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Les pôles ressources, promesses d'une structuration de la recherche ?

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L'Etat invite désormais les centres de formation à être des têtes de pont pour créer des synergies autour de la recherche au niveau régional. L'appel à projets lancé en ce sens a entraîné une forte mobilisation locale. Reste à inscrire les partenariats dans la durée afin que la dynamique ne s'essouffle pas.

C'est presque une lapalissade. Le développement de la recherche dans le champ social est incontournable pour produire de la connaissance, améliorer les réponses, voire infléchir les politiques sociales. Pourtant s'il existe de nombreux travaux, toute cette matière grise reste éclatée et peu utilisée. S'il s'agit, certes, d'une préoccupation ancienne - comme l'ont montré la création en 1978 du diplôme supérieur en travail social, en 1982 de la MiRe (Mission de la recherche) ou l'ouverture en 2000 de la chaire en travail social du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) -, la structuration de la recherche reste encore embryonnaire. « Pendant longtemps, on a misé sur son développement endogène au sein des établissements de formation, via les instituts régionaux du travail social, mais on s'est heurté à un problème de taille critique », explique Isabelle Kittel, conseillère technique à la direction générale de l'action sociale (DGAS). D'où l'idée peu à peu d'encourager les synergies et de créer une structuration régionale de la recherche. Une piste d'ailleurs préconisée par Elisabeth Dugué, sociologue du travail au CNAM, en novembre 2000, dans un rapport commandé par la DGAS, et reprise par le schéma national des formations sociales 2001-2005. Mais si ce dernier appelait au développement régional de lieux ressources dans le champ du travail social et encourageait les activités de recherche dans les centres de formation, il ne prévoyait aucun moyen spécifique. D'où sans doute le peu d'empressement des acteurs locaux, à l'exception de la région Rhône-Alpes, à se mobiliser.

C'est dire l'intérêt de l'appel à projets pour le développement de pôles ressources recherche en travail social lancé par la DGAS dans le cadre de sa circulaire du 6 mars 2008 adressée aux préfets de région et aux directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS) (1). Ce texte reconnaît aux établissements de formation non seulement leur légitimité à développer des activités de recherche (entendue au sens large), mais aussi à être des têtes de pont pour mettre en synergie les moyens et les compétences au niveau régional. Et surtout, elle apporte un soutien non négligeable puisque chaque projet retenu peut se voir attribuer une subvention annuelle de 50 000 à 60 000 € sur trois ans, le temps de s'autofinancer ou de trouver d'autres partenaires. « Les crédits ont été délégués pour 2009 et on espère bien, l'an prochain, poursuivre la montée en charge de l'opération », assure Isabelle Kittel.

Vingt-cinq projets déposés

Autre intérêt, la circulaire n'impose aucun modèle d'organisation, mais fixe des objectifs : repérer les lieux ressources existants, diffuser, faire circuler les savoirs et les mettre en débat, soutenir ou élaborer des projets de recherche, etc. Et retient des principes de fonctionnement : une base partenariale, l'identification d'un coordinateur ou d'un animateur de pôle, la mise en place d'un conseil scientifique, la fixation de modalités d'évaluation. Le résultat ne s'est guère fait attendre. Malgré un délai très court puisque les dossiers devaient être transmis au plus tard le 30 avril 2008, 25 projets ont été déposés et 20 ont été retenus et financés. Seules les régions de Champagne-Ardenne, Poitou-Charentes et les Antilles n'en ont pas présenté à ce jour. « Nous avons été agréablement surpris. La réactivité et la mobilisation des acteurs ont été au rendez-vous », se félicite Isabelle Kittel. « C'est extraordinaire. Cela a vraiment boosté les énergies au niveau régional », admet Joël Cadière, directeur du Collège coopératif Rhône-Alpes et responsable du « groupe architecture et prospective » à l'Aforts (Association française des organismes de formation et de recherche en travail social). Dans certains cas, comme en Ile-de-France, dans le Nord-Pas-de-Calais ou en Midi-Pyrénées, plusieurs projets ont même été déposés. « On a alors retenu celui qui était le plus proche du cahier des charges et incité son porteur à travailler avec ses concurrents », explique Isabelle Kittel. La plupart des projets ont créé un partenariat presque immédiat avec l'université. Dans certains cas, cette dernière fait même partie des porteurs aux côtés du ou des établissements de formation. « Partout, le comité de pilotage a été constitué et s'est réuni. Et pratiquement partout, une personne a été identifiée comme l'animateur du pôle », se réjouit encore la conseillère technique.

L'exemple rhône-alpin

Le projet le plus abouti est sans conteste la « Plate-forme régionale de la recherche en action sociale Rhône-Alpes » (P-FRAS), qui a d'ailleurs servi de modèle à la circulaire. Opérationnelle depuis janvier 2006 et adossée au Collège coopératif Rhône-Alpes, elle est née de la volonté de la DRASS de créer une dynamique régionale visant à articuler les recherches et les pratiques en travail social. Elle compte aujourd'hui une vingtaine d'adhérents : les centres de formation en travail social de la région, trois conseils généraux sur huit, six établissements sociaux. Volontairement, les universités n'ont pas encore été contactées, « cela fait partie de notre troisième phase de développement », précise Joël Cadière. L'une des originalités de la plate-forme est d'avoir mis en place des « correspondants » désignés par chaque structure adhérente, qu'elle réunit tous les trimestres. Parmi les réalisations, un site web (www.ccra.asso.fr/pfras) permet d'accéder à plus d'une centaine de travaux de recherche. Déjà deux biennales régionales de la recherche ont été organisées en 2006 et en 2008. Et surtout, la plate-forme a pu s'introduire dans la structuration de la recherche universitaire de la région, dans le cadre du « cluster 12 » (2), et produire en décembre dernier une recherche collective intitulée « La recherche : quelle transmission pour les formations aux professions sociales ? ». Une deuxième recherche collective, toujours dans le cluster 12, est d'ailleurs envisagée pour 2009-2010. En projet également, le dépôt d'une demande d'allocation de direction de recherche pour accueillir au sein du Collège coopératif un doctorant désireux de mener un travail dans le champ des formations sociales.

En Alsace, l'ESTES et l'ISSM (3) avaient déjà créé en 2004 un pôle ressources afin d'assurer de la formation et de produire de la recherche. C'est donc celui-ci, en lien avec l'université de Strasbourg, qui a présenté le projet de plate-forme régionale. Celle-ci devrait diffuser et valoriser les travaux existants, produire des recherches et faire se rencontrer les chercheurs, les centres de formation, les conseils généraux et les établissements et services. L'idée est de parvenir à un partenariat très souple autour de projets de portée et de durée variables. « L'une des priorités est de valoriser les centres de formation comme lieux de production de connaissances et lieux ressources », commente Sébastien Dambra, coordinateur régional du pôle ressources.

Comme la plate-forme alsacienne, celle de Bourgogne, portée par l'IRTESS (Institut régional supérieur du travail éducatif et social), entend produire des recherches associant les chercheurs, les professionnels, les formateurs et les étudiants. Par exemple, une recherche-action va être engagée avec trois institutions de protection de l'enfance afin de comprendre les processus permettant aux professionnels de travailler avec les parents. Mais encore faut-il pouvoir mobiliser les chercheurs : « Quelques-uns jouent le jeu, mais pas beaucoup. Ils sont encore peu tournés vers les acteurs de terrain », regrette Philippe Lyet, coordonnateur du pôle ressources.

C'est également la production de recherche, que vise le pôle ressources Ile-de-France adossé au GRIF (Groupe de recherche d'Ile-de-France), qui s'est élargi pour l'occasion (4). Le projet est bien avancé puisque deux études ont été commandées auprès d'étudiants inscrits au DEIS (diplôme d'Etat d'ingénierie sociale) et que la plate-forme a répondu avec le laboratoire LISE du CNAM à un appel d'offres de recherche sur le non-accès aux prestations des personnes handicapées. « L'enthousiasme est là, mais la plate-forme doit encore prouver sa légitimité à faire de la recherche à côté des laboratoires existants », commente Geneviève Crespo, chargée de mission à l'Aforts.

La philosophie est différente en Lorraine. Du fait de la présence de plusieurs laboratoires universitaire, le « Réseau lorrain de formation et de recherche en action sociale », porté par l'association gestionnaire de l'IRTS (qui a aussi un département « recherche ») (5), ne sera pas producteur de recherche. En revanche, il entend contribuer à son développement en mutualisant, en valorisant les travaux et en dégageant les pistes de travail à explorer.

Reste une question centrale, les pôles ressources réussiront-ils à intéresser les établissements et services en vue de faire évoluer les pratiques ? « Si les écoles sont partie prenante de la plate-forme en Rhône-Alpes, auprès des établissements, il y a encore du travail à faire », reconnaît Joël Cadière, les préoccupations managériales amenant souvent à faire appel à des consultants extérieurs plutôt qu'aux centres de formation ou aux professionnels du secteur. Pour preuve, d'ailleurs, aucun établissement n'a encore passé commande à la plate-forme. Le jugement est plus nuancé en Alsace où les petites structures ont réservé « un accueil formidable » au pôle ressources, précise Sébastien Dambra. Signe, pour lui, que les petits établissements aux budgets très contraints peuvent être intéressés par la recherche à condition que celle-ci leur soit accessible et soit bien ciblée sur leurs besoins. La plate-forme alsacienne va d'ailleurs mener avec l'Adapei (Association départementale des amis et parents de personnes déficientes intellectuelles) de Haute-Saône une recherche-action sur l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans l'accompagnement des enfants polyhandicapés.

« Une phase intentionnelle »

Toujours est-il qu'on ne pourra juger de l'impact de la circulaire que sur le moyen terme. « Le partenariat ne se fait pas d'un coup de baguette magique. C'est une construction qui se met en marche et qui, au-delà de l'enthousiasme initial, demande du temps », estime Isabelle Kittel. « On est encore dans une phase intentionnelle », précise Joël Cadière, et les acteurs vont être confrontés aux inévitables conflits d'intérêt. En outre, combien de temps sont-ils prêts à investir dans ce type de projet ? Pour éviter justement un essoufflement et une dispersion des initiatives, une réflexion est menée au sein du « groupe architecture et prospective » de l'Aforts, pour voir comment les mutualiser. Et donner un support et une envergure nationale à cette dynamique de recherche.

Notes

(1) Voir ASH n° 2550 du 21-03-08, p. 15.

(2) La région Rhône-Alpes a défini 14 clusters « recherche » qui visent à mettre en réseau des laboratoires ou des équipes autour d'un programme scientifique commun.

(3) L'Ecole supérieure en travail éducatif et social de Strasbourg et l'Institut supérieur social de Mulhouse.

(4) Constitué en 2005 par l'ETSUP et l'IRTS Ile-de-France Montrouge-Neuily-sur-Marne, il a accueilli ainsi cinq nouveaux centres de formation et reste ouvert à ceux intéressés par la recherche.

(5) L'Association lorraine de formation et de recherche en action sociale.

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