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« Le RMI, condensé des problèmes de la société »

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Avec le RSA comme avec le RMI, les individus en difficulté sont sommés de faire preuve d'autonomie individuelle pour se réinsérer. Sous peine d'être taxés de « profiteurs ». C'est oublier que les bénéficiaires de la solidarité publique sont d'abord les victimes de phénomènes sociaux collectifs tels que le chômage, rappelle le sociologue Nicolas Duvoux, qui a mené, dans son ouvrage « L'autonomie des assistés », une enquête auprès des signataires d'un contrat d'insertion.

Quel était l'objectif de votre enquête ?

Je souhaitais étudier comment des allocataires du RMI, signataires d'un contrat d'insertion, s'approprient ce que l'on appelle la « norme d'autonomie ». C'est-à-dire l'injonction faite à l'individu de bâtir son existence sociale à partir de ses capacités propres, et non en s'appuyant sur des appartenances collectives telles que la classe sociale. Et le contrat d'insertion apparaît comme la formalisation juridique de cette injonction sociale à l'autonomie.

Vous distinguez trois types principaux d'allocataires selon la relation qu'ils entretiennent avec cette norme d'autonomie... Lesquels ?

Le premier type est celui de l'autonomie intériorisée, qui concerne des individus globalement intégrés. C'est le jeune diplômé qui n'a pas droit au chômage et est à la recherche de son premier emploi. Il va trouver dans le RMI un appui à sa démarche et un substitut à l'absence d'indemnités de chômage. Il n'a aucun problème pour adopter une attitude proactive et envisage le RMI comme un droit. C'est d'ailleurs ce qui le protège de l'image sociale négative liée au RMI et lui permet de se situer au-delà d'une appréciation subjective et morale sur sa situation. Le deuxième type est celui de l'autonomie contrariée. Il s'agit de personnes déjà installées dans le dispositif et pour lesquelles il faut gérer la tension entre une volonté d'insertion et la difficulté qu'elles rencontrent à concrétiser la sortie du dispositif. Car si l'insertion est un parcours dont la durée est normalement limitée, dans la réalité, on sait bien qu'une partie importante du public reste pour une durée parfois très longue dans le système. Une négociation va donc s'engager entre le travailleur social et l'allocataire, celui-ci cherchant à faire reconnaître les difficultés qui expliquent son maintien dans cette situation. Cela suppose des arrangements cognitifs, et aussi de mobiliser des solidarités de proximité et familiales pour survivre. Enfin, le dernier type, c'est le refus de la dépendance. Il s'agit de personnes qui critiquent directement l'injonction à l'autonomie qui leur est faite. Elles estiment que la société leur demande d'être autonomes sans leur donner les moyens de l'être réellement. Pour certaines, ce refus passe par des logiques de retournement du stigmate, avec le sentiment d'être victimes de discrimination en fonction de leur âge, de leur religion, de leur culture... Il faut souligner cependant la position ambivalente de ces personnes en conflit, mais aussi en position de sujétion envers les travailleurs sociaux. Il est en outre intéressant de noter que, dans ce groupe, on trouve des personnes diplômées et assez bien pourvues d'un point de vue social et culturel, mais qui refusent de se voir imposer un déclassement et basculent directement du type 1 au type 3. On pourrait les appeler des « assistés volontaires ».

Mais comment cette « norme d'autonomie » se concrétise-t-elle dans le cadre du RMI ?

A l'origine, le contrat d'insertion du RMI avait été conçu comme un droit à l'insertion, la norme d'autonomie étant alors définie de façon très lâche. Elle pouvait prendre en compte tant l'accès à la santé ou à la formation que celui à l'emploi. Mais, depuis le début des années 2000, les politiques d'insertion se sont transformées, avec un recentrage très net sur la mise au travail. Tous les nouveaux dispositifs (la prime pour l'emploi, les mécanismes d'intéressement lié au RMI et, plus récemment, le RSA) ont pour objet d'accroître le différentiel de revenus entre la situation d'assisté et le retour sur le marché du travail.

Pourtant, inciter les gens à retrouver un travail est plutôt une bonne idée...

Mettre en avant le principe d'autonomie pour aller vers l'emploi peut avoir une visée pédagogique pour certains publics. Cependant, la focalisation unilatérale sur la dimension professionnelle de l'insertion peut culpabiliser des allocataires, alors que les offres d'emploi durable manquent pour les populations les plus vulnérables. De plus, la diversité des populations concernées est telle que souvent un grand décalage apparaît entre ce que l'institution et les individus appellent « autonomie ». Ainsi, pour l'institution, l'autonomie d'un jeune diplômé signifie qu'il est a priori employable sur le marché du travail. Pour ce même jeune, être autonome, c'est plutôt la capacité d'attendre de trouver un emploi correspondant à son niveau d'études. Les plus qualifiés parmi les allocataires parviennent en général à transcrire leur projet en termes institutionnels acceptables. Mais c'est bien plus difficile pour les personnes disposant d'un capital social et culturel moindre.

Un basculement s'est produit aussi dans l'opinion publique à l'égard des allocataires du RMI...

En effet, à partir des années 2000, l'opinion publique s'est durcie. Une majorité de gens estime désormais que le RMI risque d'inciter ses bénéficiaires à ne pas chercher du travail, et d'encourager la paresse. Cela peut s'expliquer par la précarisation progressive des travailleurs les plus modestes, avec, en réaction, l'apparition chez eux d'un ressentiment très fort par rapport aux bénéficiaires de minima sociaux. Les travailleurs pauvres sont, en outre, ceux qui ont le plus besoin de se distinguer des allocataires des minima sociaux. On voit ainsi des clivages se créer entre des populations très proches, et même entre allocataires qui vont chercher à se différencier à toute force les uns des autres. Car personne ne revendique cette impossible identité d'allocataire du RMI, sur laquelle pèse en permanence un soupçon d'illégitimité.

L'image négative de l'allocataire du RMI profiteur et paresseux est donc surtout une construction...

Il existe certainement des profiteurs, mais assurément pas dans les proportions telles qu'on l'entend parfois dans le débat public. La vision la plus juste est de considérer le RMI comme un condensé de tous les problèmes qui traversent la société française. Etudier les allocataires de ce dispositif permet d'avoir une vision en coupe des problèmes que la société génère. Ils ne constituent pas du tout un groupe coupé du reste de la population. On a tendance à analyser la situation d'un allocataire comme le résultat d'un problème individuel de motivation, alors que ce sont des problèmes sociaux qui trouvent, dans le cas singulier d'une personne, une actualisation biographique. On examine une situation à l'aune de la motivation individuelle de la personne concernée, et non des déterminants sociaux que constituent, par exemple, la crise et le chômage. Résultat, la société lui fait porter seule la responsabilité de sa situation.

Quelles pistes de réforme des dispositifs sociaux pourraient émerger de votre travail ?

Il faudrait d'abord réfléchir à la viabilité de notre système de protection sociale, qui fonctionne de plus en plus à deux niveaux. Un certain nombre de personnes sont maintenues dans l'assurance avec le système de retraite, l'assurance maladie, l'assurance chômage, alors que d'autres relèvent pour l'essentiel de l'assistance. Et on oublie que, si les effectifs des allocataires du RMI augmentent, c'est bien parce que les mécanismes d'indemnisation du chômage ont vu leur portée restreinte. La seconde chose à faire serait sans doute de transférer une partie des ressources de la formation professionnelle vers les publics les plus en difficulté. S'il existe une ressource publique que l'on pourrait orienter davantage vers les plus défavorisés, c'est bien celle-là. La formation serait en effet l'un des moyens de faire sortir les personnes en situation précaire de l'alternance entre assistance et petits boulots. Plus globalement, il faut éviter que les dispositifs censés faire sortir les personnes en difficulté de ce « deuxième monde » ne les y enferment davantage. On voit bien, par exemple, que les contrats aidés ne produisent pas réellement d'effet de levier pour aller vers l'emploi stable.

Pour atténuer l'effet de la stigmatisation, pourquoi ne pas aller vers une allocation plus universelle complétée par les revenus d'activité ?

Dans la conjoncture actuelle, le risque serait grand, avec ce type d'instrument, qu'il ne soit pas un complément mais un substitut aux protections sociales assurant l'intégration des individus et des familles. En réalité, pour amoindrir les mécanismes produisant de la suspicion à l'encontre des allocataires du RMI, il faut d'abord travailler à une transformation des représentations, et produire des politiques plus intégratrices et préventives, les deux ne pouvant sans doute qu'aller de pair. Sur le premier point des représentations, la crise économique actuelle va d'ailleurs peut-être produire un effet de déstigmatisation, dans la mesure où, en période d'augmentation massive du chômage, il est beaucoup plus difficile d'incriminer la responsabilité individuelle des personnes les plus pauvres.

REPÈRES

Nicolas Duvoux est sociologue. Il enseigne à l'université Paris-V Descartes et est membre du Centre de recherche sur les liens sociaux (Cerlis). Il est coauteur, avec Serge Paugam, de La régulation des pauvres, du RMI au RSA (Ed. PUF, 2008) (voir ASH n° 2590-91 du 9-01-09, pages 42-43), et vient de publier L'autonomie des assistés (Ed. PUF, 2009).

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