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« La prison nie la capacité de relation »

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Lorsqu'on évoque la sexualité en prison, des images de violence viennent à l'esprit. Pourtant, c'est surtout de misère affective dont souffrent les condamnés à de longues peines. Le sociologue Arnaud Gaillard, qui publie « Sexualité et prison », a enquêté dans des centres de détention. Il dénonce la double peine infligée aux prisonniers, en les privant à la fois de liberté et d'amour.

Comment avez-vous réalisé cette enquête ?

Elle ne porte que sur les condamnés à de longues peines, car je souhaitais comprendre les conséquences de la durée sur la privation de vie sexuelle. Les entretiens se sont déroulés dans des centres de détention, sur la base du volontariat. Au total, j'ai interrogé 62 personnes, dont 11 femmes. Les échanges ont été assez directs, car les détenus éprouvent l'envie de parler à des personnes venant de l'extérieur de la prison. Parfois pour exprimer ce qu'ils ont toujours tu, mais aussi pour avoir l'impression d'exister.

La sexualité a-t-elle un statut officiel dans le régime pénitentiaire ?

Elle n'existe pas en tant que telle dans les textes de loi. Le code de procédure pénale considère comme une faute disciplinaire les comportements obscènes et les attentats à la pudeur. Ce qui justifie l'interdiction des relations sexuelles en prison. En raison de ce flou, dans certains établissements, des négociations entre les détenus et la direction ont permis de contourner le problème, par exemple en installant des rideaux de séparation dans les parloirs. Au centre de détention de Caen, où sont regroupés, dans un but de protection, beaucoup de délinquants sexuels et d' homosexuels, les détenus peuvent même se recevoir dans la journée dans les cellules en masquant l'oeilleton. Mais dans toutes les autres prisons, les relations sexuelles entre détenus sont en principe interdites, avec toutefois une plus grande tolérance pour les femmes.

N'y a-t-il pas une grande hypocrisie à interdire les relations sexuelles tout en permettant un usage massif de la pornographie ?

La prison est en elle-même un royaume de contradictions et de paradoxes. Vouloir enfermer pour socialiser, cela paraît déjà assez étrange. Tout comme ne pas permettre le maintien des relations sexuelles des détenus avec leur conjoint, en insistant officiellement sur l'importance du maintien de la cohésion familiale. Les questions sexuelles en prison sont vécues de manière paradoxale par les détenus comme par le personnel pénitentiaire. La règle est l'interdiction, mais en pratique les surveillants savent qu'ils ne peuvent pas tout interdire. La plupart reconnaissent d'ailleurs qu'un détenu qui a eu une relation sexuelle au parloir est apaisé quand il retourne en détention. Ils savent aussi qu'il s'agit d'un besoin humain existentiel. C'est donc la règle du « je vois, je ne vois pas » qui prévaut. C'est très ambigu. Quant à la pornographie, elle est extrêmement répandue en prison, du moins chez les hommes. Ce qui interroge, entre autres, sur la façon dont les détenus pourront gérer, à leur sortie, leur relation à l'autre, après des années à regarder plusieurs films porno par semaine.

A lire les biographies des détenus interrogés, on est frappé par le nombre de ceux qui ont été victimes et/ou auteurs de violences sexuelles...

Il est vrai que l'on arrive rarement en prison par le fait d'un hasard complet. Il faudrait travailler sur les trajectoires individuelles, mais on peut imaginer que les personnes qui tombent sous le coup de la loi sont aussi celles qui ont vécu des fractures dans l'enfance et l'adolescence, notamment des abus sexuels. Mais cette surreprésentation n'est peut-être qu'apparente. Si l'on menait la même étude dans l'ensemble de la population, on serait sans doute étonné de ce que l'on pourrait découvrir. Il faut aussi prendre en compte le fait que les personnes citées dans le livre sont celles qui ont le discours le plus construit. Or, proportionnellement, la délinquance sexuelle touche davantage l'ensemble des milieux sociaux que d'autres types de délinquance pour lesquels le niveau culturel est assez faible. Enfin, s'il y a beaucoup de délinquants sexuels en prison, nombre de détenus ont eu, avant leur incarcération, une vie conjugale assez normée.

Les hommes et les femmes détenus ont-ils une approche très différente de leur sexualité ?

Les mots utilisés par les uns et les autres sont différents mais, fondamentalement, le manque de l'autre - et ses conséquences en termes d'estime de soi - est le même. Ce qui diverge, c'est la traduction de ce manque dans les comportements. Par exemple, en prison, les femmes ne sont pratiquement pas consommatrices de pornographie. Ces films sont faits par des hommes pour des hommes, et il n'y a pas d'identification chez elles. Mais la grande différence porte sur l'homosexualité. Les femmes hétérosexuelles ayant une relation homosexuelle en prison ne se sentent pas remises en cause dans leur identité de genre féminine. Il y a très peu d'homophobie chez les femmes, et pas de réelle culpabilité autour de cette question. A l'inverse, chez les hommes, cela suscite un questionnement extrêmement violent. Dans l'identité de genre masculine, il existe un besoin de puissance et domination. Or la prison humilie les hommes du fait de l'obligation permanente d'obéissance. En outre, ne plus pouvoir aller vers une femme et devoir attendre que celle-ci vienne au parloir est vécu par beaucoup comme quelque chose de très régressif. D'ailleurs, parmi ceux qui avaient une vie conjugale avant l'incarcération, beaucoup refusent la visite de leur conjoint en raison de cette image de soi dégradée. Tout ce qui est perçu comme venant perturber encore plus le vécu de leur virilité, en particulier tout ce qui a trait à l'homosexualité, est alors combattu avec férocité. En réalité, il existe beaucoup plus d'homophobie que d'homosexualité en prison. Et ce, d'autant plus que chacun est confronté, dans son intimité, à ses propres désirs. En effet, chez les personnes emprisonnées pour de longues périodes, la question du désir homosexuel finit souvent par surgir. Quand vous n'avez plus de relation de tendresse ni de pénétration, tout ceci vous manque à un tel point que vous finissez par éprouver, à contrecoeur, un désir pour les seuls corps que vous avez sous les yeux et qui sont du même sexe que vous. Certains parviennent à transcender ce manque dans autre chose. Mais, pour d'autres, il va falloir prendre une décision pour parvenir à préserver son « être sexuel ».

Les détenus souffrent finalement plus de la perte du sentiment d'altérité qu'offre la relation amoureuse que de l'absence de relations sexuelles proprement dites...

De fait, on ne peut pas réduire la sexualité en prison à la seule question du plaisir. Bien sûr, certains hommes présentent volontiers une image brute de leur sexualité, car cela les arrange dans la perspective d'une reconstruction de l'image de soi. Mais, au fond, les hommes comme les femmes ont besoin de l'autre dans une perspective qui n'est pas purement sexuelle. Ce qu'ils veulent, c'est d'abord être désirés et désirants, représenter quelque chose pour quelqu'un, se sentir vivants dans le regard de l'autre.

Les unités de vie familiale (UVF) permettent-elles de répondre à ce besoin ?

Les moments passés dans ces unités de vie familiale sont des temps suspendus. Les détenus y éprouvent à nouveau le sentiment d'être comme à l'extérieur. L'angoisse liée à la perte de puissance et de la capacité à aimer est mise entre parenthèses. Néanmoins, au-delà des UVF, les détenus souhaitent majoritairement bénéficier de permissions à l'extérieur pour se réapproprier les sentiments propres à la vie du dehors. Mais ce n'est pas toujours possible, car certains individus sont trop dangereux pour qu'on les laisse sortir. D'où l'utilité des unités de vie familiale. Malheureusement, on n'en compte actuellement que 7 sur les 194 établissements pénitentiaires existant en France. C'est absolument dérisoire. De plus, ces unités sont réservées à ceux qui ne sont pas permissionnables. Ce qui est logique, mais il faut savoir que 80 % des détenus permissionnables ne sortent jamais. En outre, il n'existe aucune UVF dans les 114 maisons d'arrêt dans lesquelles, en raison du manque de place dans les établissements pour peine, on trouve aussi des condamnés.

Cette place ambiguë de la sexualité en prison n'est-elle pas révélatrice du fonctionnement du système carcéral en France ?

Parler de la sexualité en prison est effectivement une manière de comprendre l'institution carcérale et sa logique. Or le constat que je dresse est amer et négatif. L'Etat ne se contente pas de contrôler la liberté d'aller et de venir des personnes condamnées, ce qui est la définition légale de la peine d'emprisonnement. Il exerce aussi un pouvoir sur le désir et le plaisir des individus, ce qui est une sorte de double peine. Pourquoi ne bouge-t-on pas sur ces questions en France ? Parce que la société n'est pas prête. Dès que l'on essaie d'humaniser le système, les gens hurlent à la « prison quatre-étoiles ». Quel politique aura le courage de combattre le présupposé selon lequel on est en prison pour souffrir ? La prison française est pourtant particulièrement dangereuse pour la société, en raison même de cette négation de l'individu, de sa dignité et de sa capacité de relation à l'autre.

REPÈRES

Juriste et docteur en sociologie, Arnaud Gaillard publie Sexualité et prison (Ed. Max Milo, 2009). Il est également secrétaire général du Réseau d'alerte et d'intervention pour les droits de l'Homme (RAIDH) - lequel lance une pétition pour le droit à l'intimité des personnes détenues (www.raidh.org). Il coordonne par ailleurs le 4e Congrès mondial contre la peine de mort, qui aura lieu à Genève en février 2010.

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