Plus de dix ans après son rapport sur l'intervention sociale d'aide à la personne (ISAP), le Conseil supérieur du travail social (CSTS) a rendu sa copie sur l'intervention sociale d'intérêt collectif (ISIC) (1). Un document pensé avant tout comme un outil didactique à destination des travailleurs sociaux et des étudiants. A travers de multiples exemples et des propositions issues des pratiques du terrain, le groupe de travail, présidé par Didier Dubasque, vice-président de l'Association nationale des assistants de service social (2) souhaite « donner envie aux professionnels et aux bénévoles de l'action sociale d'agir dans les diverses dimensions de l'action collective ». Il rappelle également aux collectivités territoriales et aux institutions que celle-ci « présente un enjeu majeur dans la lutte contre l'exclusion et pour la cohésion sociale ».
Après un bref historique de l'ISIC, le rapport réaffirme qu'il s'agit d'une notions spécifiquement française. Dès 1988, dans son rapport L'intervention sociale collective, le CSTS l'avait définie comme une intervention qui « touche la population sur un territoire déterminé [et] se donne pour objectif la prise en compte d'intérêts collectifs, entendus comme des facteurs susceptibles de faciliter la communication sociale des divers groupes et, par là, d'aider à la maîtrise de la vie quotidienne, dans ses diverses dimensions ». Par ailleurs, « loin d'ignorer la nécessité de l'aide individuelle, l'intervention sociale d'intérêt collectif admet que celle-ci ne suffit pas à améliorer les conditions sociales propices à chaque histoire individuelle ». Au final, résument les auteurs, « le bénéfice recherché est d'ordre collectif même si l'intérêt individuel n'est pas exclu ».
Les rapporteurs rappellent que l'ISIC recouvre des pratiques diversifiées telles que le travail social communautaire, le travail social avec les groupes (TSG) et le développement social local (DSL). La première de ces méthodologies d'intervention consiste en une « prise en charge par le groupe ou la population de leurs problèmes afin d'arriver à une autonomie individuelle et sociale ». Le travail social communautaire reste cependant peu utilisé en France, à la différence des pays anglo-saxons ou latino-américains. « Le terme «communautaire» est devenu sujet à caution en France », expliquent les auteurs, certains l'assimilant à « communautariste », connoté négativement.
Parmi les expériences décrites dans le rapport figure la création d'un club de football dans un quartier sensible du Mans (3). Un animateur et un éducateur intervenant dans ce quartier avaient constaté une forte occupation « sauvage » des espaces publics par des groupes de jeunes semblant apprécier la pratique du football. Pour autant, aucun d'eux n'était inscrit en club et certains présentaient des difficultés d'adaptation sociale (exclusion scolaire, passage à l'acte déviant, incapacité à accéder à un premier emploi). La création d'une équipe de football au sein du quartier a été une « occasion formidable pour pénétrer le cercle de référence de ces jeunes ». Ces derniers « ont eu à réinterroger leur mode de fonctionnement, se heurtant en sortant du contexte du quartier à des schèmes de pensées et d'actions différents, à modifier et à déplacer des repères sociaux, pour satisfaire leur ambition et valoriser l'image du quartier par leurs résultats sportifs ». La création de cette union sportive a suscité un élan plus vaste. « D'un projet à caractère limité, il est devenu fédérateur, avec des personnes qui se sont découvert des ambitions et des potentialités au fur et à mesure de l'avancée de l'action, soulignent les auteurs. Il a participé à une forme de restauration du lien social, les habitants pouvant désormais affirmer une identité au bénéfice d'une image du quartier valorisée et valorisante. »
Autre composante de l'ISIC, le TSG a pour objectif « d'aider chaque membre, mis en relation au sein d'un groupe constitué à cet effet, à développer un système d'aide mutuelle pour faire face à ses propres besoins et à ses problèmes ». Le rapport évoque notamment la création d'un groupe de personnes surendettées, baptisé « Crédiscussion », initié par une assistante sociale et une conseillère en économie sociale et familiale (CESF) de la caisse d'allocations familiales (CAF) du Val-de-Marne (4). Confrontées aux limites de leur travail individuel avec des familles aux prises avec des créanciers et rongées par la culpabilité, les deux professionnelles se sont lancées dans une intervention sociale de groupe. Objectif : « Permettre à ces familles d'améliorer leur situation au plan administratif et financier en travaillant simultanément sur les aspects psycho-sociaux, par un processus d'aide mutuelle développé au sein du groupe. » L'évaluation de cette action montre que les familles ont assisté aux réunions de groupe avec assiduité, y trouvant réconfort, soutien et convivialité. Elles disent également avoir retrouvé des capacités de compréhension et d'action pour faire avancer leur situation. De fait, tous leurs dossiers de surendettement ont été acceptés. Les professionnelles ont quant à elles modifié leurs représentations liées à l'argent et constaté que l'aide mutuelle pouvait provoquer du changement. A l'issue de cette action, des membres du groupe ont suggéré d'animer avec les deux professionnelles des réunions d'information et de rencontrer des usagers en difficulté financière. Ces deux interventions ont finalement été réalisées avec succès.
Le développement social local constitue encore une autre facette de l'ISIC. Il peut être défini comme un processus collectif permettant d'imaginer « certaines solutions aux problèmes économiques et sociaux et de les mettre en oeuvre avec ceux qui en sont les acteurs et les bénéficiaires ». Les rapporteurs décrivent plusieurs expériences réalisées en milieu rural ou en territoire urbain. Une démarche menée dans une commune de 4 500 habitants de Maine-et-Loire apparaît comme particulièrement représentative. Elle est née d'une difficulté partagée des travailleurs sociaux du conseil général et de la Mutualité sociale agricole (MSA) à exercer leurs missions dans un quartier de la ville. Les rapports sociaux devenaient plus tendus et les professionnels comme les associations locales relevaient des situations de repli chez un certain nombre d'habitants. Leur souhait de travailler différemment est entré en résonance avec les projets de la municipalité, qui entendait mener des actions de prévention pour améliorer la vie du quartier. Les travailleurs sociaux se sont également adressés au centre social et à l'office HLM, qui projetait une réhabilitation de certains logements. Un processus global de développement s'est alors mis en place, prenant en compte le cadre de vie, l'environnement, les loisirs, le lien social, la vie culturelle et la citoyenneté.
Dans cette expérience, les auteurs soulignent que les trois niveaux de représentation (habitants, élus, professionnels) ont été partie prenante de la démarche. Les habitants, de catégories sociales et d'âges différents, ont participé activement aux groupes de travail et ont été force de proposition pour les divers projets mis en place (festival, « causeries », réaménagement de l'espace urbain, Maison de tous et pour tous, stade multi-activité pour les jeunes...). D'autre part, cette dynamique a engendré des changements notables dans les comportements et les attitudes des habitants (valorisation, prise d'initiatives, affirmation de soi...) et permis le développement d'aptitudes individuelles (prendre la parole en public, par exemple). Cette démarche « ascendante » a été menée dans le cadre d'un large partenariat (le centre social, porteur du projet, l'office HLM, la municipalité, les travailleurs sociaux du conseil général et de la MSA) (5). Pour les auteurs du rapport, la concrétisation des différents projets et le lien tissé entre toutes ces composantes ont représenté des points d'appui manifestes pour la poursuite de l'action.
Le groupe de travail ajoute à ces trois grands types d'intervention (travail social communautaire, TSG, DSL) des actions collectives possédant des finalités similaires. Il peut s'agir de groupes ou de cercles de parole, d'expériences de théâtre-forum ou d'initiatives portées par des habitants. Ces actions font partie intégrante de l'ISIC dès lors qu'elles poursuivent deux objectifs : un renforcement du lien social entre les personnes ou entre les groupes (notion de « reliance sociale ») et un développement des capacités à comprendre et agir individuellement ou collectivement (concept d'« empowerment »). Pour les auteurs, un « positionnement professionnel fait de confiance dans la force de l'intelligence collective et d'acceptation de l'incertitude permet de démarrer et, même si l'action est limitée dans le temps et dans ses objectifs, d'engranger des réussites qualitativement évaluables ».
Tout en plaidant pour le développement de l'ISIC, les rapporteurs n'éludent pas la question des « écueils » de ce type d'intervention. Celle-ci peut en effet être mise en oeuvre « de façon tronquée, voire contraire à son objectif et sa finalité ». Le premier risque consiste à ne penser et valider l'action collective que si elle valorise l'institution, alors qu'elle a pour objectif de répondre à des demandes sociales. Les auteurs mettent également en garde contre la tentation de « faire vite », sans prendre le temps nécessaire à l'implication de la population ou d'un public spécifique. « Or, lorsqu'elle est dénaturée, l'action collective peut provoquer une forme de défiance et décourager les initiatives, préviennent les auteurs. Si les participants (habitants, usagers...) ne se sentent pas suffisamment partie prenante des orientations envisagées et des prises de décision, ils risquent de s'éloigner. » Ces dérives doivent donc être appréciées à toutes les phases des actions menées et, en particulier, dès l'étape préparatoire. En clair, « l'ISIC ne se décrète pas, c'est un processus qui nécessite du temps et des espaces » (6).
Le rapport insiste également sur la nécessaire articulation de l'ISIC avec l'ISAP. Au cours de leurs observations, les membres du groupe de travail ont en effet pu constater combien il peut être « contre-productif » de dissocier ces deux interventions. Le passage de l'une à l'autre permet au contraire de « développer une prise de distance et un regard sur soi beaucoup plus dynamique que lorsqu'il n'est retenu qu'une seule pratique ». Les rapporteurs insistent sur le fait qu'il n'existe pas une intervention sociale « classique » centrée sur l'individu et une intervention sociale « moderne » centrée sur le collectif. « Il ne s'agit donc pas de former des spécialistes de l'ISIC mais bien de former des travailleurs sociaux à l'ISIC tout comme ils sont formés à l'ISAP. La réforme du diplôme d'Etat d'assistant de service social s'inscrit dans cette logique de complémentarité. » Dans le cadre de la démarche de DSL menée en Maine-et-Loire, un assistant de service social polyvalent revient sur cette articulation entre les deux modes d'intervention. « Les représentations des habitants sur les assistants de service social ont évolué, dans la mesure où les rencontres se font aussi sur des temps conviviaux, constate-t-il. Les relations avec les différents partenaires se sont renforcées. De ce fait, le travail individuel avec les habitants se trouve facilité par une bonne connaissance mutuelle des services et des pratiques professionnelles. »
Pour les auteurs, se priver des pratiques de l'ISIC revient à « amputer le travail social d'un potentiel d'actions et conduit à réduire son efficience ». Comme le soulignait l'inspection générale des affaires sanitaires et sociales en 2005 (7), une approche collective du travail social permet de « sortir du cercle vicieux des mesures fondées sur des prestations et dispositifs comme unique politique de redistribution ».
Reste que, pour l'heure, l'ISIC est trop souvent cantonnée soit dans des politiques spécifiques telles que la politique de la ville, soit dans des institutions, comme les caisses d'allocations familiales ou la MSA. L'une des hypothèses du groupe de travail, vérifiée par des observations de terrain, est que l'ISIC aurait tendance à « avancer masquée ». Selon les auteurs, « il existe sur le territoire de nombreuses actions collectives qui sont peu connues, peu visibles, certaines s'effectuant même cachées. Nombre d'entre elles ne bénéficient pas de moyens ni même de reconnaissance institutionnelle. »
Cette situation s'explique par de multiples obstacles internes comme externes au travail social. Tout d'abord, si la relation individuelle l'emporte sur les approches collectives, c'est que l'intervention sociale a été construite et orientée sur une logique d'aide à la personne. Les rapporteurs font ainsi état d'une séparation entre « un univers rationnel légal, essentiellement procédural, hérité d'une logique d'intervention verticale définissant des populations cibles, des ayants droit, des seuils et des conditions d'accès » et « une intervention globalisée, peu prescrite, fondée sur un idéal de démocratie participative et construite sur une logique de coproduction avec l'usager ». Les auteurs pointent également un phénomène générationnel assez paradoxal. Alors que la génération plus ancienne de travailleurs sociaux préconise les pratiques collectives et le développement local, les jeunes générations d'assistants sociaux ont suivi des formations « plus axées sur la psychologie, les orientant vers une vision individuelle de la relation et du potentiel de transformation ». Cette tendance s'accompagne d'une évolution sociétale qui, notamment depuis le début des années 80, place l'individu au centre des relations sociales. A cette focalisation sur les droits de la personne s'ajoute une défiance des autorités administratives ou politiques à l'égard des communautés et de « l'agir collectif ». Ainsi, « le regroupement d'usagers, d'habitants de quartiers centrés sur des objectifs spécifiques peut laisser craindre la mise en oeuvre de groupes de pression pouvant contester de façon plus ou moins visible les institutions ou les pouvoirs politiques en place ».
Par ailleurs, l'organisation même de l'intervention sociale, dans le contexte de la décentralisation, aurait tendance à freiner la mise en place des actions collectives. Soucieuses de « bonne gestion », les institutions « cherchent à produire des résultats dans des délais rapprochés, de manière à les évaluer, les communiquer et les valoriser, expliquent les rapporteurs, qui évoquent le recours fréquent aux appels d'offres. Les professionnels de terrain sont alors positionnés comme de simples exécutants ou prescripteurs dans le cadre de dispositifs fonctionnant en tuyaux d'orgues au lieu d'être associés au diagnostic et à l'inventaire des solidarités collectives à l'oeuvre sur les micro-territoires. »
D'autres aspects politiques et techniques, externes au travail social, expliquent le recours insuffisant à l'ISIC. Ainsi, les lois et circulaires « font systématiquement référence à la responsabilité et aux droits individuels de la personne », constatent les rapporteurs, qui citent l'exemple récent du revenu de solidarité active (RSA). « A l'image du RMI, les contrats sont individuels et élaborés dans un rapport duel avec le travailleur social ou avec le professionnel de l'emploi » (8).
Pour accélérer la mise en oeuvre de l'ISIC, les auteurs adressent une série de recommandations à plusieurs catégories d'acteurs. Aux élus, d'abord, les rapporteurs suggèrent de prévoir, dans les lois et leurs textes d'application, des dispositifs qui reconnaissent l'action collective et lui attribuent des financements spécifiques. Sur le terrain, ils les invitent à devenir des « facilitateurs » d'actions sociales collectives et à « permettre l'expression citoyenne des groupes sociaux les plus fragiles, que l'on entend peu, et qui sont susceptibles d'apporter des contributions très positives ». Le rapport insiste sur le fait que l'ISIC peut favoriser « le lien social, le débat démocratique, et la reconnaissance du «bien vivre ensemble» ».
Aux institutions et organismes employeurs, le groupe de travail recommande d'inscrire l'ISIC comme une offre de services à part entière, comme le font déjà certains départements (9). Les structures d'insertion et les associations sociales et médico-sociales pourraient également demander à leurs professionnels d'expérimenter l'approche collective. Sa mise en oeuvre passe également par une meilleure évaluation de son impact et par l'élaboration de nouveaux indicateurs. « Ce travail de visibilité des résultats manque aujourd'hui au développement de l'ISIC. » Par ailleurs, on ne peut « s'appuyer uniquement sur la bonne volonté des acteurs. Seule une reconnaissance institutionnelle et financière qui prend en compte toutes les phases de l'intervention collective peut permettre son développement ». Le rapport suggère enfin de promouvoir la formation des cadres intermédiaires, qui ont un rôle important dans l'accompagnement des professionnels et des bénévoles.
S'agissant des établissements de formation initiale et continue, le rapport reconnaît qu'ils ont désormais intégré l'ISIC dans leurs programmes. Pour accentuer cet effort, les auteurs leurs conseillent de saisir les conseils régionaux des enjeux et de l'intérêt de l'ISIC en termes de développement local. Les établissements pourraient également expérimenter des démarches de « co-formation » associant les professionnels et les usagers, soutenir des institutions qui envisagent l'ISIC afin de la déployer sur de nouveaux terrains de stage ou encore accompagner des recherches-actions.
Enfin, « l'intervention sociale d'intérêt collectif pourra se développer si les travailleurs sociaux sont convaincus de son intérêt et de sa pertinence », soulignent les auteurs. Ces derniers leurs proposent « d'oser l'ISIC » en expérimentant des actions. Par exemple, s'engager dans du travail social de groupe centré sur des objectifs précis peut constituer un « premier pas » en vue d'avancer vers la complémentarité de l'intervention sociale d'aide à la personne et de l'ISIC. Les travailleurs sociaux devraient également être attentifs aux lieux où des solidarités locales peuvent se mettre en oeuvre (associations, initiatives d'habitants...) afin de s'appuyer sur ces dynamiques. Au final, les auteurs reconnaissent que la mise en oeuvre de l'ISIC par les travailleurs sociaux s'apparente à un « vrai défi », dans la mesure où il s'agit de « passer d'un système de valeurs, qui favorise de multiples formes de défiance des personnes à l'égard de leur entourage et des institutions pour s'inscrire dans une logique de confiance et de reconnaissance de l'autre quelle que soit sa place dans la société, comme sujet porteur de potentialités et de capacités de réussite citoyenne ».
Commandé en janvier 2008 par Valérie Létard, alors secrétaire d'Etat chargée de la solidarité, le rapport sur l'intervention sociale d'intérêt collectif devait être présenté, le 1er juillet dernier, lors d'une journée de valorisation de l'ensemble des travaux du CSTS. La ministre, qui, estimait, dans sa lettre de mission, « nécessaire et urgent » de promouvoir cette pratique et de lever les obstacles à son développement, devait clore le séminaire. Valérie Létard, qui est assistante sociale de formation, n'en eut pas le temps, la journée ayant été annulée à la suite de son changement de portefeuille (10) lors du remaniement ministériel de juin. Elle devrait être repoussée à une date que le cabinet de Nadine Morano, la nouvelle secrétaire d'Etat chargée de la famille et de la solidarité - qui ne s'est pas encore prononcée sur le travail social -, n'avait toujours pas arrêtée au moment du bouclage des ASH.
I. S.
Le Conseil supérieur du travail social s'est également penché, dans un rapport annexe, sur « l'intervention sociale d'intérêt collectif et la lutte contre les violences faites aux femmes » (11). Cette étude dresse tout d'abord l'état des connaissances sur le phénomène. D'après une enquête du ministère de l'Intérieur publiée en 2007, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son partenaire, et dans la moitié des cas, des violences avaient déjà eu lieu par le passé dans le couple. Selon une enquête de l'INSEE de 2008, les femmes sans diplôme sont trois fois plus nombreuses à subir des violences domestiques que les plus diplômées. « Aujourd'hui, les violences faites aux femmes sont reconnues comme un enjeu de santé publique et considérées comme graves et inacceptables, constatent les rapporteurs. Mais cela ne suffit pas pour en limiter la réalité. »
Alors qu'il existe des travailleurs sociaux spécialisés dans l'accompagnement des femmes victimes de violences, les auteurs constatent qu'il existe trop peu d'écrits de référence sur leurs pratiques. De leur côté, les travailleurs sociaux généralistes sont « de moins en moins en posture de développer ce type de compétence car ils sont inscrits dans une multiplicité d'actes professionnels et de dispositifs qui éparpillent leurs actions ». Par ailleurs, selon qu'ils exercent en milieu rural ou en milieu urbain, ils ne disposent pas des mêmes ressources, ni des même relais, pour intervenir sur les situations.
Le rapport s'attache à décrire les différentes logiques qui sous-tendent l'intervention sociale auprès des femmes victimes de violences, en s'appuyant sur de nombreux témoignages. Ainsi, lorsqu'il met en oeuvre une intervention sociale d'aide à la personne (ISAP), le professionnel ou le bénévole cherche « à rompre le silence en stimulant la circulation de la parole, et travaille à déculpabiliser en rappelant que c'est l'auteur qui porte la responsabilité des faits de violence, tout en faisant référence au caractère public et collectif des violences ». Dans le cadre de l'ISAP, « l'écueil à éviter est le maintien de la seule relation de proximité, qui peut conduire à maintenir la femme dans le statut de victime ». Il convient donc, selon les auteurs, « de ne pas enfermer les femmes sur la question des violences et de veiller à ne pas réduire leur existence à la violence au sein du couple ». D'où l'intérêt de recourir à l'intervention sociale d'intérêt collectif, qui « a pour objectif de travailler le passage d'une sphère privée oppressante vers une sphère publique de reconnaissance et de droits concrets ».
Ainsi, pour les rapporteurs, l'ISIC « peut permettre l'autonomisation des femmes ainsi que la mobilisation de l'ensemble des acteurs dans la prise en compte de cette réalité sociale ». Ces actions collectives sont le plus souvent proposées sous forme de groupes de parole. Ceux-ci permettent d'éviter le repli sur soi et de favoriser le processus de « dévictimisation » pour parvenir à retrouver une position de femme autonome et citoyenne. Ces groupes de parole peuvent ainsi soulever des questions nouvelles, et non directement liées à la violence au sein du couple : logement, organisation de la vie pratique et sociale, relation aux enfants, expression de la créativité, perspective de requalification ou d'activité professionnelle, productions culturelles...
Les auteurs soulignent également l'intérêt de l'ISIC auprès des hommes auteurs de violence, à l'image de groupes de parole mis en place au Québec par des organismes spécialisés dans l'intervention auprès des conjoints violents.
Si les professionnels interrogés par le groupe de travail disent volontiers « jongler » entre ISAP et ISIC, les pratiques collectives des travailleurs sociaux envers les femmes victimes de violence « sont encore limitées et restent du domaine volontariste et de l'engagement », constatent les rapporteurs. Pour développer ces pratiques, il serait, selon eux, nécessaire d'engager une politique volontariste à plusieurs niveaux. En amont, ils recommandent de mettre en place des actions d'information et de sensibilisation en direction des jeunes filles et des femmes, mais aussi des garçons et des jeunes hommes. Au moment où la femme victime subit ces violences, il s'agit d'apporter un accompagnement et des réponses lui permettant de comprendre que ce qu'elle subit n'est pas normal, ni acceptable et qu'il est possible pour elle de construire un autre avenir. L'intervention collective complétera alors l'action individuelle principalement privilégiée. Après la séparation et l'arrêt des violences, l'intervention collective « permettra un repositionnement de la femme victime en tant que sujet de droits dans un processus de conscientisation permettant le changement de sa situation et le renforcement de ses défenses en valorisant ses compétences ».
Au final, travail individuel et collectif ont vocation à s'articuler en permanence dans un mouvement complémentaire. En bénéficiant de reconnaissance institutionnelle, de moyens et d'outils de mise en oeuvre de l'ISIC, les travailleurs sociaux agiront avec une meilleure efficacité, plaident les rapporteurs. « L'enjeu est important. Il leur permettra de renouer avec leur finalité et ce pourquoi ils ont été formés : soutenir et permettre le mieux vivre ensemble dans une société démocratique et respectueuse de chacun. »
F. P.
(1) L'intervention sociale d'intérêt collectif - Disponible prochainement aux presses de l'Ecole des hautes études en santé publique.
(2) Egalement piloté par Brigitte Bouquet, vice-présidente du CSTS, il comprend une vingtaine de membres.
(3) Expérience présentée lors d'un séminaire de recherche-action du 5 décembre 2008 au Cedias sur « Le travail social et le développement communautaire ».
(4) Cette expérience a été présentée par l'ANTSG (Association nationale des travailleurs sociaux pour le développement du travail social avec les groupes).
(5) D'autres partenaires s'y sont associés plus ponctuellement : ANPE, mission locale, ADMR (Association du service à domicile), Les Restos du coeur.
(6) Du diagnostic à l'évaluation finale, les expériences de DSL peuvent durer cinq ans, le travail social avec les groupes de quelques mois à deux ans.
(7) L'intervention sociale, un travail de proximité - IGAS, 2005 - Voir ASH n° 2441 du 3-02-06, p. 5.
(8) Les auteurs notent cependant que la loi du 1er décembre 2008 permet aux bénéficiaires de participer aux instances techniques.
(9) La démarche du conseil général de l'Isère est notamment citée en exemple.
(10) Elle est désormais secrétaire d'Etat chargée des technologies vertes et des négociations sur le climat auprès du ministre de l'Ecologie.
(11) Disponible prochainement aux presses de l'Ecole des hautes études en santé publique.