Face à l'augmentation continue du nombre d'expulsions avec le concours de la force publique (+ 157 % en dix ans) et à l'insuffisance des réponses des pouvoirs publics, la Fondation Abbé-Pierre a, le 1er juin, ouvert une plateforme téléphonique « Allô prévention expulsions » (1). Elle tire un premier bilan de l'action, qui révèle « une situation sociale en dégradation » et les carences du dispositif d'information et de prévention. Car si les appels reçus ne constituent pas un échantillon représentatif, ils donnent une image concrète des processus qui conduisent à la perte du logement, facteur d'exclusion.
En un mois, 627 personnes ont contacté la permanence assurée chaque jour, de 14 heures à 16 h 30, par deux ou trois bénévoles, épaulés par un juriste. Le récent fonctionnement du service n'a pas encore permis d'analyser la répartition géographique des appels, qui proviennent toutefois de toute la France, en zone urbaine comme rurale. Plus du double n'ont pas réussi à joindre le service, en raison de la saturation des lignes. Fait surprenant, souligne la fondation, les personnes qui contactent la plateforme sont logées dans le parc privé (268), mais beaucoup le sont aussi dans le parc public (208). « Cela ne veut pas dire que les bailleurs publics vont aller jusqu'au bout de la procédure, explique Sylvie Guichard, directrice des missions sociales de la fondation. Mais il est étonnant que, malgré l'existence de services sociaux et contentieux susceptibles d'accompagner les familles dans ce parc, les locataires aient besoin de contacter la plateforme. Plusieurs raisons peuvent l'expliquer : les dispositifs ne sont pas suffisamment mobilisés par les organismes HLM, sont méconnus des usagers, ou ces derniers éprouvent le besoin de disposer d'autres informations. »
Un gros tiers des appels relèvent de la prévention (au stade du commandement de payer, en amont de la procédure juridique) face à des situations durablement difficiles ou des « accidents de parcours » causés par des ruptures de ressources, comme un licenciement. « Ce volume d'appels invalide l'idée reçue selon laquelle les personnes en situation d'impayés font la politique de l'autruche », insiste Sylvie Guichard. Les écoutants conseillent de s'orienter vers les services sociaux et les dispositifs d'aide pour résorber la dette, notamment le Fonds de solidarité pour le logement. Mais, dans un autre tiers des cas, le jugement de résiliation de bail est déjà rendu et l'expulsion est imminente. « Beaucoup ne savent pas qu'ils sont éligibles au droit au logement opposable en tant que personne en situation d'expulsion. » Reste encore un tiers d'appels par des personnes concernées par d'autres stades de la procédure (assignation au tribunal) ou déjà expulsées. Quelle traduction dans les faits de la promesse faite en mars dernier par Christine Boutin, alors ministre du Logement, selon laquelle aucune expulsion locative ne devait avoir lieu sans « solution de remplacement » ? « Pour tous ceux qui appellent, elle est sans effet pour le relogement, témoigne Sylvie Guichard. La solution proposée peut être une ou plusieurs nuits d'hôtel. Ce qui revient à mettre les familles dans le circuit du 115... »
Si la plateforme assure, par la préservation de l'anonymat des appelants, une fonction d'écoute différente de celle existant dans le cadre d'un suivi social, la fondation reconnaît les limites actuelles du service. Elle envisage d'accroître son amplitude horaire et de s'appuyer sur des partenariats associatifs pour encore mieux accompagner les publics.
(1) Tél. 0810 001 505 (numéro Azur, coût d'un appel local) - Voir ASH n° 2612 du 5-06-09, p. 25.