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« L'aide à la maîtrise pulsionnelle, un outil de plus »

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Renforcer l'usage de la « castration » chimique pour certains auteurs d'infractions sexuelles. Telle est la volonté du gouvernement à la suite du meurtre, en septembre, d'une femme par un ancien condamné pour viol(1). Reste à savoir si l'inhibition de la testostérone supprime le risque de récidive. Le point de vue de Magali Bodon-Bruzel, psychiatre, responsable du service médico-psychologique régional de la prison de Fresnes (Val-de-Marne).

Combien de personnes sont actuellement détenues pour des infractions de nature sexuelle ?

Les infracteurs sexuels représentent à peu près 20 % de la population carcérale, les infractions pouvant aller de la simple exhibition jusqu'au viol, en passant par les atteintes sexuelles sur mineurs. De manière générale, on n'observe pas chez eux de problématique psychiatrique, au sens d'une « aliénation », d'un trouble mental majeur. Néanmoins, ce sont souvent des personnes qui présentent un profil psychologique particulier. Les victimes d'infractions sexuelles pendant l'enfance ou l'adolescence sont, en outre, surreprésentées en prison par rapport à la population générale. Ce qui n'excuse évidemment pas leur acte et n'implique pas non plus que la victimisation entraîne forcément la commission de l'infraction ultérieurement.

Ces détenus font-ils l'objet d'un suivi thérapeutique en prison ?

Il faut d'abord souligner que le taux de récidive chez les infracteurs sexuels est relativement faible, inférieur au taux de récidive global, tous délits confondus. Il est ensuite important de rappeler qu'il n'y a aucune obligation de soins en détention. Une personne qui relève d'une obligation de soins est internée dans le cadre d'une hospitalisation sous contrainte. En ce qui concerne les infracteurs sexuels, on ne leur propose pas systématiquement un suivi thérapeutique, mais beaucoup le demandent. En effet, ce suivi est souvent encouragé lors du prononcé de la peine et, si la personne n'y participe pas, elle peut voir son crédit de réduction de peine diminuer.

Quelles prises en charge thérapeutiques sont proposées à ces détenus ?

Les prisons françaises sont extrêmement hétérogènes en matière d'offre de soins médico-psychologiques en direction des infracteurs sexuels. Certaines sont bien pourvues, d'autres non. Or la prise en charge de ce public est spécifique. Il s'agit fondamentalement d'essayer de modifier un problème de relation à l'autre. Il existe pour cela plusieurs approches bien connues, qui peuvent être très complémentaires. Les techniques comportementales visent à repérer les attitudes posant problème et à essayer de les modifier par un déconditionnement. L'approche cognitiviste, assez proche de la précédente, consiste à essayer de travailler avec le sujet sur la compréhension de son problème relationnel. Il existe également une lecture plus psychanalytique, qui cherche à comprendre ce qui se passe à l'intérieur du psychisme et à interpréter le sens du symptôme que représente l'infraction sexuelle. Enfin, l'approche biologique a pour but d'essayer de modifier les comportements par des traitements médicamenteux.

Les infracteurs sexuels sont-ils toujours accessibles à ces thérapies ?

Il faut qu'ils veuillent s'engager dans cette démarche thérapeutique, qu'il y ait une gêne, une souffrance. A partir de là, on peut travailler sur cette demande. Le premier pas est de reconnaître les faits qui sont reprochés. Le second est de ne pas être en accord avec soi-même. Les personnes qui s'engagent dans ce suivi ne se reconnaissent pas dans les faits qu'elles ont commis, du moins pas complètement. Elles disent ne pas supporter l'idée d'avoir posé ces actes, même si cela reste parfois de l'ordre du discours.

Avez-vous une méthode de prédilection dans votre service à Fresnes ?

Nous utilisons toutes ces méthodes dans le cadre d'entretiens individuels ou de groupes de parole. Les détenus sont pris en charge par des psychologues, des infirmiers, des psychiatres, mais aussi par des travailleurs sociaux chargés de mettre en place des projets de réinsertion en lien avec les services pénitentiaires d'insertion et de probation. Nous avons développé une offre thérapeutique qui se déroule en hôpital de jour, en interne, sur une durée de six mois. Ces sessions accueillent 12 détenus à la fois. Ce chiffre reste modeste au regard du nombre des infracteurs sexuels détenus à Fresnes, mais nous faisons avec les moyens dont nous disposons. De plus, il n'est pas si facile de trouver des volontaires prêts à s'engager sur six mois. Concrètement, on leur propose de participer à un groupe de parole quotidien sur des thèmes progressifs. Ils peuvent aussi bénéficier d'entretiens psychiatriques avec, le cas échéant, des prescriptions de traitements antiagressifs, antidépresseurs, anxiolytiques ou encore d'aide à la maîtrise pulsionnelle. Nous essayons de prendre en compte les addictions. Beaucoup d'infractions sexuelles se déroulent en lien avec la prise d'alcool ou de toxiques, qui entraîne une baisse de l'efficience en matière de gestion des pulsions.

Le gouvernement entend développer le recours à la castration chimique. De quoi s'agit-il ?

C'est l'aide à la maîtrise pulsionnelle que j'évoquais il y a un instant. Concrètement, des molécules chimiques inhibent l'action de la testostérone, qui est l'hormone masculine. Le terme de « castration chimique » est donc impropre, car l'action de ces produits est réversible. Lors de l'apparition de la pilule, qui bloque les ovaires des femmes, personne n'a parlé de castration. C'est la même chose. Certaines molécules se prennent tous les jours par voie orale, d'autres sous forme d'une injection mensuelle. On ne peut évidemment avoir aucune assurance que la personne prend son traitement, sauf avec l'injection mensuelle pratiquée par du personnel soignant.

Certains spécialistes jugent cette technique inefficace, estimant qu'inhiber la testostérone ne supprime pas le désir. Quel est votre avis ?

Ces traitements d'aide à la maîtrise pulsionnelle ne sont pas une solution miracle, mais ce serait une erreur de les négliger, car c'est un outil supplémentaire dans une prise en charge élaborée, pour certains profils. En particulier pour les personnes souffrant d'un envahissement pulsionnel important. La prise du traitement permet de faire baisser la pression libidinale tant au plan quantitatif - le désir est moins fort - que qualitatif - les fantasmes déviants sont moins importants. Il faut toutefois que la personne reconnaisse son problème pulsionnel et pense que le traitement va l'aider. Bien sûr, cela ne suffit pas. Si vous faites une dépression, on vous prescrit un antidépresseur et, en parallèle, vous travaillez avec un thérapeute. C'est pareil pour les infracteurs sexuels. Si le médicament est pris comme un bonbon, ça risque de ne pas marcher. Mais, de façon générale, les traitements médicamenteux peuvent être une aide. Je propose à certains détenus des traitements d'aide à la maîtrise pulsionnelle, mais aussi à la réduction de l'impulsivité et de l'agressivité. Car c'est souvent cette impulsivité qui les fait passer à l'acte et, si on peut travailler avec eux cette question, cela va dans le sens d'une meilleure prévention de la récidive. Mais il s'agit avant tout de soin, et c'est la souffrance psychique qui est notre matière de travail.

Au total, le suivi thérapeutique réduit-il les risques de récidive ?

Nous n'avons pas assez de recul pour mesurer l'impact de notre activité. Nous n'en sommes qu'à la quatrième session en deux ans. Néanmoins, nous avons réalisé un travail d'évaluation de l'amélioration des symptômes en plaçant, sur une échelle de mesure, certains traits spécifiques de personnalité retrouvés fréquemment chez les infracteurs sexuels, tels que le déficit d'empathie, l'impulsivité ou encore le sentiment d'irresponsabilité face à ses actes. Puis nous avons mesuré, avant et après chaque session, à quel niveau se trouvaient les patients. Or nous avons enregistré une amélioration globale chez la plupart d'entre eux, avec une baisse très significative des problèmes d'impulsivité.

Et peut-on juger de la dangerosité d'un détenu avant sa sortie ?

Cela ne relève pas de notre mission de médecins en SMPR de dire si une personne risque de récidiver ou non. Maintenant, bien sûr, on peut avoir une idée de là où en est une personne que l'on suit, et, surtout, d'où elle en est par rapport à son acte, à ses pulsions et à la reconnaissance de la douleur de la victime. Toutefois, il ne faut pas confondre la dangerosité psychiatrique, liée à un trouble mental majeur - souvent une psychose -, et la dangerosité criminologique. Par exemple, si un braqueur cumule un fort déficit d'empathie, une impulsivité importante, une absence de revenu et le refus de travailler, la probabilité de récidive sera sans doute forte. C'est là la dangerosité criminologique, assez différente de celle des personnes internées dans les unités pour malades dangereux ou difficiles.

REPÈRES

Magali Bodon-Bruzel est psychiatre. Elle a exercé durant dix ans au sein d'une unité pour malades difficiles. Elle est actuellement responsable du service médico-psychologique régional (SMPR) implanté dans la prison de Fresnes, et a participé à l'élaboration du projet médical du centre socio-médico-judiciaire de rétention de sûreté implanté sur le même site.

Notes

(1) Des dispositions en ce sens devraient être ajoutées au projet de loi sur la prévention de la récidive présenté en conseil des ministres en novembre 2008, qui devrait être examiné par les députés à partir de la mi-novembre - Voir ASH n° 2581 du 14-11-08, p. 7.

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