Que pensez-vous de cette vague de suicides ?
Il y a toujours eu des suicides de salariés. Ce qui est nouveau, c'est qu'ils se passent désormais sur le lieu de travail et qu'on en parle. Si ces situations dramatiques interrogent bien évidemment le service social du travail, elles posent une question terrible : comment le travail peut-il amener des personnes à mettre fin à leurs jours ?
Quelles sont les conséquences des restructurations d'entreprises sur les salariés ?
Celles-ci entraînent pour certains salariés une perte de repères. Ils sont confrontés brutalement, et souvent sans préparation, à un changement de direction, une réorganisation des services et de nouveaux métiers. Des salariés nous disent : « ce n'est plus la «maison» que nous avons contribuée à construire ». On leur parle désormais d'entreprise, d'établissement et on leur enjoint non plus d'« apporter des services à l'usager », mais de « répondre aux besoins du client ». De même, alors qu'ils étaient habitués à progresser à l'ancienneté, ils doivent passer des entretiens d'évaluation et être jugés au mérite. C'est tout un langage qui change et, avec lui, une culture « maison » qui disparaît. Sans compter qu'à cette angoisse liée à la perte d'éléments identitaires s'ajoute souvent l'incertitude de son devenir au sein de l'entreprise.
Ces nouvelles méthodes de management, basées sur la rentabilité, peuvent créer un climat délétère entraînant une altération de la santé des salariés : l'individualisation du travail et la responsabilisation accrue à tous les échelons de la hiérarchie engendrent des phénomènes de harcèlement, de violences, de stress, de mal-être.
Le service social du travail est-il associé à ces réorganisations ?
Dans certaines grandes entreprises, il est associé au travail de prévention des risques psychosociaux mené par l'équipe pluridisciplinaire de santé au travail (2). Mais si certains employeurs ont pris conscience de cette dimension, d'autres ont toujours du mal à admettre la souffrance au travail. Dans ce cas, le service social est renvoyé à un rôle plus individuel d'écoute et d'accompagnement des salariés afin de les aider à trouver les ressources personnelles pour gérer leur situation professionnelle. Il a aussi une fonction de médiation, lorsque les personnes ont du mal à parler de leurs difficultés avec le responsable des ressources humaines, en les orientant vers le médecin du travail. Enfin, bon nombre de petites et moyennes entreprises (PME) n'ont malheureusement pas les moyens de créer un service social du travail ou de faire appel à un service interentreprises du travail.
Que demandez-vous ?
Tout d'abord que le service social du travail soit clairement reconnu comme obligatoire pour les entreprises d'au moins 250 salariés. Ce qui implique de lever les ambiguïtés liées à la réécriture du code du travail. Celui-ci dispose qu'« un service social est organisé » dans tout établissement de cette taille, alors que, dans l'ancienne mouture, les établissements « étaient tenus de l'organiser » (3). L'obligation est-elle maintenue ? Par ailleurs, nous demandons que les PME soient incitées à mettre en place un service social du travail mutualisé, et soutenues pour cela. A l'articulation de la vie au travail et hors travail, c'est en effet un acteur incontournable dans la prévention des risques psychosociaux. Son éthique, liée au secret professionnel et à sa déontologie, facilite l'expression libre de la souffrance au travail. Un mal-être vécu individuellement, mais lié, dans de nombreuses situations, à l'organisation du travail ou au management imposé par les objectifs de l'entreprise.
(1) Et conseillère du travail, conseillère technique au service social interentreprises ACTIS à Lyon.
(2) Composée notamment du médecin du travail et de l'infirmière.
(3) L'article L.4631-1 remplace l'ancien article R. 250-1.