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Le CTPS veut adapter la prévention spécialisée à la diversité culturelle

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Reconnaître les « appartenances particulières » des jeunes issus de l'immigration en difficulté pour favoriser leur intégration sociale. Telle est la piste défendue par le Conseil technique des clubs et équipes de prévention spécialisée, qui propose de former les éducateurs aux réalités interculturelles et de développer le travail social communautaire.

Si la question de la diversité culturelle est une réalité quotidienne du travail social, la façon de l'aborder est loin de rassembler les professionnels. Sur ce point, le dernier rapport du Conseil technique des clubs et équipes de prévention spécialisée (CTPS), La prévention spécialisée à l'heure de la diversité culturelle (1), va inévitablement rouvrir le débat. Pour son président, Jean-Claude Sommaire, qui l'a rédigé en tant que président de la commission « diversité culturelle » de l'instance, c'est d'ailleurs l'objectif recherché : « Le corps du rapport est davantage une invitation à une réflexion qui ne pouvait pas faire l'unanimité. Mais les membres de la commission se sont tous retrouvés sur les propositions finales, assez consensuelles. »

« Des questions qui fâchent »

La commission s'est attaquée à ce sujet sensible avec l'ambition, largement partagée par les spécialistes du champ éducatif, de renforcer le rôle de la prévention spécialisée dans les territoires « souvent en voie de ghettoïsation, où vivent aujourd'hui de nombreuses familles en difficulté issues de l'immigration ». Avec la volonté assumée d'aborder « des questions qui fâchent », comme la « surdélinquance des minorités ethniques issues de l'immigration maghrébine et africaine », le CTPS propose de mieux prendre en compte les questions d'interculturalité pour faciliter l'intégration des jeunes en difficulté. Les spécificités de l'intervention en prévention spécialisée, fondée sur la construction d'une relation de confiance avec les jeunes et les familles, devraient permettre « de mieux comprendre ces populations et de contribuer au renforcement de leur «capital social» », argumente-t-il.

Une piste de travail nourrie par l'idée, défendue par le président du CTPS, ancien secrétaire général du Haut Conseil à l'intégration, que notre modèle d'intégration « est en crise » à la fois parce qu'il peine à tenir ses promesses d'égalité et d'accès à la pleine citoyenneté à l'égard de certains jeunes et parce que, « trop souvent utilisé au sens d'une assimilation castratrice des identités particulières », il nie les différentes composantes ethniques, religieuses et culturelles de la société. Le rejet de ce modèle, cumulé aux difficultés comme la discrimination, l'échec scolaire, la désespérance sociale, contribue à alimenter le repli communautaire, la violence et la délinquance. Dans un contexte où la fracture sociale tend à « devenir une fracture territoriale, ethnique, culturelle et religieuse », la question « n'est pas de basculer dans un multi-culturalisme totalement étranger à notre tradition mais de prendre en compte cette réalité incontournable de la diversité culturelle sans renier nos principes fondateurs », estime Jean-Claude Sommaire. Il faut donc aider les jeunes à s'insérer « avec leurs particularités et leurs ressemblances », à condition toutefois de ne pas « ethniciser le travail social » en substituant la question culturelle à la question sociale. Il s'agit également, pour la commission, de restaurer la vocation émancipatrice du travail éducatif alors qu'une logique de pacification s'est imposée ces 20 dernières années à travers l'animation et la médiation, dans un contexte marqué par « l'ethnicisation des compétences » (voir l'interview de Robert Castel et de Manuel Boucher, dans ce numéro, page 36).

La prévention spécialisée, selon ce rapport, pourrait donc contribuer à l'émergence de « politiques de reconnaissance des populations issues de l'immigration ». Certaines démarches se sont déjà engagées dans cette voie, argumente-t-il, en commençant à construire les outils d'une « pédagogie de la diversité culturelle ». Il cite ainsi l'ADSEA 95 (Association départementale de sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val-d'Oise), qui a réalisé une étude « sur les modes d'organisation et de fonctionnement des familles africaines pour aider les éducateurs à comprendre les subtilités des systèmes familiaux africains, matrilinéaires ou patrilinéaires », ou encore l'association Afrique partenaires services, qui a tenté de comprendre, dans l'analyse des émeutes urbaines, « les causes de l'extrême violence des garçons d'origine africaine subsaharienne qu'il semble difficile d'expliquer uniquement par la situation économique et sociale de leurs parents ».

Trouver des solutions adaptées

La commission souligne la nécessité de s'intéresser aux « problématiques culturelles spécifiques », comme la polygamie, afin de trouver des solutions adaptées aux difficultés qu'elles entraînent. Elle invite aussi à mieux comprendre les conséquences de la perte de repères éducatifs traditionnels entraînés dans les familles par les migrations, comme la modification de la place du père et promeut des approches visant à atténuer les souffrances liées aux transitions : exigences culturelles contradictoires (celles du pays d'origine et celles du pays d'accueil) ou « transmission sans mémoire » d'éléments de la culture d'origine. La recherche-action initiée par le Comité national de liaison des associations de prévention spécialisée (CNLAPS) Grand-Est, avec le Comité mosellan de sauvegarde des enfants, des adolescents et des adultes, sur la construction des processus d'intégration sociale des jeunes issus de l'immigration algérienne, est à cet égard citée comme exemple (2). Plus globalement, le CTPS prône le développement du « travail social communautaire », dont le principe est de s'appuyer sur les liens entre un groupe de personnes, sur un plan territorial, ethnique, culturel ou religieux, pour favoriser la capacité collective à prendre des initiatives. Et, à partir d'actions locales engagées dans ce sens, il liste plusieurs avantages de cette logique participative : reconnaissance et valorisation de l'identité culturelle des populations, remise en cause des représentations des travailleurs sociaux, meilleur dialogue et impulsion à « faire ensemble ». La Sauvegarde de l'Aisne, à Saint-Quentin, ayant eu connaissance de difficultés rencontrées par certaines familles sénégalaises (sommes importantes envoyées au pays d'origine au détriment du budget familial, problèmes engendrés par les mariages forcés...), a ainsi mobilisé des familles autour d'un projet de solidarité avec un village sénégalais. L'initiative a favorisé le rapprochement des familles avec les professionnels. « Par une utilisation intelligente du lien communautaire quand il existe, ou par sa reconstruction quand il a été détruit, des travailleurs sociaux formés à la prise en compte des problématiques ethniques, culturelles et religieuses pourraient donc contribuer à la construction d'une ingénierie sociale visant à restaurer de la confiance chez des populations en difficulté, qui en sont singulièrement dépourvues aujourd'hui. ».

Le débat est donc lancé, comme le souhaite également Bernard Heckel, membre du CTPS et directeur du CNLAPS. L'association a ouvert un forum sur ce thème sur son site Internet. « Cette question, qui est celle de la reconnaissance de la différence, est parfois brûlante pour la prévention spécialisée. Elle doit être abordée avec les professionnels, les partenaires institutionnels, les élus », explique-t-il. « Elle renvoie à la capacité de l'éducateur à réaffirmer son rôle de témoin, d'expert », sachant que, le sujet ne se posant pas partout dans les mêmes termes, « cette expertise doit être contextualisée ».

Au-delà, il est clair qu'en défendant une approche « communautaire » du travail social - terme auquel le Conseil supérieur du travail social a préféré celui de « travail social d'intérêt collectif » pour éviter toute ambiguïté -, le CTPS entre de plain-pied dans la polémique sur les risques d'une approche « communautariste ». Ainsi, Laurent Ott, éducateur, formateur et président de l'association Intermèdes à Longjumeau (Essonne), conteste l'idée d'un travail social communautaire sur la base de critères culturels ou ethniques, relevant que les quartiers, à la différence du modèle anglo-saxon, n'ont aucune homogénéité et que leur demande est avant tout sociale (3). Selon lui, cette approche doit s'entendre au sens du territoire et d'un « accueil de l'hétérogénéité ». S'il est nécessaire de s'ouvrir à une culture, souligne-t-il, ce n'est pas y assigner ceux supposés y appartenir mais pour l'intégrer dans une pluralité d'éléments composant l'identité d'un individu, que lui-même doit s'approprier.

Dounia Bouzar, ancienne éducatrice, anthropologue du fait religieux et directrice du cabinet d'études Cultes et cultures, prévient tout autant des dangers d'une approche « culturaliste ». « L'éducateur peut devenir complice d'une représentation bipolaire du monde, partant du principe que seule la culture détermine l'identité », explique-t-elle également. Sans compter que les travailleurs sociaux peuvent être conduits à enfermer les usagers dans une catégorie selon des critères identitaires qui ne sont pas forcément les leurs et être incités à ne plus utiliser leur grille d'analyse de droit commun. C'est parce qu'on ne les reconnaît pas comme des Français à part entière, dès lors qu'ils sont de couleur ou musulmans, que certains jeunes issus de l'immigration se forgent une identité de substitution, surinvestissant la religion ou l'origine ethnique, argumente-t-elle. Et ils « se jouent des représentations, d'une part des professeurs ou des éducateurs, d'autre part de leurs parents, pour se forger un monde échappant aux normes des deux ».

« Comprendre les interactions des cultures »

Alors plutôt que de rechercher des explications culturelles à certaines difficultés, mieux vaut décrypter les dysfonctionnements éducatifs à l'origine de ces dernières. « Plutôt qu'une approche culturaliste, il peut s'agir de comprendre les interactions des cultures entre elles », souligne Dounia Bouzar, rejoignant à cet égard certains exemples donnés par le CTPS sur des actions engagées sur l'exil, la mémoire ou les inconscients collectifs. « Un père violent est un père qui se sent déchu en raison d'un dysfonctionnement. Ce peut être le cas lorsqu'on passe d'une situation clanique à une situation de couple, ce qui peut rendre le père rigide parce qu'il a l'impression que son enfant est laissé à l'abandon. » Mais ces lectures, nuance-t-elle, ne peuvent fonctionner qu'avec des familles primo-arrivantes ou arrivées très récemment en France...

Autant de questions ouvertes au débat que Michel Franza, directeur général de l'Unasea (Union nationale des associations de sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des adultes), souhaiterait quant à lui élargir : « Attention à ne pas faire de la diversité culturelle la seule clé d'entrée de la relation à l'autre, par une facilité ponctuelle qui éviterait d'entrer dans une politique de l'effort. Elle doit être un élément d'une réflexion plus globale sur la politique que l'on souhaite pour tous les jeunes. »

LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION

Le rapport préconise de reconnaître le rôle de « conseil » et d'expertise de la prévention spécialisée en matière de diversité culturelle. Il souhaite voir cette notion apparaître dans les documents encadrant les activités de prévention spécialisée (diagnostics territoriaux, conventions ou projets de service).

Il propose également d'encourager les actions de développement social, notamment auprès des populations d'origine africaine subsaharienne, d'expérimenter des formes d'intervention sociale communautaire sur le modèle anglo-saxon et de créer un dispositif d'évaluation adapté. Plus globalement, il demande d'associer la prévention spécialisée à une « véritable ingénierie de l'intervention communautaire ».

Pour aider les professionnels confrontés aux « demandes religieuses des jeunes », la commission préconise des « espaces institutionnels de négociation » au niveau associatif ou interassociatif, où seraient également débattues les questions relatives à la laïcité et à la neutralité.

Autre proposition : adapter les formations des éducateurs aux réalités interculturelles. A l'exception de l'IRTS de Paris-Parmentier, qui a mis en place avec l'ADRIC (4) une formation sur « l'accueil et l'accompagnement des jeunes issus des immigrations dans leur processus d'insertion sociale », cette dimension est absente des thèmes centraux d'enseignement, du moins en Ile-de-France. Le CTPS suggère de l'inscrire explicitement dans les programmes, en s'intéressant davantage aux transformations des modes de vie engendrées par les migrations. Il recommande aussi d'organiser des échanges autour de l'analyse des pratiques et des rencontres avec des professionnels européens.

Certains besoins sont prioritaires, comme former les cadres à la gestion des ressources humaines au regard de la diversité.

Notes

(1) La prévention spécialisée à l'heure de la diversité culturelle : état des lieux, questionnements, initiatives, projets innovants en matière de développement social communautaire - Disponible sur www.cnlaps.fr.

(2) Voir ASH n° 2572 du 12-09-08, p. 39.

(3) Voir la tribune de Laurent Ott dans les ASH n° 2526 du 12-10-07, p. 31.

(4) Association de développement et de revalorisation de l'interculturel pour la citoyenneté.

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