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Au service d'accueil de jour Du Breuil, à Bondy (Seine-Saint-Denis), dépendant de l'aide sociale à l'enfance, on lie prévention et protection de l'enfance en soutenant les familles sur le long terme. Une innovation sociale et psychoéducative parfois controversée, mais qui essaime peu à peu dans le département.

Du haut de ses 8 ans, le service d'accueil de jour (SAJ) Du Breuil (1), à Bondy (Seine-Saint-Denis), a atteint l'âge de raison. Avec 35 familles inscrites dans la file active, et l'ouverture en septembre 2008 d'une seconde structure à La Courneuve, les SAJ « n'en sont plus au stade expérimental, mais constituent bien des innovations sociales et psychoéducatives dans le champ de la prévention en protection de l'enfance », affirme Georges Kritchmar, le responsable de celui de Bondy.

Service de l'aide sociale à l'enfance (ASE), le SAJ Du Breuil - du nom de la rue où il est implanté - est né en 2001 d'une réflexion associant tous les acteurs de la protection de l'enfance : ASE, crèches, centres de protection maternelle et infantile (PMI), pédopsychiatrie, écoles, hôpital... « Le nombre d'enfants placés avait augmenté significativement, avec des placements qui s'étiraient dans le temps, faute de pouvoir construire un travail soutenu avec les familles dans le cadre des circonscriptions, raconte Georges Kritchmar, alors éducateur spécialisé en circonscription ASE. Les familles se sentaient dépossédées, les retours étaient difficiles et, parallèlement, les mesures d'assistance éducative à domicile se raréfiaient. » Les professionnels de Seine-Saint-Denis conçoivent alors un dispositif original de soutien à la parentalité et, bien avant la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance, envisagent le travail avec les familles sous un jour nouveau : « Ne plus agir dans le cadre d'un mandat, ni dans une logique d'évaluation, mais en collaboration avec les familles, sur l'acceptation lucide et éclairée d'un accompagnement construit en commun. »

L'objectif du SAJ rejoint l'une des missions de l'ASE : maintenir l'enfant dans sa famille en garantissant sa sécurité et son bien-être, et en améliorant l'insertion et la capacité parentale des parents. Les familles y sont orientées selon trois axes, qui peuvent alterner au cours de l'accompagnement : la prévention précoce, la prévention du risque et le retour de placement. A l'entrée dans le dispositif, au moins un des enfants de la fratrie doit avoir entre 2 et 6 ans. « Il s'agit de sortir de la logique du mandat nominatif pour engager, à partir d'un enfant repéré, un travail avec l'ensemble de la famille, précise Georges Kritchmar. De fait, il nous arrive régulièrement d'accueillir des enfants plus âgés, parce que l'accompagnement s'inscrit dans la durée et qu'ils ont grandi, ou des enfants plus jeunes, parce qu'une naissance est survenue entre-temps. » Ainsi, à La Courneuve, une puéricultrice a été recrutée pour élargir l'accompagnement aux petits de 0 à 2 ans.

L'accueil assumé par tous

Pluridisciplinaire, l'équipe du SAJ Du Breuil compte, outre le responsable, la psychologue et la secrétaire, quatre binômes : deux éducatrices de jeunes enfants (EJE), deux éducateurs spécialisés (ES), deux animateurs, et enfin l'assistante de service social (AS) et la conseillère en économie sociale et familiale (CESF). Tous, sans distinction, partagent la fonction d'accueillant. « Les parents ont repéré les différents groupes d'intervenants, et s'adresseront à la psychologue ou à l'assistante sociale en connaissance de cause, mais pour le reste ils vont vers l'un ou l'autre selon leurs affinités », commente Magali Malassenet, éducatrice spécialisée. « C'est bien plus facile dans le contact, estime Frédérique Rafanell, la psychologue, qui oeuvrait auparavant en circonscription ASE. Je peux me concentrer sur les problèmes psychologiques, car je sais que ma collègue AS pourra prendre le relais sur les aspects sociaux. »

Ce mercredi matin, Pascal Nolen, éducateur spécialisé, joue au Mille Bornes avec un garçonnet de 7 ans, tandis que ses petits frères, de 1 an et 5 ans, feuillettent des livres dans le coin lecture. Clairs et spacieux, les bâtiments du SAJ - un ancien jardin d'enfants - ont été divisés en espaces dédiés : box d'activités calmes, box ludo-moteur, salle de repos pour les petits, salles de réunion, bureaux... Mais le petit plus du site, c'est son jardin : un véritable parc, avec bac à sable, jeux d'enfants, petites allées pour les vélos et potagers entretenus avec les familles. « Le lieu est particulièrement adapté pour un accueil familial, reconnaît Georges Kritchmar, d'autant que beaucoup vivent dans des appartements petits et vétustes. Il y a de l'espace, de la lumière, on peut sortir prendre l'air. Ici, des enfants désignés à l'extérieur comme extrêmement agités s'apaisent. En soi, le lieu contribue à contenir la violence. » A La Courneuve, où le nouveau SAJ a pris place dans un immeuble d'entreprises, l'équipe devra trouver d'autres modalités de décompression.

Pendant que le garçon entasse les cartes sur le feu vert de l'éducateur, sa mère partage un café avec Nadine Combeau, l'une des deux éducatrices de jeunes enfants. Au SAJ, les enfants restent sous la responsabilité de leurs parents, mais les adultes peuvent prendre leur temps. C'est l'une des clés de l'alliance nouée avec les familles. « Nous sommes dans une logique d'accompagnement, et nous cheminons à leur rythme, insiste le responsable. On est assez tolérants sur les horaires, même si les familles arrivent avec deux heures de retard. » Mère de deux fillettes de 5 et 7 ans, Merzaka B. fréquente Du Breuil depuis deux ans, et en a découvert le « secret » : « Quand vous appelez, on ne vous dit jamais non. On ne se sent jamais rejeté. » L'alliance avec la famille commence dès l'admission. Une première réunion est organisée avec le service adressant - protection maternelle et infantile (PMI), centre médico-psychologique (CMP), assistante sociale de secteur, Association départementale pour la sauvegarde de l'enfant à l'adulte (ADSEA), ASE, etc. - pour recueillir les premiers éléments du dossier.

Avec les familles, un discours clair

L'entretien suivant se déroule en présence des parents (les enfants n'y assistent pas). Le profil des familles reçues au SAJ rejoint celui du public de l'ASE : des adultes souvent sans travail, isolés, et désignés comme de « mauvais parents ». Beaucoup présentent des traumatismes personnels et familiaux, et souffrent d'une image très dévalorisée, entretenue par les institutions, qui ont tendance à ne travailler que sur les défaillances. « Je restitue alors à la famille le récit qui m'a été fait, les inquiétudes qui m'ont été signalées par les partenaires, pour savoir si elle s'y reconnaît. Cela permet de mesurer l'écart entre la demande des professionnels et la perception de la famille, la façon dont celle-ci se représente ses propres difficultés », explique Georges Kritchmar. Une pratique qui oblige à « se décentrer des techniques d'investigation habituelles », et qui est diversement perçue par les travailleurs sociaux. « Cela n'enlève rien à la qualité de leur observation initiale, le plus souvent fine et fondée, mais c'est le coeur de notre travail : nous appuyer sur les familles et ce qu'elles considèrent comme prioritaire pour co-construire un projet d'accompagnement, leur redonner la responsabilité de leur vie. »

Au cours de l'accompagnement, toutes les synthèses d'étape ont également lieu avec les principaux intéressés. « De toute façon, nous dirons toujours à la famille ce que nous pensons. Cet exercice nous oblige à le formuler d'une manière concrète, et à assumer nos observations », résume Frédérique Rafanell. Les temps de présence des familles sont déterminés au cas par cas, en fonction des besoins et de l'évolution des situations : en moyenne, chacune passe environ cinq heures par semaine au SAJ, sur une durée de deux ans, quelques familles étant présentes depuis l'ouverture du service.

Collectif, l'accueil est fondé sur des activités et le partage de moments de la vie quotidienne : atelier cuisine, repas interculturels, jardinage, fêtes, mais aussi coloriage, jeux de société, anniversaires, déjeuner et goûter quotidiens... « Par ma formation, j'ai tendance à proposer beaucoup d'activités, admet Stéphane Perioli, animateur, titulaire du brevet d'Etat d'animateur technicien de l'éducation populaire (Beatep) et du brevet d'Etat d'éducateur sportif. Ici, j'ai appris à ne pas faire. Je continue à proposer des sorties, du vélo ou de la pêche à la ligne, mais j'ai aussi appris à m'asseoir autour d'un café. » Autant de supports pour observer le fonctionnement des familles, mais aussi pour valoriser leurs compétences. « Nous avons remarqué qu'une maman avec beaucoup de difficultés présente un pouvoir discriminant visuel redoutable. Dans les puzzles, elle nous bat tous ! raconte Georges Kritchmar. Et certains enfants considérés comme perturbés ou indisciplinés s'avèrent très agiles dans les activités physiques, ou d'excellents lecteurs. » S'appuyer sur les ressources des familles, c'est le credo du service. « Notre carburant, c'est ce qui marche, ce que les gens savent faire, ce qu'ils ont en eux. »

Rendre les parents acteurs

Une fois par mois, le « petit déj' du directeur » rassemble les parents qui le souhaitent pour un groupe de parole. Au cours d'une discussion libre, entre des parents qui « ne se font généralement pas de cadeaux », chacun partage ses techniques, et s'aperçoit que tous rencontrent les mêmes problèmes : sommeil, alimentation, autorité, rapports de couples, etc. Georges Kritchmar, qui assure en parallèle la charge de thérapeute familial à SAGA, une association de Bobigny, s'appuie lui aussi sur son propre positionnement de père : « Je dis : «Ah, vous faites comme ça ? Moi, j'avais essayé avec mon gamin, ça ne marchait pas du tout», et on discute. En circonscription, on est en position d'expert. Là, je me mets sur un pied d'égalité, en soulignant la communauté de situation qui est la nôtre. » Le SAJ s'attache également, par le biais d'un comité de vie collective trimestriel portant sur le fonctionnement du service, à rendre aux parents une part de citoyenneté souvent abandonnée. « C'est le principal apport de Du Breuil, juge Lorenza Fierro, psychiatre et responsable du CMP de Bondy. Au-delà de la réassurance, les familles y reprennent progressivement la situation en main, se sentent plus actrices de leur vie et moins victimes. Elles retrouvent de l'espoir et leur capacité d'agir. » La progression n'est pas linéaire, fluctuant au gré des hauts et des bas de vies souvent difficiles. Mais l'effet est réel. « Avant, je ne laissais pas mes filles peindre ou faire de la pâte à modeler à la maison, parce que j'avais peur des taches, raconte Merzaka B. Maintenant, je joue avec elles, je m'épanouis. Ça me rappelle mon enfance ! On a ces choses-là en soi, mais on n'arrive pas à les sortir. Du Breuil, c'est un plus. » De même, pour les professionnels, cet accompagnement prend du temps : « Nous devons acquérir la confiance des familles, mais également apprendre à croire en leur potentiel de changement, soutient Frédérique Rafanell. Au travers des activités, des moments partagés, nous devons discerner non pas les failles, mais la dose d'humour, d'inventivité et de tendresse que chacun recèle, là où nous n'avions vu que carence et négligence. »

La sortie du dispositif est préparée tout au long de l'accompagnement par l'insertion de la famille dans un tissu social extérieur, souvent vécu comme hostile. Par le biais du SAJ, parents et enfants reprennent contact avec la bibliothèque, les centres sociaux, les associations ou les services de droit commun. « Il n'y a pas de priorité évidente : prendre plaisir à aller au spectacle, inscrire son enfant au judo, à la cantine, ce n'est pas moins important que le travail sur le fonctionnement familial », pointe Magali Malassenet. C'est pourquoi « les équipes doivent en permanence s'informer de tout ce qui existe », glisse Roselyne Brunon, de l'équipe de La Courneuve.

Au quotidien, les professionnels du SAJ s'efforcent d'éviter toute disqualification des parents. « Nous ne donnons pas de conseils, et ne faisons jamais de remarques devant les autres, insiste Frédérique Rafanell. Si une fessée part, nous ne disons rien, mais par notre comportement nous montrons qu'on n'est pas obligé de crier ou de taper. » Pour les membres de l'équipe, il n'est pas toujours facile de trouver la réaction appropriée. Ce midi, le repas n'avance pas assez vite pour le petit joueur de Mille Bornes. Plutôt agité, il presse son petit frère, qui mâchonne un bout de steak, réclame son dessert, donne des coups de cuillère sur la table. Assise plus loin, la mère s'est déjà levée plusieurs fois pour tenter de le calmer : « Je te préviens, si tu continues, tu vas manger la table ! », s'écrie-t-elle en faisant mine de lever la main. Le petit garçon s'abrite derrière son bras. « Vous pouvez retourner manger, on va s'en occuper », intervient Pascal Nolen.

Dans les SAJ, la gestion et l'évaluation du risque sont des questions prégnantes. « Même si nous sommes loin de ce qui se produit au domicile, le partage du quotidien entraîne plus d'authenticité de la part des parents, analyse Georges Kritchmar. Les professionnels peuvent être témoins de brusqueries, d'insultes, ou même de violences qui les sidèrent. Qu'ils réagissent vivement ou pas du tout, on débriefe toujours en équipe, et on reprend les choses avec la famille, en entretien, pour tenter de comprendre, en gardant toujours à l'esprit que ce ne sont pas les personnes, mais bien les relations qui sont dysfonctionnelles. » L'équipe pousse alors les parents à puiser dans leurs propres ressources : « Nous explorons leurs émotions et faisons appel à leurs propres contenants, en leur demandant, par exemple, comment ils ont fait la dernière fois qu'ils se sont retenus d'en coller une à leur gamin. »

Des approches parfois divergentes

Cette démarche a des détracteurs, qui lui reprochent à la fois de donner la primauté aux parents sur les enfants et de faire assumer à ces derniers une part de risque. Pourtant, en tant que service de la protection de l'enfance, Du Breuil entend rester vigilant, en lien avec ses partenaires : « Quand les autres travailleurs sociaux s'alarment, quand nous pressentons de vrais abus, nous n'hésitons pas à faire des signalements, tout en prévenant les familles. Et, le cas échéant, nous pouvons engager un travail de préparation au placement, sur l'acceptation et le bon déroulement de la mesure. » Il arrive cependant que les interprétations divergent. « Un jour, j'ai informé la circonscription qu'une maman, qui souffrait de problèmes d'alcool, allait être hospitalisée, relate Georges Kritchmar. Pour l'éducatrice référente, il fallait informer le juge que les choses empiraient. J'ai dû faire admettre qu'au contraire cette maman prouvait qu'elle commençait à se prendre en main. On ne peut protéger un enfant sans prendre soin de ses parents. »

Entre SAJ et circonscriptions, on s'emploie désormais à rapprocher des postures professionnelles réputées différentes. Attachée au bureau prévention de l'ASE 93, Catherine Mayen le confirme : « Les circonscriptions peuvent s'appuyer sur des structures comme les SAJ, qui ont pu mener une réflexion approfondie, sur la base d'un travail d'évaluation de Du Breuil réalisé en 2004. La réflexion sur le contrat, qui bloque les familles plus qu'il ne leur permet d'avancer, a débouché sur les nouvelles formes d'intervention éducative, mises en place dans le département, sans contrat et à la demande des parents. L'idée ne venait pas uniquement de Du Breuil, mais le SAJ a pris le temps d'écrire ses réflexions théoriques. Idem pour tout le travail sur la sortie, la difficulté à se séparer, les partenariats, etc. C'est tout aussi crucial pour l'assistance éducative en milieu ouvert. »

Deux projets de création de SAJ devraient être bientôt soumis au vote de l'assemblée départementale. En effet, à l'ouverture du SAJ de La Courneuve, un tract syndical avait interpellé l'exécutif en réclamant des moyens supplémentaires pour les circonscriptions. « C'est méconnaître le coût des SAJ, de un à dix par rapport au prix de journée de placement d'un enfant, regrette Georges Kritchmar. Ce qui est pris pour un privilège est avant tout une mise en responsabilité et une prise de risque particulière. Passer du temps avec les gens, rester curieux d'eux, donner de soi-même, accepter d'être observé en retour, c'est parfois beaucoup plus inconfortable que de rencontrer une famille autour d'un bureau. Il faut être très disponible, en temps et psychiquement. Il nous faut essaimer auprès de nos collègues, pour voir ce qui peut être transposé dans d'autres contextes d'intervention au bénéfice des familles. »

CLÉMENCE DELLANGNOL

Notes

(1) SAJ Du Breuil : 67 bis, rue Du Breuil - 93140 Bondy - Tél. 01 48 49 53 18.

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