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Les assistants familiaux en manque de reconnaissance

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Malgré la mise en place d'un cadre professionnalisant, l'intégration réelle des assistants familiaux dans les équipes de l'aide sociale à l'enfance est à la peine, pointe Stéphane Le Labourier, assistant de service social en polyvalence de secteur et auteur d'une recherche sur ce métier (1).

«La loi du 27 juin 2005 consacre l'activité d'assistant familial en la dissociant de celle d'assistant maternel. Les assistants familiaux sont intégrés au dispositif de protection de l'enfance, ils en constituent même les «chevilles ouvrières». En effet, ils sont quelque 46 500 à accueillir près de 65 000 enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE), sur un total de 127 000. La majorité d'entre eux sont employés par les conseils généraux.

L'objectif de la loi était également de valoriser cette activité particulière en la professionnalisant. Le nombre d'heures de formation a ainsi sensiblement été augmenté, le mode de rémunération revu et un diplôme d'Etat instauré. Autant de mesures nécessaires et bien accueillies par ces travailleurs sociaux. Le plus dur reste à faire : intégrer véritablement les assistants familiaux aux équipes de l'ASE, symboliquement et pratiquement.

Assistant de service social, j'ai mené une étude, dans le cadre d'un DSTS-Master, sur des assistants familiaux d'un département de l'Ouest. L'hypothèse de ce travail était que la quête de reconnaissance, au demeurant légitime, des assistants familiaux, s'exprimant par une plus grande professionnalisation et un rapprochement avec le droit commun, s'oppose à la notion même de l'intérêt de l'enfant. Les tentatives des assistants familiaux d'échapper à «la tutelle» et à »l'autorité» supposées des travailleurs sociaux par un statut professionnel clair et opposable peuvent avoir un impact négatif dans l'exercice même de leur activité. La grille d'analyse utilisée fut celle de la théorie de la reconnaissance développée par le philosophe et sociologue Axel Honneth (2) et reprise par le sociologue Alain Caillé et le Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales (MAUSS).

Les entretiens menés auprès de 15 assistants familiaux (dont trois couples) ont été passés au crible des trois niveaux de reconnaissance (l'estime de soi ou la socialité primaire, la reconnaissance juridique et l'estime sociale). A chaque niveau de reconnaissance correspondent, en négatif, des formes de mépris.

La reconnaissance juridique des assistants familiaux ne peut pas être entière. Les droits salariaux auxquels ils peuvent prétendre resteront soumis à l'intérêt de l'enfant. Il en est ainsi du droit à congés réaffirmé dans la loi. Comme l'exprimait une assistante familiale : «ce qui est bien, c'est l'énoncé d'un principe». Il ne s'agit pas, comme le précisera une autre, de dire «j'ai droit à ça, je les pose et débrouillez-vous».

En matière de rémunération, un minimum est désormais assuré pendant l'accueil de l'enfant. Cependant, au départ de ce dernier, les assistants familiaux subissent une perte de salaire importante (3), ce qui laisse un goût amer à bon nombre d'entre eux. «Les enfants sont redevenus bien parce que vous avez fait votre boulot nickel. Et, pour vous récompenser, on vous sucre trois cinquièmes de votre salaire... Belle récompense !» Il s'agit bien là de l'application d'un principe d'un nouveau genre : le salaire au mérite inversé. Cette forme d'injustice nourrit la revendication d'un salaire fixe et d'une titularisation des assistants familiaux.

L'instauration d'un diplôme d'Etat d'assistant familial devrait permettre une reconnaissance de cette activité par les autres professionnels. Le caractère facultatif de ce diplôme sème cependant le trouble et risque d'instaurer, à terme, une hiérarchie entre ceux qui l'ont et les autres, les nouveaux et les anciens.

Révolution culturelle

La reconnaissance en tant qu'estime sociale, la reconnaissance par les «pairs» travailleurs sociaux canoniques, n'est pas encore acquise. Il faudra même, auparavant, une véritable révolution culturelle de la part de ces derniers. Un des objectifs de la loi était de favoriser l'intégration des assistants familiaux dans les équipes de l'ASE. Dans la réalité, la place qu'ils occupent est plus proche de celle de l'usager que du travailleur social. Outre une participation aux synthèses encore aléatoire, ils sont très rarement destinataires des comptes rendus de synthèses et jamais reçus dans le bureau du référent, mais de préférence dans un bureau d'accueil, comme les usagers. Des travailleurs sociaux ont pu justifier cette attitude par l'obligation liée au secret professionnel, à laquelle ne seraient pas soumis les assistants familiaux. C'est oublier que, participant à la mission de protection de l'enfance, ils y sont soumis au même titre que les autres travailleurs sociaux. Autre argument entendu pour justifier que les assistants familiaux ne soient pas destinataires des comptes rendus de synthèse : l'absence de séparation, pour eux, entre espace professionnel et espace personnel, qui ne garantit pas la confidentialité des écrits qui leur seraient adressés... Ces arguments paraissent bien minces pour justifier cette non-reconnaissance et relèvent bien d'attitudes de mépris.

Les relations entre les assistants familiaux et les travailleurs sociaux apparaissent bien marquées du sceau de la domination au sens défini par Pierre Bourdieu. Trop de travailleurs sociaux continuent d'estimer que la présence des assistants familiaux aux synthèses n'est pas toujours nécessaire et se posent en «porte-parole» de ceux-ci. La plupart des assistants familiaux interrogés font d'ailleurs part d'une différence de niveau hiérarchique entre eux et les autres travailleurs sociaux.

Nous sommes loin ici du concept de la solidarité qui devrait permettre, selon Axel Honneth, d'accéder à ce dernier niveau de reconnaissance. «La solidarité, dans les sociétés modernes, est donc conditionnée par les relations d'estime symétriques entre des sujets individualisés (et autonomes) ; s'estimer en ce sens, c'est s'envisager réciproquement à la lumière de valeurs qui donnent aux qualités et aux capacités de l'autre un rôle significatif dans la pratique commune» (4).

Ces attitudes de mépris, ces humiliations et cette acceptation tacite d'un rapport de domination sont majoritairement décrites par les «anciens» assistants familiaux. Les assistants familiaux «nouvelle formule» semblent vouloir revendiquer une place à part entière. Il apparaît plus que nécessaire, urgent, de les intégrer aux équipes de l'ASE, sinon risquent de se développer des attitudes d'opposition et des tensions entre ces deux catégories de travailleurs sociaux. Une forme de «corporatisme», de «crispation identitaire», s'exprime déjà sur les forums Internet dédiés aux assistants familiaux.

L'intégration de ces derniers aux équipes de l'ASE doit se poursuivre. Ils doivent dépendre hiérarchiquement des mêmes responsables d'équipe ou d'unités territoriales que les autres travailleurs sociaux. Ils doivent pouvoir être évalués au même titre que les référents ou les assistants de service social. Ce n'est qu'à ce prix que la reconnaissance par leurs pairs pourra être effective.

Le rapprochement du statut des assistants familiaux du droit commun salarié risque de créer un socle de revendications futures qui peuvent à terme s'opposer à l'intérêt de l'enfant. Il pourrait en être ainsi, si l'on tient compte de la nécessaire «continuité affective» à apporter à l'enfant, du droit à congés, qui semble particulièrement bien intégré par les assistants familiaux entrant en fonction.

C'est la nature même de cette activité qui se transforme en se professionnalisant. Les assistants familiaux sont de plus en plus sensibles à la préservation d'un «espace privé», d'un «temps pour soi». Les accueils relais sont ainsi appelés à se développer, la relation à l'enfant perd de son exclusivité.

La tâche du législateur n'était pas aisée, il était nécessaire de proposer un cadre protecteur pour l'assistant familial et pour l'enfant. Cela explique les dérogations et les dispositions facultatives présentes dans ce texte de loi. En la matière, le cadre ne peut être rigide, il doit tenir compte des spécificités de cette activité qui n'est pas réductible au droit salarié. Pour reprendre les propos d'une assistante familiale, «il s'agit d'instaurer des principes» qui tiennent compte des particularités de chaque de situation, plus que d'affirmer des droits.

Ce développement de la professionnalisation est accompagné d'une plus grande exigence des institutions elles-mêmes. Elles opposent aux assistants familiaux les attendus d'un référentiel professionnel, qui participe d'une certaine mise aux normes de cette activité qui jusqu'à présent en manquait cruellement. C'est d'ailleurs cette absence de normes qui explique, selon Axel Honneth, le déficit de reconnaissance. Il faut en effet, pour cet auteur, «disposer, pour nous ouvrir les yeux, d'un concept de travail normativement assez exigeant pour être, d'une façon générale, capable d'intégrer les besoins de voir reconnues ses propres prestations et qualités» (5).

La clinique sacrifiée à la gestion

Pour autant, cette activité, qui suppose de grandes capacités d'adaptation, est-elle soluble dans les attendus d'un référentiel ? Les activités des assistants familiaux s'y trouvent «disséquées», mises en actes. A leur tour, les assistants familiaux se voient appliquer le modèle gestionnaire venu de l'entreprise via le secteur médical. L'exigence sera liée, selon le sociologue Michel Chauvière, à «une culture du produit avec qualité incorporée, évaluation à la satisfaction de l'usager désormais clientélisé» (6). Ce modèle développe les notions d'ingénierie, d'expertise au détriment de la clinique. La loi de juin 2005 vient ainsi illustrer, elle aussi, les différentes logiques à l'oeuvre au sein du service social. Une logique gestionnaire, administrative et cadrée, opposée à une logique plus clinique et plus adaptable à des problématiques singulières. »

Contact : stephane.lelabourier@orange.fr

Notes

(1) Les assistants familiaux : entre droits salariaux et intérêt de l'enfant, des travailleurs sociaux en quête de reconnaissance - Mémoire de DSTS-Master 1 - Université Paris-XII - Sous la direction de Michèle Becquemin, maître de conférences.

(2) La lutte pour la reconnaissance - Ed. du Cerf, 2007, et La société du mépris. Vers une nouvelle théorie critique - Ed. La Découverte, 2006.

(3) L'assistant familial perçoit alors une indemnité mensuelle d'attente de 574 , versée pendant quatre mois au maximum. Au-delà, l'employeur doit verser à nouveau le salaire dans son intégralité ou licencier l'assistant familial.

(4) In La lutte pour la reconnaissance.

(5) In La société du mépris.

(6) Trop de gestion tue le social. Essai sur une discrète chalandisation - Ed. La Découverte, 2007.

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