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Un rapprochement inéluctable mais laborieux

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L'évolution des besoins pousse à la coordination entre les acteurs de la psychiatrie et du social. Pourtant, les rapprochements peinent à se faire. Coupure juridique entre institutions, différences culturelles, conservatismes professionnels, éclatement de l'appareil de formation, se conjuguent pour freiner ce mouvement indispensable à l'adaptation des réponses en faveur des publics fragilisés.

D'un côté, les professionnels de la santé mentale. De l'autre, ceux de l'action sociale. Au centre, des usagers aux parcours compliqués, impossibles à rattacher à l'un ou l'autre des secteurs en particulier. Personnes en situation de handicap psychique, patients âgés souffrant d'Alzheimer, malades psychiatriques ou handicapés mentaux en quête d'un parcours social, mais aussi personnes fragilisées en rupture d'insertion, publics de la rue, adolescents de la protection judiciaire, etc. : tous mettent en évidence les cloisonnements toujours bien vivaces en dépit des injonctions à la mise en réseau qui se multiplient. « Alors que les premières idées de coordination remontent à 40 ans, on est stupéfait de voir que les acteurs travaillent encore seuls. Ce qui pose la question de comment et pourquoi la culture n'a pu évoluer », affirme Bernard Durand, président de la FASM (Fédération d'aide à la santé mentale) Croix-Marine. En 1998, un rapport du Haut Comité de la santé publique (1) analysait déjà la situation en termes particulièrement sévères. « Les cloisonnements entre institutions aboutissent à une segmentation administrative qui devient incompréhensible aussi bien par la population, notamment en situation de précarité, que par les professionnels », dénonçait-il. « Pour dépasser ces clivages, on ne cesse d'ajouter des dispositifs pour relier les structures, les procédures, les financements et les acteurs. Une part de plus en plus importante de l'énergie collective est consacrée à franchir des obstacles institutionnels au détriment des actions elles-mêmes et au prix d'une usure grandissante des professionnels concernés. » Certaines évolutions législatives sont venues entre-temps arrondir les angles. La loi 2002-2 représente à ce titre un tournant en invitant chaque établissement à définir dans son projet l'articulation qu'il entend développer avec ses partenaires locaux. La loi « handicap » du 11 février 2005 enfonce le clou en instaurant le groupement de coopération sociale et médico-sociale, qui permet des montages institutionnels s'affranchissant des champs juridiques d'origine. Les déclinaisons de ces lois commencent à trouver leur traduction dans des décrets, tel que celui du 20 mars 2009 sur l'organisation des maisons d'accueil spécialisées et des foyers d'accueil médicalisé, qui détaille pour ces structures de nouvelles obligations en matière de coordination (2). De même, la production de l'ANESM (Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux) accorde une large place à la coordination et la coopération, comme l'atteste, par exemple, sa recommandation sur la place de l'établissement et du service dans son environnement (3).

Des signes officiels. Pour autant, la chronique des difficultés dans lesquelles se trouvent les acteurs paraît être sans fin (4). Ainsi le cas de cette adolescente hospitalisée en pédopsychiatrie depuis des années pour des troubles du comportement graves, que raconte Serge Kannas, responsable de la mission nationale d'appui en santé mentale (MNASM) (4). A 16 ans, âge limite de sa prise en charge, s'est posée la question de la fin de son hospitalisation et de son avenir. Une rencontre a été alors organisée avec toutes les personnes participant à son accompagnement. « Le jour de la réunion, 20 à 25 personnes se tenaient autour de la table. Parents, soignants, travailleurs sociaux de l'aide sociale à l'enfance, juge. Aucun d'entre eux ne se connaissait. » Pire, la situation se trouvant à l'intersection du juridique, du social et du soin, des désaccords entre la famille et les services, et entre les services eux-mêmes, sont apparus très rapidement. « Mais dans ces cas, qui gère cet aspect de discordance ? Et quelles sont les hiérarchies entre les différents acteurs ? », s'interroge Serge Kannas.

Un échec flagrant

Le changement ? Il vient alors de l'attention grandissante portée au parcours des usagers dans les dispositifs et à l'indignation face à certaines situations. Une illustration : la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie relève qu'un même malade âgé souffrant d'Alzheimer peut subir jusqu'à six évaluations redondantes de son cas, réalisées tour à tour par la psychiatrie, le conseil général, et différentes structures sociales et médico-sociales, y compris les équipes du centre communal d'action sociale ! Pour nombre de professionnels, l'échec est flagrant. « La démarche de mise en réseau est d'autant plus difficile qu'elle vient s'inscrire systématiquement sur un fond de déficit. C'est parce que des professionnels ont été confrontés à un sentiment d'impuissance, voire de culpabilité, que la question du réseau s'est posée entre eux », confirme Patrick Cottin, directeur de la maison départementale des adolescents (MDA) de Nantes. Comme tant d'autres cadres, ce responsable a fait le constat que l'organisation mono-institutionnelle n'était pas suffisante pour prendre en compte la complexité des situations, et qu'environ 15 % de son public d'adolescents en difficulté échappait à tout dispositif. La MDA a donc pris le parti d'initier une coordination locale. Un lieu d'accueil a été ouvert à Nantes afin de permettre aux différents professionnels de se réunir et aux jeunes de venir les rencontrer dans un environnement non stigmatisant. Réunis sur la base d'un constat commun, les partenaires du réseau ont dû néanmoins apprendre à travailler ensemble. « Dans cette interprofessionnalité, on touche à la question des représentations de manière permanente. Avant de parvenir à des actions communes, il a fallu déconstruire les regards que chacun portait sur une situation donnée », constate le directeur de la MDA. Pour cela, des rencontres ont été organisées sur les territoires en questionnant les professionnels de la psychiatrie, du social et du médico-social, sur la façon dont ils percevaient les difficultés des jeunes. Près d'un an de réunions et de contacts a été nécessaire pour aboutir à une représentation partagée. Dans ce cheminement, plus d'un deuil a dû être fait. « Coordonner, c'est ordonner ensemble, ce qui suppose de choisir quel ordre on va mettre dans la situation, précise Patrick Cottin. Pour cela, il faut travailler longuement sur la dimension de l'illusion égalitaire et sur le renoncement au pouvoir que les uns peuvent prétendre exercer sur les autres. »

Cette même volonté de forcer les verrous administratifs et culturels entre les institutions d'un même territoire est à la base de la création, en 2001, du réseau de promotion de la santé mentale Sud-Yvelines (RPSM 78). Son initiateur, Mickaël Robin, chef de service au centre hospitalier psychiatrique Jean-Martin-Charcot, à Plaisir, avoue qu'avant il ignorait tout du monde médico-social. C'est en cherchant des remèdes à la saturation de l'offre de son unité d'hospitalisation qu'il découvre l'existence d'un établissement et service d'aide par le travail voisin de 100 places ainsi que de plusieurs foyers de vie pour handicapés mentaux, dont un tiers des résidents était déjà suivi par son service. « Le problème que nous avions en commun était la trajectoire au long cours de ces usagers. Personne ne se satisfaisait des réponses apportées », explique Mickaël Robin. Une relation donnant-donnant va alors s'établir entre les partenaires. Une équipe de soignants chargés d'assurer la liaison entre la psychiatrie et le médico-social est détachée par l'hôpital afin d'améliorer les accompagnements. En contrepartie, un élargissement des règles d'accueil est demandé aux structures médico-sociales. « Ce principe aboutit à dissocier la question de l'hébergement de celle du soin, explique le psychiatre. Dans le réseau de santé qui a été créé pour la circonstance, l'hôpital peut adresser un patient à l'établissement tout en continuant d'assurer la continuité des soins. La structure s'engage de son côté à garantir l'hébergement, y compris en cas de nécessité d'hospitalisation. » Les résultats ont été au-delà de toutes les espérances. La première année, 80 % des interventions de l'équipe de liaison étaient assurées en urgence sur des situations problématiques. Huit ans plus tard, 80 % des interventions sont des actions de supervision dans les établissements, et la psychiatrie a divisé par deux le nombre de personnes suivies au long cours, se félicite Mickaël Robin. Reste que des compromis ont été nécessaires. « Nous ne sommes pas dans la clarification du domaine de chacun, nous sommes dans l'investissement d'un domaine partagé, commente Mickaël Robin. Entrer dans ce dispositif implique pour les structures d'accepter parfois d'accueillir un public différent du leur, faute de quoi on continuera à se renvoyer la balle sans fin. »

L'engagement des pouvoirs publics

Pour convaincre des équipes que rien spontanément ne pousse à remettre en cause leur fonctionnement, l'engagement des pouvoirs publics territoriaux apparaît souvent nécessaire. Dans le Pas-de-Calais, l'inscription de la souffrance psychique dans le programme régional de l'accès à la prévention et aux soins a conduit à la création d'un vaste dispositif de coordination piloté par l'ensemble des tutelles (DRASS, DDASS, ARS, collectivités). En 2003, une formation « précarité-santé mentale » est lancée à destination d'une quinzaine de groupes composés à parité de représentants du sanitaire et du social. « L'objectif était d'initier des relations visant à améliorer l'accueil, l'insertion et l'accès aux soins des publics en souffrance psychique, en même temps que de préparer la mise en réseau sur les territoires des participants des deux champs », explique Monique Lips, cadre socio-éducatif à l'établissement public de santé mentale de Lille. Au terme de cette formation étalée sur un an, les 15 groupes se sont transformés en autant de réseaux territoriaux de 20 à 25 membres. Animés par un binôme soignant-travailleur social, chaque réseau fixe ses priorités de travail en fonction des besoins du territoire qu'il couvre (préparation de sortie d'hospitalisation, problème d'accès ou de maintien au logement, etc.) et développe ses propres formations sur des thématiques communes. Afin d'affiner le fonctionnement entre les professionnels du sanitaire et ceux du social, des présentations de situations sont régulièrement effectuées. Enfin, des rencontres trimestrielles organisées dans les différentes structures du réseau permettent une meilleure connaissance des équipes. L'évaluation en 2008 du dispositif, pourtant porté par les pouvoirs publics, atteste de la complexité de sa greffe dans le paysage sanitaire et social local. « La supervision régionale qui était prévue pour un an est toujours nécessaire, notamment en raison de la lourdeur de la tâche des binômes qui coordonnent chaque réseau local, précise Monique Lips. En outre, si les institutions acceptent de déléguer des professionnels dans la coordination, se pose ensuite le problème de l'information des équipes et de leur mobilisation sur de nouvelles pratiques de travail. »

Dans la Seine-Saint-Denis, où les indicateurs de la précarité sont au rouge, un comité de pilotage animé par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales supervise depuis 2006 le développement d'un dispositif de coordination à plusieurs étages. Deux équipes mobiles composées d'un médecin psychiatre et d'une infirmière sont affectées au soutien des travailleurs sociaux dans la prise en charge des personnes précaires ou en situation d'exclusion (5). Une formation « santé mentale et action sociale », portée par l'établissement publique de santé de Ville-Evrard, est également mise en place à destination de l'ensemble des acteurs susceptibles d'intervenir auprès des personnes en souffrance psychique : professionnels du social, bailleurs, personnels d'accueil des CCAS, gardiens d'immeuble. Enfin, des réunions de concertation organisées dans le cadre des RESAD (réseaux d'évaluation des situations d'adultes en difficulté) entre les professionnels du champ social, de l'insertion, et de la santé, achèvent d'apporter une réponse collective à des situations dont la complexité rendrait illusoire le suivi par un seul acteur. « Ces actions sont étroitement complémentaires. C'est ce travail sur les représentations des uns et des autres qui aboutit à un changement des pratiques, et ouvre sur des actions de coordination », témoigne Christine Garcette, responsable du Comité départemental de liaison et de coordination des services sociaux de Seine-Saint-Denis (Clicoss 93).

« Une prise en charge mosaïque »

Hors de toute hiérarchie institutionnelle, le dispositif expert régional pour les adolescents en difficulté (Derpad), mis en place à Paris, en 1996, fournit également une illustration de l'importance du rôle d'un tiers dans les relations entre les acteurs sociaux et sanitaires. Structure hors norme née d'un partenariat entre la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et le ministère de la Santé, le Derpad propose aux professionnels du champ de l'enfance et de l'adolescence des consultations animées par un binôme psychiatre-éducateur. « Ces consultations sont un lieu de parole libre et de supervision ouvert à des professionnels isolés ou à des équipes, qui peuvent venir exposer le cas d'un adolescent », explique Maxime Calvet, consultante éducative au Derpad. Le pari fait par ce dispositif est qu'il est possible de modifier la trajectoire institutionnelle des adolescents en travaillant avec les professionnels sur les représentations qu'ils se font des jeunes, ainsi que sur leur propre rôle dans une prise en charge qui implique famille, justice, psychiatrie, et travail éducatif. « Puisque le tout psychiatrique, le tout éducatif, ou le tout répressif ne fonctionne pas, l'idée est donc d'aboutir à une prise en charge mosaïque », explique Maxime Calvet. Jouant sur cette double compétence santé-justice, les actions de soutien techniques aux établissements, que conduit parallèlement le Derpad, reposent sur cette volonté de concilier différentes représentations professionnelles autour d'une même situation. Selon Maxime Calvet, « plus que de créer des liens entre les professionnels, il s'agit de relancer une dynamique de pensée qui est freinée par la complexité et la lourdeur des situations ».

De fait, dans un contexte institutionnel et financier peu propice au travail en commun, l'action sur les identités professionnelles demeure aujourd'hui une priorité. Pour Hélène Strohl, inspectrice générale des affaires sociales, la coordination ne peut en effet se résumer à un simple débat d'organisation entre des intervenants multiples, posé en réponse à un dysfonctionnement local. « Le travail en réseau permet aux professionnels de sortir des barrières de leurs métiers et de travailler, non plus à partir de leur statut, mais de leurs compétences. Si nous ne sommes pas suffisamment attentifs à toute cette force collective dans l'observation qui est faite des territoires, alors nos constructions de réseaux, nos coordinations, ne seront qu'une nouvelle manière d'institutionnaliser les situations et de les immobiliser », alerte-t-elle.

Du côté des écoles du travail social, on ne peut que constater les ravages causés par l'éclatement de l'appareil de formation. Si la seconde loi de décentralisation a confié aux régions le pilotage des formations du travail social, elle a laissé dans le même temps les formations du sanitaire sous compétence de l'Etat. Le législateur lui-même semble n'avoir pris la mesure du problème que très tardivement. La loi du 5 mars 2007 sur la protection de l'enfance institue par exemple une obligation de construire des formations pluriprofessionnelles, dans lesquelles peuvent se retrouver associés soignants, travailleurs sociaux, juges, etc. Mais avant elle, ni la loi 2002-2 sur l'organisation sociale et médico-sociale, ni la loi « handicap » du 11 février 2005, qui introduit pourtant la notion de handicap psychique, n'ont mentionné de telles éventualités. « Le secteur social est dans une situation d'attente. Les organismes de formation sont prêts à avancer, mais ils s'épuisent à mener des expérimentations pédagogiques », déplore Marcel Jaeger, chargé de mission à la MNASM et ancien directeur général de l'IRTS Ile-de-France Montrouge-Neuilly-sur-Marne. Pour l'heure, les tentatives de rapprochement entre les instituts de formation en soins infirmiers et les écoles de travail social peinent à déboucher. « Les principales avancées ont lieu d'abord pour les formations de niveau V (AMP, auxiliaire de vie sociale, aide-soignante), où l'on voit différentes tentatives de création d'un tronc commun. Et, tant bien que mal, du côté des formations supérieures de niveau I, avec des connexions entre directeurs d'établissements sociaux et médico-sociaux et d'hôpital qui restent toutefois fragiles », observe Marcel Jaeger. Le constat est identique dans le champ sanitaire. « Alors que la psychiatrie nous a appris que les accompagnements pouvaient être au long cours et que les réponses ne se situaient pas uniquement sur un modèle médical, la formation des professions paramédicales n'est pas sortie du modèle hospitalier, ce qui continue à avoir un impact sur les organisations », analyse Dominique Letourneau, directeur pédagogique à l'école supérieure Montsouris, à Paris. Pour ce spécialiste, une contradiction majeure existe aujourd'hui entre une identité sanitaire construite en étanchéité par rapport aux autres groupes professionnels, et l'évolution des besoins, qui, pour des raisons purement économiques, est en train de modifier les réponses. « Ce dont on a besoin aujourd'hui, c'est d'un autre mode de management, avec des compétences diversifiées, des niveaux d'expertise élargie. De nouveaux métiers à l'articulation du sanitaire et du social vont devoir être mis en oeuvre, comme avec le handicap psychique. Et il n'est pas gênant, assure-t-il, qu'à la base on soit travailleur social ou paramédical, pourvu qu'on dépasse les clivages culturels. »

L'histoire plaide en ce sens. Des liens étroits entre la psychiatrie et les travailleurs sociaux existent depuis longtemps. « Avant les politiques de secteur psychiatrique, le social et le soin étaient deux secteurs qui devaient s'articuler, rappelle Bernard Durand. Aujourd'hui que se pose de façon aiguë la question du transfert des compétences entre les deux secteurs, on s'aperçoit que des savoir-faire en santé mentale existent du côté du social, avec des travailleurs sociaux qui accompagnent des patients schizophrènes depuis des années et ont donc acquis une expérience. »

Reste que l'angélisme n'est pas de mise. Car derrière le dépassement des cloisonnements se pose aussi des enjeux de pouvoir. « Quelles sont, par exemple, les relations entre les producteurs de normes que sont l'ANESM et la Haute Autorité de santé ? », se demande Marcel Jaeger. Sans compter les circonvolutions propres au champ social. « A la création de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, des espoirs ont été fondés sur ce concept d'autonomie qui promettait un élargissement des problématiques, explique le chargé de mission. Finalement, on a vu apparaître avec la loi de 2005, non pas les maisons départementales de l'autonomie, mais les maisons départementales du handicap. On voit bien que nous sommes dans un paysage extrêmement instable. »

UN MODÈLE DE COORDINATION À GÉOMÉTRIE VARIABLE

Une coordination peut-elle se passer d'un pilote ? La réponse n'est pas si évidente. D'un côté, un réseau ne fonctionne que si sa coordination est légitimée et s'impose à tous, de l'autre cette coordination n'existe que si elle est portée par les membres du réseau. Le choix même d'un éventuel pilote n'est pas sans retentissement dans un univers partagé entre plusieurs cultures professionnelles. D'où une très grande hésitation des acteurs dans le choix de la gouvernance. La maison des adolescents de Nantes a, par exemple, fait le choix de confier la responsabilité de la coordination qu'elle a initiée à un groupement d'intérêt public, pour éviter son rattachement direct à une structure partenaire. Dans la Seine-Saint-Denis, Christine Garcette, responsable du Clicoss 93 (comité de liaison et de coordination des services sociaux de Seine-Saint-Denis), estime qu'il est primordial d'identifier la coordination comme une fonction spécifique, mais s'interroge en même temps sur la nécessité d'en confier la responsabilité à un acteur du réseau. « L'instabilité permanente de la coordination participe paradoxalement à son efficacité. Si celle-ci est trop carrée, elle peut donner lieu à des conflits de pouvoirs », fait-elle observer. Dans le réseau de promotion de la santé mentale Sud-Yvelines, Mickaël Robin, chef de service au centre hospitalier psychiatrique Jean-Martin-Charcot, déplace la question de la responsabilité de la coordination en estimant que, « hors des situations où les soins représentent la plus grande part de l'activité du réseau », des structures telles que les services d'aide à la vie sociale ont certainement un rôle à jouer. « Ce sont elles qui se rapprochent le plus de ce qui devrait être un véritable accompagnement de la personne. »

En réalité, le recul sur les expériences déjà engagées laisse entrevoir différents modèles d'organisations. « Plus on va vers des situations critiques, plus on a besoin d'une gamme de services étendue, et plus le niveau de coordination va être important », résume à grands traits Saïd Acef, directeur de Aura 77, un réseau de santé spécialisé dans la prise en charge de l'autisme en Seine-et-Marne. Pour des troubles légers et régulés en santé mentale, la nécessité de coordination entre les acteurs ne va pas plus loin que la liaison ponctuelle et l'échange d'informations sur le parcours du patient, observe Saïd Acef. Sur des situations plus complexes, nécessitant une durée de prise en charge et une gamme de services étendue, les outils de coordination déployés seront plus importants. « On a donc besoin d'intervenants identifiés ou d'une équipe de liaison, qui puisse maintenir la lisibilité du parcours. » Dans un certain nombre de cas, l'intégration de la coordination peut être complète et s'accompagner de la création d'équipes dédiées, à la manière des équipes mobiles des Samsah (services d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés).

Pour autant, les rapprochements entre les acteurs de la psychiatrie et du social restent un exercice très délicat. « Pour un même patient, les outils d'évaluation du champ de la psychiatrie et du secteur social et médico-social sont différents, liés aux contraintes des pratiques. » S'engager dans une approche globale intégrant logement, accès à la culture, soins et participation sociale suppose d'éclaircir tous les points aveugles lors des premiers entretiens d'évaluation, puis deraisonner en termes de services répartis au sein du réseau. Pour Saïd Acef, « l'enjeu n'est pas de savoir s'il faut un coordinateur unique ou une équipe de coordination, mais de se demander quel système de coordination on construit pour l'usager en fonction de ses besoins et de son environnement. Et il ne peut y avoir de réponses simples. »

Du côté de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), l'expérimentation actuellement engagée sur les maisons pour l'autonomie et l'intégration des malades Alzheimer (MAIA) commence également à fournir un tableau des freins rencontrés sur le terrain. Visant à faciliter l'entrée des malades et de leur famille dans le dispositif de prise en charge, ces structures sont en effet chargées d'élargir les coordinations existantes en articulant le sanitaire, le social et le médico-social.

Un premier bilan réalisé auprès de la quinzaine de sites retenus pour l'expérimentation (CLIC, réseaux gérontologiques, réseaux de santé, MDPH) fait état de graves difficultés de communication : ruptures de continuité dans les parcours des malades, transmission d'informations inadéquate, voire inexistante entre les structures d'un même territoire, multiplication des évaluations sans qu'il y ait d'outils de mesure standardisés, prestations souvent conditionnées par le point d'entrée dans les dispositifs plutôt que par la situation des demandeurs. Pour y remédier, « les MAIA se basent sur un modèle d'intégration des services qui suppose que les partenaires de l'accompagnement s'engagent dans la coordination, la coopération, puis la co-responsabilisation, explique Anne Kieffer, médecin gériatre à la direction de la compensation de la CNSA. Cette co-responsabilisation suppose, par exemple, que des équipes médico-sociales de l'allocation personnalisée d'autonomie d'un conseil général puissent accepter une évaluation réalisée par un autre acteur. » La réussite d'un tel dispositif repose alors sur trois niveaux de partenariat : stratégique et financier entre les tutelles locales, opérationnel entre les institutions, et, enfin, clinique par une analyse partagée des acteurs.

Notes

(1) La santé en France - Rapport d'observation du HCSP, octobre 1998.

(2) Voir ASH n° 2603 du 3-04-09, p. 13.

(3) Ouverture de l'établissement à et sur son environnement - ANESM, décembre 2008 - Voir ASH n° 2594 du 30-01-09, p. 14.

(4) Comme l'ont montré les intervenants au colloque « Coordonner soins et accompagnement social : une fonction ? un métier ? », les 26 et 27 mai dernier, à l'IRTS Ile-de-France de Montrouge-Neuilly-sur-Marne et à l'Institut mutualiste Montsouris - Tél. 01 49 44 67 18.

(5) Créée en 1993, la MNASM a pour objectif d'aider les services déconcentrés de l'Etat dans l'élaboration et la mise en oeuvre des projets départementaux et régionaux de psychiatrie.

(6) La création d'une troisième équipe est prévue fin 2009.

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