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A Toulouse, deux associations socio-éducatives, l'ASEDE et l'ASETE, gèrent, dans des quartiers difficiles, des ateliers qui proposent aux adolescents un apprentissage poussé de la mécanique et des règles de sécurité routière. Des structures qui aident les éducateurs de rue à établir une relation.

Mercredi après-midi, impasse du Férétra, dans le quartier sensible d'Empalot, à Toulouse. Outils en main, Younesse, Mohamed et Kerfalla se concentrent pour démonter chacun à leur tour les plaquettes de frein d'une moto de 50 cm3 installée sur la table élévatrice de l'atelier mécanique. « Comment fonctionne un frein à disque ? » demande Roberto Elena, éducateur technique spécialisé à l'Association socio-éducative Daste-Empalot (ASEDE). « Avec un câble ? », répond l'un. « Du liquide ? », suggère un autre. L'éducateur explique, répond aux questions et saisit chaque interrogation des jeunes pour rebondir et transmettre son savoir. Des connaissances acquises grâce à sa passion de motard et lors de sa vie professionnelle de chef d'équipe de maintenance en usine, antérieure à celle d'éducateur.

Pour « accrocher » un public jeune

L'atelier mécanique a démarré à Empalot en 2005. Construit entre les années 1950 et 1970, ce quartier d'habitat social a connu une forte dégradation, et l'apparition des violences urbaines à partir de la fin des années 1990. Il est aujourd'hui étiqueté « zone de redynamisation urbaine » et « ambition réussite ». La mise en place d'une telle activité répondait à une demande du financeur, le conseil général de Haute-Garonne, visant à toucher un public plus jeune. « Une des missions de l'ASEDE est de gérer un club de prévention spécialisée dans le cadre du schéma départemental de protection de l'enfance, rappelle Brigitte Aragon, responsable de l'association. Une équipe d'éducateurs de rue va à la rencontre des jeunes filles et garçons âgés de 11 à 25 ans sur les lieux où ils évoluent, la MJC, le club de foot, etc. Mais nous recherchions des supports éducatifs pour faire l'accroche. L'atelier deux-roues représente un moyen de proposer quelque chose dans ce sens, car les jeunes aiment bricoler la mécanique. » Ce sont ainsi les jeunes qui viennent vers l'éducateur, à l'inverse de ce qui se passe habituellement en prévention spécialisée.

Roberto Elena, qui animait déjà un atelier mécanique dans un institut éducatif, thérapeutique et pédagogique (ITEP) dans le cadre de sa formation d'éducateur spécialisé en alternance, a été sollicité en 2004 pour rédiger le projet. « L'association voulait mettre en oeuvre un atelier mécanique avec du karting, se souvient-il. Mais avec mon expérience à l'ITEP, je savais qu'il y avait des choses à faire pour la sécurité. C'est très important dans ce quartier où beaucoup de jeunes roulent sans casque, sans assurance, avec des véhicules dangereux comme les quads, les pocket bikes, qui n'ont rien à faire sur la route, ou font des rodéos... J'ai donc proposé un projet axé sur les deux-roues, avec une possibilité de travailler sur la sécurité routière et les comportements à risques. »

En 2005, les premières sessions duraient quatre semaines, à raison de deux séances par semaine, le mardi soir et le mercredi après-midi. Elles se sont rapidement allongées à six semaines, afin de permettre aux groupes de mener à bien un projet de restauration d'engin entier, qui leur plaît beaucoup.

« La première séance est une prise de contact avec l'atelier, les installations, le nom des outils, leur fonction, explique Roberto Elena. L'équipement est professionnel, avec une table élévatrice moto, alors que, dans plusieurs clubs de prévention, ils travaillent par terre. » L'atelier mécanique est un lieu repéré, en rez-de-chaussée dans une impasse en bordure du quartier, doté de vrais équipements mécaniques. « On n'est pas dans le bricolage, souligne Brigitte Aragon. On est comme chez un vrai motociste, ce qui amène un respect de la part des jeunes : depuis le début de l'atelier, jamais un outil n'a disparu. »

La deuxième séance a pour objet de connaître les composants nécessaires pour qu'un engin puisse rouler (éclairage, freinage, pression des pneus, suspensions...). « Il y a beaucoup de maintenance, poursuit l'éducateur. On leur montre que, sur la route, il faut des rétroviseurs, des lumières, qu'il y a des limites de vitesse et que, s'ils veulent aller plus vite, ils peuvent aller sur le circuit. » Roberto Elena récupère des engins accidentés ou très abîmés auprès de motocistes qu'il connaît. Ce jour-là, l'un d'entre eux l'appelle pour lui proposer une machine. « La rénovation d'un engin très vieux ou accidenté dure sur un ou deux groupes, indique l'éducateur. On reprend tout de A à Z. L'objectif est d'en faire quelque chose de bien. » Le jeune Kerfalla, présent aujourd'hui, a commencé la rénovation d'une moto en octobre 2008 avec un autre groupe. Depuis, il demandait des nouvelles de l'engin à chaque fois qu'il croisait Roberto dans le quartier. « Le but de l'atelier mécanique est d'accrocher un public pour prévenir les conduites à risques comme les rodéos, souligne Brigitte Aragon, mais aussi de faire avec, pour dépasser l'activité consumériste et l'attrait qu'ils ont pour les objets de marque et de valeur. On achète des engins peu chers qu'ils vont réparer jusqu'à ce qu'ils ressemblent à quelque chose qu'ils auraient pu acheter. »

De rares filles motivées

Chaque groupe est constitué de quatre jeunes entre 14 et 17 ans, si possible avec des filles et des garçons. Etant donné la bonne réputation de l'atelier dans le quartier, on compte toujours environ deux demandes pour une place. Ce qui autorise l'équipe à réfléchir à la composition du groupe. « Nous sommes très rigoureux sur l'aspect mixité de cet atelier, car nous ne voulons pas que les garçons se l'approprient », affirme Brigitte Aragon. « L'an dernier, on a fonctionné avec des filles, mais cela fait deux sessions qu'il n'y a que des garçons, regrette Roberto Elena. C'est dommage, parce que la présence des filles a un très fort effet de régulation du comportement. Même si elles sont moyennement motivées au départ, elles y trouvent finalement leur compte et réussissent parfois même mieux que les garçons ! Nous mélangeons aussi les niveaux : beaucoup de jeunes sont en échec scolaire mais certains possèdent un niveau correct. Ce mélange aide aussi à réguler le comportement. »

Une fois les plaquettes changées à tour de rôle par chaque jeune, Roberto explique l'utilité du protège-chaîne pour la sécurité du motard, puis montre comment démonter la chaîne à l'aide d'une pince à circlips (mot qu'il écrit au tableau). « Le fait de transmettre, d'apprendre quelque chose, est très important dans l'atelier, note Brigitte Aragon. Comme dans les ITEP, ces jeunes sont dans le rejet de l'apprentissage. On doit les aider à avoir envie d'apprendre. Ici, des notions qu'ils ont du mal à assimiler dans le cadre scolaire, comme les maths, sont mieux intégrées grâce à la mise en pratique. Comme ils sont intéressés, ils veulent davantage comprendre. » Roberto Elena a retenu les leçons de son premier atelier en ITEP : les séances doivent être courtes (vingt minutes au maximum), intéressantes et centrées sur le concret et la participation de tous. « Pas comme un cours de technologie, sinon ils décrochent. »

Pendant les explications techniques de Roberto, les trois garçons se montrent très intéressés et concentrés. Mais les parasitages sont nombreux : Younesse et Mohamed montent de temps en temps sur une moto dans l'atelier, tandis que Kerfalla répond à des SMS sur son téléphone portable. Younesse et Kerfalla ont même oublié qu'il fallait un pantalon pour tourner sur le circuit en scooter. Ils sont venus en pantacourts (« c'est plus stylé que les longs », lance Younesse). Ils doivent donc repasser chez eux pour se changer. Pendant ce temps, Roberto en profite pour interroger Mohamed sur son orientation scolaire. Le jeune homme est en grande difficulté en seconde professionnelle et souhaite s'orienter vers un CFA mécanique. C'est pour ça qu'il est revenu pour une deuxième session à l'atelier. « Je sais où je vais, mais il me manque un patron, explique-t-il. Je fais des recherches, je prends des numéros et j'appelle. Roberto m'aide. » Sans succès pour l'instant, car il est de plus en plus difficile de trouver un patron. Ce bref échange est au coeur de l'objectif de l'atelier : établir une « relation saine » entre les jeunes et les éducateurs, pour faciliter les contacts ultérieurs dans le quartier. « Du fait de cette relation établie, ils viennent nous demander des choses, se félicite Roberto Elena. Certains partent sur une voie professionnelle et nous sollicitent pour un stage comme Mohamed. Mais cette relation de confiance permet de mettre les jeunes en apprentissage dans tout autre chose que la mécanique. »

Formés à la sécurité

Après les plaquettes et la chaîne, les jeunes gens vont préparer les deux scooters qu'ils vont faire tourner sur le circuit de Candie en deuxième moitié d'après-midi. Pression des pneus, niveau d'huile et d'essence... ils font ensemble le check-up complet des engins. « Quand vous aurez un scooter, il faudra prévoir un budget carburant », glisse l'éducateur au passage, même s'il sait que la plupart n'ont pas les moyens de se l'acheter. Mais pour les jeunes qui vont en apprentissage et ont besoin d'un moyen de locomotion, l'atelier peut fournir un engin à prix coûtant.

Les trois adolescents ont passé leur brevet de sécurité routière (BSR) l'an dernier. Un examen qui comprend code, plateau technique et conduite sur route. L'ASEDE organise deux sessions de formation par an pour 12 jeunes du quartier, en partenariat avec une auto-école. « Ils sont demandeurs pour passer le BSR, se réjouit Brigitte Aragon, alors qu'avant ils ne se posaient même pas la question. » L'examen leur coûte 50 € , au lieu de 260 € . Grâce au BSR, ils seront plus en sécurité et pourront assurer leur scooter si nécessaire. Et cet après-midi, ils pourront se rendre sur le circuit Candie en roulant derrière le camion où sont montés les deux éducateurs (Roberto est secondé par une éducatrice pour la partie circuit). Comme ils ne peuvent pas emprunter la rocade et l'autoroute avec ces engins, le trajet par les rues de Toulouse dure une bonne demi-heure. Les jeunes conduisent prudemment, respectant scrupuleusement les feux tricolores et les stops.

Le circuit de Candie est une structure de la mairie de Toulouse, gérée par des policiers, accessible à partir de 14 ans. Toutes les associations peuvent y utiliser l'anneau de vitesse ou le circuit de cross, dans des créneaux horaires réservés à l'année. L'ASEDE partage son créneau du mercredi après-midi avec un autre atelier mécanique rattaché à un club de prévention : celui de l'Association socio-éducative Toulouse-Est (ASETE). Thierry Trinka, éducateur technique spécialisé, est déjà en train de chronométrer ses jeunes qui tournent sur des mobylettes de course. Ils se préparent pour une compétition Ufolep (Union française des oeuvres laïques d'éducation physique, qui fédère des milliers d'associations sportives). Ce projet de l'ASETE fonctionne sur une durée plus longue que celui de l'ASEDE : les 14 jeunes repérés avec de grosses difficultés scolaires en classes de 4e et de 3e y participent durant deux ans. « Nous les suivons pendant cette période vers une orientation professionnelle, explique Thierry Trinka, chef d'atelier dans un garage avant de devenir éducateur. Le temps est nécessaire, car ils ne se livrent pas tout de suite. Avec la thématique des mobylettes de course, nous avons amené différents métiers autour du deux-roues (peinture, carrosserie, soudure, préparation moteur...), ce qui nous a permis de nous rapprocher du cadre scolaire sans qu'ils s'en aperçoivent. Aujourd'hui, certains veulent faire de la carrosserie, mais pas seulement. L'un d'eux s'est découvert un goût pour la soudure et s'engage dans un apprentissage de plomberie. » Le groupe a aussi passé le BSR, sésame indispensable lorsqu'ils deviennent apprentis et doivent se déplacer par leurs propres moyens.

L'atelier mécanique de l'ASETE existe depuis 1977. C'est l'un des premiers en France. Sa devise est d'évoluer en permanence, en partant des constats de terrain, partagés par les acteurs comme les assistantes sociales et les gardiens d'immeubles. « Au départ, quand le club de prévention s'est installé, il y avait d'anciens logements d'urgence avec une grande précarité des familles, raconte Thierry Tinka. On nous a demandé d'intervenir pour réparer des vélos et des mobylettes que les jeunes pouvaient revendre ensuite pour se faire de l'argent de poche. Ce qui était faisable dans les années 1970, car on était moins regardants, ne l'est plus aujourd'hui. A partir des années 1980, nous avons constaté qu'il y avait pas mal de vols et d'engins dépouillés dans le quartier. Nous sommes entrés dans une deuxième phase : apprendre aux jeunes à réparer plutôt que voler, avec un atelier ouvert trois après-midi par semaine. Ça a freiné les vols. Puis on a abandonné cette formule. Il n'y a pas de pérennité dans la forme de l'atelier mécanique : nous réarticulons le projet tous les deux ou trois ans. C'est un support pour lequel nous veillons à développer des projets nouveaux, pour ne pas nous enkyster. »

Aujourd'hui, outre le groupe des mobylettes de course, l'atelier mécanique accueille un groupe de sept garçons de 12-13 ans qui construisent un triporteur depuis un an. « Ces jeunes de la cité des Amouroux étaient oisifs le mercredi après-midi et refusaient toute proposition de loisirs sportifs, explique l'éducateur. On a monté cette activité avec eux et ils y sont très réguliers, malgré l'éloignement de l'atelier. Cela contribue à une forme de paix sociale, car ils avaient tendance à faire les marioles dans la cité... » Autre intérêt : fournir le moyen aux travailleurs sociaux de se rapprocher des enseignants et des familles pour leur expliquer leurs propositions d'accompagnement socio-éducatif. Car, de l'avis général, le support mécanique confère une certaine dynamique, notamment dans la confiance et la reconnaissance réciproques. « Il permet d'aller au-delà de la clé de 8 et de toucher une problématique plus intérieure : familiale, scolaire ou judiciaire... », ajoute l'ancien chef d'atelier. Pendant ce temps, sur le circuit de Candie, les machines continuent de tourner. L'an prochain, d'autres jeunes participeront à ces ateliers mécaniques qui, discrètement, continuent de faire la démonstration de leur pertinence dans le cadre de la prévention spécialisée.

MISSION
Un support à l'action éducative

Le 19 juin dernier, un colloque a réuni plusieurs associations du Sud-Ouest afin d'évoquer l'évolution de ces ateliers mécaniques comme supports éducatifs, dans le contexte actuel de la prévention spécialisée. Une quinzaine de structures (y compris des services enfance-jeunesse de conseils généraux et des associations partenaires de loisirs éducatifs) ont pu découvrir le fonctionnement des différents ateliers mécaniques, s'interroger sur leurs projets, leurs financements et leur pérennité. « Les deux ateliers de Toulouse bénéficient de financements (1) du conseil général et du conseil régional, mais ce n'est pas le cas partout, explique Sylvette Maillard, organisatrice du colloque et responsable de l'Assemblée pleinière des sociétés d'assurance dommage (APSAD) de Pau. Ailleurs, c'est parfois difficile. » Chaque atelier répond à une problématique propre à son territoire et à son public : certains disposent d'un équipement professionnel et sont structurés en véritable atelier, tandis que d'autres proposent simplement une activité avec du « bricolage » d'engins. Mais pour tous, le point commun est d'offrir un support à l'action éducative menée par des éducateurs qui effectuent aussi du travail de rue. « La conclusion de cette journée a été que l'atelier mécanique constitue un outil pertinent,

témoigne Sylvette Maillard. Ce qui n'empêche pas de se poser des questions sur le cadre adapté pour structurer cette activité, de se donner des indicateurs pour évaluer ces ateliers, les faire connaître et reconnaître des pouvoirs publics et les faire évoluer. » Estimés à une vingtaine en France, dont sept dans le Sud-Ouest, les ateliers mécaniques sont en cours de recensement avec le Comité national de liaison des associations de prévention spécialisée (CNLAPS). Ils pourraient bien, à l'avenir, se structurer en réseau avec une charte commune.

Notes

(1) A Toulouse, l'atelier mécanique de l'ASEDE a besoin de 8 000 par an pour fonctionner, en dehors du poste de l'éducateur. Il bénéficie d'un cofinancement du conseil général de Haute-Garonne (qui prend en charge le poste, plus 4 500 ), de la région, de l'Etat (par le biais de l'Acsé) et de la mairie de Toulouse. Les jeunes paient 8 pour six semaines. L'ASETE, quant à elle, est financée à presque 100 % par le conseil général.

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