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Situé en milieu rural, dans le nord de la France, l'ESAT du Bol vert a développé une offre complète d'hébergement, de restauration et de loisirs, ouverte à tous. Ses travailleurs handicapés exercent ainsi une vaste gamme de métiers de service, en contact avec la clientèle.

C'est le coup de feu, ce jeudi midi de juin : 133 couverts, pour le repas du congrès des producteurs de lait. Ils ont choisi l'établissement et service d'aide par le travail (ESAT) Bol vert(1), à Trélon, dans le Nord, pour sa salle de conférence et son service de restauration. Nous sommes en pleine campagne, dans l'Avesnois, la patrie du Maroilles. Un paysage vallonné, forêts et lacs, qui se prête bien aux courts séjours, aux week-ends nature. L'association La Maison des enfants y gère depuis vingt-cinq ans un centre de vacances - une activité peu commune pour un ESAT. Gîte rural, appartements familiaux, hôtel, restaurant, piscine, squash, équitation, salles de réception à louer..., l'offre est très variée. Les différents bâtiments en brique et en pierre bleue de l'Avesnois sont éparpillés sur tout le site, dans un beau parc. L'ESAT se situe juste à côté de l'écomusée du verre, qui lui amène une partie de sa clientèle. L'an passé, 16 500 nuitées ont été assurées et le chiffre d'affaires de la structure a atteint 1,5 million d'euros. Ici, travaillent 51 personnes avec un handicap mental léger, sans troubles associés. Aides cuisiniers, palefreniers, serveurs, femmes de chambre : les métiers exercés sont nombreux, et l'encadrement à la hauteur de cette complexité d'activités. Ils sont 22 moniteurs d'atelier : 4 en cuisine, 6 en service en salle, 4 en hôtellerie, 3 en équitation, 5 pour l'espace de loisirs. Parmi eux, un moniteur principal d'atelier est nommé pour chaque corps de métier. Et un chef d'ateliers, Alain Fredonnet, chapeaute l'ensemble. Le service administratif et commercial compte 9 personnes, et les services généraux, chauffeurs, techniciens d'entretien, veilleurs de nuit, emploient 11 salariés. Le Bol vert est une belle PME.

« Tout s'est fait progressivement », explique Michel Deliège, le directeur de l'ESAT, ingénieur de formation, qui s'est ensuite reconverti dans l'éducation spécialisée. Il a sous sa responsabilité deux établissements : le Bol vert et la Ferme du Pont de Sains, productrice de Maroilles, plus ancienne que le complexe touristique. « Nous avons racheté en 1984 une friche industrielle, une ancienne verrerie, à Trélon, pour héberger notre activité d'équitation. Nous avions déjà dans l'idée de transformer ce site en village de vacances, car cela répondait à un besoin. » Le gîte rural ouvre le premier ses portes, dès 1986 : il accueille alors des enfants handicapés venant de toute la région. « Nous sommes dans une notion d'approche globale de l'usager : cela nous paraissait normal d'offrir aux enfants un lieu de loisirs adapté. Mais nous nous sommes toujours refusés à proposer des ateliers fermés. » Le lieu n'est pas imaginé comme réservé à une clientèle handicapée, même s'il a le label « centre agréé vacances adaptées organisées ». Pendant les grandes vacances, il donne la priorité aux séjours adaptés, mais le reste de l'année, il accueille des classes vertes et des groupes du troisième âge. Dès les débuts, un service de restauration collective est assuré. Le Bol vert évoluera ensuite vers une offre plus classique, avec hôtel deux étoiles et restaurant, ouverts à tous, car « cela correspondait à un besoin de la région », commente le directeur. A Trélon, le seul hôtel à 15 kilomètres à la ronde est celui de l'ESAT.

La régularité des gestes

Dans la cuisine du restaurant La Poterie, les assiettes des entrées sont déjà prêtes, joliment décorées de petits bouquets de mâche. Frédéric Judas et Ludovic Gillant les disposent sur le dressoir. Un coup d'éponge sur le comptoir en Inox, puis ils se rassemblent, attentifs, autour du cuistot, pour la préparation du caramel qui servira à décorer les desserts. « Ils sont mieux que des aides-cuisiniers, je ne pourrais pas retourner en restauration traditionnelle, s'exclame le chef, Cyrille Hesters, toque sur la tête. On peut compter sur eux. Ils sont peut-être un peu plus durs à gérer, car les ordres doivent être précis, clairs et polis, ce qui n'est pas l'habitude dans les cuisines. C'est le plus compliqué à apprendre. Mais en contrepartie il n'y a jamais aucun conflit, et vous avez le retour immédiat de ce que vous donnez. » Pas la moindre concession sur la présentation ni sur la qualité des produits : ESAT peut-être, restaurant de bon niveau surtout. Seule la carte, pour un oeil averti, est adaptée à ces travailleurs particuliers. « Le service commercial voudrait bien qu'on change plus souvent, avec un plat du jour, mais ce n'est pas simple, car les usagers ont besoin d'une régularité dans les gestes », explique Alain Fredonnet, le chef des ateliers au Bol vert, diplômé de l'UREPS en gestion d'installations de loisirs et sportives. Au Bol vert, les professionnels ont d'abord une compétence liée à un métier, avant de se reconvertir dans le travail social.

Du coeur à l'ouvrage

A l'une des tables du restaurant, deux couples de retraités viennent de déguster un pavé au Maroilles qu'ils ont jugé excellent. « Nous nous sommes rendu compte que c'était un établissement pour handicapés en lisant la page de présentation du menu », disent-ils en souriant. Voilà l'une des idées-forces de l'ESAT : ici, l'intégration se fait à rebours. C'est le milieu ordinaire qui vient se détendre en milieu adapté. A l'hôtel des Verriers, l'équipe de nettoyage s'occupe des chambres du deuxième étage. Elles sont trois, sous la direction de leur monitrice, Claudine Quilico. Les couloirs sont encombrés de sacs de linge sale, un couple de clients enjambe le tout pour rejoindre sa chambre, avec le sourire. « Excusez-nous », se dépêche de dire Claudine Quilico. « Ce n'est rien », répondent-ils. Nathalie Gyomlai, qui s'apprête à occuper le poste de directrice adjointe de l'ESAT, glisse : « Les clients sont plus indulgents que dans un hôtel traditionnel. Ils voient aussi que l'ouvrage est fait avec coeur. Ils ont un profond respect du travail fait. » En effet, Christiane Lesave n'oublie aucune surface, chiffon à poussière à la main. Même si elle proteste contre la charge de travail : ce week-end, trois mariages se sont succédé, avec à chaque fois la chambre nuptiale à apprêter, avec pétales de roses sur le lit...

Pour Michel Deliège, ce contact avec le client est essentiel. D'ailleurs, au Bol vert, les consignes sont claires : chacun peut renseigner un client, s'il connaît la réponse, ou l'orienter vers le service ad hoc ; et le bonjour et le sourire sont obligatoires, comme dans n'importe quel établissement hôtelier. Au-delà de ce rôle d'hôtes, les usagers sont souvent sollicités pour montrer leur savoir-faire. Le chef appelle régulièrement son escouade en salle pour partager les compliments reçus. « Toutes les tâches exécutées ici ont du sens. Nous ne sommes pas dans des activités de sous-traitance, où l'usager place un boulon sur un bloc moteur, sans savoir pour qui il travaille, ni vraiment à quoi sert son geste. A l'ESAT, il maîtrise l'ensemble des gestes professionnels et peut en parler à la clientèle », insiste Michel Deliège.

Preuve du succès de cette formule en milieu rural, les deux ESAT associés, le Bol vert et la Ferme du Pont de Sains (voir encadré page suivante), ont une liste d'attente de 119 personnes, alors que les départs se limitent à un maximum de 12 personnes par an. Pourtant, la Belgique est proche, où les places sont plus faciles à obtenir. Claude Mahieux, dont le fils Bruno travaille au Bol vert depuis cinq ans comme serveur, est ravi de le savoir là. « Il a gagné son indépendance, il a un petit logement sur place, car il a des horaires pas possibles. Je lui remplis régulièrement son frigo, et voilà. C'était ce qu'il voulait faire, travailler dans la restauration, et l'ESAT n'est qu'à 30 kilomètres de chez moi. » Un vrai coup de chance, certains parents habitant jusque dans la région parisienne. Le nouveau postulant passe d'abord par des stages, de trois à quatre semaines, dans les différents services que proposent les deux ESAT. Il choisit ensuite l'activité qu'il préfère. Sébastien Baudry, qui vient de Saint-Quentin, dans l'Aisne, finit son essai comme palefrenier : « Je voudrais bien être envoyé ici, je suis attiré par les chevaux », espère-t-il. Le principe est fondé sur la formation continue : le chef d'ateliers encadre ses troupes, montre les gestes de base. Les usagers vétérans donnent aussi de nombreux conseils.

Une évolution de carrière possible

Personne n'est cependant cantonné dans son rôle : pour éviter une lassitude des usagers, des passerelles ont été établies entre les différents corps de métier. « J'ai demandé à mon chef de service un stage de cuisine, explique Daniel Wattiez, bien campé dans ses bottes crottées. J'ai besoin de décompresser, ici c'est trop électrique. J'ai besoin de changer un peu pour me retrouver. » La possibilité de bénéficier d'une évolution de carrière au sein même de l'ESAT s'accompagne d'une possibilité de progression dans la grille salariale. « Il y a une évaluation annuelle pour la revalorisation des salaires, détaille Alain Fredonnet. L'an passé, 50 personnes ont été valorisées. Nous regardons l'assiduité, la motivation, le soin au travail, le respect des consignes de sécurité, le comportement en équipe, l'hygiène vestimentaire... »

Le complexe touristique ne connaît pas beaucoup de temps de repos. Ici, on travaille sept jours sur sept. « C'est assez difficile pour les usagers que nous avons, reconnaît Michel Deliège. Surtout que nous ne sommes jamais sûrs de notre clientèle, que les semaines ne se ressemblent jamais. Nous avons donc un planning qui change sans cesse, ce qui peut être assez insupportable pour eux. Les horaires, par exemple, peuvent facilement déborder. Un mariage peut durer jusqu'à 2 heures du matin. Les usagers le savent, mais ils peuvent s'essouffler. » Alain Fredonnet abonde dans son sens : « Nous ne faisons pas semblant, nous travaillons comme dans le monde ordinaire. Nous n'avons pas de système de réservation, nous recevons les gens à la dernière minute au restaurant ou à l'hôtel. Ce qui veut dire que la quantité de travail n'est pas maîtrisée. » Une capacité à assumer la charge de travail revendiquée avec une certaine fierté par les personnels de l'ESAT. « On est des ouvriers normaux, insiste Daniel Wattiez, palefrenier-soigneur et usager. Handicapé mental, dans la tête des gens, ça veut dire que tu ne sais pas travailler, que quelqu'un doit toujours demeurer avec toi. On a peut-être des difficultés, mais on travaille chacun à son rythme. » Et quand un usager ne vient pas, ou se présente sans s'être coiffé ou rasé, les moniteurs d'atelier de l'ESAT se tournent vers les éducateurs spécialisés présents dans les structures d'hébergement. Ils peuvent aussi faire appel à la psychologue. « Nous avons, une fois par semaine, une réunion sociale qui nous aide à sensibiliser l'ensemble des personnels encadrants aux difficultés d'évolution des usagers. Par exemple, nous pouvons avoir un problème d'absentéisme : nous faisons ainsi converger différents points de vue sur la situation, ce qui nous permet de savoir le pourquoi du comment », décrit Alain Fredonnet. Michaël Globez, chef du service éducatif et responsable des structures d'hébergement, confirme l'importance de cette forte interaction entre le travail et la prise en charge éducative. « Nous avons institutionnalisé les réunions sociales, ce qui est bien, mais nous ne les attendons pas pour traiter les problèmes. Si un moniteur d'atelier constate une difficulté avec un usager, il vient dans mon bureau, et nous apportons la réponse la plus adaptée, dans les plus brefs délais. »

Le coût de la ruralité

Le Bol vert a su tirer parti de sa ruralité, en l'assumant. « Notre ligne de conduite est claire : se développer en restant proche de la nature. Mais le rural est financièrement lourd », rappelle Michel Deliège, Il serait en effet plus simple de développer une activité de sous-traitance dans une zone industrielle avec des ateliers dans des préfabriqués. Alain Fredonnet insiste : « Nous devions apporter des réponses à des personnes en situation de handicap dans un milieu sans structure adaptée. » Ainsi, le Bol vert ne peut pas se passer de ses chauffeurs, car ils reconduisent les usagers dans leurs hébergements. Contrairement à la ville, ce coin d'Avesnois ne dispose pas de service de transports en commun. Ce poste, qui n'entre pas dans les aides de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, « pèse lourd sur notre budget d'exploitation », reconnaît le directeur, qui précise : « De toute façon, je dois assumer 50 % des postes sur mon propre budget pour pouvoir pallier l'amplitude horaire nécessaire, sept jours sur sept, eu égard à la nature de nos activités. » Une situation que la tutelle ne prend pas en compte dans le financement des postes d'encadrement qu'elle attribue.

Cet après-midi, le club d'équitation du Bol vert accueille les adultes handicapés mentaux du foyer Claude-Jourdain, de Trélon. Ils viennent une fois par mois. Sur le manège, chaque cheval est accompagné d'un palefrenier de l'ESAT, sous la direction de la monitrice d'atelier. « Ecarte ta main vers la barrière », s'égosillent-ils pour diriger les débutants. Franck Laporte, aide médico-psychologique au foyer, sourit : « Nos résidents sont bien encadrés, on n'a jamais de soucis. Les usagers de l'ESAT savent ce qu'ils font. » Des adolescents donnent également un coup de main. Sont-ils en stage pour une future place ? Pas du tout. Pauline, 13 ans, vient en voisine apporter son aide, pour le plaisir. Elle monte au club d'équitation. Milieu ordinaire, milieu spécialisé : au Bol vert, les limites sont floues, et souvent on oublie qui est qui. C'est ce qui fait la réussite du lieu.

PÉRIMÈTRE
De la production jusqu'au client

L'ESAT du Bol vert a pu se développer grâce à sa collaboration avec la Ferme du Pont de Sains, un autre ESAT ouvert en 1977 par l'association La Maison des enfants. Laquelle gère par ailleurs un institut médico-éducatif et un institut médico-professionnel. « Nous avons commencé à nous intéresser aux jeunes adultes, parce que nous avions des enfants qui grandissaient, des besoins nouveaux qui émergeaient, et aucune solution pour eux sur le territoire », raconte Michel Deliège, qui dirige les établissements. Une ancienne propriété de Talleyrand composée d'un beau corps de ferme, en ruine à l'époque, est réhabilitée et reprend ses activités agricoles, notamment la production de lait. La Ferme du Pont de Sains se lance dans l'élevage de vaches, met en place une laiterie, puis une fromagerie, avec cave d'affinage traditionnelle, pour produire un Maroilles au lait cru qui remporte régulièrement des prix gastronomiques. Entre 10 000 et 12 000 litres de lait sont ainsi convertis. Le fromage à la croûte lavée à la bière se retrouve souvent dans les menus proposés par le Bol vert. Cette continuité de la chaîne de travail, de l'animal à l'assiette, est l'un des points forts du credo des deux ESAT : l'usager sait à quoi sert son effort. L'ESAT cuisine aussi 70 000 flammiches au Maroilles par an, en utilisant les fromages qui, trop lourds ou trop légers, ne correspondent pas à la grille de qualité. Une serre horticole, avec vente au public, complète l'offre.

Les ESAT attirant de nouveaux arrivants, il a fallu loger ces derniers. La structure s'est donc dotée de trois lieux : un foyer de logement avec accompagnement éducatif souple pour les plus autonomes, sur le site du Bol vert, et deux foyers d'hébergement, où l'accompagnement est permanent. Avec le départ à la retraite des plus anciens résidents, la Ferme du Pont de Sains a ouvert, en complément, un foyer pour personnes vieillissantes, avec 12 places. « Des usagers doivent cesser leur travail pour des raisons de fatigabilité, mais nous avons voulu conserver un lien avec eux, pour qu'il n'y ait pas de rupture directe avec l'endroit où ils ont longtemps travaillé », précise Michel Deliège. En tout, 30 moniteurs-éducateurs et aides médico-psychologiques encadrent la quarantaine de résidents hébergés sur place, qui travaillent dans les deux ESAT. Aujourd'hui, la Ferme de Pont de Sains emploie 105 travailleurs handicapés.

Notes

(1) ESAT du Bol vert : 28, rue Clavon-Collignon - BP 27 - 59132 Trélon - Tél. 03 27 60 84 84 - contact@bolvert.com

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