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Mieux lutter contre les violences conjugales faites aux femmes : les pistes des députés

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Après avoir passé en revue la politique de lutte et de prévention contre les violences faites aux femmes, les députés en concluent qu'« une loi-cadre ne se justifie pas en tant que telle » car il existe déjà tout un arsenal législatif en la matière, ainsi que différentes mesures de toute nature. Ils formulent toutefois des recommandations pour pallier les insuffisances persistantes.

Dans un rapport rendu public le 8 juillet (1), la mission d'évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes de l'Assemblée nationale s'est penchée sur toutes les formes de violences faites aux femmes et émet un certain nombre de propositions pour améliorer le dispositif de lutte existant. Plutôt qu'une loi-cadre, elle considère que « c'est davantage un dispositif global, cohérent et coordonné, matérialisant la transversalité des politiques [...] qui devrait être mis en place ».

Mesurer la gravité des violences

« 10 % des femmes sont victimes de violences au sein de leur couple, une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son conjoint, compagnon ou de son ex. » Et ces violences touchent « tous les milieux sociaux et tous les territoires », rappelle Guy Geoffroy, rapporteur pour la mission. D'après des données de l'Observatoire national de la délinquance, elles ont augmenté de plus de 30 % entre 2004 et 2007 et les décès survenant dans ce cadre ont aussi progressé, passant de 137 en 2006 à 166 en 2007. Ces chiffres montrent la faiblesse du taux de révélation - de l'ordre de 8 % -, regrette la mission, jugeant les appareils statistiques de la justice, de la police et de la gendarmerie insatisfaisants. Aussi préconise-t-elle d'« organiser une nouvelle enquête consacrée aux violences faites aux femmes sur le modèle de l'«Enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France» », la dernière datant de 2000. Les députés suggèrent encore la création d'un Observatoire national des violences faites aux femmes, chargé de coordonner la collecte de données sexuées et d'organiser des enquêtes portant sur ce sujet.

Autres phénomènes inquiétants, celui des mutilations sexuelles : il y aurait environ 53 000 femmes adultes excisées vivant sur le territoire français en 2004, dont 20 % l'ont été en France. Mais globalement, reconnaît la mission, le nombre de cas de mutilations sexuelles tend à reculer du fait d'une « adhésion croissante aux valeurs et aux règles françaises, qui tendent à protéger les femmes » et au rôle des politiques de prévention mises en oeuvre récemment par de nombreux Etats africains. Pour les députés, les mariages forcés - phénomène pour lequel il n'existe aucune donnée fiable - sont aussi une autre préoccupation. Ils suggèrent donc d'« engager une étude statistique visant à estimer le nombre de cas annuels de mariages forcés en France, et à l'étranger si les victimes résident de manière habituelle en France, et à décrire les raisons du recours à ces pratiques, de manière à ajuster le dispositif de prévention et d'aide aux victimes ».

Développer le suivi des auteurs pour lutter contre la récidive

« Il y a urgence à développer le suivi des auteurs de violences pour lutter contre les risques de récidive », martèle la mission. Au niveau national, le taux de récidive est de 7,9 %, contre 5,5 % pour les violences en général. Et ce taux tend à diminuer dans le ressort des tribunaux de grande instance où le procureur mène une politique incluant le suivi des auteurs (6 % à Douai, 2,5 % dans le Tarn). « Si seuls 15 % des auteurs souffrent de troubles psychiatriques clairement identifiés, dans tous les cas, [leur] suivi psychologique est nécessaire », estiment les députés. Et ce, d'autant plus lorsqu'ils sont sous l'emprise d'une addiction à l'alcool ou à la drogue. Pour Guy Geoffroy, il faut donc « généraliser les obligations de soins pour les auteurs de violences et réserver les injonctions de soins, qui sont plus lourdes [à mettre en oeuvre], aux auteurs les plus dangereux ». Une préconisation également émise par un récent rapport de l'Assemblée nationale sur la prise en charge sanitaire, psychologique et psychiatrique des personnes placées sous main de justice (2). Il convient aussi d'inciter explicitement les magistrats, au moyen d'une circulaire, à s'engager dans cette voie car, selon les associations, ils sont « réticents à prononcer des obligations de soins [...], en dehors des cas de troubles manifestes du comportement ou d'addiction flagrante, notamment à l'alcool ».

Le suivi des auteurs de violences se heurte également à l'absence de moyens matériels et humains. Les députés préconisent donc de dresser, mettre à jour annuellement et diffuser, aux niveaux national, régional et départemental, une liste de structures spécialisées en la matière (3). Mais aussi de dégager « rapidement » des moyens financiers pour pérenniser les actions existantes et les généraliser. L'enjeu est de taille, soulignent-ils, car « si le taux de récidive baissait de 8 à 6 % à l'échelon national, environ 300 des 16 000 condamnations annuelles pourraient être évitées, ce qui équivaut à une économie de 20 millions d'euros ».

Faciliter l'accès au droit des victimes

Reconnaissant le rôle majeur des associations dans l'accueil et l'orientation des victimes, la mission souhaite que leur financement soit pérennisé grâce à la signature de conventions pluriannuelles d'objectifs et de moyens. Il en est de même pour les postes de travailleurs sociaux intervenant dans les commissariats et les gendarmeries, dont il faudrait en outre accroître le nombre.

Les députés notent aussi que l'accès au droit des victimes se heurte à l'absence de ressources de ces dernières. Aussi proposent-ils que l'aide juridictionnelle leur soit accordée sans délai et que seules leurs ressources soient prises en compte pour l'examen du droit. En outre, les conditions du dépôt de plainte peuvent s'avérer difficiles, les victimes étant souvent incitées à ne déposer qu'une main courante. Bien que de nombreux arguments militent pour la suppression de la main courante (absence d'effet juridique, par exemple), la mission estime néanmoins que celle-ci peut, dans certains cas, servir les intérêts de la victime en ce qu'elle permet de garder la trace des faits survenus. Son maintien doit toutefois être subordonné au respect de quelques principes (4).

Si, par ailleurs, l'accès au droit des femmes étrangères, qu'elles soient en situation régulière ou irrégulière s'est amélioré, des obstacles demeurent. Conformément au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), en cas de violences conjugales antérieures à l'obtention de la carte de séjour temporaire mention « vie privée et familiale » octroyée au titre du regroupement familial, l'autorité administrative est obligée de la lui délivrer et ne peut pas la retirer en cas séparation du couple. Par contre, sa décision n'est pas liée en ce qui concerne le renouvellement de la carte. Et c'est là que le bât blesse, les associations ayant relayé des « différences importantes de traitement entre préfectures ». Aussi les députés proposent-ils de « modifier le [Ceseda] afin d'accorder, sauf menace pour l'ordre public, le renouvellement du titre de séjour des femmes qui cessent la cohabitation parce qu'elles sont victimes de violences conjugales avérées ». Pour les victimes en situation irrégulière, la mission préconise qu'elles puissent « bénéficier d'un titre de séjour, au moins provisoire, en cas de dépôt de plainte, l'ordonnance de protection [délivrée par le juge] établissant la preuve des violences » (voir ci-dessous). Un titre de séjour définitif pourrait leur être ensuite accordé si les violences sont avérées, c'est-à-dire en cas de condamnation définitive. Elle suggère également de leur ouvrir un droit à l'aide juridictionnelle, actuellement réservé aux personnes justifiant d'une résidence habituelle et régulière en France.

Assurer la protection et le suivi des victimes

Comme un récent rapport des inspections générales de l'administration, de la police nationale, des services judiciaires et des affaires sociales (5), la mission propose de créer une ordonnance de protection des victimes, qui serait prise par le juge des victimes par exemple, et attesterait, pour une période donnée, de la situation de violences. Elle pourrait être sollicitée et délivrée en dehors de toute procédure comme à tous les stades de la procédure pénale. Ce document pourrait être ainsi opposable aux divers acteurs susceptibles d'aider les victimes (bureau d'aide juridictionnelle, caisses d'allocations familiales, bailleurs...). Dans ce cadre, les députés suggèrent que « l'ordonnance de protection puisse, si le juge l'estime nécessaire, suspendre provisoirement l'exercice de l'autorité parentale par le parent violent en n'en confiant l'exercice qu'à un seul parent et organiser, pour cette même période, le droit de visite ». Des droits de visite qui devront s'exercer dans des lieux de rencontre médiatisés.

En outre, pour garantir la sécurité des victimes, Guy Geoffroy suggère de généraliser l'éviction du conjoint violent du domicile conjugal aux personnes pacsées et aux concubins copropriétaires du logement ou cotitulaires du bail. Cette mesure rencontre en effet des difficultés de mise en oeuvre (6), notamment parce qu'elle est réservée aux couples mariés.

Pour le suivi de la victime, le rapporteur estime qu'il faut « privilégier les structures d'accueil spécialisées dans l'hébergement des femmes victimes de violences » et « former les équipes des centres généralistes au problème des violences conjugales ». Dans ce cadre, il considère que l'hébergement en famille d'accueil - dont l'expérimentation a été lancée en octobre dernier (7) - « n'est pas adapté aux femmes victimes de violences conjugales », car se posent les questions de leur sécurité et de celle des familles d'accueil, des compétences des familles à les prendre en charge et du risque de « l'infantilisation » des victimes. En revanche, précise la mission, ce mode d'hébergement pourrait être réservé aux jeunes filles menacées ou victimes de mariage forcé.

Enfin, pour assurer la réinsertion sociale et professionnelle des victimes, la mission souhaite que les démarches pour l'obtention du revenu de solidarité active soient facilitées, en faisant en sorte que seuls les revenus de la victime soient pris en compte pour l'examen des droits et « que les caisses d'allocations familiales accordent un traitement rapide des dossiers ».

Notes

(1) Rapport d'information n° 1799 - Disponible sur www.assemblee-nationale.fr.

(2) Voir ASH n° 2617 du 10-07-09 p. 14.

(3) Depuis 2006, il existe en France une fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d'auteurs de violences conjugales et familiales, regroupant un peu plus de 20 structures. Ce qui est peu si l'on considère l'exemple du Canada, qui, en 2004, comptait 205 programmes pour 32 millions d'habitants.

(4) C'est-à-dire : inciter systématiquement les victimes à déposer plainte ; transmettre la main courante à un magistrat référent, désigné obligatoirement dans chaque parquet, qui appréciera alors l'opportunité d'engager des poursuites ; orienter systématiquement les victimes vers les associations spécialisées ; reprendre contact avec la victime 48 heures après son dépôt.

(5) Voir ASH n° 2571 du 5-09-08, p. 25.

(6) Au plan pénal, entre le deuxième trimestre 2006 et le troisième trimestre 2008, elle n'a été prononcée que dans 9,6 % des affaires qui auraient pu y donner lieu. Au plan civil, seules 469 demandes d'éviction ont été formulées en 2008.

(7) Voir ASH n° 2576 du 10-10-08, p. 5.

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