Le moins que l'on puisse dire, c'est que le passage à deux mois de la durée minimale de stage gratifiable dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux de droit privé, prévu par la loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie adoptée définitivement le 14 octobre (1), n'a rencontré pour l'instant que peu d'échos. Rien à voir avec le puissant mouvement de contestation qu'avait déclenché en début d'année 2008 l'obligation pour ces mêmes établissements de verser une gratification pour les stages d'une durée supérieure à trois mois (décret du 31 janvier 2008 pris en application de la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances).
Ce n'est pas le cas cette année malgré l'annonce fortement médiatisée du chef de l'Etat, le 24 avril dernier, dans le cadre du « plan pour l'emploi des jeunes » de réduire à deux mois la durée minimale de stage gratifiable. A tel point que les interpellations dès le mois de mai de l'Aforts et du GNI (2) pour obtenir, cette fois, de solides garanties financières ou celle de l'ONES sont apparues bien isolées. Avec les quelques interventions d'élus de l'opposition, et plus récemment la prise de position de l'Association nationale des assistants de service social (ANAS) (3), elles ont semblé de bien peu de poids lors de l'examen au Parlement du projet de loi. Et surtout, les représentants des employeurs semblent absents du débat, tout comme les syndicats de salariés. Comment expliquer cette relative inertie alors que la nouvelle mesure, que le gouvernement veut voir appliquer rapidement, risque d'assécher encore les lieux de stage ? En effet, bien que les différents ministres répétent à l'envi que le gouvernement a pris les dispositions nécessaires afin de « neutraliser, pour les financements relevant de l'Etat, de l'assurance maladie ou de la branche famille, le coût de la gratification obligatoire à la charge des structures » (4), l'expérience de l'an passé ne peut que rendre sceptique sur ce type de promesse. L'engagement de l'Etat ne vaut pas en outre pour les établissements financés par les conseils généraux. Par ailleurs, si le gouvernement a effectivement rendu la gratification obligatoire pour les administrations et établissements publics de l'Etat par le décret du 21 juillet, cela ne fait qu'ajouter à la confusion puisque la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale ne sont pas concernées. La parution de ce décret a entraîné d'ailleurs, paradoxalement, pour certains étudiants assistants sociaux, l'annulation de stages pourtant confirmés et préparés (5), ce qui montre bien qu'il ne rassure guère les services sur les financements. S'agira-t-il alors à l'avenir pour les étudiants d'appréhender la formation avec la seule obsession de trouver un stage indépendamment de leur projet de formation ?
On peut en tout cas expliquer le peu de mobilisation actuelle par l'absence d'effet de surprise. Alors que l'an dernier, l'ensemble du secteur avait réagi contre une mesure nouvelle venue perturber brutalement la mise en oeuvre de l'alternance, aujourd'hui les étudiants et centres de formation en sont encore à gérer les difficultés engendrées par la gratification des stages de plus de trois mois. A cela s'ajoute probablement aussi une certaine lassitude des acteurs face à une mobilisation coûteuse en énergie et en temps et qui n'a pas eu les effets escomptés. Beaucoup d'employeurs notamment ne sont sans doute plus prêts à se battre pour l'accueil de stagiaires, qui demande en outre un investissement accrû en temps et en énergie depuis la réforme des diplômes et qui s'ajoute à toutes les autres contraintes. Même si, comme le relève Jean-Marie Vauchez, président de l'ONES, le morcellement du secteur social et médico-social entraîne finalement des stratégies diverses des établissements vis-à-vis de la gratification. Avec certaines dérives, comme la tentation, pour certains, d'utiliser des stagiaires en lieu et place des professionnels, par exemple pour remplacer des absences ou pour pallier les difficultés de planning.
La mobilisation pourrait toutefois bien repartir lors de la mise en oeuvre de la nouvelle disposition réduisant à deux mois la durée de stage gratifiable. Les étudiants pourraient alors découvrir brutalement les conséquences d'une mesure qui concerne cette fois la quasi-totalité du temps de formation des diplômes de niveau III. D'autant que la pratique, imaginée par certains, du « tronçonnage » des stages de neuf mois en trois périodes va devenir difficile, « on frise alors le ridicule », observe Jean-Marie Vauchez. « On a déjà plusieurs signes qui nous disent que la mobilisatiion est en train de repartir », estime Laurent Puech, vice-président de l'ANAS, qui évoque la naissance un peu partout de mouvements sporadiques à l'initiative d'étudiants ou de formateurs. De fait, des voix se libèrent comme le montrent les tribunes libres adressées dernièrement aux ASH (6). Philippe Poirier, responsable de formation initiale à l'Ecole de formation psychopédagogique (EFPP) à Paris y pose notamment la question du rapport de force ou de la mobilisation collective à créer pour éviter le blocage de l'appareil de formation.
L'ONES reprend la balle au bond, après que l'ANAS a elle-même manifesté ce mois-ci sa volonté de se rapprocher des autres organisations. « Le moment est venu de l'action pour défendre les formations dans le travail social », défend Jean-Marie Vauchez. Même s'il estime nécessaire de prendre en compte certains paramètres (éviter les divisions internes, intégrer les acteurs de la formation dans les propositions, quantifier le phénomène de raréfaction des terrains de stage) pour ne pas reproduire l'échec de la mobilisation précédente. Il a, en ce sens, adressé un courrier aux présidents de l'ANAS, de la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants, de France ESF et de l'Unaforis (Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale) pour leur proposer d'agir collectivement sur le dossier de la gratification des stagiaires.
(1) Sous réserve de la décision du Conseil constitutionnel que les sénateurs de l'opposition ont saisi - Voir ASH n° 2629 du 23-10-09, p. 15.
(2) Association française des organismes de formation et de recherche en travail social et Groupement national des instituts régionaux du travail social.
(4) Assurance à nouveau formulée par Nora Berra, secrétaire d'Etat aux aînés, interrogée par Christiane Demontès, sénatrice (PS) du Nord, lors de la séance des « Questions orales » du 27 octobre au Sénat.
(5) Comme l'explique Joseph Cacciari, assistant de service social en formation, dans une tribune libre - Voir ASH n° 2629 du 23-10-09, p. 31.