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Protection de l'enfance : la Cour des comptes rappelle à l'ordre Etat et départements

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Une politique départementale à mieux piloter, des engagements de l'Etat à respecter, des procédures de signalement et de prise en charge à clarifier, une évaluation et des contrôles à renforcer... Un rapport de la Cour des comptes analyse les carences du système de protection de l'enfance, malgré la réforme opérée par la loi du 5 mars 2007.

L'imbrication des acteurs et des compétences en matière de protection de l'enfance, souvent pointée comme un frein à l'efficacité, « n'est pas un handicap en soi » mais nécessite un « effort de maîtrise coordonnée » qui fait encore défaut, relève la Cour des comptes. Dans un rapport rendu public le 1er octobre (1), la Haute Juridiction pointe les failles de la politique de protection de l'enfance et la nécessité d'évaluer « une dépense publique de six milliards par an » (2). Si tous ses constats ne sont pas nouveaux, le rapport rappelle les autorités concernées, notamment l'Etat, à leurs responsabilités pour éviter l'inaboutissement de la réforme.

Les compétences propres ou conjointes des autorités publiques restent « mal assumées dans des domaines pourtant cruciaux », déplore la Cour des comptes, qui revient sur les disparités entre départements, déjà pointées il y a cinq ans par la défenseure des enfants. A titre d'exemple, la part de l'aide sociale à l'enfance (ASE) dans la dépense totale d'aide sociale, en moyenne de 22,1 %, variait de 14 % en Guadeloupe à 31 % en Seine-et-Marne en 2007. A l'échelle des départements, rares sont les schémas pouvant être considérés comme de véritables documents d'orientation stratégique, « définissant de manière cohérente et détaillée les objectifs poursuivis par le département », en tenant compte des besoins identifiés. De surcroît, ils s'articulent mal avec les autres outils, notamment le programme interdépartemental d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie, ce qui nuit à une prise en charge globale et freine l'émergence d'accueils adaptés. L'Etat n'est pas exempt de la critique sur le manque d'objectifs clairement définis : si plusieurs de ses directions sont compétentes dans les ministères chargés des affaires sociales et de la justice, « aucune administration n'est en mesure d'assumer le pilotage d'ensemble de l'action de l'Etat dans le domaine de la protection de l'enfance ». Sur ce point, le « document de politique transversale sur la justice des mineurs en cours d'élaboration devrait aboutir et associer tous les acteurs concernés ». L'Etat peine en outre à assurer sa fonction normative, la « dynamique vertueuse de partenariat » mise en oeuvre à l'occasion de la préparation de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance semblant « s'être grippée » sitôt la loi votée. Certains des neuf décrets d'application de la réforme - dont celui sur la création du Fonds national de financement de la protection de l'enfance - n'ont pas été pris (3). Saluant le rôle de l'Unasea, quasiment « exclusif » dans l'accompagnement de la loi, la juridiction n'invite pas moins l'Etat à prendre ses responsabilités. Elle l'incite à organiser le suivi de cette dernière, au sein du ministère des affaires sociales ou de l'Observatoire national de l'enfance en danger (ONED), en accord avec l'Assemblée des départements de France. Autre défaillance, non des moindres : alors que le ministère chargé des affaires sociales a évalué la charge financière pour les départements à 137 millions d'euros, seule la caisse nationale des allocations familiales avait prévu d'apporter son concours à hauteur de 30 millions d'euros en 2007. La Cour réclame donc, outre la création du fonds, sa dotation rapide et son rattachement éventuel à l'ONED.

Des délais d'exécution trop longs

L'Etat ne saurait non plus se désintéresser de l'exécution des décisions des juges des enfants en matière civile, alors qu'il « ne s'est pas organisé de façon à garantir [leur] exécution effective et rapide ». A tel point qu'il arrive que des juges, confrontés à l'insuffisance des capacités de prise en charge en action éducative en milieu ouvert (AEMO), se résolvent à prononcer des ordonnances de non-lieu... Aussi le rapport propose-t-il de prévoir dans la loi une notion de « délai d'exécution raisonnable » à intégrer dans les schémas départementaux et de suivre ces délais. Autre recommandation : envisager, s'il le faut, la possibilité pour les services de l'Etat de se substituer aux départements dans l'exécution des mesures, la charge financière restant à ces derniers.

La création de l'ONED, ajoute le rapport, aurait pu permettre d'organiser la complémentarité et la comparaison des politiques conduites. Mais « quelles que soient ses réalisations, il n'a pas, à ce jour, été en mesure de répondre à cette ambition ». Et la cour de poser la question de la redéfinition des missions et des moyens du groupement d'intérêt public : « Trop petit pour les statistiques s'il ne se joint pas à la DREES, ou même à l'INSEE, trop dénué de moyens pour animer une politique d'études, trop peu ambitieux pour amorcer une comparaison des politiques de protection de l'enfance », il reste « au milieu du gué ». Pour pallier les deux carences essentielles de la politique de la protection de l'enfance - l'insuffisance de la connaissance statistique et de l'évaluation des résultats -, le rapport recommande de « donner leur plein effet aux orientations de la loi du 5 mars 2007 pour que les observatoires départementaux soient effectivement coordonnés par l'ONED, pour produire des données dans des délais qui ne dépassent pas l'année ». Des travaux sur l'impact, y compris après la sortie du dispositif, des différents types de prise en charge, devraient par ailleurs être entrepris.

Autres impératifs : repérer le mieux possible les situations d'enfants en danger et les traiter efficacement. Si la mise en oeuvre du décret du 19 décembre 2008, qui charge l'ONED du recueil des données sur les « informations préoccupantes », est une avancée, beaucoup reste à faire en matière de sensibilisation des professionnels, notamment éducatifs et médicaux. Par ailleurs, la Cour des comptes appelle l'Etat et les départements à définir, avec l'ONED, « la notion d'informations préoccupantes pour harmoniser leur recueil et obtenir des données fiables ». L'évaluation des procédures de signalement reste en outre à développer.

Encourager le « mandat global » du juge

Autre effet attendu de la réforme : rendre le recours au juge moins systématique (au 31 décembre 2006, 82 % des enfants pris en charge le sont sur le fondement d'une décision judiciaire). Mais pour cela, deux conditions doivent être réunies : les départements doivent réorganiser leur circuit de signalement afin d'harmoniser les pratiques, et le rôle de « filtrage » des parquets doit être effectivement exercé. A charge donc, pour la chancellerie, de les doter de moyens suffisants. La Haute Juridiction estime aussi souhaitable d'encourager, sans le systématiser, le recours au « mandat global » du juge (selon lequel il confie l'enfant aux services de l'ASE), y compris en matière d'AEMO, afin de permettre au département un suivi plus étroit des mesures qu'il finance. S'agissant des mesures administratives, les départements devraient, dans le cadre de leur projet de service, mieux formaliser leurs procédures d'évaluation et de décision, « en veillant à favoriser aussi souvent que possible l'approche collégiale et pluridisciplinaire et à assurer le recueil systématique de l'accord écrit des familles ». Les conditions d'intervention du juge des enfants sont, elles aussi, perfectibles : il devrait être assisté d'un greffier à chaque audience et bénéficier d'un travail collégial dans les situations difficiles. A cet égard, le rôle du juge coordonnateur (qui doit être désigné par les présidents des tribunaux de grande instance comportant plusieurs juges des enfants) doit être conforté.

Le rapport émet aussi des recommandations en matière de prise en charge. Le recentrage de la protection judiciaire de la jeunesse sur les mesures pénales - décidé sans un « bilan un tant soit peu rigoureux » de l'expérimentation engagée à partir de 2004 dans seulement trois départements - entraîne une charge financière supplémentaire pour les départements, qui n'a été ni évaluée ni compensée, souligne le rapport. La Haute Juridiction invite également les autorités publiques à utiliser davantage les leviers de la réglementation pour influer sur l'offre de prise en charge, comme la révision des autorisations « trop anciennes » des établissements et services, le développement des appels à projets et les conventions pluriannuelles. Alors que le système de tarification « ne garantit pas une allocation optimale des moyens et ne favorise pas l'adaptation des structures aux besoins identifiés », elle propose de « progresser dans l'analyse des disparités tarifaires » et de « réduire celles qui ne sont pas justifiées par la nature des prestations fournies ».

Redonner sa place au milieu ouvert

La cour souligne encore le paradoxe que constitue la faible part des aides à domicile dans l'ensemble des mesures de protection. « Depuis 2002, le nombre des enfants accueillis est supérieur à celui des actions éducatives, même si l'écart tend à se resserrer légèrement. » Il conviendrait, recommande-t-elle, de définir avec précision le contenu et les objectifs des mesures de milieu ouvert : préciser, par exemple, les conditions de l'articulation des aides financières avec les autres mesures de protection de l'enfance, et définir un protocole précis de prise en charge lorsqu'une mesure d'action éducative est décidée. S'agissant des placements, elle suggère de prendre en compte les difficultés du placement familial, notamment en matière de recrutement, en généralisant les dispositifs de soutien et d'accompagnement des assistants familiaux. Elle juge également « indispensable de recenser les situations dont la prise en charge se trouve à la frontière des dispositifs de protection de l'enfance et d'autres types de soutien (pédopsychiatrie, handicap) et de développer les solutions de coopération adaptées ». Toujours concernant les placements, l'examen des dossiers des enfants a « mis en évidence des lacunes importantes dans le suivi des relations avec les parents », relève encore la Cour. Elle recommande que ce sujet soit explicitement traité dans le cadre des relations contractuelles du département et de l'établissement. Les modalités de prise en charge des situations d'urgence devraient par ailleurs être précisées, avec la définition d'un quota de places adaptées et d'une durée maximale de séjour. Alors que la direction générale de l'action sociale « n'assure pas un pilotage efficace » de la prise en charge des pupilles de l'Etat (restée une compétence de l'Etat), cette mission devrait être revitalisée par une plus grande articulation avec les départements.

La cour insiste, enfin, sur la nécessité de renforcer le contrôle externe des structures, par des campagnes coordonnées de contrôle par les organes de l'Etat et des départements. Elle estime également urgent que le dispositif d'évaluation prévu par la loi du 2 janvier 2002, « encore embryonnaire » à la mi-2009, soit pleinement mis en oeuvre.

Notes

(1) Disponible sur www.ccomptes.fr.

(2) En hausse de 10,5 % depuis 2002, mais en troisième position derrière les charges liées au RMI et aux personnes âgées.

(3) Voir ASH n° 2616 du 3-07-09, p. 27.

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