Recevoir la newsletter

Zone franche

Article réservé aux abonnés

A Saint-Etienne, l'association Point vert permet aux parents séparés d'exercer leur droit de visite dans un lieu neutre. Un accueil collectif, imposé souvent par décision de justice, qui poursuit deux objectifs : le soutien à la parentalité et la réinscription de l'enfant dans son histoire familiale.

Les premiers visiteurs sont arrivés bien avant 10 heures. Leurs enfants seront bientôt là, et il n'est pas question de rater une seule seconde de ce moment privilégié. Dans le hall, une maman peine à lâcher la main de son fils. Souriante, une intervenante s'approche pour bavarder. Dans quelques instants, elle conduira le petit garçon auprès de son père, dans une autre pièce. Une collègue passe derrière elle, une fillette dans son sillage : « Où il est, papa ? Il est caché dans la cuisine ? » Comme chaque samedi, les intervenants de l'association Point vert(1) procèdent au rituel de la séparation. Celui qui mène les enfants de couples séparés du parent hébergeant, généralement la mère, au parent visiteur, plutôt le père.

Installé à Saint-Etienne, dans la Loire, depuis sa création en 1991, Point vert est un espace-rencontre pour le maintien des relations parents-enfants, comme il en existe 130 à travers la France. Sur décision de justice ou, plus rarement, par accord amiable des parents, des enfants viennent y retrouver leur père, leur mère, leurs grands-parents ou toute personne titulaire d'un droit de visite. Objectif : maintenir la relation, créer ou recréer un contact entre l'enfant et le parent avec lequel il ne vit pas, lorsqu'il n'existe pas d'autre solution. A Point vert, neuf familles sur dix sont adressées par un juge aux affaires familiales (JAF). « L'association est saisie quand le parent visiteur est défaillant, explique Laurence Valette, JAF et référente de Point vert au sein de la chambre des affaires familiales du tribunal de grande instance (TGI) de Saint-Etienne. Il peut s'agir de problèmes psychologiques, d'addiction ou de violence d'un parent qui n'a pas vu son enfant depuis très longtemps, ou alors d'un parent hébergeant qui refuse de se dessaisir de son enfant sans regard extérieur. » Les cas les plus difficiles, notamment ceux de parents s'étant rendus coupables de violence et qui relèvent de visites médiatisées surveillées par un travailleur social, ne sont cependant pas pris en charge par Point vert. Le juge définit la fréquence et le temps des visites - en général trois heures deux fois par mois - ainsi que la durée de la mesure. L'utilisation de l'espace-rencontre doit rester provisoire, et inciter à terme les parents à envisager des visites sans intermédiaire. En moyenne, les familles fréquentent l'association pendant un an et demi. « On programme plutôt sur un an. Si les parents ne parviennent pas à se mettre d'accord sur la suite, ils peuvent à nouveau saisir le juge », précise Laurence Valette.

A Point vert, l'accueil est assuré par 14 intervenants, 9 salariés et 5 bénévoles. Ce sont pour la plupart des travailleurs sociaux (assistantes de service social, éducatrice spécialisée, médiatrices familiales, éducatrice de jeunes enfants), mais aussi des infirmières et un psychologue, actifs ou retraités. Les âges et les profils sont volontairement variés, pour développer une diversité d'approches. A 25 ans, Elodie Pitiot, salariée, effectue trente-quatre heures par mois à Point vert. Elle prépare le diplôme de médiatrice familiale et apprécie le fait de profiter de l'expérience de ses collègues. Assistante de service social, Anne-Marie Roussel, elle aussi salariée, se sent poussée par « le dynamisme des jeunes ». Après vingt-cinq ans en pédopsychiatrie et huit ans à Point vert, elle pourrait partir à la retraite, mais n'a pas encore envie de raccrocher. Bénévole, Laure Meyerstein enrichit sa pratique : « En tant que médiatrice familiale, je travaille avec les parents. Ici, je vois ce qui se passe du côté des enfants, comment ils vivent une séparation. » Seul bémol : la prédominance des femmes. « C'est dommage, car beaucoup de pères entretiennent des rapports très tendus avec les femmes, ou se placent dans une relation symbolique mère-fils vis-à-vis des accueillantes », regrette Frédéric Perez, psychologue et unique intervenant masculin.

Une équipe en « turn-over »

L'équipe est coordonnée par Michèle Peyrard, assistante sociale mise à disposition par le conseil général de la Loire. Sans fonction hiérarchique, elle assure, en plus de l'accueil, les tâches administratives, le lien avec le conseil d'administration, ainsi que l'animation des réunions d'équipe. A l'exception du psychologue, chacun des intervenants salariés prend en charge le suivi d'un certain nombre de situations, entre 6 et 15 dossiers. Ce « référent » organise les droits de visite, les entretiens avec les familles, et propose, le cas échéant, les élargissements du droit de visite.

Additionnés les uns aux autres, les temps de présence de tous les salariés représentent 2,29 équivalents temps pleins. Un choix de la part du conseil d'administration : « Les interventions ont lieu tous les samedis : il faut une équipe importante pour assurer le turn-over, parce que personne ne veut travailler trois ou quatre samedis par mois », justifie Raymond Laporte, président et administrateur, ancien éducateur spécialisé. Autre difficulté à gérer : l'incertitude pesant sur le budget de l'association. « Depuis dix-neuf ans, chaque année, il faut aller à la pêche aux subventions, déplore l'administrateur. On parvient à travailler, mais on ne sait jamais sur quoi on va pouvoir compter l'année suivante. L'année 2008 s'est conclue sur un déficit. Il a fallu compenser le repli de la caisse d'allocations familiales [CAF] de Saint-Etienne, qui nous mettait à disposition une assistante sociale à quart temps depuis dix ans. » Premier financeur de la structure : le conseil général de la Loire, qui attribue les subventions, les locaux et le poste de la coordinatrice. Viennent ensuite la cour d'appel de Lyon, la CAF, la mairie de Saint-Etienne, la DDASS de la Loire et l'ordre des avocats.

Ces contingences obligent les membres de l'équipe à une communication permanente. Réunions, cahiers de liaison et fiches nominatives facilitent l'accès de tous aux décisions judiciaires, bulletins de suivi, comptes rendus d'entretiens et annotations concernant les familles. « On ne peut pas être présent à chaque visite. Il faut faire confiance à ses collègues, résume Anne-Cécile Asselin, assistante sociale, à Point vert soixante-neuf heures et demie par mois. On ne peut pas avoir d'emprise sur un dossier, et on élabore ensemble notre approche et notre mode d'intervention. » Les observations ne sont destinées qu'à l'association. La question suscite le débat entre les espaces-rencontres, mais Point vert a tranché : les juges ne reçoivent qu'un relevé de présence, et rien sur le contenu de la mesure. « La présence régulière du parent visiteur, la présentation effective de l'enfant par le parent hébergeant, les retards sont déjà des indicateurs, souligne Michèle Peyrard. On n'est pas dans l'évaluation, et ça change vraiment la donne. » Ses collègues acquiescent : « Souvent, nous avons à faire à des familles déjà très contrôlées par d'autres travailleurs sociaux. Notre rôle, c'est l'accompagnement. » Pour Raymond Laporte, « Point vert doit restaurer la confiance du parent visiteur. Si les parents peuvent penser qu'ils vont être jugés, ils n'oseront même plus offrir un verre d'eau à leur gamin ! ». L'association n'alerte les magistrats qu'en cas de danger pour l'enfant, « ou quand la mesure nécessite un accompagnement trop lourd », complète Laurence Valette, du TGI. Des situations « rarissimes ».

Ne pas prendre parti

Première étape avant l'accueil : l'entretien préalable. Chacun des parents et des enfants est reçu séparément par un intervenant. « On commence souvent par expliquer au papa qu'il n'est pas «condamné» à Point vert », sourit Anne-Cécile Asselin. Les parents sont invités à signer le règlement intérieur de la structure, et s'engagent à verser entre 1 € et 8 € par parent et par jour de visite, selon leurs moyens. Une participation symbolique dont le non-paiement n'empêche pas le déroulement des droits de visite, mais qui matérialise l'engagement des parents dans le dispositif. Chacun est ensuite invité à raconter son histoire : « Nous ne recevons aucun rapport d'enquête sociale, poursuit l'intervenante. Il faut partir du vécu et des représentations de chacun, et confronter ces éléments à la réalité. » Des versions qui divergent fréquemment, et dans lesquelles il importe de ne pas prendre parti. Le référentiel des pratiques, élaboré par l'association en 2008, précise d'ailleurs : « L'objectif de ces entretiens est d'extraire les éléments forts et marquants de l'histoire familiale, et d'en dégager les aspects positifs. » De leur côté, les enfants visitent les locaux, évoquent bons et mauvais moments, attentes et craintes. « Recevoir l'enfant seul, prendre en compte ce qu'il dit, l'amène à se décentrer du conflit conjugal », souligne encore le référentiel.

Sur les 105 familles reçues l'an dernier, 90 ont pu rapidement commencer leurs visites. Les 15 autres ont dû patienter jusqu'en 2009, et 14 supplémentaires ont été inscrites sur liste d'attente. Ce que beaucoup de parents acceptent mal. La décision de justice leur accorde le droit de voir leur enfant, et ils souhaitent que ce droit s'applique. Malgré l'ouverture de plages d'accueil supplémentaires en 2008, un petit stock de familles en attente s'est constitué. « Les cas de séparations douloureuses se multiplient, analyse la juge Laurence Valette. Notre contentieux explose, et nous recevons de plus en plus de personnes isolées, ou dans des situations matérielles très délicates. Le délitement des réseaux familiaux n'arrange rien. Quand c'est possible, nous préférons que le droit de visite s'exerce chez les grands-parents, par exemple, et garder Point vert en dernier recours. Mais les grands-parents peuvent habiter loin, ou avoir trop pris parti dans le conflit conjugal. » Les seuls créneaux restants concernent l'accueil expérimental des bébés, mis en place en 2008.

Gérer l'appréhension des visiteurs

Ce matin, les petits courent dans les couloirs. Demain, c'est la fête des pères. « Votre fils est là, il vous a apporté deux cadeaux, et il est très fier ! », annonce une intervenante en lâchant la main d'un enfant pour le laisser rejoindre son père. Dans un grand éclat de rire, les deux s'embrassent. Collé contre un mur, nerveux, un homme plus âgé les observe. « Je viens pour la première fois, confie-t-il d'une voix blanche. J'appréhende beaucoup. Je n'ai pas revu mes enfants depuis plus de un an. » Sa référente, Mylène Perret, éducatrice spécialisée, l'approche avec douceur : « Vos enfants sont là, on les rejoint ? » Pour son premier jour, la rencontre aura lieu à l'écart, dans le calme. Pour les autres, l'accueil est collectif. Deux pièces ont été aménagées en salles de jeux. Dans celle des petits, des jouets et des tapis. Dans celle des grands, des jeux choisis sur les conseils de la ludothèque du centre social voisin. « L'accueil collectif évite au parent de se retrouver seul avec son enfant, explique Anne-Marie Roussel. Rester ensemble trois heures d'affilée, c'est déjà assez difficile, et ça ne se produit jamais dans la vie quotidienne. » Les visiteurs les plus mal à l'aise peuvent observer les autres, et les pères, plus nombreux, se soutiennent volontiers entre eux. « Un jour, un papa regardait une petite fille pleurer, se souvient Michèle Peyrard. Il a proposé à la sienne de l'entraîner dans une ronde, et l'autre papa avec. » Assis sur le banc de l'aire de jeux, à l'extérieur, trois jeunes pères discutent. « Ça fait du bien de savoir qu'on n'est pas un cas à part, témoigne l'un d'eux. Mais c'est quand même pénible de venir ici, de ne pas pouvoir avoir son enfant chez soi. Mon fils de 5 ans réclame ses petits cousins. » Ce matin, n'y tenant plus, l'homme est venu avec le grand-père. La coordinatrice a fait les gros yeux : bien que prévenue, la mère n'avait pas donné son accord. « Il faudra en reparler en entretien de suivi », note-t-elle.

Vigilantes mais discrètes, les intervenantes circulent, s'asseyent pour participer aux jeux, bavardent. Michèle Peyrard s'est isolée dans un bureau avec un homme et sa fille adolescente. Il rencontre ses quatre enfants à Point vert depuis deux ans et la justice vient de lui refuser ses week-ends. « Il n'arrivait pas à leur dire combien c'est pénible pour lui, et il avait besoin d'une personne extérieure, explique la coordinatrice en sortant. Il fait appel à nous quand ses enfants le questionnent sur un sujet difficile, pour qu'on joue le rôle de témoin. » « Ce que j'apprécie, ici, c'est qu'il y a tout de suite une confiance, affirme l'homme. Quand un souci émerge, on peut en parler sans tarder. » Dans la cuisine, un père déballe un à un des tee-shirts et des magazines pour sa fille de 13 ans. « Je sais que vous êtes content de lui offrir des choses, et que vous en profitez bien depuis que vous avez retrouvé un travail, mais il faut faire ça au compte-gouttes. Les jeux, ça se mérite », le gronde Anne-Cécile Asselin sur le ton de la plaisanterie. Parfois, des enfants se bloquent, crient, pleurent, refusent qu'on les touche, alors qu'ils jouaient et chahutaient quinze jours plus tôt. « On doit s'adapter en permanence, tenir compte de ce qui a pu se passer dans la famille entre deux visites, trouver des nouvelles solutions, affirment tous les intervenants. Notre positionnement professionnel est perpétuellement remis en question. »

Pour les parents hébergeants non plus, le passage à Point vert n'est pas évident. « Ils ne croisent jamais le parent visiteur, ils doivent laisser leur enfant, et on leur demande de quitter les lieux. Cela leur donne parfois l'impression qu'on prend parti », remarque Michèle Peyrard. « Certains agissent comme s'ils pouvaient contrôler les affects de leur enfant, a constaté Frédéric Perez, le psychologue. A son retour, l'enfant manifeste un mal-être ostentatoire, parce qu'il sent que sa mère ne peut pas accepter qu'il ait passé du bon temps avec son père. » Une anecdote revient à Anne-Marie Roussel : « Maman m'a dit : pleure ! », avait annoncé un jour une petite fille. L'équipe accorde une grande importance à l'observation. « Nous sommes très attentifs à l'interaction réelle, décrypte Frédéric Perez. L'observation clinique porte sur la place que le parent accorde à son enfant, et le bien-être qui en découle. La mère d'un garçon de 8 ans me dit par exemple que, quelques jours avant la visite, son fils se met un peu en tension, et qu'après il n'est pas comme d'habitude. A l'écouter, je ne suis pas trop confiant. Mais ce que je constate, quand je les vois, c'est qu'après avoir pris une dizaine de minutes pour s'échauffer dans le lien à l'autre, le père et le fils rient et se font des prises de catch. » Les intervenants s'abstiennent de raconter au parent hébergeant le déroulement de la visite. « Il faut apprendre à se taire, et c'est difficile, parce qu'on éprouve naturellement l'envie de rassurer, de dire que tout s'est très bien passé, admet la coordinatrice. Mais on risque de placer l'enfant dans une situation très délicate. »

Un autre regard sur les cas épineux

Quand les situations deviennent trop complexes, les accueillantes peuvent faire appel au psychologue. Il apporte « un regard extérieur pour saisir les enjeux des identifications, des points d'intoxication, des difficultés psychopathologiques ». Deux heures par mois, au cours d'une réunion d'analyse de la pratique professionnelle, les cas difficiles sont présentés à une psychologue clinicienne, salariée mais extérieure au groupe. L'occasion, parfois, de s'interroger sur l'utilité de poursuivre la mesure. « Des parents hébergeants sont très remontés, quand ils constatent que la reprise du lien avec l'autre parent perturbe leur enfant, explique Frédéric Perez. Nous devons leur expliquer que ce déséquilibre est un prix à payer pour créer un nouvel équilibre, et que nous faisons ce pari-là dans le cadre d'une législation, en restant le plus proche possible de chacun. Mais parfois, le mal-être ou la souffrance d'un enfant peuvent nous conduire à nous demander si notre intervention ne participe pas d'une idéologie familialiste, et s'il est vraiment utile de maintenir ce lien. »

Quand l'enfant paraît stable, que le parent vient régulièrement, Point vert propose des aménagements. Ces « droits de passage », décidés en accord avec le parent hébergeant, permettent d'abord au parent visiteur d'emmener son enfant à l'extérieur pendant trois heures, puis de passer la journée avec lui. « Le libellé de la décision laisse à l'association une certaine marge de manoeuvre », indique Laurence Valette, la JAF. « A leur retour, on leur demande comment ça s'est passé, précise le psychologue. S'ils nous disent qu'ils sont restés assis devant la télé, ou au bistrot, on en discute avec le parent. » Avec toujours en ligne de mire, au fil des entretiens avec les deux parents, la sortie du dispositif.

Notes

(1) Association Point vert : centre social de Beaulieu - 11, bd Karl-Marx - 42100 Saint-Etienne - Tél. 04 77 25 38 62 - pointvert@wanadoo.fr.

VOS PRATIQUES

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur