Comment se reposer, rester au chaud, suivre un traitement médical, lorsqu'on souffre d'une pathologie n'imposant pas d'hospitalisation, telle une grippe ou une gastro-entérite, et qu'on vit à la rue ? Comment recevoir les soins nécessaires, dits « à domicile », pour éviter une phlébite quand, la jambe plâtrée, il faut errer de hall de gare en structure d'urgence ? C'est pour apporter une solution à ces situations de crise aiguë qu'en 2005 ont été créés les « lits halte soins santé » (LHSS), dans la foulée des lits infirmiers expérimentés dès 1993 par le SAMU social de Paris.
Définies par le décret du 17 mai 2006, ces structures médico-sociales, financées à hauteur de 100 € par jour et par lit par l'assurance-maladie, sont destinées aux personnes majeures « sans domicile fixe, quelle que soit leur situation administrative, dont l'état de santé nécessite une prise en charge sanitaire et un accompagnement social » (selon le code de l'action sociale et des familles). Ouverts sans interruption, elles ont vocation à leur fournir un hébergement de deux mois au maximum, des soins et un suivi social, grâce à un personnel pluridisciplinaire (au moins un médecin et un infirmier, des travailleurs sociaux...), salarié ou libéral. Trois ans plus tard, leur intérêt n'est plus à démontrer, même si bon nombre de questions demeurent.
Fin 2011, 1 170 lits devraient émailler le territoire ; aujourd'hui, on en recense 671. « En général, il s'agit d'un organisme disposant d'un centre d'hébergement et de réinsertion sociale [CHRS] qui y a monté quelques lits ou qui a créé une structure indépendante mais rattachée à l'association », explique Marianne Storogenko, chargée de mission santé à la direction générale de l'action sociale (DGAS). Le SAMU social de Paris, en particulier, échappe à cette règle puisque ses 170 lits - sur les 210 de la capitale - sont gérés par le groupement d'intérêt public du même nom et éclatés sur cinq centres dont deux intrahospitaliers. Certaines structures ont aussi eu à coeur de diversifier les formules pour admettre des profils variés. C'est notamment le cas de l'OEuvre hospitalière de nuit à Rouen, qui dispose de places « en accueil d'urgence, dans plusieurs CHRS, y compris en milieu rural, en stabilisation..., détaille Caroline Dutarte, chef du service santé et assistante sociale de formation. Nous pouvons héberger des femmes, des personnes avec un chien et désormais un couple éventuellement avec enfant puisque nous ouvrons un dixième lit dans un studio. » Selon les résultats de l'évaluation lancée par la DGAS (1) sur les lits créés en 2006 - soit 14 structures comportant 271 lits -, 84 % des hébergés sont des hommes et environ 60 % ont 46 ans et plus.
Le mode d'orientation varie selon les structures. Dans la métropole lilloise (31 lits), Médecins Solidarité Lille régule les demandes d'où qu'elles émanent (hôpital, accueil de jour...). Même principe à Paris où tout passe par le 115. Toutefois, précise François Raymond, directeur des soins au SAMU social, « ouverts la nuit, nous réservons un ou deux lits pour les équipes de maraude afin de ne pas nous couper directement de la rue. Après évaluation, l'infirmière de l'équipe mobile peut donc appeler notre médecin d'astreinte. » Ailleurs, les services demandeurs s'adressent à la structure même. Quoi qu'il en soit, l'entrée dans le dispositif ne peut s'effectuer que sur avis médical et après accord de son responsable. Professionnels du social et du sanitaire non hospitaliers jouent « un rôle prépondérant dans l'orientation vers un LHSS, alors que la présentation spontanée n'est qu'infime », pointe la DGAS. Toutefois, celle-ci relève que ce sont les hôpitaux qui adressent le plus de malades (44 %). Non sans dérives. « Au début, ils prenaient les LHSS pour un déversoir. Il est même arrivé qu'ils orientent des patients sortant du bloc, encore anesthésiés ! Depuis, nous les avons mieux informés et nous travaillons désormais en bonne intelligence », estime Marianne Storogenko. Pour autant, « dans la capitale, les hôpitaux envoient encore des patients qu'ils devraient prendre en charge. Quand ça arrive, nous les leur réadressons », témoigne François Raymond. Par ailleurs, complète Catherine Sellier, directrice de l'urgence sociale au SAMU social, « nous avons aussi instauré une évaluation sociale rapide à l'entrée afin notamment que les hôpitaux ne nous envoient plus de gens en attente d'un départ en post-cure par exemple, car ensuite, aucun centre ne voulait plus les accepter ». Pour être admis, résume François Raymond, « il faut vraiment un motif somatique aigu. Nous ne sommes pas un service de suite et de réadaptation pour pauvres, ni une maison de retraite ou autre... »
Les modalités d'admission dépendent des structures. Ainsi, à Rouen, un travailleur social centralise les demandes. « Le dossier établi, il contacte le service orienteur : 115, hôpital, unités mobiles, assistante sociale de secteur, centre communal d'action sociale (CCAS), CMS... Il réexplique le dispositif, puis rencontre l'usager et vérifie certains points. La situation est étudiée lors de la réunion d'équipe hebdomadaire, et le médecin donne alors son avis. La personne attend 15 jours au plus. Si le problème est trop aigu, elle est orientée vers l'hôpital », souligne Caroline Dutarte. Au Foyer aubois, dans l'agglomération de Troyes (Saint-Julien-les-Villas), qui compte six lits, le principe est voisin. « On met au moins sept jours, on ne fait rien dans l'urgence. On essaie de ne pas déroger à cette règle car, d'expérience, on sait que sinon on loupe une étape. Mieux vaut poser le plus possible les choses », explique Stéphanie Schmitt, responsable du pôle hébergement. Un dossier médical est constitué et Antoine Livin, le référent social des LHSS, effectue un état des lieux « pour voir où en sont vraiment les gens, ce qu'ils souhaitent, détaille-t-il. Je les rencontre là où ils sont, que ce soit une cabane de jardin ou un garage. La décision est prise en réunion d'équipe. Nous acceptons aussi des personnes dont l'état du logement entrave les soins. »
Selon les structures, le profil des populations, les réalités et dispositifs locaux ou encore la perception de la fonction d'un LHSS, l'approche peut varier un tant soit peu et, notamment, ce qui est accepté là, peut ne pas l'être ailleurs.
Au SAMU social, au final, près de 20 % des usagers sont entrés en 2008 pour une affection dermatologique, 18 % pour un problème d'orthopédie-traumatologie et plus de 20 % pour une altération de l'état général. La DGAS relève toutefois que les motifs d'entrée dans les structures évaluées dévient en partie de leur objectif premier. En effet, plus de 36 % des admissions seraient consécutives exclusivement à une affection de longue durée (ALD), sachant qu'en sus, maintes personnes cumulent ALD et affection ponctuelle.
Une fois la personne admise, elle se pose et les soins débutent. Du côté des travailleurs sociaux, l'accès à une couverture médicale est la priorité. « Les documents ont souvent été perdus, les papiers n'ont pas toujours été faits, même après un passage à l'hôpital. On débrouille tout cela », développe Antoine Livin. « Etrangers ou non, beaucoup sont sans papiers, ne connaissent pas leur date de naissance, et c'est le parcours du combattant », confirme Catherine Sellier au SAMU social, où un agent de la caisse primaire d'assurance maladie dénoue maintes situations. Après un bilan social, diverses démarches sont partout initiées : réfection de papiers d'identité, montage de dossiers pour le RMI, l'AAH, la retraite, demande de tutelle, intervention auprès des consulats... « Les situations sont complexes. Peu de gens sont de notre département. Parfois, ils ont tellement circulé qu'il faut un temps fou pour regrouper leurs droits éparpillés », témoigne Antoine Livin. Les équipes ne doivent pas céder au découragement. « Au niveau social, on est sans cesse dans le «refaire et le déjà fait», il faut savoir ne pas baisser les bras », affirme Catherine Sellier.
Les soins suivant leur cours, les démarches sociales étant initiées, les équipes tentent alors de voir avec la personne quel projet est envisageable. « Au début, on est dans l'acte technique, puis, avec le travailleur social, on passe dans le prendre soin. On essaie de voir au cas par cas ce qu'il est possible de faire, sachant qu'on n'est pas une structure d'insertion », résume François Raymond, directeur des soins au SAMU social de Paris. « Au-delà de se poser, se soigner, ouvrir des droits, l'idée est d'autoriser ces personnes issues de la rue à expérimenter un nouveau mode de vie, à voir si elles ont envie d'engager autre chose », observe, à Rouen, Caroline Dutarte. Pour étayer cette démarche, les hébergés bénéficient d'activités : animations, éducation à la santé, sorties, séjours de rupture... Construire le lien est primordial. Ce que défend avec véhémence Marion Montagne, assistante sociale à l'Association baptiste pour l'entraide et la jeunesse (ABEJ) à Lille, qui gère dix lits au sein de son CHRS. « Le vrai coeur de ma mission est le travail sur la relation. Pour beaucoup, il aura fallu que le corps parle, qu'il lâche, pour amorcer quelque chose. Il faut alors pouvoir les accompagner au quotidien, les écouter, établir et consolider le lien peu à peu », estime-t-elle. Un lien que l'ABEJ, où les usagers bénéficient d'une chambre individuelle avec clé - élément jugé essentiel pour apporter intimité et sécurité et favoriser la confiance et la stabilisation -, cherche à tout prix à maintenir. En effet, renchérit Olivier Vilt, chef de service du CHRS et coordinateur social des LHSS, « si la personne doit être hospitalisée en cours de séjour, le travailleur social continue son suivi, lui rend visite. Ce, même si un nouvel arrivant vient occuper le lit. »
Pour élaborer un projet viable, des réunions pluridisciplinaires s'imposent. « Je ne peux pas faire un bon projet de sortie sans prendre en compte la santé. Les situations peuvent aussi évoluer, des pathologies être découvertes, nécessitant de réorienter la réponse », affirme Antoine Livin, à Troyes. En vue de faciliter la prise en charge, des conventions doivent être signées avec des établissements de santé généraux ou spécialisés en psychiatrie (notamment pour anticiper toute urgence). Des partenariats sont aussi conclus avec des acteurs variés (dentistes, PMI, réseaux addictions...). Selon la DGAS, ils sont « particulièrement bien développés que ce soit avec les organismes de soins [laboratoires d'analyse, pharmacie, hôpital, médecins spécialistes...], les associations (pour 60 % des structures) ou d'autres prestataires : CCAS, CPAM, etc. » Certains accords ciblent davantage la sortie. Ainsi, le SAMU social dispose d'une convention avec l'association Aurore pour des places en appartement de coordination thérapeutique dédiées aux sortants de LHSS. A Rouen, le travailleur social chargé de l'accompagnement oeuvre, quant à lui, en articulation serrée avec le service orienteur. « Nous collaborons étroitement durant le séjour et chacun prend sa part. Nous tenons à ce que cet acteur, qu'il s'agisse ou non de l'hôpital, reste associé car nous voulons rester une étape. Ainsi, à la sortie, il reprend le relais », assure Caroline Dutarte, soulignant la chance de l'OEuvre hospitalière de nuit de disposer d'un « excellent réseau préexistant sur la ville ». Côté partenarial, à Troyes aussi, le référent social apprécie que, dans l'Aube, « cela fonctionne bien ».
Selon l'évaluation de la DGAS, la durée moyenne des séjours en LHSS est cependant d'environ 67 jours, soit plus que les deux mois autorisés. Derrière ce chiffre se cache toutefois l'extrême hétérogénéité des situations. Tout d'abord, plus de 24 % des personnes quittent ces structures de leur plein gré ou à la suite d'une exclusion. En 2008, au SAMU social, ce sont près de 57 % des hébergés qui sont retournés à la rue pour fugue, départ volontaire ou éloignement. Par ailleurs, reconnaît Catherine Sellier, « les séjours vont d'une nuit à... plusieurs années. Cela s'est amélioré parce que nous avons développé notre savoir-faire et nos relais, mais nous avons encore des gens qui sont là depuis plus de deux ans. » Selon Marianne Storogenko, « au total, de 35 à 40 % des lits sont en fait embolisés ». Plusieurs raisons à cela. D'abord la lourdeur de certaines pathologies. « A l'ABEJ, on y a été très vite confrontés et le nombre de lits étant limité par rapport aux demandes, on a dû privilégier des cas plus difficiles. Lorsqu'il arrive des gens avec des problèmes de chimiothérapie, on sait que ça va dépasser les deux mois, mais il serait inhumain de les laisser dans la nature, errer de foyer en foyer. Il manque des structures adaptées », pointe Rolande Ribeaucourt, responsable du pôle santé et coordinatrice des LHSS. En outre, certaines maladies, lourdes, ne sont découvertes qu'après-coup.
Le manque de structures d'aval médico-sociales est le véritable talon d'Achille du dispositif, dont le public, marginalisé, souvent alcoolo-dépendant, ne suscite pas non plus l'engouement général. « Nombre de patients sont âgés. Même s'ils sont entrés à la suite d'un problème traumatologique, on ne peut pas les remettre, une fois celui-ci résolu, dans le circuit d'urgence. Or les listes d'attente en maison de retraite sont impressionnantes, et puis, souvent, ça ne leur convient pas », poursuit-elle. A Paris, si Catherine Sellier estime que « les LHSS restent des structures dites d'urgence avec le médical qui donne la limite de l'hébergement », elle reconnaît que, « pour les dossiers sociaux ayant une chance d'aboutir, tels ceux de gens âgés ou pour qui le retour à la rue serait un danger, la tendance est de les garder en attendant une orientation pérenne ». Un choix d'autant plus justifié que le SAMU social ne tarderait pas à les récupérer dans le cas contraire. Et à devoir tout refaire.
Certaines situations demandent un investissement très long au niveau social. Pour des migrants âgés, il faut bien deux ans, à Paris, pour refaire des papiers d'identité, mettre en place une retraite et envisager un passage en résidence service. Autre exemple : les personnes errantes sans nom. « Elles finissent dans un lit infirmier, on n'a aucune piste. Il faut effectuer des démarches auprès de la police, de la justice, recréer une identité, c'est un enfer », souligne Catherine Sellier. La lenteur des administrations est aussi pointée. « Même avec des contacts, à Lille, il faut trois mois d'attente pour obtenir une CMU complémentaire, or c'est essentiel », rappelle Marion Montagne. Pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques aussi, les solutions sont rares. « On a des gens qui pourraient vivre dans un logement adapté, grâce à des aides spécifiques, mais à quel titre le faire puisque leur handicap n'est pas reconnu ? », s'interroge-t-elle. Ce que dénonce également Catherine Sellier : « Tout un public relève du handicap : des hommes de 45 ans avec un syndrome de Korsakov, des psychotiques à la rue, mais incapables de se débrouiller seuls... On a des gens avec des notifications de la maison départementale des personnes handicapées pour une prise en charge en établissement, qui ont l'AAH, des tuteurs, etc., mais dont personne ne s'occupe ! »
Les sorties vers des lieux d'hébergement sont peu fréquentes : moins de 17 %, selon la DGAS, alors qu'elles devraient être la majorité. « On est bloqué car il n'y a pas de places de stabilisation, ni en CHRS, ni en hébergement simple. Les services sociaux à Paris qui s'occupent des SDF sont très engorgés », regrette Catherine Sellier. A Lille, les difficultés sont voisines. « Nous avons peu de sorties vers notre CHRS car la liste d'attente est de six à neuf mois », témoigne Eric Maignaud, directeur du pôle hébergement-logement et des LHSS. « En deux ans, j'ai rarement fait une orientation en CHRS car cette solution est peu adaptée à nombre d'usagers du fait de leurs troubles de la mémoire, du comportement, de leurs addictions, nuance Marion Montagne. Pour certains, ce serait les envoyer au casse-pipe et ils se retrouveraient vite dehors. » Au final, résume Olivier Vilt, « il est fort difficile de faire sortir les gens car ils sont très abîmés sur les plans somatique, psychique, social. Ils n'ont plus de réseaux et ont une piètre estime d'eux-mêmes. » D'où la frustration des équipes sociales pour qui le délai de prise en charge se révèle bien trop court. « C'est justement au moment où la relation va commencer à se nouer avec l'infirmière, l'assistante sociale, l'équipe éducative que le couperet tombe », déplore Marion Montagne. Une frustration que perçoit aussi François Raymond, à Paris, même s'il nuance. « Trois personnes sur quatre retournent à la rue ou dans le circuit d'urgence que ce soit à la suite de leur fugue, de leur éviction ou de la fin des soins. On amène du mieux, du soin, mais on ne les sort pas de la rue. Notre public, ce sont d'abord les grands exclus. Parfois cependant, d'un coup, grâce à l'attention de l'équipe, après plusieurs séjours, un déclic se produit. »
A Rouen, en revanche, la frustration ne semble pas de mise. « On arrive à modifier les conditions de vie des personnes de façon non négligeable et on a des admissions en CHRS, en maison de retraite... S'il le faut, une pléiade d'acteurs se mobilisent autour d'une situation et on avance », assure Caroline Dutarte, pour qui « les difficultés concernent surtout les demandeurs d'asile de plus en plus nombreux. Parmi eux, on a notamment des femmes enceintes pour qui l'orientation n'est pas facile. » A Troyes aussi, des solutions existent, même si le montage de certains dossiers se révèle tellement délicat « que des personnes ont dû rester cinq à six mois en LHSS », rappelle Stéphanie Schmitt. « En milieu semi-rural, les choses sont peut-être moins complexes, les liens familiaux moins distendus. Je n'ai jamais remis quelqu'un à la rue. Nous avons des sorties en famille d'accueil, en maison-relais, en maison de retraite, également à domicile grâce à l'intervention d'un ergothérapeute, des aménagements... On fait appel aux bailleurs publics, voire privés », observe Antoine Livin. Le référent social accompagne alors la personne pour faciliter sa nouvelle vie : gestion des dettes, lien avec l'assistante sociale de secteur, travail auprès des proches...
Sensible aux difficultés que rencontrent certaines équipes et voulant éviter le détournement du dispositif, la DGAS a mené une réflexion de fond, monté un groupe de travail et lancé une expérimentation de « lits d'accueil médicalisé » (LAM) (voir encadré ci-dessous). Ces LAM visent à recevoir, sans limite de temps, les malades chroniques nécessitant une réponse plus importante et sans possibilité de suivi adapté ailleurs. « Si on peut garder de la souplesse quant aux deux mois, on ne peut admettre que les LHSS soient ainsi embolisés. Des équipes se retrouvent avec des patients lourds pour éviter qu'ils ne meurent à la rue. Elles font un travail admirable mais prennent des risques. En LHSS, il n'y a pas de personnel médical 24 heures sur 24... », résume Marianne Storogenko. La formule devrait fluidifier le dispositif. Du moins, en partie. « Le problème reste en effet posé pour les gens avec qui s'est créé un lien social qu'il ne faudrait pas rompre. Une fois la personne soignée, il faut l'orienter au plus vite car, même si nos LHSS se situent dans notre CHRS, on n'est pas dans la logique de continuité de la prise en charge sociale. Mais les temps du médical et du social sont différents ; quand un aspect est réglé, l'autre est souvent embryonnaire », analyse Eric Maignaud, dont la structure lilloise va expérimenter les LAM. « Il est parfois trop tôt pour passer le relais », insiste Marion Montagne. Et de citer l'exemple d'un homme en LHSS depuis huit mois. « A son arrivée, il était très marginalisé, avait des troubles importants, une alcoolisation massive, on a eu peur pour sa vie. On est allé à son rythme, et des choses ont émergé. Quand il a été prêt, il a choisi de faire une cure, désormais il commence à entrevoir l'avenir. On a envie de l'accompagner, de l'orienter vers les bons dispositifs, un hébergement adapté, mais il faut du temps. C'est là que notre travail prend tout son sens. C'est la première fois qu'il se stabilise au niveau d'un hébergement et se sent en confiance. Casser cette dynamique le remettrait à coup sûr en danger. » Une position qui génère une tension entre sanitaire et social et fait débat au sein de l'ABEJ. « On ne peut pas toujours aller au bout des démarches sociales car on risque de voir décéder d'autres personnes encore à la rue faute de lits disponibles. C'est déjà arrivé. Je comprends la frustration des travailleurs sociaux, mais il y a un cadre médical à respecter », réagit Rolande Ribeaucourt. Et Eric Maignaud de suggérer : « Peut-être faudrait-il inventer une formule en parallèle des LAM, disons des «lits d'accueil social» [LAS], qui serviraient de places-tampons ? Ces LAS seraient des places CHRS dédiées aux sorties de LHSS, lorsque cela se révèle indispensable. Cela coûterait moins cher que de mobiliser parfois des lits halte soins santé pour garantir la seule continuité du lien social. »
Trois ans durant, le SAMU social de Paris, l'Association baptiste pour l'entraide et la jeunesse (ABEJ) à Lille et l'association Foyer aubois à Troyes vont tester 45 lits d'accueil médicalisé (LAM) (respectivement 24, 15 et 6), dans le cadre d'une expérimentation lancée, fin mars, par les ministères de la Santé, de la Solidarité et du Logement (2). Financés à hauteur de 182,65 € par jour, ces lits médico-sociaux auront vocation à servir d'alternative aux lits halte soins santé (LHSS). Ils recevront une population marginale, sans domicile, « atteinte de pathologies chroniques de pronostic plus ou moins sombre », telles que la schizophrénie, la maladie d'Alzheimer ou des cancers évolués, « nécessitant une prise en charge médicale et sociale adaptée sans limitation de durée ». L'heure est donc, selon les structures, à la recherche de locaux et au recrutement de personnels, qui seront renforcés et expérimentés (professionnels de santé 24 heures sur 24, aides-soignantes, assistantes sociales, aides médico-psychologiques, animateurs...). Et bien entendu, les questionnements foisonnent. Comment articuler LHSS et LAM ? mutualiser les personnels ? se coordonner avec les autres LHSS locaux ? Surtout, comment ne pas devenir une filière pour pauvres ? « Je suis attachée à l'application du droit commun mais cela est contrecarré par le principe de réalité : ne pas laisser mourir les gens dehors et ne pas mettre en difficulté les équipes », défend Marianne Storogenko, à la DGAS, qui initie en parallèle une évaluation. « Tout le monde doit avoir accès au droit commun, mais il faut le temps de se poser », estime Antoine Livin, à Troyes. « A l'ABEJ, comme pour les LHSS, on part du principe que les problématiques de santé sont là pour certains, qu'on ne peut les prendre correctement en charge, et que ça donne un cadre et les moyens de mieux faire. On n'est pas un hôpital pour les pauvres mais on voit bien la logique à l'oeuvre avec les réformes récentes, la tarification à l'acte... Il y a certes un risque que l'hôpital se décharge, mais, de manière générale, on recourt de plus en plus au suivi ambulatoire, aux soins à domicile... Seulement, tout le monde n'en a pas et il faut inventer des solutions », analyse, pragmatique, Rolande Ribeaucourt. Dans le groupe de travail sur les LAM - qu'une réflexion pluridisciplinaire préexistante au SAMU social a nourri -, la question a été beaucoup réfléchie, les expérimentateurs ayant le souci de ne recevoir que des usagers ne disposant pas de meilleure issue. Par exemple, souligne François Raymond, du SAMU social, « il y a des gens souffrant de cancer incapables de tenir en soins palliatifs. Et ce n'est pas la faute des équipes. Ils ont besoin de boire, de fumer, ils supportent mal la collectivité, il faut les écouter différemment... En LHSS, nous ne connaissons pas la prise en charge de la douleur, en revanche, nous savons prendre les gens au quotidien, sur leur lieu de vie. Avec les LAM, on peut se situer à ce carrefour. » En outre, si le suivi est illimité, pas question pour autant d'être un mouroir pour les personnes sans domicile fixe très malades. « Les gens peuvent mourir là, mais l'idée reste de les mettre dans la structure de droit commun qui leur correspond. On ne perd pas de vue qu'il faut faire valoir leurs droits », assure sa collègue Catherine Sellier. « J'espère qu'on va être dérangeant. Au niveau social, le projet est aussi d'interpeller les institutions comme les maisons départementales des personnes handicapées et de leur dire : on a tant de personnes avec une allocation aux adultes handicapés et une notification pour la prise en charge en établissement de votre part, cela fait tant d'années qu'on les connaît et qu'on les suit à temps complet, qu'en pensez-vous ? »
La prise en charge sera nécessairement à réinventer. « La durée va nous obliger à définir un autre mode d'action sociale. On aura des problèmes nouveaux à régler : ceux liés à la justice, aux impôts... On creusera plus le rapprochement avec les familles, notamment dans le cadre des fins de vie. Des fois, c'est très long quand les enfants ont subi des mauvais traitements, qu'ils ont été placés... », développe Antoine Livin. Le travail sur des addictions, qui complexifie beaucoup les situations, sera sans doute plus envisageable tout comme l'initialisation de certains traitements psychotiques. Des ateliers seront enfin davantage développés. « Le pari des LAM, c'est aussi de proposer autre chose que du médical et du social : du culturel, de l'artistique, pour faire émerger des envies, des projets, et faciliter les passerelles avec les structures auxquelles les gens ont droit. Il faudra donc développer d'autres réseaux, impliquer des associations... », souligne Catherine Sellier. Si les équipes se préparent à un travail prenant, puisqu'il s'agira d'un lieu de vie - le cahier des charges impose d'ailleurs de la supervision -, l'enthousiasme semble au rendez-vous. Et Catherine Sellier de résumer : « On va aimer développer ce projet car sa richesse, c'est le temps. »