Pendant six mois, le réalisateur Denis Gheerbrant a arpenté les rues de Marseille, en cherchant à identifier les endroits de la cité phocéenne où « se fabriquait du social » : clubs, centres de quartiers, syndicats, mouvements de chômeurs... « Marseille travaillait en moi comme un pays imaginaire, le lieu d'une parole ouverte, où l'on pouvait avancer l'hypothèse que l'autre soit considéré comme richesse avant de représenter une menace », confie-t-il. Sept documentaires sont nés de ses errances à travers sept univers « qui composent une ville comme une république » : celui des dockers, des militants ouvriers, des femmes d'une cité-jardin ou des habitants d'une cité ghettoïsée. Et, au milieu, la grande artère du centre-ville, la République, comme un lien entre ces mondes. La République Marseille, c'est également le titre du documentaire projeté en salles (85 min), récit d'une vaste opération immobilière contre laquelle les riverains se mobilisent et se révèlent. Il est accompagné, en alternance, par six autres moyens métrages dont le principe scénaristique est le même : l'un des personnages principaux est investi du rôle de guide.
Pour Les femmes de la cité Saint-Louis, Jeannette conduit Denis Gheerbrant au coeur de cette cité-jardin(1), pour lui raconter ce que celle-ci représente pour ses habitantes. Une mission qu'elle mène avec clarté et émotion. Car Saint-Louis, qui fête ses quatre-vingts ans, a vu naître toutes ces femmes, veuves aujourd'hui. C'est là qu'elles ont travaillé à l'usine, à emballer des bouteilles vides, en chantant. Du dernier étage, elles pouvaient voir la traverse des « frotadous », celle des amoureux. Elles en rient encore. Et chantent toujours, se remémorant les grèves, l'époque militante. Toute une vie. Aujourd'hui, pourtant, l'organisme HLM qui gère la cité-jardin veut mettre les petites maisons en vente. Les femmes se sont réunies en Amicale des locataires. Et la lutte a repris.
Dans Le centre des Rosiers, c'est le directeur du centre social que suit la caméra. Sans nom, sans précisions. Peu importe à Denis Gheerbrant, qui s'attarde plutôt sur les ambiances, les visages, les moments volés, quand les habitants finissent par oublier la caméra. Récit d'un père qui a perdu son fils, poignardé en pleine journée. Chanson d'une mère pour qui « les rues n'ont jamais bien éduqué ». En bordure de la cité des Rosiers, le centre social apparaît bien vite, au fil des images, comme un rare havre de paix. Et une possibilité d'aller voir ailleurs. La salle informatique pour chercher des offres d'emploi, les conseils du directeur pour rédiger des CV, des réunions avec les mères pour qu'elles viennent surveiller les activités, les cours de judo, les séances d'alphabétisation et les sorties à la mer. « Au collège, 70 % des enfants ont leur chef de famille au chômage, et la moitié a un ou deux ans de retard, confie le directeur. Le coût social est énorme, et il pourrait être moindre si les moyens humains étaient donnés pour que chacun soit mis en situation d'acteur de sa propre vie. »
ELSA FAYNER
La République Marseille - Denis Gheerbrant - En salle à partir du mercredi 7 octobre - Suivi, en alternance, de La totalité du monde, Les quais, L'harmonie, Les femmes de la cité Saint-Louis, Le centre des Rosiers ou Marseille dans ses replis
(1) Une « cité-jardin » désigne un ensemble de logements sociaux individuels ou collectifs locatifs avec aménagement paysager et jardin autour de l'habitat. Elle comprend, dans la plupart des cas, des équipements collectifs.