La gestion de la lutte contre la pandémie de grippe A fait-elle fi des enjeux démocratiques et éthiques ? C'est en tout cas la crainte de plusieurs médecins, chercheurs, personnalités du monde politique, syndical et associatif, qui, dans un appel rendu public le 8 septembre dans Libération, réclament un débat public sur les enjeux humains et sociétaux de cette mobilisation. « Les critères de priorité ne peuvent pas être abordés sous le seul angle économique, ils doivent être discutés et partagés », commente Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre, qui regrette que les plus démunis soient, une fois de plus, les laissés-pour-compte de la réflexion (1). « Pas question pour nous de fermer des accueils de jour, sauf si la sécurité est compromise faute de personnel, ajoute-t-il. Nous avons prévu un plan de renforcement d'équipes de bénévoles si nécessaire et nous ferons en sorte, en cas d'effectifs réduits, d'assurer au moins un accueil humanitaire. »
Outre le manque de débat avec les acteurs concernés, les mesures prises ou envisagées par les autorités font craindre une mise en danger des libertés individuelles.
Egalement signataire de l'appel, le Syndicat de la magistrature dénonce précisément, dans une lettre ouverte adressée à la garde des Sceaux le 8 septembre, des projets permettant de modifier, par ordonnance, l'organisation et le fonctionnement de la justice en cas de pandémie. « Transmis, dans le plus grand secret, aux chefs de cour en juillet », ces textes prévoient notamment, pour un délai de six mois renouvelable une fois, « de faire juger les mineurs par le tribunal correctionnel, au mépris des principes constitutionnels et internationaux », de « remettre en cause la publicité des débats, en prévoyant la possibilité de généraliser le huis clos », de différer à la 24e heure de garde à vue le droit de s'entretenir avec un avocat, ou encore de prolonger les délais de détention provisoire. « Nous demandons expressément de renoncer à la mise en oeuvre d'un tel dispositif liberticide », s'insurge le Syndicat de la magistrature, qui fustige « la disproportion manifeste entre la situation de pandémie grippale et la gravité des mesures envisagées ».
Au ministère, on assure que les textes diffusés en juillet ne sont que des « documents de travail » élaborés dans le cadre d'un plan interministériel applicable en cas de pandémie. « Il s'agit de trouver les moyens d'assurer la continuité du service public dans les cas les plus graves, qui ne seront déclenchés qu'exceptionnellement, progressivement et localement, avec toutes les garanties constitutionnelles visant à protéger les libertés », assure Arthur Dreyfuss, porte-parole adjoint de la chancellerie. Pas sûr que ces éléments suffisent à rassurer les acteurs du monde judiciaire, déjà en alerte sur plusieurs projets de réforme contestés.
(1) Sur les conséquences de la grippe A sur les personnes sans abri ou mal logées, voir ASH n° 2622 du 4-09-09, p. 36.