Le successeur du fichier « Edvige » était dans les cartons Place Beauvau depuis plus de un an. Il est désormais officiellement créé par décrets... mais ne revêt pas la forme attendue. « Edvige » se voit en effet finalement remplacé, non pas par un seul fichier, mais par deux bases de données distinctes : un « traitement de données à caractère personnel relatif à la prévention des atteintes à la sécurité publique », d'une part, et un « traitement automatisé de données à caractère personnel relatif aux enquêtes administratives liées à la sécurité publique », d'autre part (1).
Rappelons que, à l'issue de la polémique qui avait suivi la publication du décret du 27 juin 2008 créant « Edvige » (2), le ministère de l'Intérieur - occupé à l'époque par Michèle Alliot-Marie - avait décidé de son retrait et travaillé à l'élaboration d'un projet de décret portant création d'une nouvelle version baptisée « Edvirsp » (pour « exploitation documentaire et valorisation de l'information relative à la sécurité publique ») et expurgée de quelques-uns des éléments les plus sensibles (3). Un texte qui ne sera donc jamais paru.
Coup de projecteur sur le traitement de données relatif à la prévention des atteintes à la sécurité publique qui, parce qu'il se focalise sur les délinquants potentiels et permet notamment le recueil d'informations sur des mineurs de 13 ans, constitue le plus controversé des deux nouveaux fichiers de renseignement (sur les réactions associatives, voir ce numéro, page 26).
Le nouveau traitement a pour finalité de « recueillir, de conserver et d'analyser les informations qui concernent des personnes dont l'activité individuelle ou collective indique qu'elles peuvent porter atteinte à la sécurité publique ». La commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) estime à cet égard que, « dans la mesure où la sécurité publique peut s'analyser comme «l'élément de l'ordre public caractérisé par l'absence de périls pour la vie, la liberté ou le droit de propriété des individus», la définition de cette finalité du traitement apparaît comme plus restrictive que celle qui avait été retenue s'agissant du fichier «Edvige» », qui visait les individus, groupes, organisations et personnes morales susceptibles de porter atteinte à l'ordre public.
Le décret portant création du fichier précise encore que la base de données « a notamment pour finalité de recueillir, de conserver et d'analyser les informations qui concernent les personnes susceptibles d'être impliquées dans des actions de violence collectives, en particulier en milieu urbain ou à l'occasion de manifestations sportives ». Selon le ministère de l'Intérieur, l'analyse de telles données permettra de « mieux cerner le fonctionnement de certaines bandes urbaines de délinquants et les rapports qu'elles entretiennent ».
Les données à caractère personnel pouvant être enregistrées dans la base de données sur les délinquants potentiels concernent l'état civil, la nationalité, la profession, les adresses - physiques et électroniques -, les numéros de téléphone, les titres d'identité, l'immatriculation des véhicules, les informations patrimoniales, les activités publiques, les déplacements, les « agissements susceptibles de recevoir une qualification pénale »... mais aussi, comme c'était le cas dans le fichier « Edvige », les « signes physiques particuliers et objectifs » et le « comportement ». Il peut également être fait mention du motif de l'enregistrement, ainsi que des personnes « entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec l'intéressé ». Des photographies des individus peuvent aussi être collectées.
Au passage, le décret réaffirme le principe selon lequel il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l'appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à leur santé ou à leur vie sexuelle. A ce principe, il prévoit toutefois des dérogations. Pas pour les données relatives à la santé ou à la vie sexuelle, strictement prohibées. Mais le texte autorise en revanche - par dérogation, donc, et « pour les seules fins » évoquées plus haut -, la collecte, la conservation et le traitement d'informations relatives « à des signes physiques particuliers et objectifs comme éléments de signalement des personnes », à des activités politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales, ou encore - point qui cristallise d'ores et déjà les critiques - à l'« origine géographique ». Le décret précise qu'il est interdit de sélectionner dans le traitement une catégorie particulière de personnes à partir de ces seules données. Par ailleurs, cherchant à éteindre au plus vite le début d'incendie autour de la question de l'« origine géographique » et d'un possible fichage ethnique, le ministère de l'Intérieur a souligné, dans un communiqué, que les informations susceptibles d'être enregistrées à ce titre ne peuvent « en aucun cas comporter des données relatives aux origines raciales ou ethniques des personnes » et « doivent être de nature factuelle et objective ». « Ainsi, il peut s'agir du lieu de résidence ou du lieu d'origine, en France ou à l'étranger », a indiqué le ministre, ajoutant que, à ses yeux, en pratique, le recueil de telles informations peut jouer un rôle déterminant pour la sécurité publique. « Pour lutter contre les bandes, il est utile de relever que plusieurs individus agissent dans un même quartier », a-t-il cherché à justifier.
Autre point sensible du décret : le fichage des mineurs. Le nouveau traitement sur les délinquants potentiels s'applique en effet aux mineurs d'au moins 13 ans, dans les mêmes conditions que les majeurs. La seule différence notable concerne la durée de conservation des données : trois ans au maximum après le « dernier événement de nature à faire apparaître un risque d'atteinte à la sécurité publique ayant donné lieu à un enregistrement », contre dix ans pour les adultes (4).
Le décret dresse la liste des fonctionnaires autorisés à accéder aux données enregistrées dans le traitement. Toutes les consultations du fichier font l'objet d'un enregistrement comprenant l'identifiant du consultant, la date, l'heure et l'objet de la consultation. Des informations elles-mêmes conservées pendant cinq ans.
Précision importante : à l'instar d'« Edvige », les informations contenues dans la nouvelle base de données ne peuvent faire l'objet « d'aucune interconnexion, aucun rapprochement, ni aucune forme de mise en relation avec d'autres traitements ou fichiers ». Par ailleurs, un droit d'accès aux données est accordé aux personnes fichées. Il s'exerce auprès de la CNIL. En revanche, aucun droit d'information et d'opposition ne s'applique au fichier.
(1) Le nouveau fichier relatif aux enquêtes administratives liées à la sécurité publique porte sur les postulants à un emploi dans la police, la gendarmerie ou des secteurs sensibles (aéroports, centrales nucléaires...).
(4) Rappelons que le projet de décret « Edvirsp » prévoyait que les données enregistrées ne pouvaient être conservées au-delà du 18e anniversaire, sauf si un élément nouveau justifiant un enregistrement au même titre était intervenu dans les deux années précédentes. Dans ce cas, elles pouvaient être conservées jusqu'au 21e anniversaire.