En analysant les « récits de vie » de 20 jeunes condamnés à de courtes peines en quartiers pour mineurs de deux maisons d'arrêt et d'un centre pénitentiaire en 2007-2008, collectés pendant leur détention et quelques mois après leur sortie, une étude du Cesdip (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales) dirigée par Gilles Chantraine (1), chargé de recherche au Clersé (2)-CNRS-Université de Lille-1, lève le voile sur un aspect méconnu de l'incarcération des adolescents : leur rapport subjectif à l'enfermement et, indépendamment des champs criminologique et pénologique, l'effet de la détention sur leur trajectoire sociale. La détention débouche-t-elle sur des perspectives nouvelles ou, au contraire, l'incertitude et l'impasse ? Engendre-t-elle des rêves de normalité ou nourrit-elle la rébellion ? Laisse-t-elle des stigmates ? Explorer ces questions en donnant la parole aux détenus ainsi qu'aux personnels intervenant en prison, même avec les limites d'une enquête menée sur une courte période, est une manière de combler un vide en matière de connaissance du milieu carcéral, pointe le rapport. Car, hormis les travaux de l'ethnologue Léonore Le Caisne, chargée de recherche au CNRS (3), l'enfermement des mineurs, tout comme les conditions de leur libération, constituent un « domaine sous-étudié de la sociologie de la prison ». Un autre enjeu - non des moindres - est de ne pas oublier les conditions de détention dans les quartiers pour mineurs, où se trouvent aujourd'hui la majorité des jeunes incarcérés. D'autant que ces lieux ne seront pas tous remplacés par les nouveaux établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), dont l'objectif est de donner à la prison une dimension avant tout éducative, mais dont l'évaluation reste à réaliser. « La focalisation médiatique sur les EPM apparaît comme une contradiction, voire une aberration, estime le sociologue. En réclamant l'abolition de ces structures sans remettre en cause le fonctionnement quotidien des quartiers pour mineurs, on a occulté une partie du débat. »
Si le nombre de mineurs incarcérés reste relativement stable, la prison est désormais présentée, dans le contexte d'une justice pénale des mineurs tournée vers la responsabilisation et la sanction, comme une nécessité pour les plus récalcitrants, afin de donner un « coup d'arrêt » à la spirale de la délinquance et de la récidive. Mais en même temps que la législation l'a ancrée dans le parcours pénal des mineurs, elle revêt un objectif éducatif concrétisé en 2002 par l'intervention des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) en détention. Reste que cette ambition tranche, même si la situation varie d'un établissement à l'autre, avec la réalité de la vie carcérale qui subsiste dans les quartiers pour mineurs : insuffisance de l'offre de scolarisation, porosité avec les quartiers pour majeurs, rupture des liens familiaux, violence entre les détenus, impératif sécuritaire qui « colonise avec plus ou moins de force l'ensemble des logiques d'action en détention »... En prison, juge Gilles Chantraine, « la logique protectionniste est réduite à sa portion congrue ». Si leurs points de vue sont hétérogènes, les éducateurs rencontrés dans le cadre de l'enquête estiment quant à eux que le coeur de leur mission consiste surtout à mettre en place des aménagements de peine et à faire sortir les jeunes de détention. Certains rejettent tout rôle constructif pendant l'incarcération, sans bien sûr l'admettre devant les détenus. D'autres estiment au contraire que « l'échec des mesures et sanctions pénales dont ont été précédemment objet les jeunes sont le produit d'un «manque de motivation» » et envisagent la souffrance liée à l'enfermement comme un support de stimulation. Il arrive d'ailleurs que des jeunes acceptent davantage la décision d'incarcération qu'un placement en foyer, parfois décrit comme très insécurisant, tandis que le dispositif sécuritaire de la prison est censé protéger des violences. Tel ce jeune de 16 ans, dont le parcours est « dans l'impasse », marqué par la déscolarisation, les addictions, les violences. Il préfère lui-même faire « une pause » en détention, qui devrait lui « faire comprendre ».
Dans la majorité des cas, comme l'a déjà démontré Léonore Le Caisne (4), les jeunes racontent la prison comme un épisode marqué par le sceau de « l'inéluctabilité », après de multiples condamnations, des placements en foyer, en centre éducatif renforcé ou en centre éducatif fermé. « D'un point de vue massif, les incarcérations ne sont pas tant motivées par la gravité des faits que la lassitude des juges », explique le sociologue. Mais « là où on pourrait s'attendre à rencontrer des jeunes révoltés, éprouvant un fort sentiment d'injustice, ou à des discours-valises sur le traitement de la pauvreté, ce qui frappe, c'est l'intégration par ces jeunes de l'ordre des choses. D'une manière contre-productive, pour résister à la prison, ils la banalisent en tant qu'expérience. »
Qu'elle soit vécue comme un passage douloureux où l'on « engrange les souffrances », comme disent certains, ou une parenthèse dans laquelle on accepte de « faire son temps », la prison est l'aboutissement d'un parcours pour ceux « qui n'ont pas de freins ou de boucliers sociaux pour l'éviter », commente Gilles Chantraine. Quand ce sentiment est vécu comme l'expression d'un destin personnel, le mineur met en avant une série de « handicaps », comme la pauvreté, la déscolarisation, la multiplication des condamnations liées à la nécessité de survivre. La délinquance est alors décrite comme un « choix contraint ». L'histoire de Jean, 17 ans, en détention dans le cadre d'un mandat de dépôt d'une durée de quatre mois renouvelables deux fois pour trafic de drogue, en témoigne. Placé à 12 ans en foyer au titre de l'enfance en danger, il a déjà eu affaire à la justice pour vol et son passé familial est marqué par la prison. « J'ai eu l'argent facile, après, j'ai pas su m'en passer. » Au sujet de Thierry, du même âge, qui a connu un alcoolisme massif et des condamnations multiples, les rapports, notamment celui d'un institut médico-psychologique, constatent « l'inadaptation » de leur propre dispositif. La détention renforce l'isolement de ce jeune, d'une part parce que son comportement lui vaut un régime de détention sévère, d'autre part parce que ses stigmates sociaux font de lui une victime des autres détenus.
Face à un tel sentiment d'inéluctabilité, les jeunes adoptent deux types de discours. Ils peuvent parler du système comme d'un dispositif avec lequel il s'agit de ruser, dans un esprit de résistance tactique pour obtenir la faveur des juges ou de meilleures conditions de détention. Autrement dit, « l'encadrement sociojudiciaire et le système pénal font partie du monde social des intéressés, sans qu'un autre monde soit envisagé ». Dans un autre registre, ils peuvent avoir une position très critique à l'égard des politiques publiques, tant en termes de justice pénale que d'actions en direction des jeunes de cités. Cette « politisation » est d'ailleurs liée à un autre processus : la perception de la prison comme une « expérience collective ». Ce qui leur permet d'atténuer la gravité de la situation, de la dédramatiser, de « désingulariser » les parcours individuels. Ainsi, « les garçons construisent des communautés d'appréciation symboliques qui leur permettent d'expliquer leurs conduites sans avoir à s'interroger sur eux-mêmes ». Les délits ne sont pas associés à la moralité d'un individu, mais à celle d'un groupe. Dès lors, les effets de l'institution restent limités pour ces jeunes, unis par des liens tissés à l'extérieur ou inventés en prison. Cette « collectivisation de l'expérience » est aussi un moyen de se protéger de la violence des autres détenus et d'anticiper les incarcérations suivantes, notamment en quartier pour majeurs, dans une logique de « professionnalisation délinquante ». Après un transfert en EPM, Jean a ainsi été transféré à 18 ans chez les majeurs : « La prison, ça sert à rien. En prison, tu connais des gens, ils t'apprennent des trucs, tu deviens pire. » Le paroxysme est atteint quand l'incarcération est assimilée à un « rite de passage » : elle paraît nécessaire « pour devenir un homme » ou même préférable lorsque l'on est mineur pour éviter d'y retourner en tant que majeur. « Ça m'a fait comprendre en fait. Il aurait fallu que j'y aille avant », dit Jonathan, 17 ans, placé en liberté provisoire en foyer après trois mois d'incarcération.
Le rapport se penche aussi sur les incarcérations pouvant être interprétées comme des « ruptures biographiques ». Moins fréquentes, celles-ci concernent des jeunes impliqués dans des actes graves, mais se retrouvant en détention sans avoir, avant les faits qui leur sont reprochés (vol de voiture à main armée, incendie d'autobus, agression...), de dossier pénal. L'incarcération, qui rompt dans ce cas l'image du jeune auprès de son entourage, est vécue comme un « choc social », qui peut néanmoins être amoindri par sa capacité à nouer de bonnes relations avec les surveillants et le soutien de sa famille. Il s'agit alors de donner à la prison « le statut d'une parenthèse biographique, autrement dit de limiter les stigmates liés à l'enfermement », par exemple en cachant l'incarcération aux petits frères, à l'entourage, et de reprendre, autant que faire se peut, une activité normale après la sortie.
Mais pour beaucoup, cet accident est néanmoins lié à un environnement de vie détérioré, à une trajectoire socio-éducative déjà fragilisée. C'est ce que montre le récit d'Alain, 17 ans, en détention provisoire à la suite d'un accident de voiture qui a causé la mort de son cousin. Si ce jeune paraît se distinguer des autres détenus par le motif de sa peine, il partage avec eux un ensemble de caractéristiques sociologiques : pauvreté, chômage, suivis psychologique et éducatif précoces... « Alain ne parvient pas à donner un sens à cette détention », relate le chercheur. Après dix mois de détention, « on est tenté, en l'écoutant, de voir, après une période de souffrance en prison, un simple retour à la galère dans la cité ».
Autre cas de figure : le jeune peut avoir été impliqué dans des actes de délinquance tout en « sous-évaluant » le risque pénal. C'est le cas d'Abdé, en seconde générale d'une classe européenne d'un « bon » lycée, une exception en quartier pour mineurs. Avant l'affaire pour laquelle il a été mis en détention provisoire - un incendie de bus -, il était inconnu des services sociaux et judiciaires. Malgré une « détention exemplaire », souligne le rapport, « le récit d'une journée quotidienne typique par Abdé montre bien l'enjeu de la vie en prison : tuer le temps ». Après plus de quatre mois de détention, la sortie d'Abdé est caractérisée par un tiraillement : d'un côté, ce jeune souhaite reprendre « une vie normale », de l'autre, la longueur des mesures judiciaires et des contrôles dont il fait l'objet l'en empêche.
Plus rarement, le jeune peut avoir été complètement ignorant du risque pénal encouru. Comme Ricardo, 17 ans, né en Colombie, dont la vie est caractérisée par la pauvreté, la violence et le déracinement. En détention pour coups et blessures volontaires - il a agressé trois personnes au couteau -, il n'avait jamais fait auparavant l'objet de suivi éducatif. A ses yeux, l'incarcération ne fait pas sens. Selon lui, la prison accentuerait même les risques de passage à l'acte : « Ça me rend dépressif et si on est dépressif on est très dangereux. » Après deux mois d'incarcération, les obligations auxquelles il est contraint (interdiction de sortir de chez lui sauf pour se rendre à l'école...) contribuent à restreindre son réseau de sociabilité.
Entre deux et sept mois après la première série d'entretiens en quartiers pour mineurs, certains jeunes ont été, selon la suite de leur dossier pénal, réincarcérés, maintenus en détention ou envoyés en centre éducatif renforcé ou en centre éducatif fermé. D'autres ont été placés en foyer ou en famille d'accueil, ou sont retournés chez eux ou chez un membre de leur famille. Mais même pour ces derniers, explique Gilles Chantraine, il existe quasiment toujours une « incertitude pénale », provoquée par l'attente d'un jugement, « la crainte que d'autres affaires ne tombent » ou les mesures judiciaires en cours. Une fois libérés, les adolescents redoutent en effet que, loin d'être la fin d'une trajectoire pénale, leur passage derrière les barreaux soit un « facteur de renforcement de contrôle social » du fait des mesures dont ils font l'objet - contrôle judiciaire, liberté surveillée ou sursis avec mise à l'épreuve. Ils craignent aussi le début d'ennuis à répétition : « Je pourrai revenir pour rien », disent-ils souvent. Trois mois après sa libération, Thierry dit ainsi avoir arrêté les délits, retrouvé une sociabilité, être inscrit à l'« armée de la seconde chance ». Mais pour lui comme pour son éducatrice, la prison semble n'avoir eu l'effet que d'une « neutralisation » temporaire : « Ma jeunesse, je l'ai foutue en l'air... Je m'en sortirai pas dans la vie, je le sais. »
Dans de rares cas, pointe le rapport, l'épreuve carcérale permet néanmoins aux détenus d'ouvrir progressivement « d'autres possibles ». Il n'en reste pas moins que l'effet dissuasif de la peine fonctionne essentiellement chez des jeunes solidement pris en charge à leur sortie. « Ceux qui disposent des supports qui constitueront un frein social puissant à l'incarcération », explique Gilles Chantraine. « Les choses sont plus compliquées face à des troubles psychiatriques, des situations d'analphabétisation, d'addiction, des environnements familiaux destructeurs. » Autrement dit, la prison s'avère « efficace » dans des cas où l'on aurait pu l'éviter en mobilisant d'autres actions d'accompagnement et de soutien.
Nombreux sont les jeunes qui mettent en valeur la « volonté de s'insérer ». Mais ces discours apparaissent, selon le sociologue, soit comme convenus, soit comme déconnectés des capacités réelles d'initiative des acteurs, faute de projets réalistes ou rapidement mobilisables. Parfois, la réflexion « salvatrice » sur la prison tient plus de la peur de souffrir à nouveau entre quatre murs que d'une réelle reprise en main de son destin. La marge entre les espérances et les « conditions objectives de l'existence » expliquent l'ambivalence des récits des jeunes détenus : « Désir de s'insérer d'un côté, peur de revenir en prison et sentiment que ce retour est possible, voire probable, de l'autre. » La prison est alors perçue comme inutile, stigmatisante, donc porteuse de fragilités, même criminogène. D'où cette conclusion pessimiste : « le passage par la prison ne prend sens qu'au sein d'une trajectoire d'enfermement », non seulement institutionnel, mais aussi territorial et social. « La prison, par la souffrance qu'elle induit, fait rêver d'une autre vie, mais ne vient pas (ou extrêmement rarement) renforcer les capacités d'initiative des acteurs qui permettraient ce changement. » Dès lors, la réflexion sociologique et l'analyse biographique rejoignent inéluctablement les interrogations sur le sens pénal de l'incarcération des mineurs, telles qu'elles sont posées par ses détracteurs. « Entre le constat que tout est possible à partir de la prison et celui que la détention est forcément salutaire, faisant du «coup d'arrêt» un argument pénologique, il y a un saut qui rompt avec tout ce que les professionnels de l'enfance connaissent, à savoir qu'il faut du temps pour travailler sur le sens », défend Gilles Chantraine. L'auteur propose au final de « quitter le terrain correctionnaliste de la «réforme du délinquant» » pour s'intéresser à la restauration de la capacité d'initiative des jeunes, alors que la prison est plutôt caractérisée par une forme de déresponsabilisation. A charge des institutions, recommande-t-il, de « sécuriser » les existences des jeunes délinquants. Et il n'est pas sûr que la toute nouvelle loi pénitentiaire, les établissements pénitentiaires pour mineurs, le prochain code de justice pénale des mineurs et toutes les politiques en direction de l'enfance et de la jeunesse réussissent à relever le défi.
Membre du Syndicat national des psychologues, psychologue de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) en milieu ouvert à Paris, Bénédicte Graingeot estime que la détention a des effets contre-productifs sur la construction de la personnalité.
Quels sont les effets de la détention sur les mineurs selon vous ?
La majorité des mineurs détenus, contrairement aux majeurs, sont en détention provisoire, ce qui a une incidence sur leur manière de considérer la justice et leur détention. Ils sont par ailleurs en pleine adolescence, la période de toutes les remises en question, alors que l'histoire personnelle et les problèmes des jeunes suivis par la PJJ font qu'ils ont souvent une crise identitaire particulièrement aiguë. Or que leur offre-t-on à ce moment comme modèle identificatoire ? Celui d'une marginalisation réussie, déjà présente dans leur quartier et renforcée en prison auprès de ce qui devient un groupe de pairs. Le temps de l'adolescence ne se décompte pas non plus comme celui de l'âge adulte. Deux mois de prison provoquent d'énormes dégâts en termes de désocialisation. La rescolarisation est d'autant plus difficile puisque, évidemment, les remises en liberté ne se font pas forcément en début d'année. La détention a aussi des effets sur leur famille : que dire aux petits pendant leur absence ? La situation leur est souvent cachée, même s'ils finissent par le savoir. Et personne n'a de la compassion pour les parents d'un enfant qui a été en prison.
Le risque est aussi de voir un sentiment de destinée familiale s'ancrer dans la fratrie. Les jeunes adoptent une attitude narcissique, car ils ne peuvent pas faire autrement que de rouler les épaules, mais au fond éprouvent un sentiment de condamnation définitive. Du coup, ils ont beaucoup de mal à s'investir dans des projets. Beaucoup me disent que ce qui a pu les soutenir, c'est leur étonnement devant l'insistance d'un adulte à créer du lien avec eux dans la durée. C'est pourquoi les orientations de la PJJ sont inquiétantes : elles ne permettront plus de prolonger ce lien par une mesure éducative civile, qui donnait la possibilité de considérer le jeune autrement qu'à travers son dossier pénal. Pourtant, il faut que les jeunes se restaurent eux-mêmes avant de restaurer leur capacité à avoir des projets.
Suivez-vous de l'extérieur les jeunes que vous connaissiez ?
La santé psychologique des jeunes détenus dépend du service médico-psychologique régional. Les psychologues de milieu ouvert qui les connaissent peuvent les soutenir, mais les conditions de visite rendent cet accompagnement difficile. La grande tendance parmi les magistrats est par ailleurs de vouloir profiter de ce moment pour mener une mesure d'investigation. J'y suis opposée, car le milieu carcéral n'est pas un milieu normal de vie ! Le jeune va forcément répondre à travers le prisme de sa privation de liberté. Et je n'imagine pas faire avec les détenus le même travail qu'en milieu ouvert, des entretiens qui font remonter beaucoup de souffrances, pour ensuite les voir renvoyés seuls dans leur cellule... Sauf à augmenter leur détresse et les risques qui vont avec ou à rendre au juge une investigation qui n'en serait pas vraiment une.
PROPOS RECUEILLIS PAR M. LB.
Au 1er juillet 2009, 767 mineurs étaient incarcérés, pour une capacité de 1 073 places. Parmi eux, 536 étaient détenus dans un quartier pour mineurs et 231 dans l'un des six établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM). Ces nouvelles structures accueillent jusqu'à 60 mineurs dans le cadre d'une prise en charge pluridisciplinaire, fondée sur un encadrement fort et une amplitude horaire large, et dans le cadre de laquelle les éducateurs interviennent en « binômes » avec les surveillants.
Cette répartition devrait pour l'heure rester stable, l'ouverture du 7e EPM, initialement prévue pour 2009 ayant été officiellement « mise en attente ». Tandis que 360 places en EPM ont été ouvertes, 383 places en quartiers pour mineurs ont été fermées, prioritairement dans ceux qui n'offraient pas de garanties en termes de normes. Si, au regard de la loi, il n'existe pas de distinction entre les EPM et les quartiers pour mineurs motivant le lieu d'exécution de la peine, ce qui n'empêche pas le magistrat d'émettre un voeu, « il existe une réflexion sur les critères d'affectation », explique-t-on à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse. Les détentions les plus longues ont tendance à favoriser un placement en EPM. Dans les faits, « l'articulation entre les deux dispositifs n'a pas été faite », déplore pourtant Alain Dru, secrétaire général de la CGT-PJJ. Selon lui, les éducateurs disent même que les quartiers pour mineurs sont devenus les « dépotoirs des EPM », les jeunes les plus durs y étant incarcérés.
Pour les mineurs, la durée moyenne de détention est de deux mois et demi et la part des prévenus incarcérés est passée de 75 % à 2002 à 60 % aujourd'hui. Le volume consacré aux activités éducatives et d'enseignement est en quartier pour mineurs d'au minimum 10 heures en 2009 (contre 35 heures en EPM), avec une part variable de l'enseignement selon l'implication et la disponibilité de l'Education nationale. Grande nouveauté de septembre 2002 : afin de ne plus faire de la prison un « temps mort » pour les mineurs, la loi d'orientation et de programmation pour la justice a introduit l'intervention continue de la PJJ dans les quartiers pour mineurs (1,5 éducateur pour dix mineurs). Jean-Louis Daumas, notamment ancien directeur du centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis et ancien directeur de l'Ecole nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, aujourd'hui conseiller de la garde des Sceaux chargé des mineurs, des victimes et de l'accès aux droits, estimait en novembre 2008 (5) qu'un espace éducatif en prison est possible à quatre conditions : le souci de la déontologie et de l'éthique par les professionnels qui y travaillent, le maintien d'un maillage territorial des services de la PJJ, l'accès des mineurs incarcérés à la culture et le développement des soins médico-psychologiques. Une perspective que ne partage pas le SNPES (Syndicat national des personnels de l'éducation et du social)-PJJ-FSU, qui ne croit pas à la dimension éducative dès lors qu'il y a privation de liberté : « Les éducateurs qui ont remplacé les conseillers d'insertion et de probation leur ont vraiment succédé dans leurs fonctions : ils sont simplement amenés à préparer le projet de sortie du mineur, affirme Carlos Lopez, membre du bureau du SNPES. L'essentiel de l'action éducative se fait à l'extérieur. » Plus globalement, la durée d'incarcération relativement courte et le temps de la présence éducative en quartiers pour mineurs ne permettent pas, pour beaucoup de professionnels, d'engager un travail éducatif suffisant. D'autres estiment que cette présence éducative contribue dans tous les cas à changer les effets de la prison sur les jeunes et à préparer leur réinsertion. « Nous sommes favorables à cette intervention, précise de son côté Laurent Hervé, secrétaire général du Syndicat de la protection judiciaire de la jeunesse-UNSA. Mais l'articulation de la prise en charge éducative en détention et dehors est perfectible. Dans les quartiers pour mineurs, cela est probablement plus facile qu'en EPM car les éducateurs sont rattachés à un service de milieu ouvert. » La continuité néanmoins est d'autant plus difficile à assurer quand le jeune, par exemple, est incarcéré loin de son domicile.
Autre problème : les mineurs sont peu concernés par les aménagements de peine, même si ces derniers ont tendance à se développer : « La brièveté des peines généralement prononcées à l'encontre des mineurs ou restant à exécuter après déduction de la détention provisoire rend difficile la concrétisation des aménagements de peine en cours d'exécution », explique Malika Cottet, juge des enfants à Bobigny, membre de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, qui souhaite engager une réflexion sur la spécificité des aménagements de peine pour les mineurs. Les prévenus peuvent quant à eux faire l'objet de mesures provisoires confiées à la PJJ telle que la liberté surveillée préjudicielle (de nature éducative) ou le contrôle judiciaire, qui peut être assorti d'un placement et de mesures visant à la réinsertion du jeune. Ceux qui ont purgé leur peine n'ont plus forcément de suivi éducatif après leur sortie. « Un autre moyen, mais d'une autre nature, est l'assistance éducative, mission dont malheureusement la PJJ se retire », ajoute Malika Cottet.
Si les réussites après la prison, heureusement, existent, les sorties sont incontestablement fragiles. Les « solutions types » n'existent pas, souligne en outre Alain Dru : « Un jeune peut rentrer en apprentissage le lendemain de sa sortie et péter un câble au bout d'une semaine parce qu'il décompense. » Selon une étude du ministère de la Justice d'octobre 2007 (6), le taux de réitération cinq ans après la condamnation initiale est de 67 % après une peine d'emprisonnement (76 % pour l'emprisonnement ferme) . Quoi qu'il en soit, les professionnels s'accordent à dire qu'en dépit de tous les efforts éducatifs, la lutte contre la récidive s'engage au-delà, sur le front de l'insertion dans le logement, dans l'emploi, et pour bon nombre du soin. Seul, l'éducateur ne peut pas grand-chose. Les missions locales sont souvent citées comme un relais à mobiliser davantage. Des expériences ont d'ailleurs été lancées et encouragées par le gouvernement (7).
(1) Trajectoires d'enfermement - Récits de vie au quartier mineur -
(2) Centre lillois d'études et de recherches sociologiques et économiques.
(3) Auteur de Avoir 16 ans à Fleury. Une ethnographie d'un centre de jeunes détenus - Ed. du Seuil, 2008.
(4) Voir ASH Magazine n° 26 du 4-04-08, p. 52.
(5) Lors des « journées nationales prison » organisées par le Groupe national de concertation prison sur le thème « Jeunes en prison : fin ou début des problèmes ? ».
(6) La réitération d'infraction après condamnation des mineurs - Disponible sur