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Entrée de secours

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Parce que les urgences sont parfois le seul lieu de soins des personnes victimes de violences, l'hôpital de la Cavale blanche, à Brest, a mis en place une unité d'accueil expérimentale composée d'une infirmière, d'une psychologue et d'une assistante sociale. Leur rôle : écouter les patients et les orienter vers les partenaires de l'aide aux victimes.

Le téléphone contre l'oreille, Marie-Aude Argouarc'h s'est calée dans le fond de son fauteuil. Elle parle peu, laisse son interlocutrice déverser son angoisse, mais tente de la rassurer : « Votre avocat a dû vous dire comment les choses allaient se passer... Monsieur est en prison, vous êtes en sécurité pour faire vos démarches. » Derrière son bureau, une affiche évoque un dessin d'enfant. Une famille au complet, devant une maisonnette à cheminée, avec un petit chien et un grand soleil. Le père enlace la mère, qui tient son bras plâtré en écharpe. « C'est un homme comblé, proclame le texte. Une maison, deux enfants, un chien et une femme battue. » Marie-Aude Argouarc'h est assistante de service social au centre hospitalier universitaire (CHU) de la Cavale blanche, à Brest (Finistère). Avec Nathalie Le Moigne, infirmière, et Kristell Menez, psychologue, elle anime l'unité d'accueil des victimes de violences conjugales et familiales (UAV)(1), un dispositif expérimental d'accueil et d'orientation créé en octobre 2008 au sein même des urgences. Après trois quarts d'heure de conversation, elle finit par raccrocher. « C'est une dame qui se sépare de son mari, avec des angoisses majeures, explique-t-elle. Nous l'avons déjà rencontrée, et elle est très bien suivie à l'extérieur. Je ne refuse pas de la prendre au téléphone, mais je ne lui propose pas de rendez-vous, pour éviter l'éparpillement. »

L'hôpital, témoin de la maltraitance

A Brest, l'équipe des urgences était sensibilisée au problème des violences domestiques bien avant la création de l'UAV. En effet, les urgences constituent pour les personnes maltraitées un lieu de passage privilégié, et parfois leur seul espace de soins. Le rôle de l'hôpital dans le repérage des cas de maltraitance et l'activation du réseau d'aide aux victimes est donc primordial. Depuis 1997, le CHU de Brest est ainsi reconnu comme pôle de référence régional d'accueil et de prise en charge des victimes de violences sexuelles ou de maltraitance. Les liens avec ses partenaires - le parquet de Brest, la police nationale, la gendarmerie, le centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), l'association Emergences et la mairie - ont été formalisés en 2002 par la signature d'une convention. L'action d'Yvonne Nicol, assistante sociale au CHU, a également aidé à préparer les esprits. « Dès 1998, j'avais créé un groupe de travail avec Pascale Fodella, cadre de santé, notamment pour mettre en place une procédure de prise en charge spécifique, raconte-t-elle. A l'époque, nous n'avions aucun outil de travail. Une fois soignées, les femmes repartaient avec leurs bosses, leurs pensées et leur calvaire. Pour certains soignants, au-delà du plâtre, ce n'était plus leur boulot. Et ceux qui voulaient bien faire avaient l'impression de sortir du cadre. » Instauration d'une fiche de recensement pour évaluer les besoins, formation du personnel, publication d'une plaquette d'information destinée au public, systématisation du signalement à l'assistante sociale et au psychiatre, etc., autant d'initiatives lancées dans le cadre de ce groupe. Les deux professionnelles avaient également mis en relief l'importance du certificat médical. « Le certificat médical initial constitue une preuve médico-légale, rappelle Yvonne Nicol. Pourtant, la plupart des médecins ignoraient comment le rédiger correctement, ou étaient mal à l'aise avec l'évaluation de l'incapacité totale de travail (ITT). Et certains avaient l'impression qu'on leur demandait d'accuser quelqu'un. »

La création de l'UAV relève, elle aussi, d'une logique partenariale avec une coordination entre les fonctions médicale, psychologique et judiciaire, dans un arrondissement dépourvu d'unité médico-judiciaire (UMJ) et de médecins légistes. Dispositif d'écoute et d'accès au droit, l'unité est alertée lorsqu'un patient reçu aux urgences se plaint de mauvais traitements commis par une personne de sa famille, ou que des signes laissent supposer qu'ils se produisent. Mais les victimes ne sont pas toujours les patients. Parfois, c'est l'accompagnateur qui subit des violences, comme cette « petite dame triste » observée une nuit par Nathalie Le Moigne. « Elle se tenait dans la salle d'attente, sans bouger, elle ne demandait rien. Je suis allée lui parler, et elle a sauté sur l'occasion. Son mari était violent, elle avait appelé la police, et ils l'avaient conduit aux urgences psychiatriques. » Cette année, entre janvier et septembre, 54 personnes ont été reçues par l'équipe de l'UAV. D'abord de façon informelle par l'un des membres de l'équipe, qui rencontre le patient pour lui présenter l'unité, évoquer s'il le souhaite ce qui l'a conduit à l'hôpital, et qui lui propose de revenir plus tard, sur rendez-vous. Malgré la douleur physique, l'angoisse, la désorientation, le moment de l'urgence peut favoriser la parole : « On sait que c'est au moment de la crise que les personnes victimes de violences intrafamiliales sont prêtes à dire les choses, note Brigitte Rolland, responsable du centre d'hébergement d'urgence Kastell Dour, qui accueille notamment des femmes battues. Le lendemain, déjà, elles ne sont plus dans la même écoute. » L'objectif n'est cependant pas d'assurer un suivi, mais bien d'amorcer des démarches et d'orienter les personnes vers les partenaires compétents.

Une équipe à temps partiel

L'UAV a été, pour un an, financée à égalité par le fonds interministériel de prévention de la délinquance (39 800 € ) et par le contrat urbain de cohésion sociale (CUCS), abondé par Brest métropole océane (32 800 € ) et le conseil général (7 000 € ). Seule l'infirmière est titulaire : elle faisait déjà partie de l'équipe des urgences. Vacataires, l'assistante sociale et la psychologue ont toutes deux été recrutées pour l'unité. Ces trois professionnelles n'interviennent à l'UAV qu'à temps partiel. Marie-Aude Argouarc'h travaille une journée par semaine dans un centre de rééducation. Les autres jours, elle partage son temps entre l'UAV et le service social de l'hôpital. « Je porte le bipeur des urgences deux jours et demi par semaine, détaille-t-elle. De fait, les deux fonctions sont très intriquées. » Kristell Menez est présente vingt-cinq heures par mois. « Clinicienne d'orientation psychanalytique », elle intervient également auprès d'adolescents dans une structure associative. Pour sa part, Nathalie Le Moigne suit le roulement des urgences, en alternance avec l'UAV.

Rarement présentes toutes les trois en même temps, les membres de l'équipe assurent un accueil uniquement en journée, au plus tard jusqu'à 19 heures. « La nuit, l'accueil est assuré par les soignants, qui délivrent quelques informations de base et nos coordonnées, précise Nathalie Le Moigne. Nous recevons beaucoup de femmes victimes de violences conjugales qui préfèrent de toute façon prendre rendez-vous quand leurs enfants sont à l'école et leur mari au travail. Parallèlement à l'accueil, l'équipe réalise un important travail institutionnel en préparant les réunions du comité de pilotage, qui regroupe les services sociaux, les représentants des pouvoirs publics et des élus ou médecins. Elle élabore également des tableaux statistiques qui recensent toutes les caractéristiques des passages à l'UAV (identité, type de violence et historique, vulnérabilité, possibilités d'hébergement, démarches engagées, etc.), mais aussi, à partir des fichiers médicaux, des personnes victimes de violences familiales qui n'ont pas contacté l'unité. Objectif : évaluer les besoins et la pertinence du dispositif.

Dans cette structure toute neuve, chaque intervenante a dû trouver sa place. Kristell Menez propose des entretiens individuels, en différé, pour une première verbalisation. « Il arrive que je ne rencontre les personnes qu'une fois, souligne-t-elle. Je leur indique immédiatement où elles pourront poursuivre ce travail. Mais les délais d'attente à l'extérieur sont parfois très longs, ou bien les personnes ne souhaitent pas poursuivre leur réflexion ailleurs. Dans ce cas, je peux les accueillir et respecter le temps de chacune. Et grâce à la pluridisciplinarité de l'équipe, je peux me concentrer sur la réalité psychique. » La réalité matérielle, c'est la partie de Marie-Aude Argouarc'h. « Je peux organiser un hébergement en urgence ou accompagner vers un dépôt de plainte, et effectuer une première analyse de la situation. Mais je ne peux pas poursuivre l'accompagnement social aussi loin que mes collègues de secteur, explique-t-elle. Je travaille donc beaucoup en lien avec elles. » Le rôle de l'infirmière est plus difficile à définir. Le projet de l'unité prévoyait qu'elle puisse soulager l'infirmière de secteur. « Finalement, c'est assez rare. Les collègues assurent les soins et mon intervention médicale est plutôt réduite, constate Nathalie Le Moigne. En revanche, je peux réexpliquer aux personnes ce que leur a dit le médecin, et surveiller l'évolution des lésions... Et je joue principalement un rôle de liaison entre le personnel soignant et l'UAV. »

L'adhésion du personnel soignant

Les soignants, il est vrai, sont en première ligne dans l'accueil des victimes de violences. Du côté des infirmiers, la présence de Nathalie Le Moigne au sein de l'unité a facilité l'appropriation du dispositif. « Elle vient du cru des urgences, elle connaît les personnels et les procédures, résume Pascale Fodella, cadre hospitalière. Le message serait passé de toute façon, mais cela aurait peut-être pris plus de temps. » Tous les infirmiers n'ont pas eu l'occasion d'alerter l'unité, mais tous soulignent son utilité. « Avant, on essayait de parler un peu avec les patients, mais sans savoir quoi faire pour les aider, témoigne Maryline Menes, aux urgences depuis 2007. Maintenant, de jour, on bipe l'équipe et, de nuit, on laisse aux personnes une petite carte avec les coordonnées de l'unité. » James Osmont, infirmier psychiatrique, est plus nuancé : « Aux urgences chirurgicales, c'est simple. Il y a des plaies parce qu'il y a des coups. Alors on appelle l'UAV. En psychiatrie, c'est plus compliqué. Chez un patient qui a commis une tentative de suicide au terme d'un harcèlement, on doit repérer la demande, savoir ce qu'il vient chercher. Si, au premier plan, il y a un besoin d'hospitalisation ou de médicaments, le recours à l'UAV est moins pertinent. » De son côté, l'unité veille à informer les soignants des suites données aux cas signalés. « Un jour, j'ai reçu une femme avec des hématomes sur les bras et des marques à la tête, se souvient Géraldine Peoc'h, infirmière. Encouragée par la présence de sa soeur, elle a parlé de la violence de son mari. Après l'entretien, je lui ai présenté l'UAV et, par la suite, j'ai appris qu'elle avait contacté l'unité pour se faire aider. »

Point de départ et de repérage, l'UAV ne pourrait jouer son rôle sans ses partenaires. Tissés par Yvonne Nicol, les liens sont particulièrement étroits avec le CIDFF, le service d'aide aux victimes d'infractions pénales de l'association Emergences et le foyer d'urgence Kastell Dour, géré par l'Association pour l'animation et la gestion de l'emploi et l'hébergement en Bretagne (AGEHB), cette dernière étant responsable du 115 sur le département. A la création de l'unité, les trois membres de l'équipe ont pris soin de présenter leur dispositif aux juristes des associations, aux médecins des autres hôpitaux ou encore aux travailleurs sociaux des centres d'hébergement. « Cela nous a permis de voir les locaux, en particulier ceux des foyers qui accueillent des femmes, raconte Marie-Aude Argouarc'h. Ainsi, quand nous leur proposons d'y aller, nous pouvons leur décrire les lieux, les rassurer. » De même, en ayant rencontré ses confrères, la psychologue Kristell Menez peut affiner ses orientations. « Nous ne travaillons pas tous de la même façon, et nous ne pouvons ignorer la question du transfert, souligne-t-elle. Si la personne a juste besoin de parler d'un épisode, ou si elle a besoin d'un travail sur le long terme, je ne l'adresserai pas au même endroit. » Les échanges entre l'unité et ses partenaires fonctionnent dans les deux sens. « L'UAV nous appelle pour organiser l'hébergement des femmes qui ne savent pas où aller ou qui ne veulent pas rentrer chez elles, décrit Brigitte Rolland, responsable du foyer Kastell Dour. A l'inverse, nous pouvons envoyer des femmes du foyer faire constater des coups à l'hôpital, en utilisant l'unité comme un sas. »

Une collaboration indispensable, tant la prise en charge des victimes de violences est faite de hauts et de bas, d'avancées et de retours en arrière. « Ce n'est pas parce qu'une personne qui subit des mauvais traitements se présente aux urgences qu'elle est prête à se lancer dans des démarches, insiste Lætitia Guen, du CIDFF. C'est un long cheminement personnel. » Il a ainsi fallu un mois à l'UAV pour gagner la confiance d'une dame âgée battue par son fils. Envoyée aux urgences par l'assistante sociale de secteur, qui avait constaté des hématomes, la vieille dame est longtemps restée sur la défensive, terrorisée à l'idée de dénoncer les violences qu'elle subissait. « Elle a été admise aux urgences gérontologiques pour l'ensemble de ses problèmes de santé et, petit à petit, elle s'est confiée, raconte Marie-Aude Argouarc'h. Elle a fini par porter plainte, et elle vit aujourd'hui dans une maison de retraite. » Parfois, la personne victime de violences n'attend qu'un déclic. « J'étais déjà venue plusieurs fois aux urgences, et on ne m'avait parlé de rien, témoigne une femme. Le jour même, j'avais trop de choses en tête, mais le matin du rendez-vous, en me levant, je savais que je voulais y aller. C'était la première fois qu'on me disait qu'il y avait des solutions. Petit à petit, les membres de l'équipe m'ont fait comprendre que j'étais capable, sans me forcer à rien. » Puis, évoquant la culpabilité, la peur : « Je sens que je suis plus combative, mais ça reste très dur, et ce n'est pas fini. » Une autonomisation nécessaire, mais toujours difficile. « Chacun a son histoire de vie, développe la psychologue. Ne pas enlever toute responsabilité à ces femmes en les plaçant dans un statut de victime permet de préserver leur place de sujet, plutôt que de les cantonner à une place d'objet. C'est touchant de voir une femme, qui jusque-là ne s'autorisait rien, découvrir qu'elle a des droits. »

Respecter l'attente de la personne

Les membres de l'équipe ont dû apprendre à composer avec ces variations. « Il faut s'asseoir sur ses propres attentes, résume Kristell Menez. Quand on veut qu'une femme s'en sorte, de qui est-ce l'envie ? Est-ce la sienne ou celle du professionnel ? Nous accompagnons les personnes, qu'elles choisissent de demeurer avec le proche qui se montre violent, ou qu'elles envisagent une séparation. Ici, pas de jugement, les femmes peuvent revenir et tenter de comprendre pourquoi elles font tel ou tel choix. » Une raison supplémentaire de travailler en partenariat : « Les gens doivent pouvoir picorer au gré de leurs attentes, note Jean-Marie Bayrand, de l'association Emergences. Aucun professionnel n'a la réponse à lui tout seul, et les personnes peuvent avoir besoin de passer de l'un à l'autre. » L'objectif a minima de l'UAV reste donc de délivrer les informations indispensables. « On explique, par exemple, aux femmes qu'elles doivent soigneusement garder le certificat médical, même si elles ne comptent pas s'en servir dans l'immédiat. Parce qu'il est valable trois ans, et que le jour où elles voudront entamer une procédure, il sera très utile », précise Marie-Aude Argouarc'h. Une intervention qui semble porter ses fruits. « Quand on reprend les choses au foyer, confirme Brigitte Rolland, de Kastell Dour, on sent que les personnes sont plus réceptives, qu'elles ont déjà entendu parler de toutes les démarches qu'on leur propose. »

Pour l'équipe de l'UAV, comme pour les soignants et les partenaires, la principale question reste aujourd'hui celle de la pérennisation du service. Les financements ont été reconduits pour 2010, en attendant le relais des financements de droit commun. A condition de pouvoir justifier de l'efficacité du dispositif. Mais les résultats sont très difficiles à quantifier. Ainsi, dans ses statistiques, l'UAV a dû modifier l'intitulé « dépôt de plainte » en « intention de déposer plainte ». Un chiffre, pourtant, suffit à mesurer l'utilité de l'UAV : avant sa création, seule une dizaine de patients était reçue chaque année par l'assistante sociale du CHU au titre des violences intrafamiliales.

Notes

(1) UAV : Hôpital de la Cavale blanche - Boulevard Tanguy-Prigent - 29609 Brest cedex - Tél. 02 98 34 74 65.

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