH n° 2627 du 9-10-09, p. 5.

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