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Recherche en travail social : la voie malaisée de la reconnaissance

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La création des pôles ressources (1) constitue une réelle avancée pour le développement et la reconnaissance de la recherche en travail social, admet Stéphane Rullac, éducateur spécialisé, formateur chercheur à Buc Ressources et membre du Centre d'études et de recherches appliquées (CERA). Ce qui ne doit pas occulter les nombreux obstacles restant à surmonter et les questions encore en suspens.

«Le mouvement lancé par la circulaire de la direction générale de l'action sociale du 6 mars 2008 a effectivement suscité une forte mobilisation du secteur social en matière de recherche. Sans revenir sur ses contours, je tiens à poursuivre le débat en abordant quelques questions que ces innovations portent en elles. Cette mobilisation régionale des centres de formation, à l'initiative des pouvoirs publics, représente un seuil critique de non-retour pour la reconnaissance et le développement d'une recherche en travail social.

Cette ancienne revendication s'opposait à ce double préjugé : il ne serait pas possible de mener une recherche impliquée, dont l'objet vise exclusivement l'opérationnalité. A défaut, le travail social était donc cantonné dans la catégorie de simple technique. Différents pionniers se sont engagés dans cette lutte pour la reconnaissance d'une théorie endogène. Je citerai par exemple Hervé Drouard, qui a notamment créé la revue Forum il y a plus de 30 ans et qui voit aujourd'hui son combat récompensé. Les pôles régionaux soutiennent une démarche scientifique endogène au secteur et une perspective d'innovation technique. Cette étape marque donc la victoire de ceux qui revendiquaient depuis longtemps la possibilité de considérer le travail social comme une science humaine appliquée, disposant d'un terrain de recherche en lui-même et pour lui-même. Il ne s'agit alors plus de considérer seulement le travail social comme une fenêtre scientifique sur le fonctionnement social.

D'autres développements accompagnent et renforcent ce mouvement, tout en en montrant la grande fragilité. Examinons-les synthétiquement.

Les récentes réformes des diplômes du travail social, par exemple des diplômes d'Etat d'éducateur spécialisé (DEES) et d'assistant de service social (DEASS), axent la formation sur l'opérationnalité, via la problématique des compétences. Ces nouveaux diplômes impliquent le développement de contenus méthodologiques inédits. C'est notamment le cas de l'intervention sociale d'intérêt collectif (ISIC), pour les assistants de services sociaux, et de la méthodologie de projet, pour les éducateurs spécialisés. Ces axes de formation impliquent d'adapter la formation à de nouvelles questions, qu'aucun débat scientifique n'a éclairées. S'il est facile de se référer à un corpus en sociologie, par exemple, tel n'est pas le cas aujourd'hui en travail social, lequel - et c'est un cercle vicieux - ne bénéficie pas du même cadre propice au développement que les sciences humaines reconnues. J'imagine que chaque école (au moins chaque formateur chargé de cet enseignement) mesure aujourd'hui la nécessité, pour sortir de cette impasse, de développer collectivement un débat méthodologique. Pourtant, l'absence de toute synergie en ce domaine me sidère et montre l'anomie qui règne parmi les enseignants de ce secteur.

Pénurie de postes et de fonds

La création du diplôme d'Etat d'ingénierie sociale (DEIS) implique le développement d'une production de connaissances endogènes au travail social, tournée vers le développement. Pour autant, cette innovation rencontrent deux obstacles. Le premier réside dans la difficulté des écoles à former à la recherche. Le manque de postes et de financements en la matière, malgré le projet initial des IRTS, compromet toute crédibilité en la matière. La tentation est alors grande de donner cette responsabilité aux seules universités. Le second consiste dans l'absence de postes et de budgets correspondant à la fonction de «cadre développeur» dans les associations et les collectivités territoriales. A défaut, bon nombre de ces nouveaux diplômés se tournent vers des postes de direction.

L'existence d'une chaire du travail social au Conservatoire national des arts et métiers préfigure également le développement d'une discipline à part entière. Malgré tout, l'absence d'un doctorat (la chaire plafonne son offre de formation au Master 2) montre à quel point la France résiste encore à la reconnaissance d'une science du travail social, alors que plus de 80 pays dans le monde le proposent. Cette question rejoint celle du système LMD (Licence-Master-Doctorat) au sein duquel les diplômes canoniques (DEES et DEASS) ne trouvent pas leur place, en tant que bac + 2. Aussi, le modèle des IRTS devra prochainement intégrer l'obligation européenne d'établir cette correspondance en 2012. Il devra alors évoluer, mais vers quoi ? Vers l'»universitarisation» comme au Québec, ou vers les Hautes Ecoles, comme en Suisse ou en Belgique ? Quoi qu'il en soit, lorsque les standards s'aligneront sur le système LMD, qui pourra postuler, parmi les formateurs actuels, s'il n'existe aucun docteur en travail social ? Le risque est tout simplement de fondre la spécificité du travail social dans des logiques disciplinaires préexistantes, mais à côté de l'objet professionnel initial.

Si la revue Forum a été précurseur, le Sociographe fête aujourd'hui ses dix ans, tout en s'affirmant également comme une revue de recherche en travail social. Son utilité est de poser des questions qui sembleraient parfois triviales pour d'autres et toujours ancrées dans une optique d'opérationnalité, comme en témoignent quelques titres : »A table !», »L'homme, la bête et le social», »S'habiller», »Génération écrans»...

La création de l'Association internationale pour la formation, la recherche et l'intervention sociale (Aifris), le 28 juin 2008, marque également l'avènement du maillon international indispensable à tout développement scientifique. De sa place, l'Association des chercheurs des organismes de la formation et de l'intervention sociales (Acofis) permet également de dynamiser la production et la valorisation de la recherche dans ces structures. Cependant, son président, Manuel Boucher, ne reconnaît pas le travail social comme une science, tout en lui concédant une nature scientifique (2). Cette contradiction, à mes yeux, marque une fois de plus les résistances farouches, parfois même internes, que continue de rencontrer le développement scientifique du travail social.

Je voudrais enfin faire part de la création de quelques laboratoires de recherche au sein de diverses écoles du travail social. C'est notamment le cas de Buc Ressources, qui a fondé le Centre d'études et de recherches appliquées (CERA), avec l'Ecole de formation psychopédagogique (EFPP), à Paris, et l'Institut de formation sociale des Yvelines (IFSY), à Versailles. Pourtant, ce projet ambitieux ne repose que sur les efforts de directions motivées, ainsi que sur ceux de formateurs chercheurs qui doivent «rechercher» avant tout l'autofinancement.

Ce bref panorama montre à quel point le travail social est sur le point d'accéder, en France, à la reconnaissance et à l'organisation correspondant à une science appliquée, érigée en discipline. Les créations de pôles régionaux de recherche, d'enseignements méthodologiques, de postes d'ingénieurs, d'une chaire, de revues scientifiques, d'associations internationales et nationales de chercheurs et de laboratoires, représentent autant de pierres blanches sur le chemin de la scientificité du travail social. Cette perspective implique pourtant une grande vigilance, pour que le chemin ne mène pas à se perdre en cours de route. Si la recherche du «comment ?» doit se développer, elle ne peut que se situer après celle du «pourquoi ?». Et dans cette perspective, le travail social doit devenir une science humaine appliquée, soumise à un code de déontologie. Tout développement de moyens sans penser la finalité serait catastrophique. Ainsi, il est urgent que le travail social s'organise dès maintenant pour formaliser ses valeurs. Et il s'agit bien là d'une recherche à part entière. »

Contact : Buc Ressources - 1 bis, rue Louis-Massotte - 78530 Buc - stephane.rullac@buc-ressources.org

Notes

(1) Voir notre état des lieux dans les ASH n° 2623 du 11-09-09, p. 17.

(2) Voir ASH n° 2521 du 7-09-07, p. 28.

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