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Maison commune

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Ouverte en janvier dernier à Lyon, dans le Rhône, la Maison de la veille sociale répond à deux objectifs majeurs : mettre en commun les places d'hébergement dont disposent les dizaines de structures départementales, et coordonner les diagnostics sociaux des demandeurs, entre autres par le biais d'entretiens.

« Là, je dors chez une amie à Vaulx-en-Velin. Avant, j'ai passé deux nuits à Bron chez d'autres amis. Mais ça fait beaucoup de déplacements pour amener ma fille de 2 ans et demi à la maternelle, soupire Alia, 33 ans, les larmes aux yeux. Tous les jours, elle me demande où on va dormir ce soir, ça commence à être difficile. » De l'autre côté de la table, Andrée Tonti, assistante sociale dans un centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), et Joaquin Benavente, éducateur dans un autre CHRS, l'écoutent résumer son parcours et l'interrogent sur ses ressources, ses besoins en matière d'hébergement et d'accompagnement social. L'une prend des notes sur un bloc, tandis que l'autre pose les questions, parfois tend un mouchoir à la jeune maman en difficulté. La scène se déroule à la Maison de la veille sociale (MVS)(1), dans le IIIe arrondissement de Lyon, un dispositif unique en France, chargé de coordonner l'accès aux structures d'hébergement, hors urgences, sur tout le département du Rhône.

L'idée de départ : répondre aux exigences de la loi sur le droit au logement et à l'hébergement opposable (DALO-DAHO). « Avec cette législation, l'Etat s'est vu fixer une obligation, précise Sandrine Runel, déléguée de la FNARS(2) pour la région Rhône-Alpes. Mais si, chaque hiver, les capacités d'hébergement augmentent, 120 personnes étaient encore, en 2008-2009, placées dans des hôtels. » Dès la fin de 2007, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) sollicite donc les associations pour réfléchir à une plate-forme d'orientation des demandes. « Excepté les mises à l'abri du 115, le reste du dispositif d'hébergement n'était pas régulé », se rappelle Joël May, directeur de la DDASS du Rhône. Conséquences : des places qui restent vacantes durant un temps indéfini, une mauvaise connaissance des structures entre elles et un parcours du combattant pour l'usager, obligé de multiplier les démarches. Différents groupes de travail sont alors constitués avec la FNARS, la DDASS, les collectivités locales et des associations engagées dans le dispositif d'hébergement. « Très vite, il est apparu qu'il nous fallait mutualiser l'offre de places et unifier nos méthodes de diagnostic », explique Sandrine Runel.

Le projet élaboré propose, dès l'été 2008, l'expérimentation d'entretiens dans le cadre du dispositif DALO-DAHO : les personnes ayant exercé un recours hébergement auprès de la commission de médiation du département et relevant de l'hébergement sont reçues par deux travailleurs sociaux. Issus de différentes structures d'hébergement, ceux-ci effectuent un « diagnostic social » de la situation, sur la base d'un dossier type. Lequel est ensuite retourné à la commission de médiation, afin qu'elle statue sur son caractère prioritaire ou non, avant orientation par la DDASS du Rhône. Cependant, pour aller plus loin, un lieu de coordination de l'offre et de la demande se révèle vite nécessaire : ce sera la Maison de la veille sociale, lancée en janvier 2009. Le dispositif, qui ne possède pas encore de statut juridique précis, est animé par une équipe composée d'une coordinatrice embauchée par la FNARS, d'un travailleur social et d'un agent d'accueil mis à disposition par la municipalité, et d'une secrétaire également salariée de la FNARS. La genèse de ce lieu répond à plusieurs objectifs : la mise en commun des places disponibles au sein de quelque 35 structures d'hébergement du département, la mutualisation des diagnostics sociaux des personnes recherchant un accueil et la réalisation des entretiens avec les demandeurs. L'équipe est épaulée par une quarantaine de travailleurs sociaux des structures d'hébergement participant au dispositif, qui passent régulièrement une demi-journée sur place afin de réaliser les entretiens en binôme.

Un point d'entrée parmi d'autres

La Maison de la veille sociale constitue un point d'entrée. « Si les personnes nous consultent pour la première fois et qu'elles peuvent se déplacer, nous les orientons directement vers la MVS », affirme Françoise Cottet, du service logement du conseil général. Mais toutes les personnes en quête d'hébergement dans le département ne passent pas par ce filtre. Non seulement l'hébergement d'urgence est exclu du dispositif, mais les institutions conservent, dans certains cas, leur propre filière d'accès. « C'est notamment le cas des hébergements pour les femmes victimes de violence, note Elisa Herbage, la coordinatrice de la MVS. Parce qu'il faut un accueil plus étayé et des compétences juridiques spécifiques. » De leur côté, les résidences sociales ne mettent qu'une partie de leurs places dans le dispositif commun. De même que des institutions importantes - comme le Foyer Notre-Dame des sans-abri, qui possède un vaste réseau social allant de l'urgence à la quasi-autonomie -, qui conservent, elles aussi, quelques places pour les pourvoir en interne. Enfin, d'autres points d'entrée dans le réseau d'hébergement rhodanien sont conservés, à l'instar des Maisons du Rhône du conseil général, qui continuent de recueillir la demande des personnes déjà suivies par leurs travailleurs sociaux.

A l'accueil de la MVS, l'ambiance est parfois survoltée. Des personnes viennent sans rendez-vous ; d'autres arrivent en retard, et il faut leur fixer un nouveau rendez-vous ; installé dans le petit espace-jeu, un enfant requiert l'attention pendant que la maman est en entretien. Le téléphone n'arrête pas de sonner. « Ce sont souvent des travailleurs sociaux qui veulent savoir où en sont les demandes des personnes qu'ils suivent », indique Fatima Radja, agent d'accueil. Lorsqu'elle se déplace, elle n'oublie jamais son téléphone sans fil, dont la sonnerie alterne avec celle de la porte d'entrée. Un jeune homme déboule et se plaint de n'avoir pas reçu la lettre de la commission de médiation DALO. Après discussion, l'affaire ne relevant pas de la MVS, Fatima propose d'appeler la préfecture pour savoir si le courrier a été envoyé. « Ah, enfin vous faites quelque chose ! », s'exclame-t-il. Assises patiemment dans l'espace d'attente, une dame et sa fille de 9 ans attendent d'être reçues. « Tu crois qu'on va nous emmener visiter la maison, là tout de suite ? » demande la petite toute excitée. « Oh non, c'est pas comme ça », soupire sa mère.

Au préalable, un diagnostic social

Ainsi, ce matin, un jeune couple est reçu à la MVS. « Nous habitions chez mes parents, et puis mon père, qui ne voulait pas entendre parler de mon mariage, nous a dit de partir à la fin de la semaine », résume la jeune femme de 22 ans. Elle affiche, en tout et pour tout, 300 € de salaire mensuel. Lui vient d'arriver en France, il ne travaille pas. Ludivine Legey, conseillère en économie sociale et familiale (CESF) au Comité d'entraide aux Français rapatriés, et Séverine Viron, éducatrice spécialisée au CHRS de l'Armée du Salut, passent en revue les solutions de repli familial qui pourraient exister pour le couple, et suggèrent de se renseigner auprès de l'employeur pour savoir s'il cotise au 1 % logement. Elles avertissent le couple qu'il leur faudra attendre entre un et trois mois avant qu'une solution concrète puisse leur être proposée par la MVS. Le tout en rédigeant les quatre pages du diagnostic social. Au cours de l'entretien, les deux travailleuses sociales glissent quelques informations pour un suivi gynéco-obstétrical gratuit au Planning familial, la jeune femme s'interrogeant sur un éventuel début de grossesse.

A la fin de chaque entretien, il est proposé à la personne reçue d'ajouter quelques lignes sur sa situation. En général, elle y précise elle-même sa demande. « Les travailleurs sociaux apparaissent ainsi moins surpuissants dans l'orientation qui sera proposée, pointe Michel Serraille, éducateur spécialisé du CHRS mère-enfant La Charade. Et la personne peut indiquer qu'elle recherche une chambre autonome, même si les travailleurs sociaux proposeraient plutôt un CHRS. » L'équipe de la MVS se retournera alors vers le travailleur social référent, pour voir si la situation ne peut pas être retravaillée avec la personne demandeuse pour l'amener à réfléchir sur sa situation et l'intérêt d'un étayage social. « Il y a des choses que la personne nous confie, mais qu'elle ne souhaite pas que nous écrivions, précise Philippe Chabanette, l'assistant social détaché à plein temps à la MVS par la ville de Lyon. Une incarcération, une pathologie... » Ces informations pourront être transmises à l'oral, en réunion, mais non intégrées au dossier. Celui-ci sera remis à l'établissement d'accueil, et la personne en conservera une copie. « En général les personnes le montrent à leur travailleur social de référence, mais il n'existe aucune obligation », déclare Elisa Herbage.

Pièce essentielle, le dossier, qui sert en même temps de guide pour l'entretien, a été travaillé par les directeurs des CHRS participant aux groupes de travail, puis affiné par les travailleurs sociaux. Il doit permettre de renseigner sur la situation administrative (état civil, nationalité, régularité du séjour), familiale et financière, sur le parcours professionnel et résidentiel. En outre, il comporte un compte rendu d'entretien. « Au départ, on trouvait tous que ces quatre pages étaient pénibles à remplir, parce que, en même temps, il faut écouter la personne, lui accorder de l'attention », rappelle Michel Serraille. La présence du formulaire impose en effet de nombreuses questions à réponses fermées : âge, charge d'enfants, lieu actuel de résidence, ressources précises (même si aucun justificatif n'est demandé)... « Il s'agit d'évaluer l'autonomie des gens, de voir s'ils sont prêts à accepter un accompagnement social pendant six mois, car leur demande première est juste d'avoir un toit sur la tête », résume Frédérique Barbaud, faisant fonction d'éducatrice au CHRS de l'Armée du Salut. L'entretien dure environ une heure. Ce qui n'empêche pas qu'il y ait parfois des échanges très forts avec les usagers. « Même si ce sont des gens que l'on ne reverra pas dans nos structures », précise l'un des travailleurs sociaux.

Des debriefings permanents

A l'issue de chaque demi-journée d'entretiens, un debriefing des quatre travailleurs sociaux de permanence est mené en présence de la coordinatrice de la MVS. « A chaud, à la sortie d'un entretien, on ne sait pas forcément que recommander », note Frédérique Barbaud. « Parfois, les gens émettent des demandes qui ne sont absolument pas en adéquation avec la réalité », commente pour sa part Elisa Herbage. Comme cet allocataire du revenu minimum d'insertion dont la compagne, qui l'entretenait, est morte, et qui cherche aujourd'hui un appartement correspondant à des revenus mensuels de l'ordre de 3 000 à 4 000 € . Ou encore cette jeune fille qui ne voulait plus partager sa chambre avec sa petite soeur. « Ils sont en souffrance, souligne Philippe Chabanette, même si, pour nous, ce ne sont pas des cas critiques. Nous les écoutons, même si nous ne pouvons pas répondre à toutes les demandes. » Ce temps de réunion donne l'opportunité de résumer les situations, de livrer ses impressions et de prendre l'avis des autres travailleurs sociaux présents pour élaborer des hypothèses d'orientation, voire proposer un suivi particulier en lien avec le travailleur social référent de la personne. « Un important travail individualisé est réalisé sur de nombreuses situations, confirme Elisa Herbage. Il ne s'agit pas uniquement d'un travail administratif. » C'est notamment le rôle de Philippe Chabanette : « Je creuse les dossiers les plus complexes, ceux qui restent sans préconisation à l'issue du debriefing. J'essaie de contacter les travailleurs sociaux référents afin de mieux comprendre les situations, et parfois de voir s'il n'existerait pas des solutions que le demandeur ne s'autoriserait pas à utiliser. » Un accueil dans la famille ou chez un proche, par exemple. L'assistant social rappelle également les personnes dont les dossiers stagnent dans la base de données, pour s'enquérir des alternatives qu'elles auraient pu trouver.

Relier les offres et les demandes

Chaque jeudi, Elisa Herbage réunit les cadres des différents établissements d'accueil pour la réunion de régulation. Ceux-ci lui ont au préalable communiqué le nombre de places dont ils disposent, et un premier travail a été fait pour proposer, pour chaque place, deux ou trois candidats issus des quelque 400 dossiers que la MVS stocke en permanence. Si plusieurs situations correspondent à l'offre, la plus ancienne bénéficiera d'une proposition. Ce matin-là, pas moins de 11 cadres sont présents, avec une quarantaine de places à attribuer. Les places disponibles sont passées en revue et mises en correspondance avec les dossiers présélectionnés. Deux chambres voisines dans une résidence sociale pour un couple de personnes âgées, trois autres pour une famille, un appartement en hébergement d'insertion pour un monsieur et ses cinq enfants rapatriés d'Algérie, etc. Tous recevront l'information par courrier, et auront dès lors une quinzaine de jours pour prendre contact avec l'institution concernée. « Mais nous avons beaucoup de refus, constate Elisa Herbage, soit parce que les personnes ont trouvé une autre solution entre-temps, soit parce qu'elles craignent un hébergement trop collectif. » En effet, la confrontation avec la réalité se révèle parfois difficile à accepter. « Quand on est dans la galère, qu'on dépose une demande d'hébergement, même si la personne a été informée durant l'entretien des différents types de structures, accepter de se retrouver dans un CHRS ou une résidence sociale nécessite d'être accompagné, remarque Jérôme Colrat, directeur du CHRS Regis. Il y a tout un travail sur la confiance, sur l'adhésion de la personne, qui n'est pas assuré dans le système actuel et auquel nous devrons réfléchir. »

S'il est encore trop tôt pour dresser un bilan du dispositif, la coordinatrice pointe quelques manques spécifiques. D'abord, certaines demandes trouvent difficilement une réponse adaptée. « C'est notamment le cas pour les femmes enceintes, qui ne sont acceptées ni dans les CHRS pour femmes isolées, ni dans ceux destinés aux femmes avec enfants. On essaie de trouver des équipes qui jouent le jeu, en échange d'une sorte de «garantie» qu'une autre structure accueillera la femme et son bébé à la sortie de la maternité, puisque eux n'ont pas l'agrément pour accueillir un enfant. » Les hommes isolés éprouvent, eux aussi, de la difficulté à trouver des places dans les structures d'hébergement de taille réduite, trop peu nombreuses. « Cela peut être effrayant et tout à fait inadapté pour certaines personnes d'être confrontées à d'autres publics en grande difficulté », assure Elisa Herbage. Enfin, le département souffre d'un manque d'hébergement adapté aux familles monoparentales.

Du côté des établissements partenaires, la mise à disposition de travailleurs sociaux pour les entretiens ne semble pas avoir soulevé de réelles difficultés. « En revanche, il a fallu que les institutions acceptent de recevoir des personnes qu'elles n'avaient pas rencontrées au préalable. Mais aujourd'hui, je crois que les réticences se sont évaporées », note Frédérique Barbaud. En partie, peut-être, parce que réaliser les diagnostics sociaux en binôme avec un travailleur social issu d'une autre structure favorise une meilleure connaissance des pratiques des autres. « Bien sûr, il subsiste des différences entre eux, chacun conserve sa culture institutionnelle, précise Jérôme Colrat. Mais ils sont plutôt dans la complémentarité. » En outre, les premiers mois d'activité laissent à penser que le diagnostic partagé fonctionne bien. « En étant ici, je sais comment les diagnostics sont faits et, neuf fois sur dix, l'orientation est parfaitement adaptée », se félicite Alexandre Cordier, assistant de service social au service insertion du Foyer Notre-Dame des sans-abri. Les équipes y trouvent même un avantage non négligeable sur le plan de la charge de travail. « Avant, nous passions notre temps à répondre à des demandes en urgence, ce qui empiétait sur notre temps d'accompagnement, ou le morcelait, poursuit Alexandre Cordier. Désormais, nous n'avons plus à gérer de crise de colère à l'accueil parce qu'on doit refuser quelqu'un. » Pour Jérôme Colrat, le système mis en place présente néanmoins un effet pervers : « En concentrant toute la demande sur une seule plate-forme, on suscite beaucoup d'espoir, alors que la MVS n'a pas créé de places et que la fluidité n'est possible que si des sorties vers le dispositif logement ont effectivement lieu. » Ce qui est loin d'être toujours le cas. De nombreux dossiers restent en souffrance. « A terme, dans le Rhône, quelque 3 500 logements sociaux doivent être construits, assure Joël May, directeur de la DDASS. Dans un an ou deux, il y aura une aspiration des demandes de logement social actuellement en souffrance dans le système d'hébergement. » Pour l'heure, il faut temporiser et préparer parfois les demandeurs à une longue attente.

Notes

(1) Maison de la veille sociale : 246, rue Duguesclin - 69003 Lyon - Tél. 04 78 95 00 01.

(2) Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale.

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