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« Il faut être prudent quand on mesure la violence »

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L'inquiétude des Français face à la violence, surtout celle des jeunes des quartiers populaires, pèse sur le débat politique. Avant l'été, on annonçait une loi « anti-bandes », abandonnée depuis. Voici quelques jours, le gouvernement présentait son plan de « sanctuarisation » de l'école. Mais la violence des jeunes augmente-t-elle et, surtout, de quoi parle-t-on ? Les réponses de la sociologue Véronique Le Goaziou, qui publie avec Laurent Mucchielli : « La violence des jeunes en question ».

Vous avez entrepris, avec Laurent Mucchielli, d'interroger la violence des jeunes. Pourquoi ?

Depuis une quinzaine d'années, cette question occupe une place très importante dans le débat public. C'est un objet à la fois très médiatisé et très politisé. Ce qui empêche de l'examiner de façon suffisamment dépassionnée et objective. Ce que l'on raconte sur ce sujet est assez angoissant et anxiogène. Or, si la peur peut être un bon point de départ pour commencer à s'interroger, il faut s'en défaire pour bâtir une véritable réflexion. Notre souci est donc de prendre de la distance et d'être moins dans l'émotion, le moralisme et la peur. Ensuite, on pourra discuter.

Comment expliquez-vous le consensus actuel sur le fait que les jeunes soient violents ?

Sur le plan médiatique, la violence, l'émotion et l'image ont toujours fait bon ménage, en agitant des angoisses et des peurs qui ne sont d'ailleurs pas forcément illégitimes. Déjà, au début du XXe siècle, les journaux consacraient une grande place aux faits divers violents. Sur le plan anthropologique, on observe que les sociétés occidentales deviennent moins tolérantes à la violence. Il existe ainsi en France, depuis les années 1990, une déconnexion entre le sentiment d'insécurité et les raisons objectives d'avoir peur. Quant au champ politique, il y a encore quinze ou vingt ans, des contre-discours et des avis divergents pouvaient nourrir un véritable débat de fond. C'est beaucoup moins le cas aujourd'hui.

Sur le plan historique, peut-on dire que la violence des jeunes est en augmentation ?

Cette question est tout sauf simple et, malheureusement, des réponses un peu rapides y ont été apportées. Car que met-on sous le terme de « violence » ? Est-on en outre assuré d'avoir des instruments de mesure stables dans le temps ? C'est loin d'être sûr. A minima, les travaux des historiens nous montrent que nous vivons dans une société plutôt moins violente que par le passé, si l'on excepte les guerres. La tendance générale est plutôt à la pacification. Du coup, la supposée augmentation actuelle de la violence doit nous amener à nous interroger sur les enjeux qui la sous-tendent. C'est dans cet esprit que nous avons écrit ce livre.

On se focalise beaucoup sur les bandes de jeunes. Mais le phénomène n'est pas récent...

C'est tout sauf un phénomène nouveau, et nous faisons preuve à cet égard d'une profonde amnésie collective. Cette question réapparaît de façon régulière et récurrente dans le débat public, en général à la faveur d'une crise socio-économique doublée d'une crise du politique. Lorsque ces deux conditions sont réunies, la probabilité pour que la question de la violence, a fortiori celle des jeunes, ressurgisse sur le devant de la scène est très forte. Autrement dit, la problématique de la violence nous interroge autant sur ceux qui en sont les auteurs que sur le collectif auquel ils appartiennent.

Sur la période récente, dispose-t-on d'outils fiables pour mesurer la violence des jeunes ?

Nous nous heurtons au problème des sources, qui sont de trois ordres. Du côté institutionnel, les données policières et « gendarmiques » existent depuis une trentaine d'années, mais elles mesurent plus l'activité des représentants de l'ordre que la réalité de la délinquance et de la criminalité. C'est pourtant l'outil officiel dont se sert le ministère de l'Intérieur. Les sources judiciaires sont, elles, incomplètes et portent soit sur l'activité des parquets, soit sur les condamnations. C'est un autre regard. En dehors de ces données officielles, il existe deux outils créés par les chercheurs. Tout d'abord, les enquêtes de victimation, dans lesquelles on interroge un échantillon de la population sur le fait de savoir si elle a été victime de violence durant un laps de temps donné. Plus récemment sont apparues les enquêtes de délinquance autoreportée, qui consistent à demander à des personnes représentatives d'une catégorie de la population si elles ont été auteurs d'actes délictueux. Enfin, le troisième type de sources, ce sont nos propres recherches. C'est ce que nous avons fait pendant deux ans, en travaillant sur des dossiers de mineurs placés sous main de justice à la suite de faits de violence. Toute la difficulté est de savoir quelles sources utiliser, et d'avoir conscience de leurs limites. Car on ne mesure pas la même chose et, du coup, on n'aboutit pas à la même représentation.

Sait-on quand même aujourd'hui quelque chose de l'évolution de la délinquance des jeunes ?

Si l'on en croit les données officielles, administratives et judiciaires, elle est en augmentation. Mais, là aussi, il faut faire preuve de prudence et d'un peu d'intelligence. Car l'augmentation d'un chiffre ne signifie pas forcément celle du phénomène qu'il est censé mesurer. Par exemple, on enregistre une augmentation importante des violences sexuelles, y compris chez les mineurs. Cela correspond-il réellement à une augmentation des faits commis ? Il existe bien d'autres explications. Le comportement des victimes peut avoir changé et, à nombre de faits égal, elles sont plus nombreuses qu'auparavant à porter plainte. Autre possibilité : le contrôle social autour de ce type de violences s'est renforcé, et on détecte davantage de cas. Enfin, l'augmentation du chiffre des violences sexuelles peut aussi s'expliquer par un durcissement législatif. Des sociologues, des criminologues mais aussi des magistrats ont montré que la hausse supposée de la violence, incluse celle des jeunes, s'explique en grande partie par l'inflation et le durcissement judiciaires du tournant des années 1990, avec la mise en place du nouveau code pénal. On a vu alors apparaître de nouvelles incriminations, et s'étendre le champ d'application d'infractions existantes. Ainsi, le délit de harcèlement sexuel n'existait pas avant. Nécessairement, les statistiques ont enregistré une hausse des faits commis. Au final, il est donc très difficile de déterminer ce qui, dans cette hausse des chiffres, relève réellement d'une augmentation des comportements violents.

Vous soulignez, dans l'ouvrage, que l'on se montre beaucoup plus sévère avec les jeunes des quartiers populaires qu'avec les autres...

Il est clair que la délinquance est devenue l'un des marqueurs des quartiers populaires. Ce qui pose plusieurs questions. Tout d'abord, existe-t-il une causalité certaine entre le fait d'être un jeune de milieu populaire et celui de commettre des actes de délinquance ? Et quid des éventuels actes de délinquance commis par des jeunes d'autres milieux ? Dans les enquêtes de victimation, on constate que certains actes réprouvés par la loi sont d'une grande banalité chez les garçons entre 13 et 16 ans. Comme le fait de frauder dans les transports en commun, de se bagarrer avec d'autres garçons, de s'insulter... Alors, comment se fait-il que les auteurs soient issus dans une forte proportion des quartiers sensibles ? On peut faire l'hypothèse qu'ils commettent effectivement plus d'actes de délinquance que les autres jeunes. Mais, dans ce cas, comment ne pas faire le rapprochement avec leur situation sociale et scolaire ? Une autre hypothèse est que les agents du contrôle social, en particulier les policiers et les gendarmes, ne leur laissent rien passer, dans un objectif d'« impunité zéro ».

Le discours en faveur de la prévention n'est-il pas aujourd'hui totalement disqualifié ?

De fait, c'est presque un gros mot de parler de « prévention ». La pente prise ces dernières années est donc plutôt de tourner le dos à cette conception, chez les policiers et les magistrats, mais aussi chez certains professionnels chargés de l'accompagnement des jeunes. Cela va de pair avec le durcissement judiciaire dont je parlais précédemment, et avec le changement de discours sur cette question au sein de la gauche politique. On a jeté le discrédit sur la notion de prévention, comme si elle n'avait pas produit les résultats escomptés. On entretient volontiers la confusion, en laissant entendre que prévention rimerait avec absence de cadre et d'autorité. C'est méconnaître complètement la prévention, qui, justement, consiste à remettre des cadres, des limites, du rapport à l'autorité. En outre, on la met en balance avec la répression, comme si elles constituaient les deux faces de la même médaille. Mais elles n'ont rien à voir. La prévention et la répression sont de nature et de temporalité fondamentalement différentes. La prévention, c'est le pari à long terme de permettre au délinquant ou au criminel de changer, a fortiori si c'est un jeune. C'est en tout cas ce qui est écrit dans le préambule de l'ordonnance de 1945. Ce n'est malheureusement plus ce pari-là que l'on fait aujourd'hui.

REPÈRES

Véronique Le Goaziou est sociologue et philosophe, chercheuse du CNRS associée au Cesdip (Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales). Avec le sociologue et historien Laurent Mucchielli, elle publie La violence des jeunes en question (Ed. Champ social). Elle a également codirigé, toujours avec Laurent Mucchielli, Quand les banlieues brûlent. Retour sur les émeutes de novembre 2005 (Ed. La Découverte, 2007).

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