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Réhabiliter la notion d'« expertise » en travail social

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La notion d'« expertise » suscite en général la méfiance chez les professionnels de l'action sociale. C'est avant tout parce qu'elle est mal comprise, soutient Evelyne Simondi, docteur en sciences de l'éducation, membre du Groupe de recherche sur l'accompagnement professionnel à l'Université de Provence (Marseille), et ancienne assistante de service social.

«Le terme d'«expertise» réfère au monde de la production et de la gestion, de l'entreprise et du management. Les travailleurs sociaux refusent que leurs interventions auprès des personnes, des groupes ou des communautés y soient assimilées. Si l'expérience est valorisée, l'expertise, dont elle est étymologiquement issue, est loin de faire l'unanimité chez ces professionnels. Pourtant, dès qu'ils parlent de leurs pratiques, ils admettent que ce qu'ils mettent en oeuvre au quotidien relève de compétences spécifiques, qu'ils ont acquises grâce à plusieurs années de formation initiale et d'expérience professionnelle. L'idée de compétences est plus facile à accepter que celle d'expertise car, dans le sens commun, l'expert est celui qui détient un savoir dont il use pour répondre à une commande, pour une aide à la décision politique, économique, juridique, médicale... L'expertise s'inscrit dans l'univers de la rationalité et de la maîtrise. Elle est souvent réduite au diagnostic. Elle véhicule les mêmes représentations que les notions de projet et d'évaluation lorsque, dans les années 80, elles ont infiltré le social après s'être lentement déployées dans l'éducation et la santé.

Rares sont encore les articles qui, dans les revues professionnelles, portent sur l'expertise en travail social en ne confondant pas expertise et évaluation, expertise et prise de décision, expertise et démarche qualité. Comment alors faire évoluer les représentations vivaces concernant l'expertise en travail social ? Comment désacraliser le vocable et les pratiques auxquelles il renvoie ? A l'heure de - la deuxième décentralisation, de la mise en place des réformes, des référentiels professionnels, des dispositifs d'évaluation, l'expertise soulève les vieux démons du contrôle social et des enquêtes sociales des années 70. Je ne prétends pas apporter de solution aux problèmes que pose l'expertise telle quelle est préconisée dans le champ du social, la plupart du temps dans une perspective de vérification, de quantification, de rationalisation. Mon intention est plutôt d'évoquer ce qu'il en est des prescriptions et ce, à partir de l'exemple de la certification du domaine de compétences concernant l'expertise sociale (1) dans la formation initiale des assistants de service social.

Dans les textes qui régissent l'exercice de la profession et son diplôme d'Etat depuis juin 2004, trois types de compétences sont à développer. La première, «Observer, analyser, exploiter les éléments qui caractérisent une situation individuelle, un territoire d'intervention ou des populations et anticiper leurs évolutions», se situe au niveau de l'intervention. Il y est question des savoir faire qui relèvent d'une démarche d'évaluation et de projet, centrés sur les méthodologies d'interventions individuelles et collectives. La seconde, «S'informer et se former pour faire évoluer ses pratiques», ainsi que la troisième, «Développer et transférer ses connaissances professionnelles», nous amènent à considérer une autre acception de la notion d'expertise, qui s'inscrit dans la veille professionnelle, la formation, et fait ainsi écho à des savoirs non plus méthodologiques et opératoires, mais à la construction des savoirs, à leur transmission et à leur transfert dans la pratique, non plus dans une visée d'intervention directe, d'action sur le terrain, mais d'anticipation et d'appropriation.

Mise à distance

Ainsi, si la notion d'expertise voisine avec celle d'intervention, si elle est mise à un même niveau d'importance dans les compétences à acquérir en formation, elle mérite cependant d'en être distinguée car, de mon point de vue, elle témoigne d'une mise à distance de l'agir professionnel in situ, elle porte en elle la nécessité d'un décalage à la fois spatial et temporel. Elle conjugue réflexion et réflexivité ! La validation de l'expertise sociale par la production d'un mémoire dit «d'initiation à la recherche» va dans ce sens, mais elle n'est pas encore tout à fait stabilisée. Si, par le passé, le mémoire avait pour objectif le développement des apports professionnels, il vise aujourd'hui le développement d'une professionnalisation ouverte sur le modèle universitaire et l'Europe. L'investigation va «jusqu'à la construction de l'outil de vérification de l'hypothèse» à partir d'une enquête exploratoire. Le fait qu'il n'y ait ni recueil ni traitement de données pour confirmation de l'hypothèse ne me paraît pas préjudiciable au processus de recherche. En revanche, le vocabulaire utilisé pour qualifier ce travail de recherche relève d'une démarche à la fois constructiviste (par étapes successives), fonctionnaliste (par objectifs) et rationaliste (par vérification), démarche de recherche enracinée dans une logique déterministe de cause à effets qui ne me paraît pas des plus adaptée à une problématisation de la pratique professionnelle si on considère que les travailleurs sociaux font avec la complexité de relations humaines. Un écart semble encore subsister entre les intentions et les modalités de la recherche en travail social. Le fait qu'une note de contrôle continu complémentaire ait été introduite après les deux premières sessions (2), au regard du nombre d'échecs au diplôme d'Etat, laisse craindre à mon sens un repli sur des modalités plus scolaires, plus balisées, plus sécures. D'autant qu'il serait nécessaire, pour maintenir le processus d'ouverture, de former en amont les professionnels qui accueillent des stagiaires et les membres des jurys.

La recherche relève d'un processus de formation spécifique et de maturation temporelle que la formation telle qu'elle est conçue en trois ans, sans accompagnement suffisant à un travail réflexif des étudiants comme des professionnels, ne favorise pas. Se donner les moyens de ses intentions est une des conditions sine qua non de la mise en place des réformes quelles qu'elles soient. Et en ce qui concerne l'expertise en travail social, ce type de décalage n'en favorise pas la compréhension par les étudiants, les professionnels et les formateurs eux-mêmes. Or ils ont tout intérêt à aller au-delà de ces confusions pour se construire un modèle de l'expertise qui corresponde à leur savoir faire, à leur compétence. Travailler à rendre les concepts plus signifiants en les articulant à la pratique quotidienne, se mettre en recherche et inscrire les étudiants dans des processus de recherche me paraissent aujourd'hui essentiels à la légitimité du travail social (3) dans un contexte de rationalisation des budgets et de paupérisation du social. »

Contact : evelynesimondi@wanadoo.fr

Notes

(1) Cette terminologie est spécifique à cette profession. Il est, dans d'autres, question d'« expertise-conseil », d'« expertise technique »...

(2) Depuis l'arrêté du 20 octobre 2008, une note de contrôle continu est ainsi requise, fondée sur « une évaluation au fil de la scolarité, de la capacité de l'étudiant à collecter et à évaluer des données sociales » - Voir ASH n° 2580 du 7-11-08, p. 13.

(3) Cf. un précédent texte d'Evelyne Simondi - « Former par la recherche, une urgence » - dans les ASH n° 2536 du 21-12-07, p. 33.

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