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Peau neuve

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A Garges-lès-Gonesse, le quartier de la Muette fait l'objet de l'une des toutes premières conventions de rénovation de grande envergure, dans le cadre de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Une opération qui requiert un accompagnement spécifique des habitants, développé par le bailleur social, la municipalité et des associations.

« Au départ, la ville et le bailleur social, le groupe immobilier 3F, ont fait le constat commun de l'existence de difficultés sociales et urbaines concentrées sur le quartier de la Muette, résume Zineb Amrane, chef de projet de rénovation urbaine (PRU). C'était le quartier de Garges le moins demandé en logement social. Il y avait une délinquance importante, des indicateurs sociaux inquiétants... » Situé à la limite nord-est de Garges-lès-Gonesse, dans le Val-d'Oise, la Muette compte parmi les premiers quartiers à avoir fait l'objet d'une convention de rénovation, sous l'égide de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU)(1). Signé à la fin 2004, le projet, qui compte un large volet social, s'est concrétisé avec la livraison des premiers logements neufs en 2007.

Le lien social en péril

Mais la réflexion sur la nécessaire transformation du quartier avait été enclenchée bien avant par 3F, l'unique bailleur social de la cité(2). Une démarche menée par son département gestion sociale et urbaine (DGSU)(3), créé il y a une dizaine d'années et composé de chargés de mission relayés sur le terrain par des agents locaux de médiation sociale. « Il y a, bien sûr, la réhabilitation du bâti et des espaces extérieurs. Mais nous nous étions rendu compte qu'il y avait, au-delà de la technique et de la gestion, quelque chose de l'ordre du lien social qu'il nous fallait contribuer à accompagner, résume Jean-Marie André, directeur de 3F. La première action que nous avons menée en ce sens, avant même la création du DGSU, c'était le soutien en 1995 de l'association de quartier En marche, qui venait de se créer à la Muette à la suite d'émeutes. Puis nous avons lancé diverses initiatives, toujours dans cette ville, avant de les développer ailleurs, comme les agents de citoyenneté, les chartes de bon voisinage... »

La Muette, dont la réputation est à l'époque excécrable, fait ainsi office de laboratoire pour 3F. « Nous recevions souvent des demandes d'échange de logement de la part de clients, alors qu'ils possédaient des appartements très bien conçus, se souvient Anne Loverini, chargée d'accompagnement social chez le bailleur. En 2002, nous avons voulu savoir si les familles qui restaient dans le quartier «subissaient» leur lieu de résidence, faute de moyens pour déménager ou de connaître autre chose. » 3F lance donc une première évaluation, fondée sur des entretiens à domicile. « Outre les informations précises sur la solvabilité des ménages, leur composition, cela nous a aidés à voir comment les logements étaient entretenus, comment les personnes s'appropriaient leur lieu de vie, et à recueillir leurs souhaits pour une amélioration de cet habitat », poursuit Anne Loverini. En parallèle, les services techniques du bailleur social planchent sur un projet de rénovation. Certes, 3F a déjà procédé à des opérations de rafraîchissement des façades, des espaces verts et des parkings. Mais le quartier présente deux points noirs : une très longue barre de 177 logements, dite barre Langevin, et aucune voie de circulation transversale... « Il n'y avait pas de coeur de quartier, de centre de vie, pas de mixité dans un habitat collectif composé avant tout de logements sociaux », décrit Zineb Amrane.

Dans un premier temps, le bailleur décide donc de faire disparaître la barre Langevin. « C'était celle qui vivait le moins bien, victime des tags, des incivilités, de divers trafics, du non-respect des parties communes », justifie Anne Loverini, chargée alors d'entreprendre les premières démarches de relogement en fonction des souhaits des habitants. L'action s'appuie sur une charte de relogement déjà développée dans d'autres municipalités et qui garantit des loyers au mètre carré sans changement, la prise en charge du déménagement, voire des aménagements à apporter au nouveau lieu de vie... L'objectif, avant même la signature de la convention ANRU, est de libérer peu à peu les logements de la barre. Pour 3F, répondre aux demandes de relogement à l'extérieur du quartier n'est pas le plus compliqué mais, en dépit de l'ambiance qui règne à la Muette et que beaucoup déplorent, l'enquête sociale montre que tous les habitants ne sont pas désireux de partir...

Car on ne tire pas si facilement un trait sur un passé familial et amical. « J'habite ici depuis trente ans, expliquait Djamila en 2005, dans un documentaire filmé pendant la rénovation. J'ai ma famille ici, des soeurs, des amis. Il n'est pas question que je parte. » Les résistances sont d'autant plus fortes que les anciens appartements étaient très spacieux, alors que la typologie des nouveaux logements n'intègre plus de F5 et peu de F4. Ce qui limite les possibilités de maintien sur place pour les grandes familles. « Et, malgré tout, appartenir au quartier procurait une certaine fierté », soutient Omar Madani, médiateur culturel 3F et résident de la Muette. « Alors il a fallu convaincre, négocier, trouver ce qui pouvait être attractif pour chacun de nos locataires, même dans un logement plus petit et en dehors du quartier », explique Anne Loverini. Un stationnement privatif, une aire de jeux toute proche pour les enfants, un appartement refait à neuf, un accès sécurisé, une perspective de faire décohabiter les générations... « Parmi les ménages de la barre Langevin, nous avons réalisé une soixantaine de décohabitations, souligne-t-elle. Certains appartements rassemblaient trois, voire quatre générations, alors que les familles avaient les moyens financiers de leur autonomie. »

Point délicat : le relogement

Chaque proposition est soumise à un comité de relogement mensuel qui réunit le bailleur, l'élu au logement, le maire adjoint à l'urbanisme et à l'habitat, le service « développement » de la ville, la préfecture et la maîtrise d'ouvrage urbaine et sociale. L'objectif affiché par 3F est que le relogement soit mené de façon transparente, et que l'on ne puisse pas lui reprocher d'avoir privilégié une famille ou une autre. Le bailleur est d'autant plus attentif aux demandes des habitants que l'Amicale des locataires se fait le porte-parole de ceux qui ne sont pas satisfaits. « Nous avons rédigé des courriers pour soutenir des locataires qui n'obtenaient pas ce qu'ils voulaient, nous les avons accompagnés dans leurs rendez-vous avec le bailleur », raconte Louis Deplais, vice-président de l'Amicale. Or le bruit a couru un moment que, après trois propositions de relogement refusées, les ménages ne seraient plus pris en charge. Ce que dément aujourd'hui 3F, indiquant que certaines familles ont reçu jusqu'à huit propositions avant de trouver satisfaction. « Il y a eu alors une réelle incompréhension parmi les habitants, se rappelle Louis Deplais. Nous pensions qu'on voulait nous faire quitter le quartier. » Il est en effet prévu que la moitié des 1 300 logements du quartier soit démolie pour être reconstruite, l'autre moitié devant être rénovée. Dans la nouvelle Muette qui se profile, la part du logement locatif social doit diminuer, mixité sociale oblige. Alors qu'il occupait 88 % du bâti en 2004, il n'en occupera plus que 70 % à terme, le reste étant constitué de logements en locatif libre ou en accession à la propriété. Mais du côté des copropriétaires concernés aussi, certains refusent la démolition de leurs logements sans l'assurance d'être relogés sur place.

Le relogement de quelques familles « à problèmes » fait partie des dossiers délicats à examiner. Certaines sont connues des services de police, un ou plusieurs de leurs membres étant impliqués dans des trafics ou des actes de délinquance. « Nous nous sommes demandés s'il fallait maintenir sur des sites rénovés certains foyers connus pour y avoir provoqué des incivilités. En les relogeant ailleurs, on pouvait les aider à sortir d'un réseau, explique Anne Loverini. Dans d'autres cas, pour des jeunes que nous savions sortis de la délinquance, des personnes rangées après un séjour en prison, il pouvait être intéressant de les reloger ailleurs pour leur éviter la stigmatisation. » Il y a aussi les cas particuliers, comme ces trois ménages qui ne voulaient absolument pas quitter la barre Langevin. En particulier, une famille qui refusait de laisser l'appartement où se situait la chambre d'un enfant décédé, et à laquelle 3F a proposé un logement dont la configuration leur permettait de recréer la chambre de leur enfant. « Mais ceux qui ont résisté sont finalement restés dans le quartier », se félicite Louis Deplais.

L'enquête et l'opération de relogement aident également à mettre au jour des situations sociales compliquées, généralement examinées par une commission sociale, qui se réunit chaque mois. Elle rassemble les travailleurs sociaux du centre communal d'action sociale (CCAS), de la caisse d'allocations familiales, des représentants de la mairie, du bailleur... Les chargés de mission de 3F rencontrent ainsi une femme qui ne sortait plus de son appartement, car elle avait été violée dans la résidence, et vivait grâce à l'allocation aux adultes handicapés de sa fille. « Avec la commission sociale nous avons pu réunir les papiers nécessaires pour qu'elle fasse une demande de RMI, et elle a été relogée à l'extérieur du quartier », raconte Anne Loverini. Reste que, pour la plupart, les cas examinés par la commission concernent des situations d'impayés... « En général, les familles étaient déjà connues des services sociaux, se souvient Antoine Label Ngongo, chargé de mission habitat au CCAS. Mais la commission nous a permis de mettre en commun des informations, d'échanger sur ce que chacun des acteurs connaissait d'une famille. Ensuite notre rôle était d'éviter à tout prix les expulsions, en initiant un travail sur le budget, la mise en place d'aides diverses, etc. »

La fin de la barre Langevin

A partir du début 2005, avec la signature de la convention ANRU, le projet connaît une accélération. La démolition de la barre Langevin est achevée au début 2006. « C'était très impressionnant, voire violent pour les habitants du quartier », se souvient Virginie Loisel, professeure d'arts graphiques et vidéaste qui a animé un atelier vidéo sur la rénovation du quartier. L'immeuble est déconstruit, des chantiers s'ouvrent de part et d'autre pour construire une rue, créer des pavillons, de nouveaux îlots, les bâtiments conservés entrent en rénovation. Par ailleurs, un nouveau bailleur social doit intervenir sur le secteur. Pour parer aux difficultés de communication entre les habitants et les différents acteurs de la rénovation, plusieurs outils sont développés. Une gazette trimestrielle est diffusée sur le quartier, pour laquelle la participation de l'Amicale des locataires est sollicitée. Différents documents sont élaborés pour informer les habitants sur le relogement et leurs droits. Des réunions publiques sont organisées. Une maison du projet est ouverte, mitoyenne du centre social Dulcie September. Des représentants de la municipalité ou des acteurs du relogement y tiendront des permanences : agent de développement local, chargés de projet du cabinet de maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale, élus locaux... « Nous avions beaucoup de passage avant que le relogement soit achevé, explique Anne-Sophie Huvet, agent de développement local sur le quartier. Les gens posaient des questions sur l'évolution des travaux, les gênes occasionnées dans le quartier, ou venaient pour avoir des nouvelles sur leur propre relogement. Au fur et à mesure que le projet a été mieux accepté, les visites ont diminué. »

C'est également de la maison du projet que partent les « diagnostics en marchant », une méthode employée pour limiter les nuisances des chantiers. « Nous avions supprimé des places de parking, dévié des cheminements, rappelle Anna Hadmar, responsable habitat chez 3F. Il fallait aussi s'assurer que les abords immédiats du chantier restaient propres. » Tous les mois, une petite équipe réunissant un représentant du bailleur, un technicien de la ville, un employé de la voirie, un habitant et des gardiens fait le tour du quartier pour s'enquérir concrètement des difficultés que pose le chantier aux habitants. « Cela permet de constater ensemble les dysfonctionnements et d'y remédier très rapidement », assure Anna Hadmar.

Des opérations d'animation spécifiques sont également lancées par les services de la ville, les associations de quartier et le bailleur : un rallye photo dans la cité ; des ateliers vidéo ; la réalisation d'une fresque pour dissimuler la tour qui abrite la chaufferie du quartier, et qui ne pourra être démolie qu'ultérieurement ; la décoration des palissades qui entourent les zones de travaux... « Faire les choses avec les habitants favorise une appropriation des espaces et leur meilleur respect, note Yahia Macer, directeur du centre social Dulcie September. Ni la fresque, restée un an sur la tour, ni les créations sur les palissades du chantier n'ont été détériorées. » L'opération « En chantier de vous connaître » a particulièrement plu aux habitants. Répétée chaque année, elle offre l'occasion de visiter un appartement témoin, de pénétrer sur les différents chantiers, de découvrir les futurs équipements sportifs... Les habitants ont été aussi associés à l'agencement de la future place centrale du quartier, à travers des ateliers d'urbanisme organisés par Anne-Sophie Huvet. « Certains ont demandé des bancs et des barbecues, les enfants ont réclamé des balançoires, résume l'agent local de développement. Tout ne sera pas réalisable, mais le résultat de ces réflexions a été transmis aux architectes urbanistes. »

Un quartier en pleine renaissance

Le centre social participe lui aussi à cet accompagnement. « Les gens exprimaient leurs inquiétudes dans notre conseil de maison, se souvient Yahia Macer, comme le fait de ne plus pouvoir traverser tranquillement une rue ou d'attendre qu'une nouvelle voie de circulation soit percée. C'était révélateur de leurs préoccupations. » D'où l'idée de proposer des ateliers vidéo fondés sur la mémoire du quartier, des activités bricolage, la réalisation d'une maquette du futur nouveau local du centre. La période de rénovation a également fait émerger un autre besoin : « Nous recevions beaucoup de demandes d'aide pour remplir des formulaires divers, notamment les dossiers de relogement, poursuit le directeur du centre social. Au terme d'une réflexion avec la caisse d'allocations familiales et les assistants sociaux du département, il est apparu nécessaire d'embaucher un salarié. » Mais le temps que le projet prenne forme - un écrivain est recruté en janvier 2009 -, les relogements étaient suffisamment avancés pour que celui-ci soit sollicité pour des demandes sans rapport avec la rénovation.

L'opération semble avoir fait l'objet d'un réel consensus. Parmi les acteurs concernés, en tout cas, tous s'accordent aujourd'hui pour souligner leur bonne entente. « Les idées d'animation et de communication ont émergé lors des coordinations de quartier que j'anime tous les mois, explique Anne-Sophie Huvet. Mais l'avantage était aussi que le bailleur avait lui-même développé son service de gestion sociale et urbaine. C'est-à-dire, pour nous, un interlocuteur direct en matière d'animation, de concertation avec les habitants, de soutien à la vie associative... » Sur un plan architectural et urbain, à terme, aucun des bâtiments de la nouvelle Muette ne comptera plus de cinq étages, et tous seront « résidentialisés », leurs espaces verts entourés d'une grille et l'accès sécurisé par un code ou un interphone. Le bâti est organisé en îlots. « Au lieu d'être cent dans une même cage d'escalier, on est huit, explique Zineb Amrane. Cela change les rapports de voisinage, y compris dans la perception de l'insécurité. » Les parties privatives sont aujourd'hui davantages respectées. Des chartes de bon voisinage sont diffusées et les équipes de terrain, médiateurs culturels et gardiens, déjà présents sur le site, sont maintenus. « Nous avons même réuni autour d'une table la direction du supermarché voisin et les gardiens, poursuit le chef de projet de rénovation urbaine. Certains des habitants avaient pour fâcheuse habitude de repartir du magasin avec le Caddie, puis de l'abandonner une fois leurs achats ramenés chez eux. Nous avons donc imaginé un système de ramassage avec les gardiens. Mais depuis, comme par hasard, nous n'avons plus de Caddie abandonnés sur le site... »

Selon Zineb Amrane, cinq ans après le constat initial, la Muette serait devenu le quartier de Garges le plus demandé sur le plan du logement . «Il n'y a plus de bandes, plus de violences», se félicite-t-il. Les petits pavillons en accession à la propriété qui se situent à la pointe ouest du quartier se sont vendus en une semaine. « Et 50 % des maisons individuelles sont déjà vendues, alors qu'au départ les promoteurs privés doutaient que des propriétaires viennent s'installer ici. » Bien sûr, l'ensemble des logements n'a pas encore été livré, le secteur privé étant plus lent au démarrage. De nouveaux habitants doivent encore investir les lieux, le projet ne devant être achevé qu'en 2012.

Notes

(1) Créée en 2003, l'ANRU intervient dans les 189 quartiers prioritaires aux prises aux plus grandes difficultés sociales, urbaines et économiques et les 342 quartiers supplémentaires confrontés à des situations sociales, urbaines et économiques difficiles.

(2) Composé de dix entreprises sociales pour l'habitat (ESH), le groupe 3F loge plus de 400 000 personnes dans son parc locatif comprenant 148 800 logements et résidences thématiques destinées aux personnes âgées, handicapées, en situation d'urgence, etc.

(3) DGSU : 13, rue Nationale - 75638 Paris cedex 13 - Tél. 01 40 77 15 15.

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