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Travailler mieux pour vivre mieux

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Les travailleurs pauvres, ou salariés précaires, sont mal connus des institutions, qu'ils pensent d'ailleurs rarement à solliciter. Avec son programme expérimental Agir sur les transitions professionnelles (ATP), le plan local d'insertion de Cergy-Pontoise, dans le Val-d'Oise, entend les mener vers un emploi de qualité en s'adaptant à leurs difficultés spécifiques.

Dans son bureau vitré, au rez-de-chaussée de la société Marietta, Nadine Pelletier se faufile entre les cartons. Embauchée juste avant l'été, elle doit encore trouver ses marques. « J'assure le standard et l'accueil des clients et des salariés, détaille-t-elle entre deux appels téléphoniques. Je dois installer ma fonction, faire comprendre à tout le monde qu'il faut me prévenir quand il y a une réunion ou un rendez-vous à l'extérieur. » Il y a un an, Nadine Pelletier fabriquait des prothèses mammaires à la chaîne, en contrat à durée déterminée et en horaires décalés. Depuis juillet, elle a été recrutée comme chargée d'accueil, sur un poste en création, par cette entreprise de ménage située à Ennery (Val-d'Oise). « Il me fallait un emploi stable qui me permette de m'occuper de mes enfants, que j'élève seule, explique-t-elle. Ici, j'ai des horaires de bureau, un CDI... Ça change la vie ! » Si Nadine Pelletier, alors sans diplôme, avec juste un bon niveau troisième, a pu changer sa vie, c'est grâce à la formation : elle a obtenu le brevet professionnel de secrétariat et bureautique. Au premier étage des locaux, Eric Tétart, directeur général adjoint de Marietta, s'entretient avec Nathalie François, la directrice des ressources humaines (DRH). Il vient d'apprendre qu'Abdoulaye K., un laveur de vitres remplaçant qui a donné entière satisfaction et qu'il envisage d'embaucher, a reçu des propositions d'autres employeurs. « Il a de l'expérience, on pourrait lui faire passer le certificat de qualification professionnelle d'agent d'entretien », propose la DRH.

Point commun entre ces deux salariés, le dispositif Agir sur les transitions professionnelles (ATP). Un programme expérimental adossé au Plan local pluriannuel pour l'insertion et l'emploi (PLIE) de Cergy-Pontoise(1), dont le principe est simple : appliquer aux salariés précaires la méthodologie d'accompagnement individualisé du PLIE, en l'adaptant à leurs contraintes spécifiques. Ouvert au public en octobre 2008, ATP s'est fixé pour objectif l'accompagnement de 60 bénéficiaires par an, avec un taux de sortie positive de 60 %. L'accompagnement dure deux ans : la sortie n'est considérée comme positive qu'après réception par les chargées d'accompagnement de la treizième fiche de salaire en CDI à temps plein, ou avec deux CDI à temps partiel, ou en contrat de professionnalisation de plus de un an dans un secteur offrant de bonnes chances d'obtenir un emploi, comme le sanitaire et social(2).

En cours d'évaluation par le Crédoc

Sélectionné en avril 2008 dans le cadre d'un appel à projets du Haut Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, le dispositif est financé pour trois ans, à titre expérimental. Le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) a été chargé de son évaluation. L'étude a commencé en même temps que le programme, par une analyse de la situation économique et sociale du territoire, ainsi que du fonctionnement des politiques d'insertion. « Dans l'optique d'une généralisation, il faut bien analyser la particularité du lieu, tout ce qui pourrait être très différent dans une zone rurale ou une région ouvrière désindustrialisée », souligne Isa Aldeghi, chargée d'étude et de recherche au Crédoc. L'organisme doit également réaliser des entretiens avec les bénéficiaires à leur entrée dans le dispositif, au cours du suivi, et un an après la mise à l'emploi, puis comparer avec un échantillon témoin présentant les mêmes caractéristiques.

ATP est né d'une série de constats. Les statistiques ont montré un doublement, en quelques années, des indicateurs d'exclusion sur les quatre communes du PLIE de Cergy-Pontoise (Cergy, Eragny-sur-Oise, Jouy-le-Moutier, Vauréal). De plus, élus et associations ont noté que l'accès et le maintien dans l'emploi ordinaire ne protègent plus de la pauvreté, voire de l'exclusion. « Je suis présidente d'une épicerie sociale associative, indique Yannick Maurice, adjointe du maire (PS) d'Eragny chargée de la solidarité. De plus en plus, nous recevons des gens à qui le temps partiel ou l'intérim ne permet pas de boucler les fins de mois. La caisse d'allocations familiales, la sécurité sociale et les Assedic fonctionnant en décalage, avec des délais de carence, certains se retrouvent parfois sans aucun revenu entre deux emplois. »

D'après l'INSEE, ces travailleurs pauvres seraient 2 millions en France. Sur le terrain, pourtant, il est difficile de les identifier : « En raison de files actives trop importantes, le service public de l'emploi se concentre d'abord sur ceux qui n'ont aucun travail, explique William Ameri, directeur du PLIE. Quand on est un salarié à temps partiel, ou alternant emploi et chômage, on est un point aveugle des politiques de l'emploi. » La plupart des actifs pauvres se débrouillent par leurs propres moyens : « Ils ne se considèrent pas comme la cible des structures d'insertion, puisqu'ils travaillent », confirme Isa Aldeghi, du Crédoc. Les critères de ciblage des publics les excluent d'ailleurs de nombreux dispositifs institutionnels : « Trop près de l'emploi pour rentrer dans le PLIE, trop jeunes ou pas assez pauvres pour bénéficier du RSA... Ils glissent dans les trous du tamis », résume Hélène de Rugy, directrice de l'association Du côté des femmes (Cergy), partenaire d'ATP.

Une ambition à plus long terme

« Dans le même temps, les offres d'emploi atypiques se sont multipliées, jusqu'à représenter 70 % des propositions », estime William Ameri. Grande distribution ou restauration rapide vivant sur la multiplication des temps partiels, petites entreprises à la recherche de flexibilité... Avec, en corollaire pour les professionnels de l'insertion, un dilemme entre urgence économique et emploi de qualité. « Les personnes accueillies dans le cadre d'un accompagnement vers l'emploi se trouvent souvent dans des situations financières très difficiles, analyse Isa Aldeghi. Le premier objectif est alors de leur trouver un emploi, même précaire. » Pour les acteurs locaux de l'insertion, « les politiques actuelles visent des objectifs à court terme de réduction des chiffres du chômage », les financeurs attendant souvent des résultats quantifiables et des mises à l'emploi directes. « Notre ambition a toujours été de proposer des emplois de qualité, c'est-à-dire qui permettent de vivre dignement, affirme Agnès Rouchette, la présidente de l'association Convergences emploi, support du PLIE, adjointe (PS) au développement social et à la solidarité à la mairie de Cergy et conseillère régionale. L'appel à projets était une belle opportunité de travailler sur ce public des actifs pauvres. »

Les deux chargées d'accompagnement d'ATP ont été recrutées en septembre 2008. Elles officiaient alors comme référentes PLIE chez d'autres opérateurs : la mission locale de Cergy pour Laurence Bréheret, et l'association d'insertion Alice pour Jocelyne Bourget. La mise en oeuvre du programme s'est révélée plus difficile que prévu. « L'affichage dans les mairies, les CAF, les permanences logement ont bien fonctionné, note Laurence Bréheret. Mais notre public ne s'identifie pas aux termes de travailleur pauvre. D'ailleurs, nous disons plutôt salarié précaire. » L'objectif des 60 bénéficiaires n'a ainsi été atteint qu'en avril 2009. Les dossiers d'intégration sont examinés tous les quinze jours par la commission d'attribution du PLIE, qui regroupe les services sociaux des communes, Pôle emploi, la mission locale, la direction départementale du travail, etc. Le dispositif s'adresse à des salariés sous-employés, mais les critères d'intégration tiennent compte de l'ensemble des revenus du foyer : jusqu'à 880 € par mois pour les moins de 25 ans, 1 912 € au maximum pour un couple avec trois enfants. Les statistiques d'ATP dessinent un public « plutôt plus en difficulté que l'image des travailleurs pauvres présentée par les enquêtes de l'INSEE », remarque Isa Aldeghi. Deux tiers de femmes, en majorité à la tête de familles monoparentales, un quart de moins de 26 ans, une moitié d'étrangers extracommunautaires, huit bénéficiaires sur dix justifiant d'un niveau de formation inférieur au niveau 5, une maîtrise parfois moyenne du français... Leur profil est comparable à celui des bénéficiaires du PLIE, avec des difficultés multiples. Abdoulaye K., 42 ans, le laveur de vitres, vient de trouver un logement après trois mois d'errance : « Quand j'ai perdu mon emploi aux bateaux-mouches, ma mère m'a hébergé avec ma femme, puis nous avons atterri à l'hôtel. Ma femme est auxiliaire de vie, quelques heures par mois. Sans domicile fixe, difficile de trouver un travail. » Faute d'argent, Denise A., 44 ans, rentrée en France après quelques années en Côte d'Ivoire, vit en colocation avec des étudiants.

Au coeur d'un réseau dynamique

Parmi les bénéficiaires, cinq sur six ont été orientés sur ATP par des partenaires. Déjà connues sur le territoire, les chargées d'accompagnement ont présenté leur dispositif aux associations d'insertion, aux épiceries sociales, aux services municipaux, aux assistants de service social, aux foyers. Leur démarche peut s'appuyer sur un réseau partenarial dynamique et solide, comme l'a constaté le Crédoc : « Les partenariats ne tiennent pas qu'aux directions des structures, les conseillers se connaissent et nouent des liens », écrivent les chercheurs dans leur analyse du territoire, remise en janvier 2009. Une collaboration qui se vérifie au cours de l'accompagnement par ATP. « Avant d'orienter vers le dispositif, nous nous efforçons de lever les freins qui empêchent d'accéder à un emploi à temps plein, comme le logement, des problèmes de santé ou la garde des enfants », insiste Béatrice Commes, formatrice de l'association Du côté des femmes. Pour sa part, Laurence Bréheret déclare : « Le chevauchement des accompagnements peut s'avérer contre-productif. Si une personne est suivie par un éducateur, un référent mission locale, une assistante sociale, on se met en relation pour construire quelque chose de cohérent. »

L'entrée dans le dispositif est matérialisée par la signature d'un contrat, signifiant l'implication des deux parties. Une pratique fondée sur l'expérience du PLIE : « Pour sortir favorablement d'une démarche d'insertion, il faut faire du bénéficiaire un partenaire de la recherche d'emploi », soutient William Ameri. Caractéristique principale d'ATP, le suivi est organisé à la carte. Au démarrage, les chargées d'accompagnement rencontrent leurs bénéficiaires environ une fois par semaine, pour effectuer bilan professionnel et projet d'accompagnement. Puis elles programment les rendez-vous selon les besoins de chacun : « La méthodologie reste la même, mais pour ceux qui ont un niveau d'autonomie élevé, rendre fréquemment des comptes peut s'avérer infantilisant, constate Jocelyne Bourget. D'autres, au contraire, se sentent valorisés par une collaboration très régulière. » Surtout, les chargées d'accompagnement s'adaptent aux disponibilités de leur public : ce sont avant tout des actifs, avec des horaires irréguliers ou des difficultés de déplacement, ce qui limite habituellement l'accès aux institutions. « Quand je suis arrivée en métropole, je n'ai pas pu retrouver d'emploi d'agent administratif, parce que je n'avais jamais été titularisée, témoigne Mariette R., 56 ans, originaire de la Réunion. Je me suis mise à faire des ménages, vingt heures par mois. J'avais beaucoup de déplacements, et pas forcément le temps d'aller à Pôle emploi. Quand on a un petit boulot, parfois, on oublie même de s'actualiser aux Assedic ! » Le bureau mobile qui s'installe dans les maisons de l'emploi des villes adhérentes du PLIE et les rendez-vous tardifs facilitent le suivi des salariés précaires. Avec une constante : un accompagnement rapproché, qui favorise un travail dans la finesse.

« Nous sommes des artisans, affirme Jocelyne Bourget. Un artisan prend le temps de faire un bel ouvrage. Accompagner quelqu'un pendant deux ans n'est pas un travail standardisé. » En entrant dans ATP, les bénéficiaires ont le droit d'exprimer des exigences. Si elles se révèlent trop contraignantes, les chargées d'accompagnement s'efforcent de les lever petit à petit. « Au départ, certains rêvent d'un boulot idéal, raconte Laurence Bréheret. On rame ensemble, puis on leur dit, par exemple, que c'est dommage, on a trouvé quelque chose d'intéressant, mais qu'ils ne pourront pas être rentrés chez eux à 18 heures... Et d'eux-mêmes ils envisagent de faire des concessions. »

Une formation, si nécessaire

Au coeur de la démarche, la qualification professionnelle. Le constat est partagé par tous : un bas niveau de qualification augmente le risque de basculer dans la précarité. Avec un accompagnement de vingt-quatre mois, dont douze dans l'emploi, les formations longues sont exclues. « Il faut bâtir quelque chose d'assez dynamique, reconnaît Jocelyne Bourget. Les employeurs sont très attachés au diplôme. Si le profil convient mais qu'une compétence fait défaut, nous pouvons engager une action de formation. Ainsi, un certain nombre de sociétés exigent des aides-ménagères qu'elles repassent dans les règles de l'art. Par le biais de l'AFPA, nous pouvons faire suivre à nos bénéficiaires le seul module «hygiène et entretien du linge» du diplôme d'auxiliaire de vie sociale. » Des montages d'une finesse impossible à mettre en oeuvre sans le soutien d'une structure, et qui peuvent suffire à stabiliser un salarié.

Démarche rare dans l'univers de l'insertion, les deux chargées d'accompagnement ont noué d'étroites relations avec les entreprises. « Nous ne faisons pas vibrer la corde des qualités humaines, revendique Jocelyne Bourget. Les entreprises ont des besoins, nous leur fournissons des professionnels. Les boîtes d'intérim dressent des factures pour ça ! » En prenant le temps d'écouter les attentes des recruteurs, de comprendre l'organisation des entreprises, toutes deux ont acquis une polyvalence qui fait toute la force d'ATP. « J'ai besoin de recruter rapidement sur des profils spécifiques, et donc de collaborer avec des gens fiables, témoigne Eric Tétart, de la société de nettoyage Marietta. Quand ATP me présente un candidat, je sais qu'il va correspondre, et aussi que, si cette personne a une difficulté particulière, on en parlera. » L'occasion pour Jocelyne Bourget de filer la métaphore de l'artisanat : « L'artisan fait son miel du noeud dans le bois, là où une machine couperait net. Si je présente une personne handicapée, j'en fais un atout, en soulignant que, pour elle, un travail répétitif est sécurisant, et qu'elle ne s'en lassera pas. »

Pour convaincre les employeurs, ATP dispose d'une multitude d'arguments. « Les ressources humaines, c'est un travail fou, souffle Brigitte An, directrice de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Le Menhir, à Cergy, qui vient de faire signer un contrat de professionnalisation en CDI à l'une de ses vacataires, bénéficiaire du programme. Avec ATP, je sais qu'on me proposera des gens de confiance. Je peux aussi m'appuyer sur eux pour les aspects périphériques, tels les problèmes de crèche, de logement ou de mobilité. » Même dans les grandes entreprises, ATP peut donner un coup de pouce : « Le DRH ne peut pas connaître tout le monde, et ne pensera pas forcément à proposer autre chose à un salarié qui donne satisfaction en temps partiel, insiste Jocelyne Bourget. A nous d'initier ces négociations. Par exemple, un agent d'entretien d'immeuble, titulaire d'un CAP d'agent administratif, travaillait à temps partiel. Désormais, il travaille à temps plein : l'après-midi, il s'occupe du courrier de l'entreprise. » Indispensable pour la poursuite de l'accompagnement dans l'emploi, cette relation de confiance prend souvent la forme d'une médiation. Mariette R., neuf mois après son recrutement par une mairie des Hauts-de-Seine, est un peu perdue dans les propositions qui lui sont faites, entre un CAP petite enfance et une évolution vers un poste administratif. « C'est un cheminement, il faut prendre le temps, la conforte Jocelyne Bourget. Si vous voulez, on va leur faire passer ce message : votre priorité, c'est la titularisation, et pour l'évolution, vous préférez attendre l'année prochaine. » Alors qu'il pourrait être vécu comme une ingérence, cet accompagnement rassure aussi les employeurs. « Les travailleurs handicapés, notamment, ont vécu des expériences parfois difficiles, reconnaît Nathalie François, DRH de Marietta. Nous avons du mal à les fidéliser. Avec un suivi extérieur, ils peuvent confier leurs difficultés, et les régler. Et quand ils sont un peu démotivés, l'association est là pour les rebooster. »

Notes

(1) ATP : PLIE de Cergy - Immeuble Le Vexin II - 8, rue Traversière - 95000 Cergy - Tél. 01 30 32 35 35.

(2) Sur 65 bénéficiaires déjà suivis, 17 sont employés en CDI temps plein, 1 est en CDD supérieur à un an, 36 sont en emplois de parcours (CDI temps partiel, CDD, CDD intérim, etc.), 2 abandons et 2 suspensions de parcours se sont produits. En outre, 10 personnes sont en recherche d'emploi.

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