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L'investigation : de nouveaux champs à explorer

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Alors que les mesures d'investigation sont appréciées par les magistrats car elles constituent une véritable aide à la décision et qu'elles sont bien acceptées par les familles, dont elles respectent l'expression, elles sont en perte de vitesse. La diminution des moyens, les évolutions de la loi et des besoins des juges... expliquent ce paradoxe. Cette situation invite les acteurs du dispositif à repenser leur intervention.

«Pour la première fois, notre secteur connaît des suppressions sèches de postes. Une cinquantaine d'emplois d'éducateurs, de psychologues, de personnels d'encadrement et autres administratifs viennent de disparaître dans les services d'investigation du secteur associatif habilité [SAH]. Devant la réduction de leurs moyens, certains ont même dû fermer », s'alarme Jacques Le Petit, secrétaire général de la Fédération nationale des services sociaux spécialisés de protection de l'enfance (FN3S), qui rassemble quelque 140 services d'investigation (1). Et d'égrainer le long chapelet des événements ayant fait le lit de cette situation inédite, depuis la loi organique relative aux lois de finances, la révision générale des politiques publiques et la limitation des crédits jusqu'au passage à la tarification à l'acte des mesures d'investigation et orientation éducative (IOE), au recentrage sur le pénal des missions de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ou encore à la réforme de la protection de l'enfance.

Autant d'évolutions qui, pour certains, finiront par réduire à peau de chagrin les mesures d'investigation, jusque-là majoritairement confiées au SAH. « La baisse des moyens de nos services est en route et il est d'ores et déjà clair qu'en 2010, on perdra encore des postes », s'insurge Nadine Delcoustal, vice-présidente de la FN3S. La fédération soupçonne de plus la direction de la PJJ de vouloir « redéployer » des postes du secteur associatif dans le secteur public. « Depuis 2009, on observe que ce dernier a embauché des assistantes sociales, des éducateurs ou des psychologues, là où la capacité de nos services d'investigation a été diminuée, pour faire des IOE que nous ne pouvions plus faire », remarque Jacques Le Petit. Une vision que ne partage pas Damien Mulliez, sous-directeur des missions de protection judiciaire et d'éducation à la direction de la PJJ, lequel assure : « Il n'est pas question de faire disparaître les investigations, sous quelque forme que ce soit, bien au contraire. La problématique est plus complexe que cela. »

Le terme « investigation » regroupe en fait trois mesures conçues pour éclairer le juge des enfants, applicables au civil comme au pénal : le recueil de renseignements socio-éducatifs (RRSE), l'enquête sociale et l'IOE. La première consiste à collecter des informations succinctes en vue d'appréhender ponctuellement la situation d'un mineur et porte sur des données simples. Plus approfondie, la deuxième vise à obtenir des renseignements sur la réalité familiale et les conditions dans lesquelles les enfants vivent et sont élevés ; elle autorise en outre un échange avec le mineur et sa famille. La troisième enfin prend la forme d'un bilan pluridisciplinaire, conduit sur la durée et analysant la situation sur divers plans (familial, éducatif, psychologique...). Après une belle expansion, ces dispositifs se révèlent globalement en régression. Ainsi, en assistance éducative, le nombre de mesures nouvelles a diminué entre 2007 et 2008 tant dans le SAH que dans le service public de la PJJ. Si l'on compare ensuite les premiers trimestres de 2008 et de 2009, on constate une chute de 42 % des enquêtes sociales et de 35 % des IOE dans le SAH et une augmentation respectivement de 13 % et de 2 % dans le public. En matière pénale, sur ces mêmes périodes, les enquêtes sociales chutent de 46 % et les IOE de 12 % dans le SAH pendant que, dans le service public, les premières reculent de 13 % et les secondes croissent de 16 %. Entre 2007 et 2008, les enquêtes sociales avaient baissé de 10,8 % dans le secteur public et crû dans les mêmes proportions dans le SAH, alors que les IOE, stables dans ce dernier, progressaient de 15 % dans le public. Des données qui démontrent que « les variations d'un secteur ne sont pas le négatif des variations de l'autre », insiste le représentant de la PJJ.

Le recul de l'investigation laisse en fait perplexes les acteurs qui la mettent en oeuvre. En effet, résume Jacques Le Petit, « c'est un outil «trois en un» pertinent et efficace : il permet de vérifier la notion de danger et la collaboration/adhésion des parents, d'étudier la personnalité du mineur et du milieu familial et de donner des pistes d'action au magistrat ». De même, pour Damien Mulliez, les missions d'investigation sont sans conteste « essentielles pour la qualité des décisions judiciaires ». Celles-ci nécessitent en effet que le juge « dispose de tous les éléments possibles de compréhension et des hypothèses envisageables de réponses » afin de se forger sa conviction et d'effectuer un choix respectueux des libertés individuelles, son intervention s'inscrivant dans un cadre contraint. « C'est la réalisation de ces mesures qui donne toute sa valeur au caractère contradictoire de la procédure en vérifiant et questionnant les éléments objectifs et subjectifs du signalement. En outre, cela se révèle souvent capital pour l'efficacité des interventions éducatives qui éventuellement suivront », estime Damien Mulliez. C'est un instrument « démocratique », reprend Jacques Le Petit, rappelant combien il est d'ailleurs bien accepté par les usagers « car il leur offre une opportunité d'expression. Ceux-ci perçoivent que leur point de vue est pris en compte dans une perspective de compréhension et ils l'apprécient d'autant plus qu'on se dirige ensuite vers des projets, des solutions. » L'existence de ce débat contradictoire permettrait même, dans maintes situations judiciaires, de remobiliser les personnes et d'autoriser un retour dans des circuits plus classiques de prévention. Du côté des magistrats, il semble également que l'investigation soit prisée. Ils conviennent ainsi qu'elle leur offre une connaissance fine de la situation, qu'il existe une technique éprouvée du « rendre compte » et que cela les aide à décider. « A 99 %, les magistrats se sont dits satisfaits de la mesure d'IOE, les quelques bémols émis portant sur ses délais de lancement. Pour l'enquête sociale, ils étaient un peu plus réservés », résume Didier Villain, président de la fédération. Sur ce dernier point, il ressort que, pour eux, la mesure serait mal calée entre une IOE qui s'étale en général sur cinq à six mois et un RRSE très court, pour lequel les magistrats auraient peu de goût, même s'ils l'emploient beaucoup. La plupart se disaient, en tout cas, favorables à une réduction de la durée des enquêtes sociales traditionnelles.

Des délais réduits

Comment alors expliquer le faible recours des magistrats à l'investigation ? Pour ne pas dire sa sous-utilisation, en particulier en matière pénale, où « il n'est pas rare de voir des mineurs jugés sur la base de dossiers ne comprenant en éléments de personnalité que le casier judiciaire, un RRSE et la fiche récapitulative du logiciel de gestion des cabinets de juge des enfants », comme le déplore Damien Mulliez. Les pratiques professionnelles des magistrats semblent en cause et, en particulier, leur changement depuis l'apparition de procédures accélérées dans le traitement des dossiers. « Les délais étant réduits, on peut émettre l'hypothèse que le temps de réalisation des investigations classiques ne conduit pas les magistrats à les ordonner », analyse-t-il. Un raisonnement qu'étaye l'importance considérable des investigations rapides dans les mesures : 92 % de RRSE pour 3 % d'enquêtes sociales et 5 % d'IOE, au pénal (2). Pour le représentant de la PJJ, il paraît donc indispensable de réinterroger le contenu même des investigations afin de les adapter aux besoins des magistrats. La démarche s'impose également du fait des évolutions législatives à l'oeuvre. Outre la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l'enfance, qui a modifié les conditions de saisine de l'autorité judiciaire, sont à prendre en compte les changements liés au code de justice pénale des mineurs car « ce qui s'est fait en assistance éducative à travers la loi du 6 janvier 1986, à savoir donner des délais fixes au magistrat pour juger, se fera en matière pénale. Des délais de réalisation des investigations seront ainsi instaurés, ce qui n'existe pas aujourd'hui », souligne-t-il.

Sur ces bases, la direction de la PJJ entend engager un travail de fond en y impliquant le SAH ainsi que les magistrats. Dans un premier temps, il s'agira de rédiger une circulaire précisant les éléments-cadres de toute démarche d'investigation (tels que : investigation et co-construction de la décision judiciaire, investigation et procédure contradictoire, investigation et élaboration d'un projet éducatif...). Dans un second temps, il est prévu de décliner au moyen de notes techniques les aspects spécifiques aux domaines concernés, par exemple, investigation civile et investigation pénale, urgence, maltraitance, abus sexuels (auteurs et victimes), réseaux de socialisation... « A terme, l'objectif est d'introduire la notion du caractère modulable de l'intervention en fonction de la commande du magistrat, en proposant un tronc commun à chaque mesure et des modules concernant des domaines spécifiques à investiguer selon le contexte d'intervention », explique Damien Mulliez. Les durées seraient alors déterminées en fonction des demandes du juge. Des propositions qui interrogent certains acteurs associatifs en ce qu'elles s'inscrivent dans une discontinuité. « Il y a là des éléments intéressants qui rejoignent nos préoccupations. Toutefois, on ne peut que rester dubitatifs au regard de ce qui s'est passé ces dernières années avec les incessants changements de positionnement de la PJJ. A titre d'exemple, il y a un an encore, elle était farouchement opposée à la mesure que l'on disait globale - et non unique -, que nous avions soumise à réflexion... », résume Patrick Chiniard, directeur du service social de l'enfance-Olga Spitzer, à Nanterre (Hauts-de-Seine).

Autre inquiétude des associations : l'impact à terme de la loi réformant la protection de l'enfance sur l'avenir de l'investigation judiciaire. En renforçant le rôle du conseil général, en instituant les cellules de recueil et de traitement des informations préoccupantes (voir encadré ci-dessous), en rendant la protection judiciaire subsidiaire de celle administrative et en accroissant les prérogatives du parquet, cette loi bouscule certains équilibres et modifie, en particulier, l'entrée dans le dispositif de l'investigation. « Nous assistons à un tournant majeur quant à la génèse du dossier d'assistance éducative, passant d'une certaine façon d'une culture du signalement à une culture de l'évaluation », estime, dans un document, la FN3S. Trois conditions sont en effet désormais posées au signalement : échec des mesures préventives, refus de collaborer des familles et impossibilité d'évaluer le danger. Il en découlera, selon les acteurs associatifs, une pratique de sélection rigoureuse des cas les plus difficiles, dégradés ou hostiles à toute intervention par les cellules départementales et le parquet, et les services se retrouveront « à ne plus guère traiter que des situations de crises intra-familiales, de conflits d'intérêt entre parents et institutions [...] ou bien encore les cas de maltraitance et de carence les plus graves ». Et d'interroger : « Qu'en sera-t-il des situations «intermédiaires» pour lesquelles jusqu'à présent une seconde lecture, par nos services, du danger et de ses causes pouvait induire une remobilisation des acteurs familiaux ? »

Ce contexte renouvelé invite, en tout cas, les services à affûter certains de leurs outils. Parmi les pistes imaginables : la médiation familiale, dont l'approche permet de soutenir la capacité des personnes à s'impliquer, ce qui va dans le sens de la loi, et « de ne plus centrer seulement le travail d'investigation sur le manque de compétences parentales mais sur tout ce qui préoccupe la famille, de faire davantage avec elles et non pour elles », selon Michèle Savourey, psychologue clinicienne (voir encadré, page 29) ; ou encore la clinique de concertation, méthode que Patrick Chiniard tend à développer dans sa structure pour renforcer le « pouvoir d'agir » des familles (voir encadré ci-contre).

Une place à prendre

Du côté des conseils généraux aussi, la loi modifie les équilibres préexistants. « L'évaluation administrative, certes, nous revient, mais, avant, nous la faisions en sachant que derrière, une autre évaluation serait effectuée : il y avait une sorte de filtre avant d'arriver au juge. Nous devons donc désormais travailler sur la manière dont on réalise une évaluation qui se faisait avant au travers des IOE pour le compte du juge... », observe Christophe Béchu, président du conseil général de Maine-et-Loire, mais aussi de l'Observatoire national de l'enfance en danger. Y aurait-il là une place à prendre pour les services associatifs d'investigation ? Sans doute, mais cela suppose une réflexion préalable. « Que peut-on faire en régie ? Que n'est-il pas souhaitable de réaliser en interne quand bien même on en aurait la capacité ? Quelle part les associations pourraient-elles effectuer grâce à leur savoir-faire en matière d'évaluation ? C'est à toutes ces questions que nous nous attelons aujourd'hui », résume-t-il. Persuadé de l'utilité des regards croisés pour étudier une situation et lui trouver des solutions, ce dernier se dit en outre convaincu de la capacité de certaines associations pratiquant des investigations « à calibrer la bonne réponse, au-delà de l'entrée dans le dispositif, à d'autres moments du parcours ». Une balle saisie au bond par les acteurs associatifs. Ainsi, assure Patrick Martin, directeur général de l'Association d'action éducative de Loire-Atlantique, « autour de ces problématiques de l'investigation, de l'évaluation, de l'orientation, il y a réellement un espace dont peuvent s'emparer, bien entendu, les départements au titre de la loi, mais aussi les acteurs de la justice et les associations. Un espace de délibération, de méthodologie, de construction, d'aide à la décision... Cela pourrait donner lieu à un véritable laboratoire. »

TRANSPOSER L'ESPRIT DE LA MÉDIATION FAMILIALE

Comment tricoter ensemble la médiation familiale et la protection de l'enfance sans que l'une ou l'autre perde son âme, sachant que les conflits conjugaux apparaissent fréquemment dans les motifs de mesures d'investigation, qu'ils se révèlent envahissants pour les travailleurs sociaux et pathogènes pour les enfants ? C'est à cette question que veut répondre Michèle Savourey, psychologue clinicienne formée à la médiation familiale, pour qui cette approche « consiste d'abord en un changement de regard et de posture ». Il s'agit en effet de croire en la bonne foi des personnes, de mettre en pratique la conviction qu'elles ont des compétences et la capacité de définir des solutions à condition de recevoir un accompagnement approprié.

La médiation familiale met en fait l'accent sur les forces et les besoins plus que sur les limites et les manques. Elle s'appuie de surcroît sur plusieurs principes déontologiques : libre consentement des intéressés, caractère confidentiel de la démarche, impartialité des tiers médiateurs, lesquels doivent être formés et s'engager dans une analyse de la pratique régulière. De tels principes, valables en service indépendant, sont cependant difficilement applicables en protection de l'enfance où, développe Michèle Savourey, « l'évaluation, le traitement, le contrôle sont de rigueur. Que le mandat soit administratif ou judiciaire, nous intervenons toujours dans une mission d'autorité, donc de contrainte. Le tiers ne peut pas de plus être neutre, c'est un tiers impliqué. Il n'agit donc pas vraiment en tant que médiateur. »

Quoi qu'il en soit, le processus peut se dérouler quasiment à l'identique dans les deux cadres. Première étape : accueillir le désordre, écouter ce que les personnes ont à dire de leur conflit. « En protection de l'enfance, il y aura à marquer en plus ce qui motive l'intervention du tiers », précise la psychologue. Le médiateur reformule ensuite ce qui a été énoncé, avec l'assentiment des intéressés. Il s'agit alors de faire émerger les nécessités des uns et des autres, de décoder ce qui se cache derrière les reproches, sans les interpréter. Une fois les besoins repérés, validés, priorisés, a lieu la recherche d'options, « en proposant un espace de créativité où chacun, médiateur compris, va suggérer des possibles ». S'enclenche une discussion visant à dégager des solutions aptes à satisfaire les besoins des protagonistes - en protection de l'enfance, la motivation de l'intervention du travailleur social est aussi à énoncer sous forme de besoins à satisfaire - et qui, négociées, pourront être adoptées.

Pour Michèle Savourey, la médiation n'est pas la nouvelle panacée du travail social. « Ce n'est pas un remède à tous les maux des familles. On ne résout pas des situations complexes en quelques entretiens, mais cela permet d'avancer », affirme-t-elle. Cette approche procurerait cependant aux professionnels de la protection de l'enfance une méthodologie qui les aide « à mettre en cohérence leurs actions avec leurs intentions, avec les concepts promus par les textes. Elle donne de surcroît aux personnes l'occasion de pouvoir agir, et de réussir. » Les missions habituelles d'évaluation, d'aide et de contrôle se déroulent « dans un vrai face-à-face », où chacun est invité à dire et à rendre perceptible à l'autre ce qui lui importe. De réels partenariats se construisent, les familles reprenant confiance en leurs capacités à penser, à concevoir les actions les concernant. Enfin, résume-t-elle, l'approche de médiation offre un dispositif capable « d'intégrer la diversité des configurations familiales, des problématiques, des conflictualités, tout en maintenant l'équilibre des pouvoirs, le respect des places et des fonctions, sans confusion, substitution ni stigmatisation, et tout en assurant les missions de protection de l'enfance. »

F. R.

UNE CELLULE POUR POSER LE DIAGNOSTIC JUSTE

La question de l'évaluation se pose de manière accrue pour les conseils généraux depuis la loi réformant la protection de l'enfance. Jusqu'où aller dans l'aide administrative et à partir de quand passer le relais au judiciaire ? Dans le Val-de-Marne, une cellule de recueil des informations préoccupantes a été ouverte dès 2004, le parquet étant submergé par les signalements qui lui arrivaient en direct et dont la moitié concernait l'aide sociale à l'enfance (ASE). Une équipe pluridisciplinaire recueille ainsi les informations issues de professionnels (Education nationale, hôpitaux...), des 20 circonscriptions ou EDS (espaces départementaux des solidarités) qui regroupent PMI, ASE et service social, du numéro vert national... Parmi les informations préoccupantes reçues, se trouvent en première place, et avant même les difficultés et les carences éducatives, les conflits de couple et les violences conjugales. « La cellule ne traite en tout cas que les situations inconnues de l'ASE », précise Brigitte Samson, médecin de la cellule. Dans la majorité des cas, la structure demande une évaluation à l'EDS ; mais un signalement peut aussi être adressé au parquet. L'EDS a un mois pour effectuer un retour, sauf en cas d'informations très inquiétantes. L'évaluation peut cependant se poursuivre au-delà. « Pour la moitié des situations, elle nécessite de deux à quatre mois », explique le médecin. Le parquet sollicite parfois aussi la cellule pour mener à bien des évaluations, soit de situations inconnues (suite à une fugue, au dépôt de plainte d'un parent, à une enquête pour faits de délinquance...), soit après que celle-ci lui a envoyé un signalement, pour envisager la possibilité d'une aide éducative.

L'évaluation est toujours pluridisciplinaire. Pour ce faire, un binôme d'évaluateurs issus des trois services des EDS est constitué. Selon les cas, peuvent être impliqués une puéricultrice, un médecin, un éducateur, un psychologue... Trois entretiens ont en général lieu avec la famille, dont un à domicile. Les situations sont rarement classées sans suite. « Souvent, un suivi (social, psychologique...) est proposé, et accepté par les parents. Les familles sont informées de la suite donnée à leur dossier, lequel peut être consulté à l'ASE, sauf en cas de transmission au parquet », explique-t-elle. La décision est prise au sein de commissions de coordination de groupement, de façon assez collégiale.

Depuis 2005, les signalements judiciaires ont diminué dans le Val-de-Marne et les évaluations demandées, augmenté. Si le département a élaboré un guide du signalement (3), les outils en matière d'évaluation continuent à manquer, alors que la frontière est étroite entre une situation d'enfant en danger et en risque de danger. Pour tenter d'y remédier, l'institution participe à une recherche du CREAI Rhône-Alpes (4) visant à valider un référentiel d'évaluation diagnostique des situations familiales établi à partir d'un modèle québécois. Restera ensuite, pour Brigitte Samson, une question à creuser : « L'amélioration de l'évaluation peut-elle entraîner la baisse des IOE demandées et l'augmentation des AEMO ? »

F. R.

QUAND LES FAMILLES DEVIENNENT EXPERTES

Depuis trois ans, le service social de l'enfance Olga-Spitzer à Nanterre propose à ses équipes d'action éducative en milieu ouvert judiciaire ou d'investigation de se former à l'approche de la « clinique de concertation » (5). « En apparence, cela n'a rien de très innovant puisqu'il s'agit d'un dispositif offrant de travailler avec les partenaires pour aider au mieux les familles. Cela vise en fait à «prendre soin« du réseau, à décloisonner, à rendre visible ce qui se passe sur un territoire à un moment donné », résume Céline Fonton, éducatrice spécialisée. La clinique de concertation concerne les familles en détresses multiples, qui finissent souvent par décontenancer les professionnels. « Nous sommes de plus en plus confrontés à des familles ayant mis en échec les partenaires. Ceux-ci se tournent alors vers le juge des enfants pour demander une évaluation pluridisciplinaire de type IOE », précise Christine Denappe, assistante sociale. Face à la complexité de certaines situations, celle-ci recherchait de nouveaux outils. « J'étais soucieuse d'avoir une approche me permettant de prendre du recul, de me dégager d'un sentiment d'échec. Cette formation me proposait de réfléchir à une pratique de relais et de réseau, de changer mes perspectives. »

Au-delà de la compréhension des logiques individuelles de ces familles qui rompent les liens, refusent l'aide proposée et déstabilisent le système de protection sociale, la clinique de concertation propose d'appréhender les logiques de leur parcours institutionnel, de s'intéresser à leurs trajectoires, en les considérant comme les meilleurs experts du réseau qu'elles ont interpellé. « Le principe est que, pour donner du sens au réseau, il faut y ajouter les usagers, sinon on se limite à un travail de coordination entre professionnels », décrypte Céline Fonton. Au lieu de rechercher les problèmes, il s'agit donc d'abord de s'intéresser au vécu de la famille avec les différents professionnels impliqués. Un outil spécifique est : le sociogénogramme. Sa construction permet de visualiser, à l'aide de codes de couleurs et de flèches, les relations entre tous (demandes effectuées, actions mises en oeuvre, liens...).

La clinique de concertation implique aussi un autre type de décalage. Cette pratique invite en effet les travailleurs sociaux, au carrefour de plusieurs visions et porteurs de multiples informations, à oeuvrer « comme si les usagers étaient présents même quand ils ne le sont pas, à raconter ce dont ils peuvent être fiers et pas seulement, comme souvent, ce qui leur fait honte », observe Céline Fonton. Il convient dès lors de s'interroger sur les informations utiles qui pourraient circuler et sur les moyens de les transmettre. « Cette démarche aide à suspendre le jugement, incite à s'approcher du discours que les familles peuvent tenir sur elles-mêmes, à trouver leurs ressources et leurs points d'ancrage au sein du réseau », reprend l'assistante sociale.

Concrètement, après un important travail de préparation, la clinique de concertation réunit la famille et les acteurs impliqués dans le suivi. Après un tour de présentation, le clinicien expert de la méthode, qui veille à soutenir le débat contradictoire, dessine le sociogénogramme. Chacun est alors invité à apporter des précisions sur la façon dont se met en place son intervention, sur le déroulé des événements, son positionnement dans la relation... pour une meilleure compréhension. Les liens intrafamiliaux sont travaillés, les projets pour les enfants abordés, des pistes de solution envisagées... Toutefois, ce n'est pas un lieu décisionnel. Un compte-rendu, validé par la famille, est ensuite réalisé et diffusé aux participants. « Dans le cas réel d'IOE que j'ai eu à traiter durant ma formation, la mère qui se laissait «assister« a pu accepter pendant une heure et demie de se pencher sur son parcours et expliquer clairement ce qui lui semblait le plus pertinent pour l'aider. Elle s'est sentie partie prenante de ce qui se joue pour elle et ses enfants », témoigne Christine Denappe. Les outils proposés par le dispositif peuvent donc enrichir selon elle, dans certains cas, le travail en investigation. « Réaliser une clinique de concertation est un objectif important, précise-t-elle. Mais ce qui l'est tout autant, c'est le travail en amont d'échanges et de conjugaison des énergies. »

F. R.

Notes

(1) Ils étaient réunis à Nantes du 10 au 13 juin dernier, lors des journées d'études de la FN3S : « Investigation et accompagnement en protection de l'enfance : nouveaux acteurs, nouvelle culture » - FN3S : 78 bis, boulevard du Maréchal-Foch - 54520 Laxou - Tél. 03 83 94 22 47.

(2) Au civil, la proportion est de 43 % de RRSE pour 15 % d'enquêtes sociales et 42 % d'IOE.

(3) Téléchargeable sur www.cg94.fr.

(4) Consultable sur www.oned.gouv.fr.

(5) Voir www.concertation.net.

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