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Rempart contre l'exclusion

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A Châlons-en-Champagne, dans la Marne, plusieurs associations ont oeuvré, sous l'impulsion du CCAS, à l'ouverture en 2006 du Marché de Pauline, qui fournit aux personnes en difficulté une aide alimentaire et leur propose un suivi spécifique, en contrepartie d'un engagement par contrat.

Yaourts, beurre, café, conserves, couches... Valérie Mélis, logisticienne au Marché de Pauline, vérifie les dates de péremption avant d'étiqueter les produits qui viennent de lui être livrés par la Banque alimentaire. Le camion, passé collecter des denrées au supermarché Carrefour, a également déposé 45 kilos de viande et des centaines de litres de lait. Les quelques rayons de la supérette sont rapidement remplis avant l'ouverture. Sur les murs, des fresques enfantines : c'est dans une ancienne école maternelle que l'épicerie sociale de Châlons-en-Champagne (1) est installée depuis septembre 2006.

Préfecture du département de la Marne et de la région Champagne-Ardenne, Châlons-en-Champagne compte 48 000 habitants, dont la moitié sont des fonctionnaires. Malgré un faible taux de chômage (6 %), un quart de la population châlonnaise vit en dessous du seuil de pauvreté. Surendettés, en difficulté pour régler une facture ou en attente d'ouverture de droits, depuis plusieurs années de plus en plus de Châlonnais se pressaient au centre communal d'action sociale (CCAS) afin d'obtenir, entre autres, des chèques multiservices. Pour le CCAS, cette réponse était insatisfaisante car elle ne réglait pas les problèmes de fond. Il était temps de trouver de nouvelles réponses en matière d'aide alimentaire. « D'un côté, les associations caritatives distribuaient des colis, de l'autre, nous attribuions des bons d'achat. On voulait faire mieux et ensemble, pour plus de cohérence, explique Catherine Delvallée, directrice générale des services du CCAS. Distribuer, c'est bien, mais rendre la personne consommatrice et actrice, c'est mieux. Il fallait créer un lieu où la personne en difficulté achèterait elle-même ses produits tout en bénéficiant d'un accompagnement personnalisé. » Dès 2003, des représentants de la Banque alimentaire, du Secours populaire, du Secours catholique, de la Croix-Rouge française, des Restos du Coeur et de SOS Bébés se joignent à un groupe de réflexion animé par Georgette Godart, chef du pôle « action sociale et insertion » du CCAS. « A l'époque, les épiceries sociales commençaient à émerger ici et là. Il nous a paru évident de créer la nôtre, avec ses spécificités, précise-t-elle. On s'est mis à la recherche d'un local qui devait répondre à plusieurs impératifs : ressembler à un vrai magasin, être situé dans un lieu accessible, mais pas trop près d'un commerce classique, et surtout pas dans un quartier stigmatisé. L'école Pauline-Kergomard fermait ses portes ; on l'a transformée en pôle social, qui regroupe aujourd'hui l'épicerie sociale et trois associations, dont une antenne de stockage de la Banque alimentaire. »

Un objectif formulé par le bénéficiaire

Ouverte toute l'année, les lundis après-midi, les mardis et jeudis de 9 heures à 11 h 30 et de 13 h 30 à 16 h 30 et les vendredis matin, pour les bénéficiaires châlonnais mais aussi, depuis le début de cette année, pour ceux de la commune voisine de Saint-Memmie (5 000 habitants) avec laquelle a été signée une convention, l'épicerie est alimentée par la Banque alimentaire (et notamment par les 25 tonnes de dons de la collecte annuelle à Châlons) et, tous les matins, par les denrées offertes par Carrefour, dans le cadre de son partenariat avec l'association caritative. Le CCAS, qui paie une cotisation de 14 000 € par an à la Banque alimentaire, débourse 13 000 € annuels supplémentaires pour l'achat de produits de première nécessité complémentaires : sucre, huile et produits d'hygiène... « Mais attention, ce public a le droit de bénéficier du meilleur. Il ne s'agit pas de sous-produits ni de denrées expirées ! », précise Georgette Godart. En effet, marques repères et grandes marques se côtoient sur les étagères, et tout est affiché au même tarif. « On se réfère à une liste de tarifs fournie par la Banque alimentaire. Elle fonctionne par familles de produits et par poids. Ainsi, tous les types de café coûtent 7,12 le kilo. Pour un sachet de 250 g, le prix affiché est donc de 1,78 - c'est cette somme qui sera déduite de la capacité d'achat du bénéficiaire, qui ne paiera de sa poche que 10 % du prix, soit 0,17 . Même chose pour les légumes ou les morceaux de viande », détaille Valérie Mélis.

La mission de l'épicerie est consignée dans sa charte : « Permettre aux bénéficiaires de se nourrir malgré leurs difficultés financières. » Et les économies réalisées par les achats à prix modique doivent servir à atteindre un objectif précis. Avant de pouvoir accéder au Marché de Pauline, le bénéficiaire signe, soit avec un intervenant social du CCAS, soit avec l'un des assistants de service social des deux circonscriptions châlonnaises, un contrat d'engagement dans lequel il exprime clairement cet objectif, par exemple : « L'épicerie sociale va me permettre de régler ma dette de loyer. » Le contrat détaille la durée de l'accès et la capacité mensuelle d'achat (comprise entre 60 € et 208 € par foyer). Ces deux points sont déterminés au cours de la commission qui réunit, deux fois par mois, les représentants des associations partenaires, les responsables de circonscriptions et des travailleurs sociaux de la ville. Organisée par Nathalie Filali, chef de service « action sociale et insertion » au CCAS et conseillère en économie sociale et familiale (CESF) de formation, cette commission est l'occasion de prendre une décision collégiale sur chaque dossier en fonction de la situation financière et sociale du foyer. La majorité des dossiers étudiés est acceptée (en 2008, sur 318 dossiers, 252 ont reçu un avis favorable). « A l'ouverture de l'épicerie sociale, il y avait davantage de refus. Il a fallu un peu de temps pour que les travailleurs sociaux s'approprient le nouveau dispositif, en comprennent le fonctionnement et ses avantages, notamment le fait qu'il s'agit d'un outil de mobilisation du bénéficiaire », se souvient Nathalie Filali. Car l'épicerie sociale modifie les pratiques professionnelles, notamment pour les assistants de service social, les CESF et les chargés d'accueil du service « action sociale et insertion ». « Entre donner un chèque et accompagner une personne faire ses courses, il y a un fossé, note la chef de service. A l'épicerie sociale, on perçoit différemment la détresse des gens. Une nouvelle relation se crée, dans laquelle un professionnel n'est pas immédiatement à l'aise. Du côté des usagers aussi, c'est une autre approche : on leur demande de s'engager. Certains ne s'en sentent pas capables. On n'aura pas la même exigence avec tous, mais, quoi qu'il en soit, ce n'est pas aux bénéficiaires de se positionner. Certains nous disent : «Je préfère les chèques», mais nous les orientons selon notre propre évaluation. »

L'engagement à participer à un atelier

Lors de la signature du contrat, le bénéficiaire s'engage également auprès de son référent social à participer à au moins un des ateliers organisés par l'épicerie sociale. Animées par l'équipe du service « action sociale et insertion », ces activités sont conçues pour favoriser les échanges d'expériences, l'entraide et la solidarité. Le plus populaire est l'atelier Santé - bien-être, où sont proposés des informations et des échanges sur différents thèmes (alimentation, vaccinations, tabac, alcool). L'atelier de cuisine a également ses aficionados. Ils y apprennent à réaliser des recettes de base et à petits prix : pâte brisée, pâte sablée, pizzas, quiches, compotes... Outre que les participants doivent apprendre à organiser un plan de travail fonctionnel, l'intervenante leur transmet des conseils sur l'hygiène, la sécurité, la diététique... L'atelier Vue sur la ville est celui qui crée le plus de lien social - même si, fondamentalement, tous les ateliers partagent cet objectif. Il permet de découvrir, en groupe, la ville de Châlons, ses animations, ses activités sportives et culturelles. « Les personnes sortent de chez elles, choisissent ensemble le film qu'elles veulent voir, le plus souvent une comédie, relate Arancha Godefroy, assistante de service social. Ensuite, nous débattons ensemble autour du film. Je leur demande de construire leur pensée, d'argumenter, au lieu de dire simplement : «J'ai pas aimé.» » A l'atelier Loisirs créatifs, encore appelé atelier « bricolage », on réalise des objets de décoration et on apprend, par la même occasion, les règles élémentaires de courtoisie : « Fabriquer ces objets sert de prétexte à recréer une vie en communauté, où chacun doit attendre son tour, suivre des règles précises », rappelle Nathalie Filali. L'atelier Budget-vie quotidienne apporte, quant à lui, des informations pratiques sur les thèmes de la vie courante (tri sélectif, assurances, accidents domestiques, économie d'énergie, gestion budgétaire familiale). Pour s'initier et se perfectionner à la couture, on fréquente l'atelier Stylisme. Enfin, Coup de pouce habitat est un stage collectif de six semaines d'apprentissage de la pose de papier peint et de peinture : encadrés par un moniteur technique, les stagiaires retapissent un appartement témoin prêté par les organismes HLM. Des photos « avant-après » sont prises et exposées à la fin du stage à l'attention de tous les partenaires, de façon à valoriser le travail collectif. Ensuite, les participants sont accompagnés dans la rénovation d'une pièce de leur domicile. Un stage peu demandé : « Les gens n'aiment pas qu'on entre dans leur intimité, décrypte Nathalie Filali. Nous l'avons également constaté avec l'atelier Fée du logis que nous proposions en 2008, où une aide ménagère venait chez le bénéficiaire pour aider au ménage et à l'organisation de l'intérieur. » Un atelier Journal a également dû être suspendu, les participants étant démotivés en raison de leur mauvaise maîtrise de l'écrit et de l'outil informatique.

Si l'engagement dans un atelier est le critère d'admission à l'épicerie sociale, au quotidien, il est difficile de mobiliser les gens. « Il arrive que nous ayons 20 inscrits à l'atelier de cuisine, mais que seules quatre personnes se présentent le jour J, témoigne la chef de service. Les intervenants sociaux sont là pour susciter l'intérêt des bénéficiaires, mais c'est loin d'être aisé. L'engagement est une chose, la concrétisation, une autre. Quand on est en grande précarité, l'atelier n'est pas une priorité. S'ils ne participent pas, il n'y a ni pénalité ni sanction, mais c'est discuté en entretien individuel. » Ce que confirme une assistante sociale travaillant dans l'une des deux circonscriptions de Châlons-en-Champagne : « Personne n'est privé de l'aide alimentaire s'il ne participe pas aux ateliers. »

Plus de monde, moins de choix

L'accès au Marché de Pauline est limité à trois mois renouvelables une fois. En effet, l'épicerie sociale constitue une aide ponctuelle, avec un objectif précis, qui doit être quantifiable et justifié. Le CCAS ne s'est pas fixé pour autant de barrières trop rigides concernant le laps de temps entre deux prises en charge. D'ailleurs, aujourd'hui, Stéphanie(2) achète des fruits et légumes. Elle fut l'une des premières à accéder à l'épicerie sociale lors de son ouverture. Trois ans plus tard, cette mère célibataire d'une fille de 10 ans rencontre à nouveau des difficultés pour régler sa facture de gaz. « Il y a plus de monde et donc moins de produits qu'en 2006, constate-t-elle. Je trouve que l'épicerie sociale est bien, même si le choix est restreint. Je ne trouve pas de Ricoré et, comme ma fille est difficile, je suis obligée de retourner à Carrefour acheter le reste de mes courses. Pareil pour les produits d'hygiène, car elle fait facilement des allergies. » Les partenaires de l'épicerie entendent fréquemment ce type de remarque, sans pouvoir y apporter de réelle réponse. « Ils sont nombreux à regretter de ne trouver ni viande halal ni eau minérale. Certains ont aussi remarqué que des produits coûtaient plus cher au Marché de Pauline que chez les hard-discounters, mais ils admettent qu'on trouve ici des fraises et des melons à des prix défiant toute concurrence », rappelle Nathalie Filali, qui indique qu'une enquête de satisfaction devrait être lancée d'ici à la fin de l'année. Elle relève, par ailleurs, un phénomène particulier : « Des personnes à qui l'on donnait auparavant des colis alimentaires ont tendance à acheter exactement les mêmes denrées qu'ils trouvaient dans leur paquet : des pâtes, des biscuits... Or nous proposons des produits frais, des laitages, de la viande, et malheureusement, comme ce ne sont pas des aliments que les bénéficiaires ont l'habitude d'acheter, il arrive que l'on jette ! D'où l'utilité d'un accompagnement. »

Stéphanie passe en caisse, où se relaient deux jeunes femmes embauchées en contrat aidé (vingt-six heures par semaine). Polyvalentes, elles assurent aussi bien l'accueil du public que l'entretien du magasin. Elles s'intéressent à la façon de consommer des « clients » et peuvent poser des questions ouvertes pour mieux connaître leurs pratiques alimentaires. « On voit passer des personnes qui ne prennent que des conserves. Quand on leur demande pourquoi, elles expliquent qu'elles n'ont pas de frigo. On n'y pense pas forcément, et il faut éviter de toucher les gens là où ça fait mal. On essaie de les laisser agir en consommateurs lambda », témoigne Céline Lefèvre. Malgré cette résolution, l'achat de certains produits a dû être limité. « Il s'agit surtout de produits d'hygiène comme le papier-toilette, la lessive et l'eau de Javel. Il semble que certaines personnes les stockaient. Non seulement nous avions nos propres contraintes budgétaires mais de plus, pour elles, l'achat de produits d'hygiène se faisait au détriment de l'alimentaire », précise Nathalie Filali.

Pour Stéphanie, qui commence sa carte d'accès mensuelle, la somme de 22 € est déduite des 100 € qui lui sont accordés. Plusieurs règles sont édictées lors de l'entrée à l'épicerie : la totalité du montant de la carte d'accès ne peut être dépensée en une seule fois - « il est préférable, pour un meilleur accompagnement, que la personne vienne régulièrement et prenne des produits frais » - et aucun dépassement n'est autorisé - « on leur demande ainsi d'être attentifs à la gestion de leur budget ». Aujourd'hui, Stéphanie ne déboursera que 2,20 € de participation.

Un accès spécifique gratuit

Même si le dispositif est déjà complet, il en fallait davantage pour que l'UNCCAS attribue en avril dernier au Marché de Pauline le Prix de l'appel à expériences « Répondre aux nouvelles précarités », organisé avec le soutien de la délégation interministérielle à l'innovation, à l'expérimentation sociale et à l'économie sociale (DIIESES). Ce plus, c'est l'accès prioritaire, mis en place depuis juin 2007. Le CCAS de Châlons-en-Champagne propose en effet un accès spécifique totalement gratuit, d'une durée de un mois, aux personnes en attente de droits (Assedic, RMI, pensions, suites d'un licenciement...). Pour elles seules, l'épicerie est ouverte les jeudis après-midi et vendredis matin. Aucun objectif n'est indiqué dans le contrat d'engagement, et la capacité d'achat est comprise entre 100 € (pour une personne seule) et 208 € (pour un foyer de huit personnes). A l'origine de l'extension du dispositif, un constat : « Une partie du budget de l'aide alimentaire a été transférée vers le Marché de Pauline. Nous pensions qu'il allait automatiquement baisser, se souvient Nathalie Filali. Pourtant, plusieurs mois plus tard, il y avait toujours autant de demandes pour des chèques multiservices, notamment de la part de personnes en attente de droits. Comme la montée en charge du Marché de Pauline était plutôt lente, il a semblé opportun au CCAS d'ouvrir le dispositif à ces familles se trouvant dans des situations administratives complexes. Aucune participation financière n'est demandée, puisque le bénéficiaire est sans ressources, mais reste l'engagement de participer à au moins un des ateliers. » Cet accès prioritaire prend de plus en plus d'ampleur et a représenté l'an dernier 272 foyers, contre 252 en accès classique.

Devenue un maillon essentiel du dispositif d'action sociale de Châlons-en-Champagne, l'épicerie sociale constitue un véritable rempart contre l'exclusion alimentaire et l'isolement. Une réussite d'autant plus notable, que « lorsqu'on a «vendu» le projet aux élus, on a fait le pari qu'il coûterait un peu plus cher à la ville, mais pas «beaucoup plus», se souvient Catherine Delvallée, directrice générale des services du CCAS. Or le résultat est au-delà de nos espérances. Avec un budget annuel de fonctionnement de 160 000 €, une famille aidée par le Marché de Pauline a coûté 27,5 € par mois en 2008. Lorsqu'on attribue un chèque multiservices aux personnes qui demandent une aide d'urgence, cela s'élève, pour une personne seule, à 23 € pour la semaine ! L'épicerie sociale coûte donc beaucoup moins cher, pour un service bien meilleur. »

FOCUS
En majorité, des parents seuls

En 2008, le Marché de Pauline a reçu 252 foyers en accès classique. Parmi eux, 71 % sont des foyers avec enfants, mais majoritairement monoparentaux, 3 % ont plus de 65 ans, 50 % ont un « reste à vivre » compris entre 201 € et 380 €, 70 % ont pour objectif de régler une facture liée à leur logement (loyer, taxe d'habitation, facture d'énergie), 3 % visent un achat mobilier ou d'électroménager, 5 % régleront des frais de scolarité, et 79 % ont un accès pour trois mois. L'accès prioritaire a concerné 272 personnes, dont 35 % de familles monoparentales, 33 % âgées entre 31 et 40 ans, 36 % en attente de RMI et 17 % en attente d'allocations de chômage.

Notes

(1) Pôle social Pauline-Kergomard : 2, rue du 8-Mai-1945 - 51000 Châlons-en-Champagne - Tél. 03 26 21 03 09.Centre communal d'action sociale : 9, rue Carnot - 51012 Châlons-en-Champagne cedex - Tél. 03 26 69 47 00.

(2) Le prénom a été changé.

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