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Comment financer le social ?

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Le secteur social et médico-social est souvent asservi par son mode de financement : c'est la conviction de Jean-Jacques Bergeret, directeur d'une association gérant deux centres sociaux dans le Rhône et diplômé de l'EHESP. Il plaide pour le développement de la tarification à l'heure ou à la journée... et un peu plus de courage politique.

«Lors d'un récent contrôle d'identité, le climat s'étant un peu détendu avec les policiers après la justification de ma parfaite insertion dans la légalité, un des agents de la force publique s'enquit, plutôt aimablement, de ma profession. Quand, à ma réponse sans originalité, quoique un peu approximative : «Je travaille dans le social», l'agent renvoya en écho instantané : «Ah ben on fait un peu le même boulot alors !», je dois dire qu'un grand vide m'envahit. Je restai sans voix. Et si c'était dramatiquement un peu vrai ? Qu'est devenu le travail social pour que la frontière avec le contrôle social soit si peu visible ?

Comment une branche ayant avec difficulté commencé à couper avec ses lourdes racines que sont charité et religion, à coups de Deleuze, de Foucault ou de Bourdieu, peut-elle aujourd'hui être ressentie comme un instrument du pouvoir ? Sommes-nous devenus les nouveaux «chiens de garde» dénoncés par Paul Nizan (1) ?

Plusieurs réponses à cette question : tout d'abord, le travail social n'a pas entièrement basculé du côté obscur... Ensuite, même dans les institutions positionnées clairement dans le contrôle (les pôles emploi par exemple), des salariés résistent et n'acceptent pas d'endosser le rôle que l'on veut leur assigner.

Mais pour un grand nombre d'associations et de services, la dérive est en cours. Les raisons en sont certainement multiples : la formation des travailleurs sociaux, le besoin de reconnaissance des cadres, la dépolitisation des conseils d'administration, la pression du public. Mais la plus importante est, comme souvent dans notre société, celle liée à l'argent. Les modes de financement du social sont des instruments d'asservissement très pratiques pour les politiques de tous bords.

Il existe principalement deux modes de financement des établissements et services sociaux : la dotation globale et le prix de journée, qui ouvrent sur deux conceptions très différentes du travail social, et pas forcément dans le sens que l'on pourrait anticiper.

Le principe du paiement à l'heure ou à la journée est assez simple à comprendre. Pour peu que des critères de pondérations soient introduits (comme par exemple le système des GIR [groupes iso-ressources] dans les maisons de retraite : plus une personne est dépendante plus le prix de journée versé par la tutelle est élevé), le prix de journée préserve une certaine égalité entre les structures et une corrélation entre le budget et l'activité.

En toute logique - expression totalement incongrue dans le social -, les vents politiques accompagnant l'Accord général sur la commercialisation des services (AGCS) auraient dû nous mener à une généralisation de ce type de financement. Que nenni !

C'est le financement par dotation ou subvention globale qui persiste, mais agrémenté d'une frénésie de méthodes et d'obligations d'évaluation afin de coller à la révision générale des politiques publiques et de se doter d'un semblant de légitimité. Le marché de l'évaluation et du diagnostic a depuis dix ans connu un développement aussi important que celui du téléphone portable, tout en étant d'une utilité encore moins évidente.

Au bon vouloir des élus

Alors pourquoi ce système plutôt qu'un autre ? Allons du plus terre à terre au plus compliqué, et du plus objectif au plus polémique.

Les subventions ont l'immense avantage pour les financeurs d'être votées (ou décidées) chaque année. Donc d'être maîtrisables. Alors que les prix de journée suivent l'évolution du coût de la vie, et que le chiffre des présences est indiscutable, la subvention n'est fondée sur aucun paramètre obligatoire. Elle peut donc être ajustée «objectivement» selon les moyens des financeurs.

Il nous faut ici ouvrir une longue parenthèse et défier un peu les lieux communs.

Les financeurs des établissements sociaux et médico-sociaux, qui ont longtemps été des services de l'Etat, sont aujourd'hui majoritairement des collectivités territoriales (principalement conseils généraux et communes). Pour les financements régis par le principe de la subvention globale, il s'agit donc d'un jeu de demande/réponse entre élus et établissements. On sollicite une subvention, comme une charité, pour assurer une mission reconnue. Etrange... Il faut donc, pour assurer au mieux les missions confiées, se fier au bon vouloir et à la générosité des élus. Il n'est donc pas interdit de penser que rentrent alors en ligne de compte les connaissances, reconnaissances, amitiés, proximités, et non plus les seuls atouts de la structure.

Les collectivités territoriales, si elles sont le terreau des hommes et femmes politiques nationaux les plus respectables, sont aussi le lit des petits barons et duchesses de province qui alimentent leurs réseaux et leurs amis. Il serait irresponsable de se le cacher ! Les associations et les établissements sont donc obligés de rentrer dans un jeu de séduction pour assurer leurs moyens, loin d'offrir toutes les garanties d'indépendance. Le choix des gestionnaires ne se fait pas que selon les compétences. Et le travail d'équilibre tient parfois plus du lobbying que de la gestion pure.

Il faut également faire la part des choses entre la réalité et le discours, qui insiste sur la pénurie des moyens. A force d'être répété, ce discours - que l'on entend essentiellement lorsqu'il est question de financer la protection sociale et les actions sociales - devient une réalité pour beaucoup, sans doute même pour certains de ceux qui le portent.

Or quelle est la réalité ? Si l'on se penche un peu sur les budgets des collectivités locales (2), que constate-t-on ?

Loin de diminuer, les recettes augmentent de façon régulière et importante (+ 4,3 % en 2008, + 6,1 % en 2007) et dépassent les transferts de charges dus aux transferts de compétences. Pourtant la capacité d'autofinancement des communes diminue. Donc les charges augmentent encore plus que les recettes. Et pourtant, quand il s'agit du social, il n'y a plus d'argent ! Hiatus !

S'il vous arrive de traverser notre beau pays, vous avez sans doute remarqué la nette amélioration des paysages urbains, la multiplication des parcs paysagés, des centres nautiques, des centres culturels, des espaces de loisirs. A quel coût ?

Par ailleurs, les intercommunalités se sont multipliées (les masses salariales ont augmenté de 9,2 % en 2007), de même que les postes de coordination, de chargés de «développement social», et aujourd'hui de chargés de «développement durable». A quel coût ?

Toutes nos communes, même les villages les plus petits, s'enorgueillissent de magnifiques brochures sur papier glacé avec les photos indispensables du club des anciens et des dernières inaugurations du maire. A quel coût ?

On peut être en accord avec une politique qui place la communication au Panthéon des valeurs républicaines, qui pense que le sport est une valeur pour la jeunesse, que l'écologie est comme la citoyenneté un déclencheur bureaucratique de financements, et qu'il faut en toute chose un contrôle administratif. Mais il faut avoir le courage de porter ces idéaux. Il serait agréable d'entendre les politiques de tous bords qui mettent ou laissent mettre en place ces politiques en défendre les grands principes. Or, pour les établissements assujettis aux subventions globales, la réduction des moyens se fait toujours au nom de prétendues difficultés budgétaires, jamais au nom du choix (ou du non-choix) politique qui les impose.

On peut aussi insidieusement se demander à quels publics profitent les équipements cités plus hauts, à qui servent prioritairement les établissements sociaux, et qui sont les électeurs...

Ces quelques raisons très certainement empreintes de subjectivité expliquent sans doute pourquoi un système inique (les subventions globales) et au demeurant pas très cohérent continue à être majoritaire. Et s'il n'est pas plus dénoncé par les associations et les établissements, c'est aussi, sans doute, que bon nombre d'entre eux ont su faire allégeance et en tirer un parti qu'ils pensent légitime.

Bonne foi et mauvaise pièce

Tous les acteurs semblent de bonne foi dans cette mauvaise pièce, et sans doute un grand nombre le sont-ils... Mais l'enfer reste pavé de bonnes intentions. Et ces pavés ont construit un chemin qui laisse penser aux policiers (dont le travail est à la fois ingrat et primordial, là n'est pas la question) que nous faisons le même boulot.

Mais alors comment financer le social ?

Le principe du financement selon l'activité assure une équité pour peu que l'on définisse les conditions d'accueil et que des services compétents soient chargés de les vérifier. Mais cela ne suffit pas. Le social n'est pas que le reflet d'un remplissage, il est aussi une croyance. Les politiques croient ou ne croient pas aux bienfaits de l'action sociale, à son impact réel ou symbolique sur les populations concernées. Aucune évaluation, quel qu'en soit le prix, ne pourra prouver la rentabilité d'un concept humaniste.

S'ils n'y croient pas, il faut qu'ils aient le courage de le dire, et démocratiquement nous l'accepterons.

S'ils y croient, ils devraient ajouter le geste à la foi, et attribuer les subventions globales selon des critères clairs, publiques et durables. Ne pas mettre les établissements en position de génuflexion annuelle, juste pour ne pas avoir à affirmer leurs véritables choix politiques.

»Dans un monde brutalement divisé en maîtres et en serviteurs, il faut enfin avouer publiquement une alliance longtemps cachée avec les maîtres, ou proclamer le ralliement au parti des serviteurs. Aucune place n'est laissée à l'impartialité des clercs. Il ne reste plus rien que des combats de partisan», écrivait Paul Nizan dans Les chiens de garde. »

Contact : jj.bergeret@orange.fr

Notes

(1) Les chiens de garde - Editions Agone, 1998 (réédition).

(2) Ce qu'il est possible de faire grâce au site www.colloc.minefi.gouv.fr.

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