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Soigner global

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A Roubaix, la Maison de santé décharge les urgences de l'hôpital grâce à une permanence sanitaire et sociale, gérée par les médecins généralistes et par le centre communal d'action sociale. Le projet, qui a connu une interruption de deux ans, a du mal à retrouver sa vitesse de croisière.

C'est une salle d'attente paisible où seul un couple patiente avec un petit garçon à l'air fiévreux. Il est pourtant 20 heures, l'heure de toutes les bousculades aux urgences de l'hôpital Victor-Provo, à Roubaix (Nord), situé juste de l'autre côté de la rue. A la Maison de santé(1), on patiente peu, dix minutes au maximum. Et, particularité du lieu, « ici, on essaie de marier social et santé », s'enthousiasme Brahim Ait-Nacer, l'un des deux agents sociaux du centre communal d'action sociale (CCAS) qui y travaillent. « Vous venez pour une rage de dents et vous n'avez pas de couverture médicale, vous repartez avec un antalgique et votre situation sociale réglée. » Les patients apprécient : « Je suis venu avec ma mère sans papiers. Ici, elle a été soignée », explique l'un d'eux.

Pensée à l'origine pour décharger les urgences hospitalières, la Maison de santé fait converger trois mondes en son sein : l'hôpital public, la médecine généraliste et un accueil social. L'hôpital prête les locaux et a détaché un agent d'accueil, chargé d'orienter les patients. La permanence de soins est assurée par 20 médecins généralistes volontaires, du lundi au samedi de 18 heures à 23 heures, et les dimanches et jours fériés de 10 heures à 12 heures et de 15 heures à 23 heures. Quant au CCAS de Roubaix, il met à disposition deux agents sociaux, à temps partiel (60 %), placés sous l'autorité d'un coordonnateur qui peut les remplacer en cas d'absence, pour assurer un service pérenne et régulier.

L'accueil social de la Maison de santé traite en majorité des problèmes d'hébergement : un lit à trouver pour la nuit avant une orientation vers les structures ad hoc, ouvertes seulement en journée. « Nous répondons au très court terme. Nous sommes dans l'information et l'orientation, pas dans l'accompagnement », résume Franco Chiacchia, le coordonnateur, qui a commencé sa carrière à l'accueil du CCAS de Roubaix, avant de devenir travailleur social. Autre demande fréquente : l'ouverture d'un dossier pour disposer d'une couverture médicale. Ces deux thématiques représentent deux tiers de l'activité sociale du lieu. « Mais nous avons aussi accueilli récemment une jeune femme sans titre de séjour et sans domicile, enceinte de quatre mois, ou un jeune homme blessé au cours d'un conflit de voisinage, que nous avons orienté vers le service d'aide aux victimes », raconte Franco Chiacchia, en feuilletant le cahier de liaison rempli avec soin par chacun des agents sociaux de garde. Lesquels se réunissent tous les samedis pour faire le point.

Des urgences saturées

L'idée de cette structure mixte est née en 1999, portée par l'hôpital et par la mairie de Roubaix pour répondre aux besoins d'une population en détresse : 30 % des 100 000 habitants de Roubaix vivent des minima sociaux, et le chômage atteint 21 % de la population active. « Nous avions observé une augmentation de 10 % par an du nombre de visites aux urgences entre 1990 et 2000, explique le docteur Marie-Anne Babé, chef du service des urgences. Nous nous sommes rendu compte qu'après 18 heures, lors de l'afflux de fin de journée, il y avait une forte problématique sociale. » A 18 heures, aux urgences, c'est le début de la garde de nuit, quand l'effectif passe de six à un médecin. C'est aussi l'heure où il devient difficile de trouver un généraliste et où les services sociaux ferment leurs portes. « Les gens viennent alors aux urgences car il y a une accessibilité assez facile, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il y a aussi l'angoisse de la nuit qui pèse », poursuit Marie-Anne Babé. Et l'assurance, quand on est à la rue, de trouver un endroit chaud, où l'on peut somnoler sans risque.

« Nous avions à prendre en charge des problèmes du type sous-alimentation ou des gens en phase d'alcoolisation aiguë, que nous ne pouvions pas renvoyer. Cette population précaire nécessitait des compétences sociales que nous n'avions pas », raconte la responsable des urgences. Un avis partagé par les généralistes : « Nous faisons parfois du social, mais ce n'est pas notre métier. Nous n'avons pas la connaissance, l'approche et les réseaux nécessaires », explique Philippe Lauwick, généraliste roubaisien, présent dès la genèse du projet. Ce que confirme l'agent social Brahim Ait-Nacer : « Je suis un ancien infirmier qui s'est ensuite tourné vers le social, par le biais de l'animation, grâce à un BAFA. Et je peux témoigner que la prise en charge du malade reste encore très cloisonnée. En France, on va rarement examiner les causes, au-delà du seul problème médical. » Une difficulté qu'il illustre en citant le cas d'un patient sans domicile fixe, souffrant d'un abcès et soigné sans que son problème de conditions de vie soit résolu. « Le malade doit pourtant être acteur du soin, par exemple en corrigeant son hygiène de vie ou en modifiant les comportements qui l'amènent à l'hôpital. » C'est d'ailleurs l'un des axes prioritaires de la Maison de santé : tenter une prise en charge globale de la personne en insistant sur le volet éducatif et préventif. Un projet que Brahim Ait-Nacer juge « passionnant, car il rompt avec la toute-puissance du médecin ».

Pour la gratuité des consultations

A l'époque, l'autre raison de la création d'une permanence sociale est plus prosaïque. En effet, la Maison de santé a été imaginée juste avant la CMU, au temps de l'aide médicale gratuite. Les patients avaient alors besoin d'une feuille jaune, distribuée par le CCAS, pour que les pharmaciens délivrent les médicaments. Avoir un travailleur social sur place, c'était s'assurer que les gens pourraient se soigner après leur consultation. « Toutes les problématiques ont donc convergé vers une réflexion commune », se souvient Ludovic Fonck, le directeur du CCAS.

De leur côté, les généralistes se sont joints à l'initiative pour trois raisons majeures. D'abord afin de sécuriser leurs gardes de nuit. Seuls lors de visites nocturnes dans certains quartiers difficiles de Roubaix, ils ne se sentaient pas toujours sereins. Dispenser les soins dans un local fermé, avec une équipe autour d'eux, leur a apporté de ce point de vue un vrai plus. En outre, ils partageaient le constat dressé par l'hôpital : « Les gens se rendaient aux urgences pour des pathologies bénignes ou chroniques, ils avaient perdu le réflexe du médecin de ville. La Maison de santé, c'était, à l'occasion d'un soin ponctuel, l'opportunité de les remettre dans un parcours de soins cohérent », explique Philippe Lauwick. Enfin, l'Agence régionale de l'hospitalisation (ARH) a accepté de payer leurs gardes sous forme d'un forfait. « Les gardes sont normalement payées à l'acte : certaines sont très lucratives, d'autres bloquent le médecin sans rien lui rapporter. Dans le cadre de la Maison de santé, le généraliste devient un relais éducatif important, il nous semblait normal d'effacer cette différence entre les gardes, et de gagner le même montant quelle que soit l'activité. » L'argument a pesé et l'ARH a accepté ce mode de paiement. « C'était tout à fait innovant pour des médecins libéraux », insiste Philippe Lauwick. Et pertinent, car ainsi, les patients n'ont pas à avancer le prix de la consultation. « C'était pour nous un élément essentiel : la consultation devait être gratuite pour le patient, comme aux urgences. Les médecins ne pouvaient donc pas être payés à l'acte, comme à leurs cabinets », insiste Ludovic Fonck.

Ouverte en mars 2000, la Maison de santé connaît cependant une première année difficile, liée à une erreur d'implantation qui l'empêche de décoller en matière de fréquentation. « Nous avions voulu la placer dans un quartier défavorisé, à l'Alma, en nous disant que c'était une bonne solution d'aller au-devant d'une population demandeuse. Mais les patients continuaient de se rendre aux urgences, qui les renvoyaient à la Maison de santé, à l'autre bout de la ville », raconte Marie-Anne Babé. Le service déménage donc en 2003 pour s'installer face à la rampe d'accès des urgences, dans la Maison du diabète. Avec pour résultat une forte progression de la fréquentation. Franco Chiacchia, le référent social à l'époque, s'en souvient : « Nous avons trouvé alors un rythme de croisière satisfaisant, avec un taux de fréquentation moyen de 20 personnes par jour, dont une à deux situations sociales. » Confirmation de Marie-Anne Babé : « Nous avons vu se stabiliser le chiffre des entrées aux urgences. Des gens se sont présentés spontanément à la Maison de santé, qui a pris sa place dans les structures de soins. » Surtout, la qualité de l'accueil était autre, précise-t-elle : « Le patient voyait un médecin en direct, sans la barrière de l'interne, et dans un lieu moins froid que l'hôpital. » Idéal pour les angines, rages de dents, gastro-entérites, qui monopolisent trop souvent les urgentistes. « Nous avons formé notre service d'accueil, nos infirmiers, et ils savaient qu'ils pouvaient renvoyer les cas les moins graves vers la Maison de santé, explique encore la responsable du service des urgences. De même, la Maison de santé n'hésitait pas à nous transférer des patients plus malades qu'ils ne le croyaient. Ces possibilités d'allers-retours avaient un côté rassurant. » Le dispositif permettait également de répondre aux urgences sociales : une personne sans abri pouvait, après 23 heures, être hébergée dans l'un des lits des urgences, disponible à ce moment-là de la soirée, une fois résorbées les arrivées massives.

Une dynamique à relancer

Malheureusement, en juin 2005, l'Agence régionale de l'hospitalisation décide de ne plus financer les vacations des médecins généralistes. L'expérimentation, qui a duré quatre ans, cesse. La fermeture de la Maison de santé met provisoirement fin à la coopération entre social et médical, et les médecins généralistes se retrouvent à nouveau confrontés à leur problématique de gardes de nuit. « La Maison de santé manquait à tout le monde. Nous nous sommes battus pour que le service rouvre », résume la chef des urgences. Début janvier 2007, après deux années de bras de fer, l'ARH accepte finalement de reconduire le dispositif. Mais l'interruption a pesé lourd. « La fermeture d'un an et demi avait été annoncée comme définitive, explique Franco Chiacchia. Nous nous sommes retrouvés face à la nécessité de reconstruire la notoriété de la structure, de retravailler l'articulation entre l'hôpital, les médecins généralistes et nous, les travailleurs sociaux. » Aux urgences, Marie-Anne Babé a, elle aussi, connu des difficultés : « Pendant ce temps de fermeture, le personnel hospitalier a changé. Il a fallu à nouveau former les agents, les convaincre que l'hôpital ne se défaussait pas de ses patients sur une autre structure, que c'était une autre manière de soigner. »Toute une pédagogie à refaire pour que les urgences réapprennent à aiguiller les cas les moins lourds vers la Maison de santé. « Les patients gardent leur liberté. Ils peuvent continuer à attendre aux urgences, mais on leur offre une alternative », précise-t-elle. Une logique qui semble aujourd'hui à nouveau intégrée : l'an dernier, 36 % des patients arrivaient à la suite d'une réorientation des urgences.

Autre conséquence : l'accueil social a perdu une partie de sa reconnaissance. Une dynamique a été cassée, comme le montrent les chiffres. En 2008, la structure a accueilli 3 514 personnes, parmi lesquelles seules 116 ont été reçues en entretien social formalisé. Et, aujourd'hui encore, les travailleurs sociaux estiment que leur rôle est insuffisamment connu et relayé auprès des usagers. « C'est grâce à une forte volonté politique que le service a continué, mais la réouverture s'est faite un peu précipitamment. En termes de communication, ce n'est pas tout à fait cela », regrette Franco Chiacchia. Ce que confirme Brahim Ait-Nacer : « La Maison de santé est perçue comme une annexe des urgences. Un grand nombre de partenaires retiennent plus le côté traitement médical que l'aspect social du lieu. » L'un des généralistes de garde le dit tout net : « Les urgences sociales ne sont pas très nombreuses. Pour moi, c'est l'agent d'accueil qui est très important, car il nous évite de faire les papiers et il reçoit le public. L'agent social est un appoint ponctuel. »

Tous ne partagent cependant pas cet avis. Ainsi, Philippe Lauwick soutient : « S'il est vrai que l'activité sociale n'est pas débordante, quand on est face à quelqu'un qui n'a pas de logement pour la nuit, c'est un réel atout de profiter de la présence d'un travailleur social. » Même s'il relativise : « Travailler en soirée limite l'impact. Toutes les structures d'accueil ne sont pas ouvertes, et renvoyer au lendemain matin ne convient pas toujours à une population en détresse sociale qui vit dans l'immédiateté. » Pour Catherine Van Lierde, directrice de l'accueil, du suivi social et de l'insertion au CCAS de Roubaix, il existe des marges de progression concernant le volet social de la Maison de santé. « Actuellement, l'agent social ne profite pas d'un lieu dédié permettant la confidentialité. Des personnes dans le besoin, qui ont une demande d'écoute importante, ne veulent pas se confier ainsi. » De fait, les locaux actuels sont installés dans une ancienne maison de maître aux boiseries de chêne, mais peu fonctionnelle. La salle d'attente se situe dans le hall, le médecin de garde dispose de son cabinet, occupé la journée par les praticiens de la Maison du diabète, tandis que les agents social et d'accueil se partagent une grande pièce où les patients viennent remplir leur fiche d'admission. Un projet de réaménagement est à l'étude, pour fournir l'espace nécessaire à chacun.

Deux mondes qui se découvrent

Reste qu'une certaine complémentarité existe entre médecins et travailleurs sociaux. Catherine Van Lierde le reconnaît à mi-voix : « Nous avançons tout doucement avec les médecins. » « Les réticences du début, qui existaient de part et d'autre, se sont estompées », témoigne, pour sa part, Philippe Lauwick, qui apprécie de mieux connaître les réseaux sociaux. Ce qui lui est utile en dehors de ses gardes, dans son activité de médecin de ville. Au sein de la Maison de santé, cela se traduit par une certaine synergie. Ainsi, en ce soir de juin, Pierre Zahui, l'agent d'accueil, vient chercher Franco Chiacchia, le travailleur social de permanence. Un toxicomane, qui s'était déjà présenté la veille, sonne à la porte, très énervé. A la Maison de santé, la règle médicale est claire. Les dépendances nécessitent un suivi régulier chez un médecin traitant. Il n'est donc pas question d'établir des ordonnances pour des produits de substitution. Franco Chiacchia prend les choses en main et reçoit la personne en entretien individuel. Il lui reprécise la règle et prend le temps de l'écouter patiemment exposer son inquiétude concernant le renouvellement d'une allocation pour handicapé, qui tarde. Le travailleur social lui conseille de relancer la Maison départementale des personnes handicapées et établit une fiche de liaison : « Tu diras que c'est le CCAS qui t'envoie. » L'homme hoche la tête et se calme peu à peu. Franco Chiacchia l'accompagne ensuite dans le cabinet du généraliste, puis les laisse pour la consultation. L'homme repartira sans ordonnance... et sans esclandre. « Depuis l'ouverture de la Maison de santé, nous n'avons jamais connu aucune incivilité », se félicite Philippe Lauwick. Sans doute grâce au désamorçage des situations par les travailleurs sociaux.

Travailleurs sociaux, corps médical : les deux mondes ont tout de même encore du mal à s'interpénétrer. « Il n'y a qu'une minorité de médecins qui prennent en compte la dimension sociale des cas. Pour la plupart, il ne leur viendrait pas à l'idée de passer deux heures à discuter avec un toxicomane », note Brahim Ait-Nacer qui aimerait que soit instauré un temps d'échange avec les médecins sous la forme d'une réunion régulière. Le docteur Lauwick reconnaît l'intérêt de cette idée, mais ajoute : « Nous ne sommes disponibles qu'en soirée, alors que la culture sociale préfère les réunions durant la journée. Dans la pratique, cela ne marchera pas. » « Nous devons vraiment travailler en étroite collaboration et en équipe pluridisciplinaire, reprend Brahim Ait-Nacer, car la Maison de santé se cherche encore. »

Notes

(1) La Maison de santé : 26, boulevard Lacordaire - 59100 Roubaix - Tél. 03 20 99 15 65.

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