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Pénurie de stages : une menace pour l'avenir des professions sociales

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L'instauration d'une gratification pour les travailleurs sociaux en formation rend, c'est une évidence, la recherche de stages de terrain de plus en plus ardue. Elle n'est cependant qu'un élément parmi d'autres pouvant expliquer la raréfaction de ces stages. Au bout du compte, cependant, c'est l'avenir des formations sociales, fondées sur l'alternance, qui est en jeu, et par ricochet celui des professions sociales elles-mêmes. Reflets de cette inquiétude, les trois textes que nous publions, rédigés par des responsables de formation à Paris et Marseille et par une promotion d'étudiants marseillais.
PHILIPPE POIRIER Responsable de formation initiale à l'Ecole de formation psycho-pédagogique (EFPP) à Paris

Le « grand gâchis »

«Les difficultés liées à la gratification concernent aujourd'hui toutes les filières sociales, médico-sociales et de la petite enfance. Qui pourrait contester l'intérêt pour des étudiants de bénéficier d'un stage gratifié quand on connaît leur précarité croissante ? Mais cela doit-il se faire au prix d'un blocage du système de formation de l'ensemble des filières sociales et médico-sociales ? Car c'est bien cela dont il est question aujourd'hui et dont personne ne semble prendre la mesure. «Vos étudiants ont trouvé un stage, où est le problème alors ? !» Il est que :

des conseils généraux refusent de gratifier ;

d'autres gratifient (ou gratifieront) en fonction des besoins qu'ils ont identifiés dans leurs schémas départementaux ;

cela se répercute ensuite sur les établissements qui n'ont pas les moyens financiers d'accueillir des stagiaires malgré leur souhait ;

quand ils en reçoivent encore, de nombreux établissements ont réduit leur quota de stagiaires pour entrer dans le cadre d'un financement plafonné par les financeurs ;

la baisse sensible de l'offre de stages concentre les demandes sur les mêmes établissements qui en sont submergés ;

les étudiants ne considèrent plus leur recherche de stage dans une dynamique formative mais comme la condition pour poursuivre leur formation, et ils s'accrochent au premier qu'ils ont - enfin - trouvé ;

nous sommes en plein paradoxe : les étudiants bénéficiant des Assedic trouvent un stage beaucoup plus facilement et sont ainsi avantagés par rapport aux autres, ce qui indique bien, de plus, que des établissements pourraient accueillir davantage de stagiaires s'ils n'avaient pas de contraintes de financement ;

nous parvenions à limiter la casse en réduisant un des trois stages à une durée de trois mois moins un jour ! Mais même ce dernier verrou devrait sauter d'ici à la fin de l'année et la loi imposera la gratification dès deux mois ;

le décret du 21 juillet 2009 (1) ajoute à la confusion et aux disparités, puisque la gratification rendue obligatoire pour les administrations et les établissements publics de l'Etat reste facultative pour les établissements publics de santé et les collectivités territoriales ;

des associations et des établissements confondent rémunération et gratification, de sorte que la dimension formative est remplacée par des relations employeur/employé ;

les associations employeurs sont étrangement absentes de ce débat et semblent ne pas avoir pris conscience des enjeux qui se cachent derrière ce grand gâchis de la gratification. Les syndicats ne relaient pas davantage ce problème ;

la gratification telle qu'appliquée actuellement est en totale contradiction avec la réforme des diplômes qui valorise la dimension formative des terrains de stage, dits «sites qualifiants».

Aucun véritable dialogue

Aujourd'hui, aucun véritable dialogue ne s'est engagé avec le gouvernement sur cette question. Et comme elle est ignorée des médias, il n'y a aucune raison pour que cela change. Les étudiants se sont mobilisés une première fois seuls, sans résultat. Seul un texte de loi pourrait éviter les disparités entre départements et entre établissements. Une demande a été déposée auprès du législateur afin de rendre obligatoire l'accueil des stagiaires dans les établissements sociaux et médico-sociaux, demande qu'il faudrait élargir aux structures de la petite enfance. Encore faut-il que cette demande soit entendue et comprise ! L'avenir de la gratification - et celui du système de formation - se joue donc en ce moment. Quel autre moyen que le rapport de forces pourrait inciter l'Etat à s'emparer vraiment de cette question et à engager un réel dialogue porteur d'une vraie réflexion constructive ? Devons-nous envisager de refuser de faire passer l'ensemble des diplômes des filières sociales et médico-sociales et de la petite enfance pour nous faire entendre et que le législateur prenne la mesure du problème ?

Soit nous (dirigeants associatifs, professionnels, centres de formation, étudiants) optons pour la recherche de solutions dans notre coin, avec nos réseaux, parce que nous estimons que les problèmes de gratification sont dus à sa mise en route et que tout devrait rentrer dans l'ordre progressivement. Cela demande à court terme moins d'énergie qu'une mobilisation générale qui nécessite l'engagement et la loyauté de tous, et qui n'est jamais certaine d'aboutir. Dans ce cas arrêtons de perdre du temps en débats inutiles sur la gratification !

Soit nous pensons que le système de formation des filières sociales et médico-sociales se bloque et nous n'avons malheureusement d'autre choix que d'agir. Mais qui (acteur social, collectif, associations...) sera en mesure de s'organiser, de fédérer autour de lui et d'imposer un dialogue puis une négociation ? »

Contact : p.poirier@efpp.fr - www.donpoirier.fr

SYLVIE UCCIANI ET YOLANDE TEYCHENÉ Respectivement formatrice et responsable du centre d'activités « interventions sociales » de l'IRTS PACA-Corse

« La profession d'assistant de service social peut disparaître ! »

«La formation au métier d'assistant de service social s'effectue en alternance, avec, sur trois ans, des enseignements théoriques (1 740 heures) en centre de formation et des stages pratiques sur les terrains professionnels (1 680 heures) où les étudiants découvrent, apprennent et expérimentent leur futur métier. La circulaire n° 2005/249 DGAS/4A du 27 mai 2005 précise que «la formation initiale établit les bases générales de la professionnalité et de l'identité professionnelle» (2). Elle vise donc de façon claire la transmission d'une culture professionnelle, avec l'alternance comme principe de formation. Ce principe, présent depuis la création du diplôme d'Etat d'assistant de service social en 1932, reste affirmé ce jour comme fondateur, bien qu'il ait évolué dans sa forme et dans sa conception. En effet, il est réaffirmé dans le paragraphe 2.3.2 de la circulaire n° 2008/392 DGAS/4A du 31 décembre 2008 relative à la formation et à la certification du diplôme d'assistant de service social, qui précise que l'objectif des stages professionnels est de «contribuer à la maturation professionnelle de l'étudiant, à la prise de conscience des responsabilités que ce métier implique» (3). Le paragraphe 2.3.3 reconnaît le site qualifiant et lui donne une place à part entière dans la formation et dans l'accueil des stagiaires, précisant que le terrain doit s'impliquer «en facilitant et en favorisant l'investissement de ses professionnels dans la formation des étudiants».

Une pénurie aux multiples causes

Nos interrogations actuelles, dans les centres de formation, concernent les difficultés à trouver des stages pour nos étudiants. Nous sommes inquiets de l'avenir de ce type de formation si la pratique ne peut plus s'apprendre sur le terrain... Il est vrai que toutes les promotions ont connu des périodes de pénurie de stages, mais ce phénomène est actuellement renforcé par plusieurs éléments : la taille des promotions, qui varie de 40 à 80 étudiants selon les instituts de formation ; la gratification, qui devient pratiquement obligatoire car réglementaire sur tous les sites qualifiants, et crée une réelle baisse des offres de stages ; les restructurations diverses des services accueillant des stagiaires ; les conditions de travail des assistants sociaux sur le terrain (manque de personnel, surcharge de travail...) ; l'arrivée de «nouveaux» stagiaires dans le champ de l'intervention sociale, issus des universités.

Ces explications ne sont pas exhaustives, des raisons qui appartiennent de façon plus personnelle aux professionnels peuvent également émerger (projet de formation en cours, congés à prendre, lassitude professionnelle...). Il ne nous appartient pas de juger les refus opposés aux étudiants par les professionnels contactés. Nous avons nous-mêmes été sur le terrain, reçu et formé des stagiaires, et nous savons la charge de travail supplémentaire que cela procure et les remises en question que cela suscite.

Néanmoins, nous nous interrogeons sur le sens de l'alternance et sur cet héritage du passé qui fait que nous avons tous été formés par les professionnels qui ont «bien voulu» nous accueillir dans leur service, nous consacrer du temps et nous transmettre leur savoir expérientiel. Sans cela, nous n'aurions pas pu prétendre à ce diplôme d'Etat, ni exercer ce métier, dont nous voulons à ce jour défendre l'avenir.

Si l'on se réfère au code de déontologie du métier, établi par l'Association nationale des assistants de service social (ANAS) en 1994 (version modernisée de celui de 1981, le premier datant de 1949), rien n'apparaît de façon explicite sur cette question, ni obligation, ni incitation. Rappelons qu'il s'agit d'un cadre de référence pour tous les professionnels en activité et qu'il est, précise l'ANAS, «destiné à servir de guide aux assistants de service social dans l'exercice de leur profession». Le titre IV concernant «les obligations envers la profession» aurait pu prévoir la nécessité d'accueillir des étudiants en formation, cela n'a peut-être pas été pensé car il s'agissait à l'époque d'un état de fait qui ne semblait pas pouvoir être remis en question. L'article 25, à savoir «l'assistant de service social a l'obligation de contribuer à l'évolution constante de sa profession dans un souci d'ajustement aux évolutions de la société», peut cependant s'interpréter aussi comme une injonction à former les futurs professionnels aux enjeux sociétaux en constant mouvement. Quant à l'article 26 - «l'assistant de service social doit avoir une attitude de confraternité à l'égard de ses collègues. Il observera les devoirs de l'entraide professionnelle et s'abstiendra de tout acte ou propos susceptible de leur nuire» -, il peut aussi se penser en lien avec les futurs professionnels que sont les étudiants en travail social d'aujourd'hui.

Ainsi, certaines valeurs qui sous-tendent cette profession, comme l'altruisme, le souci de l'autre, la solidarité peuvent aussi être interpellées par cette nécessité de transmettre son savoir et son expérience professionnelle aux plus jeunes, à ceux qui les remplaceront, aux travailleurs sociaux de demain. Mais c'est surtout la notion d'engagement à laquelle nous voulons faire appel : engagement à exercer un métier qui défend les droits des plus démunis, engagement à faire respecter des valeurs importantes d'humanité et d'altérité, et donc engagement à ce que cette profession ne meure pas, ne disparaisse pas du fait de l'impossibilité d'effectuer la formation en alternance.

Mobilisation générale

Ce cri d'alerte s'associe aujourd'hui à tous les appels non entendus des étudiants de tous les instituts de formation en travail social, qui craignent pour la poursuite de leurs études et ne peuvent plus organiser leur parcours de formation comme ils le voudraient, puisque l'offre n'est plus suffisante et commence même à disparaître du fait de la gratification. Il ne s'agit plus pour nos étudiants de penser à un parcours et à un processus de professionnalisation qui seraient définis en fonction de leurs expériences, aspirations professionnelles, champs d'intérêt, mais plutôt d'appréhender la formation avec une seule obsession : trouver un stage, au prix parfois de la qualité et de l'aspect professionnalisant du terrain.

Si nous souhaitons tous que cette formation en alternance ait lieu et permette de faire vivre cette profession d'assistant de service social, nous devons tous nous mobiliser à tous les niveaux, étudiants, professionnels, responsables de services, employeurs, formateurs..., et nous interroger sur ce que nous souhaitons pour l'avenir. »

Contact : succiani@irts-pacacorse.com ou yolande.teychene@irts-pacacorse.com

JOSEPH CACCIARI Assistant de service social en formation à l'IRTS PACA-Corse

« Il faut défendre la formation d'assistant de service social »

«Nous sommes 20 étudiants encore sans stage de 3e année sur un effectif de 80 élèves. Nous aurions dû partir en stage pour la dernière partie pratique de notre formation il y a trois semaines, comme nos camarades de promotion. La plupart d'entre nous avaient des stages confirmés et préparés depuis des mois. Nous devions intégrer des associations, hôpitaux publics ou encore services du conseil général. Mais ces stages ont tous été remis en cause, voire annulés, à la suite de la parution du décret du 21 juillet dernier relatif à l'extension de la gratification des stages à l'administration d'Etat et ramenant à deux mois la durée des stages donnant droit à la gratification. Un premier décret, celui du 31 janvier 2008, qui avait introduit le principe de gratification, avait commencé à engendrer des difficultés pour trouver des stages en travail social dans le secteur associatif ou privé, malgré les circulaires des services déconcentrés de l'Etat et l'entente sur les lignes budgétaires. C'était il y a moins d'un an et, déjà, nous alertions par des mails ou via des rassemblements notre centre de formation, la direction régionale des affaires sanitaires et sociales, la région et les autres acteurs de la formation et de la profession.

Aujourd'hui, nous sommes dans une situation d'urgence : bientôt nous ne pourrons plus remplir le nombre d'heures de stage nécessaires à la présentation au diplôme d'Etat.

Les listes de refus s'allongent et pourraient composer un annuaire des services sociaux de l'ensemble du département. Nous serons prochainement rejoints dans cette situation difficile par une trentaine d'étudiants de deuxième année, toujours, eux aussi, sans stage et, peut-être, par les «première année» qui dans quelques mois se mettront à chercher leur premier stage. Nous savons aussi que cette situation concerne l'ensemble du secteur et pas seulement les étudiants de la filière «assistants de service social».

Au regard de ce contexte, ce que nous voulons, dès à présent, c'est ne plus nous taire. Nous voulons prendre la parole et rendre visible une situation qui n'est vraisemblablement connue ni du grand public, ni, parfois, des institutions, ni, bien souvent, des professionnels eux-mêmes, qui, interloqués, se voient refuser l'accueil d'un stagiaire par leur direction.

Sans stage, pas de diplôme, et sans diplôme, plus d'assistants de service social.

Notre position n'est certes pas de remettre en cause le principe de la gratification des stagiaires, mais bien son application. Plus encore, ce que nous défendons, c'est une certaine idée de la profession, de la transmission du savoir, une certaine idée du positionnement professionnel. Nous croyons que le processus formatif, articulé autour d'un projet étudiant, nécessite de rencontrer une diversité de terrains de stages, et donc de publics, car c'est bien de l'intérêt des usagers qu'il est question. Les stages en service social jouent un rôle essentiel dans la future posture professionnelle des étudiants face aux populations en difficulté.

Avoir le choix

Nous demandons donc de vrais stages, effectués dans de bonnes conditions, sur la base d'un projet d'accueil et d'objectifs élaborés en commun entre l'étudiant et le site qualifiant. Nous souhaitons effectuer des stages de qualité pour proposer des services de qualité aux personnes que nous accompagnons ou accompagnerons. Nous demandons à ne plus être obligés de nous inscrire dans des stages «par défaut» ou «de secours» (ce qui sera vraisemblablement le cas dans notre situation), qui, malgré leurs qualités parfois insoupçonnées, mettent bien souvent l'étudiant en «mauvaise posture». Nous demandons donc d'avoir le choix de formuler de vrais projets de formation en alternance. Nous ne voulons plus être considérés comme les laissés-pour-compte des formations professionnelles.

L'épisode de la gratification n'est, selon nous, qu'un symptôme de la méconnaissance et du manque de considération dont souffrent nos professions. Quelle sera la prochaine étape ? Quelle autre décision, prise sans concertation et en dépit de toute réalité de terrain, les professionnels et étudiants en service social devront-ils accepter sans rien dire ? C'est de l'avenir de notre profession qu'il s'agit aussi !

Que faire, donc ? La transmission des savoirs professionnels est une des compétences essentielles, inscrite dans les définitions et les visées mêmes des professions du secteur social. Nous ne demandons pas au professionnel «de terrain» d'accueillir clandestinement des stagiaires et de les gratifier de leur poche. Nous ne proposons pas non plus de solution miracle. Nous attendons une mobilisation, un positionnement clair, conforme à la déontologie et à l'éthique de la profession, qui puisse permettre à celle-ci de persister et de continuer à évoluer en permettant la formation de professionnels aux profils hétérogènes.

Dans l'intérêt du public

Nous demandons que chaque professionnel prêt à accueillir un stagiaire puisse se positionner et dire à sa direction, sans crainte et dans le respect du cadre déjà existant : «Cela fait partie de mes missions, les lignes budgétaires existent ou peuvent être créées. Je m'engage à former cet étudiant.»

Nous demandons à tous ceux, formateurs, étudiants, universitaires, professionnels, qui se sentent concernés par cette situation de dire et d'expliquer les difficultés actuelles des formations du secteur social, de les porter sur le devant de la scène publique.

A ceux, élus, responsables, cadres territoriaux, qui financent, définissent et mettent en oeuvre les politiques locales d'action sociale et de formation des professions du social, nous demandons, sans plus attendre, de prendre toutes les mesures (budgétaires, logistiques...) nécessaires à la bonne formation et à la réussite des futurs acteurs de la cohésion sociale, et de comprendre, enfin, combien il en va du bon fonctionnement des institutions et services et de l'intérêt du public, de former, dans les meilleures conditions, les professionnels de l'action sociale.

Nous avons manifesté, écrit, crié, parlé, téléphoné, pétitionné (4)... mais nous n'avions pas encore osé interpeller collectivement les premiers concernés, les professionnels du service social. C'est chose faite.

Nous le disons une fois pour toutes, à l'attention de toutes les personnes concernées ou plutôt de toutes celles qui s'en soucient encore, il faut défendre la formation d'assistant de service social pour défendre la profession ! (5) »

Contact : cacciarijo@gmail.com

Notes

(1) Voir ASH n° 2620 du 21-08-09, p. 17.

(2) Voir ASH n° 2419 du 2-09-05, p. 15.

(3) Voir ASH n° 2602 du 27-03-09, p. 17.

(4) Une pétition est en ligne à l'adresse suivante sur le site www.mesopinions.com, catégorie « social » : « Travailleurs sociaux : la gratification ne doit pas nuire à notre formation ! ».

(5) Joseh Cacciari a rédigé ce texte avec l'appui de sa promotion lors de la première semaine du mois d'octobre 2009.

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