Quel bilan tirez-vous du plan de développement des services à la personne 2005-2008 ?
Ce plan était une très bonne idée, et le fait de l'avoir lancé est déjà formidable. Le problème, c'est que les conditions optimales n'étaient pas réunies. En particulier, nous ne disposions pas d'une organisation productive des services à la personne suffisamment efficace. Nous sommes au milieu du gué, car cela nécessite des infrastructures technologiques - en particulier informatiques - qui, jusqu'à présent, n'étaient pas disponibles. Il faut industrialiser et fluidifier cette organisation, ce qui permettra de perfectionner beaucoup plus la prestation elle-même.
Que voulez-vous dire lorsque vous parlez d'« industrialiser » les services à la personne ?
Il existe deux aspects dans ces services : l'organisation de la prestation et la prestation elle-même. Ce qu'il faut industrialiser, c'est l'organisation, pour que la prestation en soit véritablement le coeur. Le système actuel reste en effet beaucoup trop compliqué. Les gens ne savent pas vraiment à qui s'adresser. Quel est le numéro de téléphone ? Est-ce le même service pour le ménage, le repassage et la garde des enfants ? A qui dois-je confier mes clés si je ne suis pas là ? Même chose pour les factures. Si vous n'utilisez que quelques heures de prestations, on va vous envoyer une facture de quelques euros. Ça n'est pas très efficace. Il faudrait que les gens puissent payer en direct, de chez eux. Enfin, et surtout, la cathédrale des financements et des cofinancements doit être simplifiée. Il y a un an, je proposais, dans mon bilan du plan Borloo, de supprimer les exonérations de cotisations dont bénéficient les personnes fragiles faisant appel aux services d'aide à domicile, à condition, bien sûr, d'augmenter d'autant les allocations qu'on leur verse. Le prix des prestations augmenterait, mais ce serait un jeu à somme nulle. L'objectif étant que, au bout du compte, le service reste gratuit ou très peu cher pour l'utilisateur.
Le gisement d'emplois qu'on nous faisait miroiter voilà quatre ans n'était-il qu'une illusion ?
Je persiste à penser le contraire. A l'époque, Jean-Louis Borlo avait divisé par quatre mon chiffrage initial. J'avais, en effet, calculé que si tous les Français consommaient une heure de service chaque semaine, cela ferait un total de 2 millions d'emplois équivalents temps plein. C'est le seul gisement d'emplois important pour demain, car, pour le reste, c'est fini. L'automatisation et la délocalisation sont passées par là et il n'y aura plus assez de créations d'emplois tant dans le secteur industriel que dans le tertiaire. Mais pour pouvoir créer tous ces emplois, il faut que l'on transforme des activités jusque-là réservées à un petit nombre pour aller vers une consommation de masse.
Dans un rapport récent, l'IGAS prône la suppression du régime de l'autorisation au profit du seul agrément qualité. Ne serait-ce pas courir le risque d'une diminution de la qualité des services ?
L'agrément simple mais aussi l'agrément qualité me semblent pour le moment assez peu crédibles. Quant à l'autorisation, est-ce vraiment quelque chose de formidable ? Je ne saurais le dire... Le mieux serait de mettre au point des normes très précises, avec des cahiers des charges exigeants, vérifiables tous les ans, que devrait respecter toute structure souhaitant intervenir dans ce secteur, quelle que soit sa nature juridique. Qu'ils s'agisse d'une association ou d'une entreprise privée n'a aucune espèce d'importance. Tous les opérateurs doivent être soumis aux mêmes conditions strictes, l'objectif étant de faire au moins aussi bien que ce que faisaient les associations auparavant.
On a vu, ces dernières années, un certain nombre d'associations d'aide à domicile contraintes de fermer leurs portes, faute de financements suffisants. Comment l'analysez-vous ?
Contrairement à ce que certains peuvent croire, je suis l'alliée des services destinés aux personnes dépendantes. Et si on ne fait rien, on va voir ces fermetures d'associations se multiplier. Comment voulez-vous qu'un pays qui a de tels déficits publics continue à débourser des dizaines de milliards d'euros d'exonérations de cotisations sans jamais atteindre le plein emploi ? Et comment financer des services gratuits en suffisance à une population dépendante croissante ? Cela n'est pas possible. Il se trouve que le gisement d'emplois se trouve précisément au même endroit que les besoins pour les personnes dépendantes. Les services sont les mêmes, sauf qu'il s'agit, d'un côté, de développer une consommation de services de masse pour des gens qui n'y ont jamais eu accès et, de l'autre, de maintenir un service essentiel destiné à des gens qui en bénéficient déjà.
On en revient à la question de la solvabilisation des services...
Oui, et la situation est complètement absurde. La société paie des personnes sans emploi à hauteur de 50 % du SMIC. Si on était un peu rationnel, on se demanderait pourquoi on n'utilise pas cet argent pour baisser le prix des prestations à la personne réalisées par des gens payés au SMIC ? On favoriserait ainsi la demande de services, et donc l'emploi, et plutôt que d'avoir des gens payés à ne rien faire, nous aurions des salariés payés pour des prestations dont nous avons réellement besoin. D'ailleurs, les métiers de l'aide aux personnes ne sont pas dégradants. On voudrait nous faire croire que ce serait moins bien que de passer ses journées devant une machine. Il faudra qu'on m'explique pourquoi. En réalité, si les métiers des services à la personne n'ont pas bonne presse, c'est parce qu'ils renvoient à la vieille image de la domesticité, et qu'ils demeurent mal payés, et souvent à temps partiel. Il faut donc modifier cette situation en développant des entreprises capables d'employer des personnes à temps plein.
Vous proposiez dans votre bilan un dispositif de formation unique pour tous les professionnels du secteur. Mais aider une personne dépendante réclame des compétences spécifiques...
Je suis convaincue qu'il faut une filière de formation unique pour l'ensemble des professionnels de l'aide à domicile. Il existe actuellement une superposition de formations. Les formations initiales dépendent de quatre ministères différents : l'Education nationale, l'Agriculture, la Santé et les Affaires sociales ! Et toutes avec des appellations différentes. Je souhaite bon courage à la personne qui veut se former à ces métiers. Sans compter qu'il n'y a aucune filière ni aucune grille des métiers claires pour une progression de carrière. C'est tellement mal fichu que les entreprises organisent leurs propres formations dans leur coin. Une réforme du système de formation me paraît donc indispensable.
L'intervention auprès des personnes fragiles ne nécessite-t-elle pas un encadrement et un accompagnement très spécifiques des professionnels intervenant au domicile ?
Bien entendu, c'est toute une culture que possède le secteur associatif. Mais il existe de mauvaises prestations associatives et de bonnes prestations lucratives... et inversement. Le clivage ne se situe pas entre associations et entreprises privées, mais entre opérateurs qui savent, ou pas, organiser leur activité pour fournir des prestations dont la qualité augmente avec le temps. C'est aussi cela, aujourd'hui, les gains de productivité. Ils signifient de moins en moins que l'on produit davantage de quantité de biens à l'heure, et de plus en plus que l'on élargit ou que l'on monte la gamme des biens ou des services offerts.
Finalement, faut-il continuer à englober sous la même appellation de « services à la personne » des services de confort visant l'ensemble des ménages et des services d'aide à domicile destinés aux publics vulnérables ?
La spécificité des services destinés aux personnes vulnérables est, certes, très grande, mais, à l'origine, ce sont les associations d'aide à domicile qui n'ont pas voulu de deux catégories différentes. Beaucoup proposent les deux types de prestations. Ce qu'il faut, ce sont des passerelles, et ne pas opposer les éléments qui rapprochent et différencient ces services, mais au contraire les conjuguer, pour que les professionnels puissent passer d'un côté à l'autre. Car il me paraît difficile de travailler toute sa vie auprès de personnes fragiles ou dépendantes. Nous devons être à la recherche d'une culture qui deviendra éventuellement commune. Pour le moment, les associations sont porteuses de cette culture, mais il faut qu'elles la partagent avec le secteur privé lucratif.
Michèle Debonneuil est inspectrice générale des finances. Elle a rédigé, en septembre 2008, un rapport sur le bilan du plan Borloo de développement des services à la personne (2005-2008). Elle avait été, entre 2004 et 2007, conseillère de Jean-Louis Borloo, alors ministre de la Cohésion sociale, pour la conception et la mise en oeuvre de ce plan. Elle vient de se voir confier par Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique, une mission sur l'évolution économique de la France.