Il ne reste plus à Hafed, enfermé dix-sept ans en prison, que quelques dents : « A l'intérieur, on n'a personne à qui sourire, alors on ne fait pas trop attention », avoue-t-il, en rappelant comment il s'est arraché sa propre molaire avec une fourchette. Dans Le corps incarcéré, récit multimédia publié sur le site Internet du quotidien Le Monde, ils sont quatre : Hélène, 49 ans (en préventive pendant onze mois) ; Djemel, 45 ans (neuf ans de prison) ; Hugo, 56 ans (dont vingt-neuf passés sous les verrous) ; et Hafed, 49 ans. Quatre témoins à être passés dans les prisons françaises et à y avoir laissé une part de leur intégrité physique : en exposant son sphincter lors des fouilles corporelles, en faisant l'amour au parloir sous l'oeil du maton, en se mutilant aussi... Par sa transversalité, le thème du corps permet ici d'évoquer divers aspects de la prison. Les clichés de Léo Ridet, pris à la nouvelle prison de Mont-de-Marsan (Landes), illustrent pudiquement l'histoire de ces individus dépossédés de leur corps et qui cherchent peu à peu à se le réapproprier. Cela donne un diaporama sonore de quatorze minutes, chapitré « Le corps fouillé », « Le corps malade », « Le corps de l'autre », « Le corps retrouvé » et « Le corps libéré ». En regard, le journaliste Soren Seelow a filmé deux sociologues et un psychiatre qui analysent la place, l'usage et les mutations du corps durant les années passées derrière les barreaux. Pour Christiane de Beaurepaire, ancienne psychiatre de la prison de Fresnes, « le corps est une ardoise sur laquelle les détenus écrivent leur souffrance ».
Le corps incarcéré - Soren Seelow et Léo Ridet -