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Les services d'aide à domicile pris en tenaille

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D'un côté, l'ANESM, qui produit des recommandations de bonnes pratiques en soulignant la grande complexité de l'accompagnement des plus fragilisés. De l'autre, l'ANSP, emblème d'une politique visant à développer les services à la personne à marche forcée, sans prendre en compte, justement, la spécificité de ce public. Pour Monique Carlotti, directrice générale de l'association d'aide et de soutien à domicile Dom-Hestia Assistance, à Clamart (Hauts-de-Seine) (1), le secteur de l'aide à domicile est placé dans une situation intenable.

«L'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité de établissements sociaux et médico-sociaux (ANESM) vient de publier sa recommandation de bonnes pratiques professionnelles pour la prévention et le traitement de la maltraitance au domicile. Cette recommandation, aussi pertinente soit-elle, vient se heurter à la politique de développement des services présentée par l'Agence nationale des services à la personne (ANSP) dans le cadre du plan Borloo 2 (2). Les services d'aide à domicile sont pris en tenaille entre les préconisations de l'ANESM et les actions de ce plan, qui a pour intention déclarée - tout en définissant les règles de protection des usagers - de développer le secteur des services à la personne, mais qui condamne en fait à brève échéance les services d'aide aux personnes dépendantes.

Recourir à une aide à domicile quand on devient dépendant est souvent la condition sine qua non pour continuer à vivre chez soi. Un besoin, certes ; un désir, rarement ! L'organisation du maintien à domicile vient interagir dans un système de liens qui constituent la toile sur laquelle la vie prend son sens. Ces liens conjugaux, familiaux, amicaux vont, au moment de la dégradation de l'état de santé, être réactivés comme si un accroc venait faire froncer ou déchirer ce tissage dont chaque individu est fait. L'imminence de la fin de vie va par exemple modifier les relations entre enfants qui semblaient stabilisées. Ainsi, l'évaluation réalisée par les services d'aide à domicile lors de la demande doit prendre en compte non seulement les tâches à réaliser au domicile, mais tout d'abord le désir de la personne directement concernée ainsi que l'environnement de celle-ci, dans une perspective dynamique.

Les personnes fragilisées déclarent désirer rester à leur domicile jusqu'au bout, pour continuer à choisir et non pas pour subir. Or elles ne choisissent ni comment elles vont être aidées ni qui va les aider. Les auxiliaires de vie réalisent les tâches que la personne prise en charge réalisait seule avant sa fragilisation. Ces professionnels se trouvent dans une situation où il est indispensable d'être là sans être désiré à cette place et où il s'avère toujours impossible de faire aussi bien que ce que la personne faisait seule auparavant. De ce fait, ils deviennent signes et synonymes de la dépendance, cibles privilégiées des réactions. A ce titre, le service doit en permanence jouer un rôle de soutien et réguler les interventions.

C'est en prenant en compte cette conception de l'accompagnement des personnes dépendantes que le législateur a intégré en 2002 les services de maintien à domicile dans la liste des établissements médico-sociaux. Ils sont concernés à ce titre par la recommandation de l'ANESM. C'est aussi en 2002 qu'est entrée en vigueur l'allocation personnalisée d'autonomie, permettant aux personnes dépendantes de bénéficier d'un soutien financier pour être aidées à leur domicile. Cette source de financement est assortie de règles spécifiques : la dépendance ne peut être prise en charge que par des services prestataires ayant reçu un agrément qualité.

La maltraitance, « risque incontournable »

Le travail de l'ANESM correspond à un besoin incontestable et il peut être loué. L'accompagnement à domicile de personnes en situation de dépendance, compte tenu de la dissymétrie de la relation entre bénéficiaire et professionnel, impose en effet qu'au sein des services soient mises en place des règles de fonctionnement strictes. La recommandation a su saisir tous les risques potentiels engendrés par l'accompagnement des personnes fragilisées. Elle décrit même la maltraitance comme «un risque incontournable, consubstantiel des pratiques pour tous les professionnels au contact des personnes vulnérables».

L'ANESM formalise donc tous les moyens limitant les risques de maltraitance. Elle insiste sur la qualité du recrutement et du suivi des professionnels, sur la précision des fiches de poste, sur la mise en place d'une organisation respectueuse de tous, tant des professionnels que des personnes qu'ils accompagnent : adaptation des rythmes de travail, limitation de la rotation de personnel, respect des droits fondamentaux. L'ANESM touche ainsi au coeur du problème : la qualité de l'accompagnement dépend de la qualité du management des auxiliaires de vie. La recommandation définit les méthodes que doivent mettre en oeuvre tant les cadres de proximité que l'institution.

Or, dans le même temps que l'ANESM rédige cette recommandation, l'ANSP poursuit le développement d'une politique initiée en 2006 avec le plan Borloo 1, dans l'objectif de développer la demande d'aide - de tous les publics - en mettant en place des mesures fiscales et sociales incitatives, afin de multiplier l'emploi. Et ce, en mettant en avant dans sa communication effrénée l'amélioration de la qualité de vie. Elle incite ainsi à l'emploi direct avec paiement par CESU (chèque emploi service universel) et distribue des «bons d'achat de services». Elle transforme les services au domicile des personnes en prestations à consommer, n'évoquant jamais la complexité des tâches à réaliser, sans reconnaissance pour ceux qui les réalisent.

Cette approche n'est pas opérationnelle pour les personnes fragilisées, le recrutement direct de personnel les prive du temps précieux de l'évaluation et de ce cheminement permettant l'élaboration de la demande et la définition des priorités - temps où s'instaure avec le service la confiance qui servira de socle au déroulement du travail. Elle les prive de la possibilité de faire appel à un tiers pour permettre les évolutions ou les régulations nécessaires. La permanence et la continuité de l'intervention, ainsi, ne sont pas garanties. Enfin, dans le cas de l'emploi direct, aucun contrôle n'est possible.

Quant aux salariés qui sont ainsi dirigés vers ces services peu valorisés, tant dans la représentation sociale que par la rémunération, ils sont pour la plupart issus de l'immigration et/ou ont connu l'échec scolaire, le chômage, la désinsertion sociale. Le vivier de recrutement de ces services inclut tous ceux dont le philosophe et sociologue allemand Axel Honneth évoque l'atteinte identitaire par déficit de reconnaissance sociale (3). Cette atteinte identitaire a pour corollaire un sentiment d'injustice qui peut avoir des effets sur la façon dont l'aide est apportée au domicile.

Les failles du gré à gré

Il n'est donc pas sans risques de préconiser l'embauche directe d'intervenants sans formation et sans accompagnement auprès de personnes dépendantes. De plus, les salariés embauchés en gré à gré et rémunérés par CESU n'ont souvent comme seule garantie que le volet social rédigé par l'Urssaf, qui n'est en aucun cas un document contractuel garantissant l'exercice du droit du travail. Enfin, le paiement par CESU ne saurait se substituer à l'appartenance nécessaire à un service assurant et symbolisant la protection et la stabilité qui s'avèrent indispensables à un exercice professionnel rendu anxiogène par la confrontation à la maladie ou à la mort.

En réduisant le maintien à domicile de personnes dépendantes à de la gestion de tâches pratiques, en multipliant le nombre d'acteurs, en stimulant le paiement des services par des offres de «bons d'achat« dont le coût s'impute directement sur le taux horaire des services, l'ANSP précarise la situation des structures existantes et dénie la nécessité et l'intérêt de leur travail d'accompagnement médico-social. Or celui-ci, sans lequel le guide des bonnes pratiques de l'ANESM n'aurait pas lieu d'être, garantit l'équilibre dont on a évoqué plus haut l'extrême fragilité.

L'Etat, en mettant en place deux agences distinctes pour travailler sur le même objet, a certainement souhaité favoriser la complémentarité des logiques de chacune. Pourtant, l'ANSP poursuit sa route sans prendre en compte les recommandations de l'ANESM, qui de fait devient le porte-parole du législateur pour rappeler à tout dirigeant de service d'aide aux personnes fragilisées que, sans la mise en place de ces «bonnes pratiques», il deviendra responsable devant la loi des actes de maltraitance qui se seront déroulés au domicile. Tous coupables donc, puisque dans l'incapacité de mettre en oeuvre ces règles de management, faute des moyens adaptés.

Bonne conscience

L'Etat a fait le nécessaire pour la prise en charge des publics fragilisés en se fabriquant, grâce à l'ANESM, une bonne conscience. L'ANSP, dans sa volonté d'action, réduit cet accompagnement à un répertoire simpliste de prestations. Elle en organise la promotion de façon anarchique, ne faisant pas d'exception pour les publics fragilisés. La responsabilité des risques est transférée aux services qui s'entêtent à vouloir intervenir au domicile de ces publics.

Le travail réalisé par l'ANESM mérite d'être mis en oeuvre. Si telle est la volonté de l'Etat, alors il doit manifester son engagement en reconnaissant réellement les services d'aide et d'accompagnement comme des organismes médico-sociaux, en leur donnant les moyens de mettre en oeuvre la recommandation - moyens qu'ils n'ont pas actuellement -, en sortant des services à la personne l'accompagnement des publics fragilisés, ou en imposant que les CESU ne soient utilisés pour ces publics que dans le cadre de structures agréées «qualité» ou certifiées.

A ces conditions seulement, il sera possible de croire en la volonté réelle et concrète de l'Etat d'accompagner les plus fragiles. »

Contact : Dom-Hestia Assistance - 227, avenue Victor-Hugo - 92140 Clamart - Tél. 01 46 42 71 71 - m.carlotti@dom-hestia.com

Notes

(1) Monique Carlotti est aussi membre de la Fédération nationale des services à la personne certifiés. En outre, elle a été membre du groupe de travail qui a participé à l'élaboration de la récente recommandation de l'ANESM sur la prévention et le traitement de la maltraitance au domicile - Voir ASH n° 2626 du 2-10-09, p. 9.

(2) Voir ASH n° 2602 du 27-03-09, p. 6.

(3) La société du mépris - Ed. La Découverte, 2006.

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