Le projet de loi pénitentiaire « a été revu et corrigé dans son objet social pour devenir le projet de l'administration pénitentiaire ». C'est l'opinion de Patrick Marest, délégué national de l'Observatoire international des prisons (OIP) (1), alors que le texte, adopté au Sénat le 6 mars dernier après une déclaration d'urgence contestée, est soumis à l'examen des députés depuis le 15 septembre.
Annoncé depuis 2007, attendu depuis plus de dix ans, ce projet de loi est censé mettre la France en conformité avec les règles pénitentiaires européennes et répondre à une situation carcérale qui, malgré les dénonciations officielles successives, ne fait que s'aggraver. Or le texte, qui doit encore être examiné par les députés jusqu'au 22 septembre, revient sur d'importantes avancées apportées par les sénateurs, qui s'étaient attachés à l'enrichir. Ce qui suscite des réactions indignées de l'opposition, du monde associatif et de syndicats de professionnels. La commission des lois a ainsi choisi de supprimer le principe de l'encellulement individuel et de le remplacer par la notion de « libre choix » des détenus d'être placés soit en cellule individuelle, soit en cellule collective, demande qui serait satisfaite « sauf si leur personnalité y fait obstacle ». La journaliste Florence Aubenas, nouvelle présidente de l'OIP, y voit le symbole d'une impuissance à agir face à la surpopulation carcérale : « Cet amendement repose sur le faible nombre de demandes de placement en cellule individuelle : 450 l'année dernière, alors que 80 % des détenus interrogés dans le cadre des «états généraux de la condition pénitentiaire» [lancés en 2006 à l'initiative de l'OIP] y sont favorables. Ce chiffre s'explique par le fait que l'encellulement individuel implique un éloignement de la famille ou de son avocat. Les détenus ont en réalité à choisir entre deux droits fondamentaux : le droit à l'intimité ou le droit à voir sa famille et à avoir un procès équitable. »
Outre cet abandon, ajoute le Syndicat dela magistrature, la nouvelle version du projet de loi « entérine le «régime différencié» qui permet à l'administration pénitentiaire de déroger à l'encellulement individuel dans les établissements pour peine ». Le régime de détention serait déterminé en prenant en compte la personnalité, la santé, la dangerosité, mais aussi les efforts du détenu en matière de réinsertion sociale. Une manière de multiplier les pouvoirs de l'administration sur les conditions de détention, critique l'OIP, selon qui cette logique de « gestion » traverse tout le projet de loi : « L'article 10 qui garantit à tout détenu le respect de sa dignité et de ses droits est bordé par sept restrictions » résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité ou encore de la protection de l'intérêt des victimes, commente Florence Aubenas.
Autre recul, dans le volet consacré aux solutions alternatives à la prison : les récidivistes seraient exclus du bénéfice de l'aménagement de peine ouvert aux détenus condamnés à deux ans de prison, contre un an aujourd'hui. Pour Patrick Marest, « l'abandon de la resocialisation comme fonction première de la peine d'emprisonnement laisse place à une nouvelle utopie carcérale. Celle qui - pour ériger la prison en «école de la lutte contre la récidive» - en vient à remettre en cause le bien-fondé des aménagements de peine comme alternative adaptée à l'incarcération et comme mesure pertinente de réintégration dans la société, et transforme le «droit à la réinsertion» en «devoir de réinsertion». » Or, derrière l'injonction, quels seront les moyens dégagés ? Par ailleurs, l'article qui disposait qu'« un acte dénué de lien avec les soins, la préservation de la santé du détenu ou les expertises médicales ne peut être demandé aux médecins et aux personnels soignants » a été supprimé par la commission. « Les prémices d'une réforme du secret médical », craint Hugues de Suremain, juriste à l'OIP.
Plusieurs amendements plus favorables à la condition des détenus ont néanmoins été adoptés par la commission des lois. Il en va ainsi de la prise en compte des personnes en situation de handicap dans les dispositions relatives à l'« obligation d'activité » et à l'accès à une activité professionnelle, ou encore du droit ouvert aux détenus de se pacser. La commission a également souhaité favoriser les visites en parloirs familiaux ou en unités familiales.
D'autres amendements visent à améliorer la situation des femmes. Ainsi, l'administration devrait, sous réserve, là encore, du vote des députés, assurer une prise en charge sanitaire et médicale adaptée à leurs besoins. Tout accouchement ou examen gynécologique devrait se dérouler « sans entraves et hors la présence du personnel pénitentiaire ». Une convention entre l'établissement pénitentiaire et le département définirait « l'accompagnement social proposé aux mères détenues avec leurs enfants » et prévoirait « un dispositif permettant la sortie régulière des enfants à l'extérieur de l'établissement pour permettre leur socialisation ».
Ces trois nouvelles dispositions, comme l'amendement qui prévoit d'organiser des activités mixtes dans les établissements pénitentiaires, découlent de recommandations formulées par la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, dans un rapport adopté le 8 septembre. Ce dernier souligne la réalité méconnue de l'incarcération des femmes, qui représentent de 3 à 3,5 % de la population écrouée et pour qui la détention a davantage d'implications sociales que pour les hommes. Leur isolement géographique du fait du faible nombre d'établissements pénitentiaires qui leur sont réservés rend encore plus difficile le maintien de leurs liens familiaux. Leur marginalisation dans les quartiers spécialisés, doublement vécue par les mineures, ne facilite pas leur réinsertion. Autant de constats qui ont abouti à une série de préconisations... en partie seulement reprises par la commission des lois de l'Assemblée nationale.
(1) L'OIP a ouvert sur son site Internet (